Disney. Un capitalisme mondial du rêve 6 avril 2010

Le mardi 6 avril, dans l’amphithéâtre Bachelard de la Sorbonne, s’est tenue la troisième table ronde du Mécano de la scène mondiale.



Autour de l’ouvrage d’Alexandre Bohas, Disney, un capitalisme mondial du rêve, et de son auteur, Chaos International a réuni le Producteur, Auteur du livre La Vingt-cinquième image, René Bonnell, le directeur de la société de production FlachFilm et Vice-Président de l’Association des producteurs de cinéma, Jean-François Lepetit.

La synthèse de la troisième séance du cycle Le Mécano de la scène mondiale organisée autour de l’ouvrage d’Alexandre Bohas, Disney, un capitalisme mondial du rêve

Autour de l’ouvrage d’Alexandre Bohas,
Disney Un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 2010.

Avec
Jean-François Lepetit*, Directeur de la société de production Flachfilm et Vice-Président de la Chambre Syndicale des Producteurs et Exportateurs de Films Français.
René Bonnell**, Producteur et auteur de La Vingt-Cinquième image.
Alexandre Bohas, Chercheur en Économie Politique Internationale.

I. La marginalisation des créations cinématographiques en France
II. Le repli des filières européennes dans la mondialisation culturelle
References

I. La marginalisation des créations cinématographiques en France

1 En 2009, la part de marché des films français serait en baisse par rapport à 2008, passant de 45 à 37%. Que vous inspirent ces derniers résultats ?

D’emblée, Jean-François Lepetit a souligné que les conditions de diffusion se dégradaient pour les productions hexagonales. Tandis que le nombre des œuvres produites demeure élevé, la plupart d’entre elles sont exclues des circuits de distribution dans un contexte de surabondance audiovisuelle. Au bout de quelques jours, elles sont « débarquées » (sic.) des écrans, bien qu’elles rassemblent encore souvent beaucoup de spectateurs. Pour sa part, René Bonnell a renchéri en mentionnant que le nombre de nouvelles sorties se maintenait annuellement entre 220 et 240 films. Il a ensuite mis l’accent sur les faibles budgets dont disposent les professionnels pour parvenir à une production aboutie et une diffusion réussie. Quant à Alexandre Bohas, il est revenu sur la concentration des financements en matière de production, distribution et promotion qui porte sur un nombre réduit de longs métrages, ce qu’il a assimilé au phénomène des blockbusters américains. À cet égard, il a rappelé la faiblesse structurelle des créations nationales dont le cycle de rentabilisation s’effectue uniquement sur le marché français, contrairement à celles d’Hollywood qui bénéficient d’une audience mondiale. Les trois invités se sont finalement accordés pour reconnaître que derrière une part de marché souvent égale à celle détenue par les productions américaines, nombre de films français ne sont cependant pas diffusés en salles lors de leur sortie.

2 Le système de soutien au cinéma français a assuré le maintien d’une filière nationale de création. Quelles sont les menaces qui pèsent sur ces mécanismes d’aide ?

René Bonnell a retracé la genèse de cette politique culturelle appliquée dès 1946 et dont le fondement réside dans un fonds de soutien financé par une taxe prélevée sur toutes les entrées en salles. Provoquant une « épargne forcée », celle-ci est ensuite reversée aux producteurs, ce qui permet à ces derniers de continuer de créer. Ce producteur a également signalé l’importance des financements provenant des chaînes de télévision, en particulier Canal+ dont les préachats concernent plus de 100 films par an. René Bonnell et Jean-François Lepetit ont alors indiqué que le succès de ce dispositif public a fait des émules tant en Europe qu’en Corée du Sud par exemple.

Selon ces deux intervenants, les menaces proviendraient de l’ouverture du compte de soutien à des sociétés non-européennes. Puis, Jean-François Lepetit a analysé la dualisation de la filière alors que René Bonnell a commenté la paupérisation d’une partie du secteur français. Enfin, Alexandre Bohas a tenu a précisé que le dualisme de la profession entre cinéma d’auteur/cinéma commercial était beaucoup moins marqué en Amérique, où les deux milieux entretiennent au contraire des relations étroites.

II. Le repli des filières européennes dans la mondialisation culturelle

1 Plusieurs politiques publiques — telles que MEDIA — ont été poursuivies au plan européen en matière cinématographique. Nous assistons également à l’essor de certains films nationaux en Europe. Peut-on y voir l’édification d’une filière ?

René Bonnell et Jean-François Lepetit ont tous deux contesté l’existence d’une filière européenne qui serait en construction. Le premier a affirmé qu’avec la généralisation des systèmes d’aide, les cinémas nationaux se sont au contraire repliés sur eux-mêmes, mettant ainsi un terme aux coopérations transeuropéennes des années soixante-dix, quatre-vingt. Selon lui, nous assisterions à une juxtaposition de productions sans véritable visée européenne. Alexandre Bohas a, quant à lui, rappelé que les programmes MEDIA et la directive communautaire Télévision Sans Frontières n’ont pas entraîné l’édification d’un centre de création continental, mais plutôt la mise en place d’un grand marché ; les publics ne se reconnaissant pas et ne se projetant pas dans les intrigues et les acteurs non-nationaux et non-américains. Concernant les politiques publiques à poursuivre à l’échelle de l’Union européenne, Jean-François Lepetit et René Bonnell ont évoqué la possibilité d’imposer aux chaînes de télévision des quotas de films européens non-nationaux, ce qui habituerait les audiences aux films européens, et leur ouvrirait des débouchés hors de leur pays d’origine. Toutefois, cette mesure rencontre actuellement de fortes réticences, les professionnels restant dans chaque pays crispés sur leurs avantages nationaux.

2 S’agissant de la diversité culturelle, quelles sont les grandes tendances à l’œuvre dans le secteur cinématographique?

Selon Jean-François Lepetit, la diversité culturelle serait menacée en France. Traditionnellement, les succès de la filière nationale ont toujours été fondés sur une variété de programmes susceptibles de proposer autant de films de divertissement que de longs métrages d’auteur, plus intellectuels et/ou plus ambitieux artistiquement. Or, cette possibilité est aujourd’hui ébranlée par la marginalisation d’un nombre croissant de films. Sur ce point, René Bonnell a rappelé que le centre du cinéma-monde connaissait le succès avant tout grâce à la diversité de ses contenus. D’après lui, tout en produisant pour un marché national, Hollywood serait actuellement le seul espace de production au monde, capable de diffuser dans toutes les sociétés. Ainsi, demeure-t-il plus que jamais essentiel pour le cinéma français de proposer une pluralité de contenus.

* Jean-François Lepetit est Producteur et Vice-Président de la Chambre Syndicale des Producteurs et Exportateurs de Films Français. Il a notamment produit avec sa société Flach Film des succès comme Trois Hommes et un Couffin, Le Grand Chemin, Le Monde selon Bush et dernièrement Le Temps de la kermesse est terminé. Il a aussi participé à Hollywood au remake de Trois Hommes et un Couffin avec la firme Disney.

** Directeur d’Octave Films, René Bonnell a occupé des fonctions importantes au sein de la chaîne cryptée Canal+ et du groupe France Télévisions. Il a également été Secrétaire général de la Chambre Syndicale des Producteurs et Exportateurs de Films Français. En outre, il a écrit plusieurs ouvrages, parmi lesquels nous mentionnerons, La Vingt-cinquième image. Une économie de l’audiovisuel, livre de référence sur l’économie du cinéma.

References

Ouvrages

Bonnell René, Le Cinéma exploité, Paris, Seuil, 1978.
Bonnell René, Le Droit des auteurs dans le domaine cinématographique : Coûts, recettes et transparence, Paris, CNC, 2008.
Bonnell René, La Vingt-cinquième image : une économie de l’audiovisuel, 4ème éd., Paris, Gallimard, 2006.
Créton Laurent, Économie du cinéma : perspectives stratégiques, Paris, Armand Colin, 2009.
Farchy Joël, Tardif Jean, Les Enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Hors Commerce, 2006.
Forest C., L’Argent du cinéma, Paris, Belin, 2002.
Laroche Josepha, Bohas Alexandre, Canal+ et les majors américaines : une vision désenchantée du cinéma-monde, 2ème éd., Paris, L’Harmattan, 2008.
Mattelart Armand, Diversité culturelle et mondialisation, Paris, La Découverte, 2005.
Miller Toby, Govil Nitin, McMurrin John, Maxwell Richard, Wang Tin, Global Hollywood 2, Londres, British Film Institute, 2005.
Wyatt Justin, High Concept. Movies and Marketing in Hollywood, Austin, University of Texas Austin, 1994.
Internet
CNC (Centre National du Cinéma) : http://www.cnc.fr/
Flach Film : http://www.flachfilm.com/
IMDb (Internet Movie Databasis) : http://www.imdb.com/
UniFrance : http://www.unifrance.org/
MPAA (Motion Picture Association of America) : http://www.mpaa.org/

PAC 18 – L’investissement numérique dans les droits de l’Homme Le refus de la firme transnationale Google face à la censure de la Chine

Par Alexandre Bohas

Passage au crible n°18

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La Compagnie Google a annoncé en janvier 2010 qu’elle cessait de censurer ses propres contenus comme elle l’avait accepté jusque-là, à la demande du gouvernement chinois. Mais engagée dans une épreuve de force, elle risque à présent de devoir renoncer à ce marché.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Les industries de l’informatique et des télécommunications sont conduites à collaborer avec les pouvoirs publics qui souhaitent obtenir des renseignements sur les agissements illégaux perpétrés sur la toile. Or, contrairement à des concurrents tels que Yahoo !, l’entreprise Google s’est toujours montrée très réticente à livrer de telles informations. Elle a même refusé de coopérer avec le Ministère américain de la Justice concernant des cas de pornographie. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’observateurs ont été surpris que ses dirigeants acceptent en 2006 les restrictions imposées par Pékin. Dernièrement, elle a toutefois décidé de ne plus s’y soumettre.

Il faut savoir que le secteur de l’Internet croît en Chine à un rythme annuel de 40% et rassemble désormais 340 millions d’usagers, au point de devenir le premier marché mondial. En réaction à ce développement exceptionnel, le régime communiste a mis en place – à l’image de la Syrie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran –, des instruments juridiques et policiers destinés à le contrôler. Pas moins de 30 000 personnes vérifient ainsi l’application des 60 règlements qui composent la législation en la matière ; le dispositif bouclier doré bloquant les sites indésirables depuis 1998. À cet égard, une équipe de chercheurs d’Harvard en a dénombré 18 931 inaccessibles pour raison politique. Par ailleurs, les autorités poursuivent dans ces domaines un protectionnisme dissimulé. En effet, à l’instar d’autres investisseurs étrangers, Google a régulièrement subi des cyber-attaques visant ses systèmes informatiques et a dû faire face à des accusations infondées suivant lesquelles ce moteur de recherche favoriserait la diffusion de contenus pornographiques.

Cadrage théorique

1. La contestation hégémonique du soft power américain. En censurant massivement l’accès et l’expression numériques, le gouvernement chinois souhaite sélectionner les manières de vivre et les représentations collectives que les firmes multinationales diffusent. En l’espèce, ces savoirs engendrent des enjeux de pouvoir dont Joseph Nye a sous-estimé l’étendue en les regroupant sous le terme de soft power. Façonnant les sociétés étrangères, ils restent au contraire à l’origine du pouvoir structurel des États-Unis. Cette dimension culturelle permet d’expliquer les tensions actuelles entre Google et la Chine, contrairement aux théories classiques – d’un Robert Gilpin, John Mearsheimer ou Robert Keohane par exemple – qui limitent leurs analyses aux questions économico-militaires.

2. La pluralisation politico-économique de la sphère internationale. Loin de réduire ce conflit à des relations interétatiques, il convient ainsi d’analyser l’enchevêtrement des affaires du monde dans toute leur complexité : a) dans le cadre des rapports États/firmes tel que l’a initié Susan Strange ; b) en envisageant la pluralisation des activités économiques, culturelles et politiques comme Philip Cerny s’y est employé. Conséquence de la mondialisation, cette dernière mène à l’édification d’une scène mondiale traversée par une diversité croissante d’acteurs aux discours différenciés, voire opposés. On comprend mieux de la sorte que les objectifs de rentabilité et de prédominance commerciale puissent conduire Google à mobiliser l’opinion publique sur des idéaux politiques.

Analyse

Le gouvernement chinois considère l’Internet comme un média dangereux car il fonctionne, à l’échelle mondiale, de manière réticulaire et sans autorité déterminée. Formant un lieu d’expression politique, il s’établit de facto comme un espace public non contrôlé et potentiellement dangereux pour le pouvoir en place. En revanche, comme moyen de communication, il recèle aussi dans le même temps quantités de renseignements sur les opposants au parti communiste. Rappelons cependant qu’en tant que moteur de recherche et fournisseur de services sur la toile, Google fonde son succès commercial sur la confiance que les utilisateurs lui accordent et sur la capacité que la firme détient de leur procurer des informations de tous ordres. Par ailleurs, une culture anglo-saxonne, fondée sur le respect des libertés individuelles, inspire son fonctionnement car chaque individu peut librement communiquer, agir et échanger avec quiconque. Pour les dirigeants, l’appropriation de cet outil par les Chinois pourrait par conséquent susciter des comportements subversifs, propres à développer la libre parole et à déstabiliser le régime. Autant d’éléments qui apparaissent difficilement conciliables avec le caractère autoritaire de la République populaire.

En outre, les actions restrictives des pouvoirs publics mettent en lumière une contestation profonde du système international dominé par les États-Unis. En effet, la RPC (République Populaire de Chine) s’affirme comme un rising challenger (une puissance émergente), pour reprendre l’expression de Robert Gilpin utilisée dans son analyse des conflits hégémoniques. Grâce à sa prospérité, elle se dresse en effet comme un modèle original de développement capitaliste. Alors que Washington célèbre une société libérale de marché, fondée sur la propriété privée et les droits individuels, l’Empire du milieu propose, quant à lui, une organisation sociale très hiérarchisée et autoritaire où l’État occupe un rôle essentiel. Certes, ce dernier s’est adapté à un capitalisme mondialisé, mais il continue néanmoins de rejeter résolument les évolutions socio-politiques de type occidental.

Ce nouvel incident entre le pouvoir central et Google intervient dans une configuration économique où la Compagnie se trouve largement distancée par son concurrent Baidu car avec ses 600 millions de dollars de revenus par an, l’opérateur américain ne détient que 31% des parts de marché. Quant à son rival chinois, il atteint au contraire 63%, développant ses revenus au rythme de 39% par an. Le retard de la firme américaine apparaît donc considérable. Aussi dans un tel contexte, sa décision de ne plus censurer ses contenus lui confère-t-elle à la fois une immense légitimité et un vaste capital médiatique, tout en se dressant en défenseur des internautes et de leurs libertés. À cet acquis symbolique, s’ajoute également un avantage concurrentiel puisque les informations censurées se trouvent uniquement sur son site, ce qui ne manquera pas à l’avenir d’augmenter le recours à son moteur de recherche. Finalement, cette épreuve de force montre combien les droits de l’information et les libertés publiques sont instrumentalisés par un acteur non étatique dans le cadre d’une configuration État-firmes.

Quelle que soit l’issue de ce conflit, les tensions observées apportent d’ores et déjà un démenti aux thèses évolutionnistes – relevant d’une logique de transition démocratique – qui croient percevoir dans l’ouverture de l’économie chinoise un premier pas vers une démocratisation de son régime. Au contraire, la RPC prône un autre modèle sociopolitique que celui de l’Occident, ce qui en fait un réel challenger de la prépondérance américaine.

Références

Gilpin Robert, War and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
Bohas Alexandre, « The Paradox of Anti-Americanism: Reflection on the Shallow Concept of Soft Power », Global Society, 20 (4), oct. 2006, pp. 395-414.
Cerny Philip G., Rethinking World Politics: A Theory of Transnational Neopluralism, Oxford, Oxford University Press, 2010.
Damm Jens, Thomas Simona (Eds.), Chinese Cyberspaces: Technological Changes and Political Effects, London, Routledge, 2006.
Hughes Christopher, Wacker Gudrun (Eds.), China and the Internet: Politics of the Digital Leap Forward, London, Routledge, 2003.
Nye Joseph, The Powers to lead, Oxford, Oxford University Press, 2008.
Strange Susan, Stopford John, Rival States, Rival Firms: Competition for World Market Shares, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
Zittrain Jonathan, Edelman Benjamin, « Empirical Analysis of Internet Filtering in China, Harvard Law School, 20 March 2003, disponible sur l’adresse internet : http://cyber.law.harvard.edu/filtering/china/

PAC 17 – À la recherche d’une mondialisation de la parité Le trentième anniversaire de la CEDAW

Par Armelle Le Bras-Chopard

Passage au crible n°17

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Il y a trente ans, le 1er mars 1980, était ouverte à la signature des États la Convention on the Elimination of Discrimination Against Women, dite CEDAW, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979. Signée par 95% des États membres des Nations Unies, elle n’a toutefois pas été ratifiée par tous et certains ont émis des réserves, plaçant leurs traditions au dessus des règles du droit international. Ce document a été complété ultérieurement par le protocole additionnel du 6 octobre 1999, entré en vigueur en 2002, texte qui se veut plus contraignant.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Dès la fin du XIXe siècle, les femmes se sont organisées de façon transnationale et ont prôné l’adoption d’un traité international sur l’égalité de droits entre les sexes. Sous la pression de leurs associations, l’ONU a mis en place, en 1946, une commission intergouvernementale dite de « la condition de la femme ». Le mandat de cette instance était centré sur l’élaboration de normes internationales que la CEDAW contribuera ensuite à institutionnaliser.

Cette Convention vise à résorber le gender gap en luttant contre toutes les formes de discriminations qui frappent les femmes. En l’espèce, il s’agit de rétablir une égalité de droits avec les hommes dans tous les domaines – civil, culturel, économique, social, politique – grâce à l’adoption de dispositions législatives au plan national.

Un comité de vingt-trois experts indépendants a été élu par les parties à la Convention pour suivre l’application de celle-ci. Chaque année, il présente un rapport à l’Assemblée générale des Nations unies et examine ceux produits par les États, tous les quatre ans. Puis, il auditionne ceux-ci et invite des institutions spécialisées ainsi que des ONG particulièrement actives. En dernier lieu, il tire les conclusions de cet examen en émettant propositions et recommandations. Cependant, il s’avère impossible de remédier directement aux violations de cet instrument juridique qui auraient été mises en évidence sur le territoire d’un État. Une étape supplémentaire de contrôle a néanmoins été franchie avec le Protocole additionnel qui prévoit désormais la communication de requêtes individuelles ou collectives.

Cadrage théorique

1. Les droits humains. La Convention reconnaît pour la première fois la discrimination à l’égard des femmes comme une violation des Droits de l’Homme. Le cadre de référence antérieur – Charte des Nations unies, Déclaration universelle des droits de l’Homme – s’est en effet révélé trop restreint et général. Outre une égalité réelle entre les sexes que la CEDAW entend promouvoir, elle fait aussi une large place au droit à la maîtrise de la reproduction. Mais, s’il s’agit tout d’abord d’une question d’équité et de justice, les progrès qu’elle cherche à favoriser, bénéficieront finalement à l’humanité tout entière.
2. Le développement. La Convention revêt une dimension à la fois démocratique, économique et sociale, la place des femmes dans la société constituant au regard du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) un paramètre de l’IDH (Indice de Développement Humain). L’autonomisation des femmes – avec un accent particulier sur la scolarisation et l’éducation – représente la condition nécessaire à la réduction de la pauvreté et est à présent devenue l’objectif premier de l’APD (Aide Publique au Développement). Une égalité professionnelle effective – loin d’être atteinte dans les pays du Nord – constitue à cet égard un indicateur de la croissance et de la modernité. L’enjeu apparaît également démocratique car l’implication des femmes dans les lieux de décision sert aussi de marqueur du développement ou empowerment, empoderamento. Ce processus indispensable à la cohésion sociale permet alors de passer de l’échelon stato-national à celui des organisations locales, ce qui facilite une intégration des deux sexes autour de valeurs et d’objectifs communs.

Analyse

À l’inverse des quelques autres grandes conventions qui précisent les droits humains, comme celle sur les droits de l’enfant, la CEDAW demeure méconnue. En effet, bien qu’elle ait reçu la signature de la quasi-totalité des États – à l’exception de la Somalie, du Soudan et de l’Iran – son application rencontre toujours bien des difficultés. En raison de l’opposition des chrétiens – hostiles à la reconnaissance et à la garantie de droits procréatifs – les États-Unis ne l’ont par exemple pas ratifiée. Quant aux autres, ils ont eu recours à des réserves qui limitent substantiellement la portée du texte, de sorte qu’ils se refusent à intégrer les articles les plus contraignants dans leur législation nationale. Ainsi, la Malaisie a-t-elle qualifié certaines dispositions comme contraires à la loi islamique, tandis que l’Algérie a invoqué pour sa part, une atteinte à sa souveraineté. Dans la même logique, l’article 15 – relatif à l’égalité des hommes et des femmes devant la loi et à la liberté de circuler – est uniquement accordé au Niger, aux femmes célibataires. Mais le point le plus contesté concerne avant tout l’égalité des sexes dans le mariage et dans l’ensemble des rapports familiaux – autorité parentale, droit de propriété et âge minimum pour le mariage – pour laquelle la moitié des États a émis des réserves, principalement au Moyen-Orient et au Maghreb, au nom de la supériorité de la sharia. Enfin, si le protocole additionnel apparaît certes plus contraignant que la CEDAW, il reste facultatif pour les États parties à la Convention. Or, celui-ci constitue pourtant une avancée notable qui favorise le passage de mécanismes strictement juridictionnels vers des dispositifs directement opérationnels sur le terrain. Dans ce cadre, les membres du Comité ont notamment pu mener, à la suite d’une plainte, une enquête au Mexique sur les enlèvements et meurtres de femmes à Ciudad Juarez ; révélant par voie de conséquence, la pérennité des violences faites aux femmes dans cette région.

Dans l’ensemble, la Convention est utilisée par des groupes de femmes pour faire pression sur les gouvernements en vue d’améliorer le statut des femmes dans leurs pays respectifs. En l’occurrence, on rappellera que la Guinée – qui a ratifié la CEDAW en 1982 – a voté en 2006 une loi punissant d’emprisonnement toute personne qui se livrerait à des mutilations génitales. De la même façon, l’Égypte a encouragé une campagne d’alphabétisation des filles, destinée à réduire leur illettrisme de 11% entre 1986 et 1996.

Malgré les résistances rencontrées, la CEDAW constitue donc un instrument significatif pour faire avancer la cause des femmes au plan international, même si une mondialisation de la parité relève encore de l’utopie. Aujourd’hui, les ONG et tous les mouvements associatifs se mobilisent pour mettre principalement l’accent sur la lutte contre les stéréotypes ; la prochaine étape consistant à modifier les comportements et à promouvoir une culture égalitaire entre les sexes, bref, à modifier en profondeur l’organisation des sociétés civiles.

Références

Falquet Jules, De Gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation, Paris, La Dispute, 2008.
Helena Hirata, « Femmes et mondialisation » in : Margaret Maruani (Éd.), Femmes, genre et société, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005.
Sénac-Slawinski Réjane, L’Ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes, Paris, PUF, 2007.
Women Watch, site de l’ONU: http://www.un.org/womenwatch/

PAC 16 – Une politique étrangère entre innovation et procrastination Le sommet de l’Union européenne du 11 février 2010

Par Elsa Tulmets
Passage au crible n°16

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Après l’échec de la conférence de Copenhague sur le climat de décembre 2009, le nouveau président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a convoqué le 11 février 2010 les représentants des États membres de l’UE (Union européenne) pour un sommet extraordinaire consacré à la relance économique. En l’occurrence, il s’agissait du premier événement médiatisé d’une union désormais régie par le traité de Lisbonne. Mais malgré quelques innovations, les relations extérieures n’ont pas retenu l’attention. À peine sacralisée par les traités, la politique étrangère de l’Union semble donc vouée à rester au second plan.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Depuis la fin de la Guerre froide, l’UE doit constamment redéfinir son rôle dans un monde multipolaire où elle se montre incapable de répondre aux crises, y compris dans son voisinage proche (Balkans). En 2002, la Convention sur l’Avenir de l’Europe, qui devait simplifier les traités et lui conférer la qualité de sujet de droit international, a proposé des avancées en matière de politique étrangère. Après le rejet du traité constitutionnel de 2005, une version aménagée – adoptée le 13 décembre 2007 à Lisbonne – est finalement entrée en vigueur le 1er décembre 2009. Or, ce premier sommet européen a totalement occulté les questions internationales en choisissant de se concentrer sur l’aide à la Grèce et sur le plan de relance – Europe 2020 – pour la croissance et l’emploi.

Cadrage théorique

L’acte d’affirmation d’une autorité nouvelle – celle du président de l’UE – révèle en filigrane les faiblesses du soft power et les limites du spill over de l’Union.

1. Soft power. En forgeant ce concept, Joseph Nye entendait caractériser le pouvoir d’attraction dont les États-Unis bénéficient à l’étranger. Il voulait également désigner par là leur capacité d’influer sur leurs partenaires par d’autres moyens que la coercition. Fondé sur l’économie, les ressources sociales et culturelles, il est conçu par opposition au hard power, de nature militaire.

Pour sa part, l’UE joue beaucoup sur la projection de ses politiques les plus intégrées (marché intérieur) et sur l’attirance exercée par la zone euro pour s’imposer sur la scène internationale. Ainsi, le terme même de soft power a-t-il été utilisé dans les discours politiques récents de l’UE pour légitimer la stratégie d’élargissement à l’Est. En l’espèce, les négociations d’adhésion en cours réitèrent cette approche qui a été de surcroît adaptée à la PEV (Politique Européenne de Voisinage) destinée, depuis 2004, aux pays situés au Sud et à l’Est de l’UE élargie.

2. Spill over. Cette expression conceptualisée par David Mitrany a été reprise par les théoriciens de l’intégration européenne. En l’occurrence, elle renvoie à la coopération étroite existant dans des secteurs d’intérêt commun apparemment non politiques, comme l’agriculture où les transports. Puis, elle traduit en second lieu, un processus de diffusion vers des domaines plus ouvertement politiques. Dans cette logique, la création d’une monnaie unique – l’euro – tient au renoncement des États à l’une de leurs prérogatives exclusives, symbole par excellence de leur souveraineté. Le spill over d’un secteur vers l’autre conduit aussi à une meilleure intégration dans le domaine de la politique extérieure. La politique commerciale commune a par exemple été créée grâce à l’intégration du marché intérieur. Quant aux moyens mobilisés pour la prévention des crises, ils sont issus, en partie, de l’espace Schengen. Certes, le sommet européen du 11 février, porte témoignage des liens étroits tissés entre ces diverses actions de l’UE, mais il révèle également un manque de cohérence.

Analyse

1. Sauvegarder le soft power européen. En période de crise, l’UE entend conserver sa crédibilité internationale et protéger l’essentiel de son soft power, par la mise en valeur de ses acquis institutionnels et économiques. Le traité de Lisbonne a fait le pari d’attribuer à l’UE un numéro de téléphone, pour répondre au fameux défi lancé par l’ancien Secrétaire d’État américain, Henry Kissinger. Et c’est en vertu de ce Traité que le président du Conseil européen – Herman Van Rompuy, titulaire du nouveau poste créé en sus des présidences tournantes –, a pu organiser ce sommet : « si un développement international l’exige, le président du Conseil européen peut convoquer une réunion extraordinaire du Conseil européen afin de définir les lignes stratégiques de la politique de l’Union face à ce développement » (art. 26 de la version consolidée du Traité sur l’Union européenne). Mais si cet accord a bien doté l’Union de certaines fonctions essentielles, il ne prévoit pas pour autant une répartition fonctionnelle susceptible d’améliorer sa visibilité. À cet égard, le nouveau président doit composer (art. 15) avec le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité – poste détenu par Catherine Ashton, très critiquée à l’étranger – tandis que le service diplomatique, qui vient d’être institué, représente une structure encore peu opérationnelle. Les chefs d’État et de gouvernement conservent en outre un pouvoir significatif car le Conseil européen « identifie les intérêts stratégiques de l’Union, fixe les objectifs, définit et met en œuvre les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune » (art. 15).

Devenue mondiale depuis 2008, la crise financière met par ailleurs à jour les failles du soft power économique de l’UE. Ainsi, la priorité accordée à la zone euro et au marché de l’emploi exprime-t-elle l’incapacité des États européens à affronter, seuls, les forces d’un marché mondialisé et non régulé. Mais si l’eurozone faiblit, un spill over négatif risque de déstabiliser le marché intérieur et la capacité d’action extérieure de l’UE. Cette dernière doit par conséquent affronter les défis de son fonctionnement interne avant de pouvoir s’exprimer en tant qu’acteur unique.

2. La France et l’Allemagne, moteur révolu du spill over européen. Dans le processus de construction européenne, le tandem franco-allemand a longtemps offert l’ultime moyen d’élaborer un consensus politique. Mais le sommet du 11 février a toutefois souligné l’incapacité de ces deux pays fondateurs à dégager désormais des compromis européens. S’agissant de la croissance et de l’emploi par exemple, les dispositifs à mettre en œuvre n’ont pas fait l’unanimité parmi les vingt-sept pays membres. De la même façon, bien que la France et l’Allemagne aient appelé à la création d’un gouvernement économique de l’UE, l’idée n’a pas été retenue. Enfin, l´importance qu’ils ont tous deux accordée à l´action extérieure a peu affecté l´agenda européen.

La coopération franco-allemande se montre dorénavant impuissante à relancer l’intégration politique pour affirmer l’UE sur la scène internationale. Incontestablement, ceci tient aux lignes de division qui ont changé depuis la fin de la Guerre froide et l’élargissement à l’Est. Ces dernières se sont en effet déplacées et installées, non pas entre l’« ancienne » et la « nouvelle Europe » – comme le pensent certains Conservateurs américains – mais sur des clivages politiques. Aujourd’hui, constatons qu’aux dissensions sur la mécanique institutionnelle de la construction européenne – dimension interétatique ou fédérale – s’ajoutent également de profonds désaccords portant sur les relations à établir entre l’économique et le politique.

Références

Laïdi Zaki, La Norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
Mitrany David, A Working Peace System, Londres, Royal Institute of International Affairs, 1943.
Nye Joseph, “Soft Power and American Foreign Policy”, Political Science Quarterly, 119 (2), 2004, pp. 255-270.
Tulmets Elsa, “A ‘Soft Power’ with Civilian Means: Can the EU Bridge its Capability-Expectations Gap in the ENP?”, in : Delcour Laure, Tulmets Elsa (Eds.), Pioneer Europe? Testing European Foreign Policy in the Neighbourhood, Baden-Baden, Nomos, 2008, pp. 133-158.

Le Partenariat franco-allemand Entre européanisation et transnationalisation

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Sous la direction de Dorota Dakowska et Elsa Tulmets

Pour les Pères fondateurs, lʼintégration européenne devait conduire à une européanisation progressive des politiques extérieures. Cʼest pourquoi la création en 1992 dʼune Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC) et lʼadoption de plusieurs traités en ce sens, ont suscité de nombreuses attentes. Cet ouvrage collectif traite du partenariat le plus abouti entre deux États européens – lʼAllemagne et la France – et de sa relation au contexte communautaire. Fondées sur des études empiriques, les contributions dʼuniversitaires et de praticiens français et allemands analysent différents secteurs – comme la défense ou la coopération économique et culturelle – ainsi que les instruments spécifiques – think tanks, Länder – des politiques extérieures de ces deux pays. Ce faisant, elles soulignent la transnationalisation plus que lʼeuropéanisation des activités, transnationalisation due à la porosité existant entre politiques internes et externes et au rapprochement observé entre les acteurs publics et les intervenants non gouvernementaux.


Ont contribué à cet ouvrage

Lucile Desmoulins, Wolf-Dieter Eberwein, Thomas Fischer, Jean-Paul Hanon, Bastien Irondelle, Heinrich Kreft, Stephan Martens, Claire Visier.

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