PAC 23 – L’avenir transnational du terrorisme nucléaire Le Sommet de Washington, 12-13 avril 2010

Par Jean-Jacques Roche

Passage au crible n°23

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Les 12 et 13 avril 2010 s’est tenu à Washington un sommet consacré au terrorisme nucléaire qui a réuni 47 chefs d’État et de gouvernement, sous l’égide du président des États-Unis, Barack Obama, avant la nouvelle conférence d’examen du TNP qui a eu lieu à New York du 3 au 28 mai 2010.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Le terrorisme a longtemps été considéré comme l’arme du pauvre. C’est la raison pour laquelle, durant la Guerre froide, seuls les pays occidentaux ont tenté de lutter contre cette menace qui frappait essentiellement leurs moyens de communication. Á cet égard, mentionnons la convention de 1979 contre les prises d’otages et celle de 1988 organisant la lutte contre la piraterie maritime et finalement le Protocole de Rome de 1988, relatif à la sécurité des plates-formes situées sur le plateau continental. La fin de la bipolarité a cependant renouvelé la manière d’aborder cet enjeu majeur des relations internationales et à l’aube des années quatre-vingt-dix, elle a notamment permis de lever l’opposition des PED (Pays en développement). Une résolution déclaratoire de l’Assemblée générale des Nations unies concernant « les mesures visant à éliminer le terrorisme international » a pu par conséquent être votée le 9 décembre 1994. Ce texte préfigurait l’adoption le 12 janvier 1998, de la convention portant sur la répression des attentats terroristes à l’explosif.

Les armes nucléaires existent depuis 1945. Mais seuls neuf États en détiennent à ce jour, officiellement ou non (Chine, Corée du Nord, États-Unis, France, Inde, Israël, Pakistan, Royaume-Uni, Russie). Bien routinisée, la diplomatie du désarmement demeure régie par huit conférences d’examen du TNP (Traité de Non Prolifération signé en 1968 et reconduit sine die en 1995) et quatre traités START de réduction des armements nucléaires, dont les présidents russe et américain ont signé à Prague, le 8 avril dernier, une nouvelle version, START Follow-on. Enfin, le TICEN (Traité d’Interdiction Complet des Essais Nucléaires) a été adopté en 1996. À ce jour, ce dernier n’est pas encore entré en vigueur – faute d’un nombre suffisant de ratifications – tandis que l’État iranien menace par ailleurs l’ensemble du processus de dénucléarisation.

Dans un tel contexte, la conférence de Washington a insisté sur le risque que la filière nucléaire faisait peser sur la sécurité mondiale. En effet, il ne s’agit plus désormais de prendre en compte les seules têtes nucléaires et leurs vecteurs, mais l’ensemble des matériaux fissiles permettant la fabrication d’une bombe sale. Présents dans les centrales civiles ou les navires à propulsion nucléaire comme dans les ogives accumulées – avec des dépôts parfois peu gardés –, plus de 1600 tonnes d’uranium et 500 tonnes de plutonium sont en l’espèce disséminées sur toute la planète dans près de soixante États.

Cadrage théorique

1. La sécurité globale. Ce concept est apparu en 1983 avec un article fondateur de Richard Ullman (Redefining Security) puis il a été développé la même année par Barry Buzan dans People, States and Fear. Il s’agissait alors de compléter l’approche traditionnelle de la sécurité en termes diplomatico-stratégiques par quatre volets en matière 1) d’économie, 2) de droits de l’homme, 3) de valeurs et 4) d’environnement. Développé à l’origine dans une perspective constructiviste par l’École de Copenhague, le concept de sécurité globale s’est ensuite imposé aux États et aux organisations internationales comme cadre opérationnel, tout en faisant l’objet d’intenses réappropriations.
2. La modélisation des crises. À la suite des travaux de Brubacker et Laitin, elle dissocie désormais la crise de la violence, toutes les situations de tension ne conduisant pas obligatoirement à la violence. Alors que depuis Kenneth Waltz, la recherche dissocie strictement les trois niveaux suivants : 1) individus, 2) institutions politiques et 3) structures internationales (Man, the State and War, 1959), il importe désormais de les réunir dans un même cadre d’analyse en essayant de comprendre les déterminants des actions individuelles et leurs conséquences, tant au plan interne qu’international.

Analyse

Le Sommet de Washington conduit à s’interroger sur l’aptitude des bureaucraties sécuritaires à faire face au terrorisme nucléaire. Le caractère apocalyptique de la menace nucléaire implique en effet un investissement considérable des différents services et rend indispensable la coopération internationale. Si le danger provient avant tout des bombes sales, il faut savoir en revanche que ces dernières laissent partout des traces, aisément repérables. Pourvu que les signaux d’alerte aient été transmis à temps, l’efficacité des services de contre-espionnage et de police peut réduire efficacement les possibilités de succès d’une éventuelle attaque terroriste. À ce titre, les stratégies de rassemblement des services spécialisés au sein de structures unitaires – Homeland Security aux États-Unis, DCRI en France – permettent de mieux traiter les informations en réduisant la compétition intra et inter institutionnelle. En rappelant les impératifs de la coopération internationale, le Sommet de Washington a en outre sensibilisé les instances nationales aux exigences d’une sécurité devenue « commune ».

Inversement, les bombes sales – exposant à la mort ceux qui décident d’y recourir – mettent au défi la réactivité de structures publiques confrontées à de telles décisions individuelles. Or, les administrations nationales ont tardé à s’adapter au concept de sécurité globale dont le destinataire final n’est plus l’État, mais bien l’espèce humaine tout entière. Ceci tient au fait que les menaces ne relèvent principalement plus du registre interétatique, mais s’avèrent désormais transnationales. L’exemple des Livres Blancs français témoigne bien de cette difficulté d’ajustement à la nouvelle donne mondiale. Alors que le concept de sécurité globale est apparu dans la littérature académique dès le début des années quatre-vingt, le Livre blanc de 1994 n’y faisait pourtant aucune référence. En fait, il a fallu attendre le Livre blanc de 2008 pour que la notion devienne enfin centrale pour les pouvoirs publics, alors même que le rédacteur de 1994 était devenu président de la commission en charge du document de 2008. Abordée dans ces conditions, la sécurité globale contribue dès lors à « la perversion anxiogène du discours stratégique » – selon l’expression de Jean Dufourcq – en exacerbant le sentiment d’insécurité par la dilution des périls. Comme tous les autres exercices du même style, le Livre blanc français dresse ainsi la cartographie des représentations mentales de ses rédacteurs, sans apporter la moindre piste qui permettrait d’anticiper les procédés de déstabilisation pouvant être utilisés dans un proche avenir. En d’autres termes, la réflexion menée à présent par des instances politico-administratives paraît adaptée pour verrouiller les brèches mises à jour par les attaques d’hier. En revanche, elle se montre totalement incapable d’anticiper les modes opératoires des terroristes à venir, fondés sur des déterminants individuels.

Références

Buzan Barry, People, States and Fear: The National Security Problem in International Relations, Brighton, Harvester Wheatsheaf, 1983.
Brubaker Rogers, « David Laitin, Ethnic and Nationalist Violence », Annual Review of Sociology, 24, 1998, pp. 423-452.
Roche Jean-Jacques, « Épistémologie de la Prospective Sécuritaire », Défense Nationale, juillet-août 2009, pp. 166-185.
Richard Ullman, « Redefining Security », International Security, 8 (1), Summer 1983, pp. 129-153.

PAC 22 – Une construction mondiale de la rareté Le projet ACTA d’accord commercial sur la contrefaçon

Par Alexandre Bohas

Passage au crible n°22

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Après des négociations confidentielles, l’Union européenne, les États-Unis et le Japon, rejoints par une dizaine d’autres États, ont élaboré en avril 2010 un traité intitulé ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) qui vise à imposer des normes plus restrictives en matière de propriété intellectuelle.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Avec la mondialisation des échanges économico-culturels et la montée en puissance des nouvelles technologies de l’information, les pays développés – fortement soutenus par les compagnies transnationales – ont encouragé la reconnaissance internationale des droits intellectuels. L’accord TRIPs (Trade-Related Issues of Intellectual Property) ou ADPIC (Aspects des Droits de la Propriété Intellectuelle relatifs au Commerce) a ainsi été conclu en 1994 dans le cadre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Il a par la suite été transposé dans les législations des pays membres, avec le concours d’organisations internationales, d’associations et de firmes. Cette introduction ne s’est toutefois pas opérée sans de fortes réactions – au Brésil et en Afrique du Sud – notamment dans le secteur pharmaceutique, avec les traitements contre le Sida.

À partir de 2007, après les difficultés rencontrées au cours du cycle de Doha, les États-Unis ont mené des pourparlers secrets sur les contrefaçons avec l’Union européenne, la Suisse et le Japon, rejoints par l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, la Jordanie, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle Zélande et Singapour. En avril 2010, le projet de traité qui en a résulté a été finalement rendu public.

Cadrage théorique

1. La structuration juridico-politique du capitalisme. Dans une économie de marché, l’accumulation du capital repose sur des structures juridiques. Aidés par les États industrialisés, les grands groupes détenteurs de marques, de droits d’auteur et de brevets, ont ainsi entrepris d’élargir et d’approfondir leur emprise en privatisant toujours davantage les biens relevant du droit de la propriété intellectuelle. Alors que ces derniers restent non-rivaux – leur utilisation ne réduisant pas leur emploi futur – les firmes souhaitent pourtant percevoir une redevance lors de chaque achat « construisant la rareté », selon les termes de Christopher May, afin de s’assurer de substantiels retours sur investissement.
2. Un accès inégalitaire à la gouvernance de la propriété intellectuelle. Dans un monde globalisé, ce mode de gestion et de régulation est souvent présenté comme respectueux de l’ensemble des parties prenantes. À ce titre, il continue de nourrir les projets d’une démocratie cosmopolite à l’échelle planétaire. Or, il n’en est rien. Il confirme bien plutôt la domination des firmes transnationales et les gouvernements occidentaux sur un domaine qui concerne au premier chef la société civile, les consommateurs et les pays en développement.

Analyse

Décrit comme un modeste texte de coordination douanière, le traité ACTA marque en fait un tournant majeur. Il propose tout d’abord un renforcement de la coopération en matière de partage d’informations sur les actes de contrefaçon perpétrés en particulier sur Internet. En outre, il criminalise les comportements individuels non-commerciaux comme par exemple le Peer-to-peer, renforçant l’article 61 du TRIPs. Fondamentalement, il harmonise par le haut la protection de ces droits intellectuels en généralisant des pratiques et des doctrines présentes jusque-là de manière parcellaire dans les législations de chaque pays. Notons que sa formulation reste particulièrement vague quant à son caractère obligatoire et à ses domaines d’application, ce qui entérine les rapports de forces asymétriques entre les États, les firmes et les sociétés civiles. Assurément, une fois signé puis ratifié, il viendra appuyer dans chaque arène nationale les partisans d’une protection toujours plus élevée de la propriété intellectuelle qui pressent actuellement les gouvernements occidentaux d’assurer une structuration juridico-politique de l’économie mondiale susceptible de renforcer leur prospérité, sinon leur rente de situation.

Abordant des questions très controversées, les parties prenantes d’ACTA ont souhaité parvenir à un accord en marge de la scène mondiale. Or, cette manière de procéder va à l’encontre des nouveaux rapports de force, avec notamment la présence déterminante de puissances émergentes comme les BRIC – Brésil, Russie, Inde, Chine – dont le développement implique l’achat et l’importation de droits intellectuels. Ces pays ont cependant été exclus des pourparlers alors qu’avec TRIPs, ils ont déjà fourni des efforts importants en matière de protection des droits d’auteur et des brevets étrangers.

Cette méthode manifeste la volonté d’imposer brutalement des normes internationales en les rendant publiques, seulement au terme du processus de négociation, ce qui réduit ainsi d’autant toutes contestations éventuelles. Dans la même logique, elle contraint au silence les organisations gouvernementales et non-gouvernementales qui auraient pu réagir et mobiliser les opinions publiques. En cela, elle tient davantage de la « raison d’État » que de la « raison du monde », pour reprendre l’expression de Philip Cerny.

Les pourparlers menés autour du projet ACTA relèvent de la politique du fait accompli. Ce faisant, ils contredisent la dispersion mondialisée de l’autorité politique qui caractérise aujourd’hui les relations internationales. En effet, la multitude des questions à traiter aussi bien que l’évanescence de la légitimité obligent désormais les décideurs internationaux à prendre en compte les pays du Sud et à consulter les acteurs non étatiques voire – dans le cadre du multilatéralisme – à adopter de plus en plus de décisions par consensus. Aussi, n’est-il pas surprenant que ces procédés suscitent la réaction hostile des pays du Sud et des sociétés civiles.

Références

Anti-Counterfeiting Trade Agreement. Public Predecisional/Deliberative Draft, April 2010, disponible à la page suivante: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2010/april/tradoc_146029.pdf.
Cerny Philip G., Rethinking World Politics. A Theory of Transnational Pluralism, Oxford, Oxford University Press, 2010.
EFF, « Preliminary Analysis of the Officially Released ACTA Text », April 2010, disponible sur la page suivante: http://www.eff.org/deeplinks/2010/04/eff-analysis-officially-released-acta-text.
FFII, « Analysis Anti-Counterfeiting Trade Agreement », April 2010, disponible à la page suivante: http://action.ffii.org/acta /Analysis#Executive_Summary.
May Christopher, The Global Political Economy of Intellectual Property Rights: The New Enclosures, 2nd Ed., London, Routledge, 2010.
Sell Susan, Private Power, Public Law: The Globalization of Intellectual Property Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

PAC 21 – La puissance de la Chine en majesté L’exposition universelle de Shanghai, 30 avril-31 octobre 2010

Par Jenna Rimasson

Passage au crible n°21

Shanghaï

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Le 30 avril 2010, le président chinois Hu Jintao a inauguré l’exposition universelle de Shanghai qui se tiendra jusqu’au 31 octobre 2010. Après l’organisation des Jeux Olympiques de Pékin en août 2008, le monde entier se tourne donc à nouveau vers la RPC (République Populaire de Chine). Près de 72 000 bénévoles présents sur le site – et 100 000 autres répartis dans l’ensemble de la ville – accueilleront les visiteurs chinois et étrangers durant l’événement. En élevant les drapeaux de 182 pays et de 57 organisations internationales, les Shanghaiens lancent l’édition la plus coûteuse de tous les temps, dotée d’un budget de 4,2 milliards de dollars, voire 50 si l’on considère les dépenses d’aménagement de la ville.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Organisée à Londres en 1851, en pleine révolution industrielle, la première exposition universelle avait pour objectif de présenter les innovations technologiques des différents États participants. Le 22 novembre 1928, 31 pays signèrent à Paris une Convention qui instaura le BIE (Bureau International des Expositions) afin de réglementer l’organisation de ces manifestations. Elle fut par la suite modifiée par différents protocoles et amendements, dont le dernier date de 1988. Elle compte aujourd’hui 157 États signataires avec toutefois l’absence notable des États-Unis. Siégeant à Paris, le BIE est chargé de promouvoir la confiance et la solidarité entre les cultures du monde grâce à deux types d’expositions : les expositions internationales (spécialisées) ou expositions internationales reconnues, et les expositions universelles ou expositions internationales enregistrées.

Réunissant les représentants d’États, d’organisations internationales, tout comme ceux de la société civile, elles représentent les vitrines privilégiées de leurs avantages comparatifs dans le cadre d’une compétition pacifique. Par le passé, elles ont également mis en scène leurs conquêtes coloniales, avant de témoigner de la Guerre Froide, notamment lors de l’exposition universelle de Bruxelles (1958). Initialement abrités sous une même construction centrale, les participants construisent à présent leur propre pavillon, rivalisant aussi désormais par leurs prouesses architecturales. En l’occurrence, rappelons les exemples emblématiques de la tour Eiffel à Paris (1900), de l’Atomium à Bruxelles (1958), du Space Needle à Seattle (1962), ou encore de la Biosphère à Montréal (1967).

Cadrage théorique

1. La puissance structurelle. Distinct du pouvoir relationnel propre à l’école réaliste, ce concept forgé par Susan Strange renvoie à la capacité de certains acteurs de façonner la politique internationale. Il inclut les structures de sécurité, de production, du savoir et de la finance. Ici, seules les trois dernières importent. En effet, les participants offrent une visibilité à certains de leurs produits nationaux qui exigent des connaissances et savoir-faire spécialisés – illustrant le principe foucaldien suivant lequel le savoir constituerait un pouvoir – impliquant la mobilisation de fonds publics et privés.
2. Le soft power. Loin de se réduire à l’influence et à la persuasion, ce concept caractérise un processus d’attraction culturelle et idéologique qui se démarque de la puissance traditionnelle d’ordre militaire et économique.

Analyse

À travers cette exposition universelle, la Chine déploie toute sa magnificence. En témoigne le pavillon chinois qui surplombe l’ensemble du parc de l’exposition avec ses 49 mètres de hauteur que les Chinois ont interdit aux autres participants de dépasser. Par ce faste et cette ostentation, la Chine exerce une violence symbolique à l’égard des autres nations. Restée à la marge du système-monde jusqu’aux années quatre-vingt, puis devenue simple atelier de l’économie mondiale, la Chine ne se contente plus à présent de subir la mondialisation. Au contraire, elle entend dorénavant compter parmi ses principaux maîtres d’œuvre. Cette ambition de reconfigurer l’ordre mondial s’appuie avant tout sur la diffusion du soft power, force de projection mondialisée d’une sinité conquérante. C’est dire combien les spectacles organisés par la Chine durant cette exposition sont loin d’être anodins. Mentionnons notamment les représentations d’arts martiaux de Wudang et de Shaolin qui attirent un public international, surtout après le succès mondial du film Tigre et Dragon. De même, le spectacle du thé ou encore celui de marionnettes et d’ombres chinoises – qui s’adresse à un public plus jeune – relèvent-ils de cette double logique d’affirmation et séduction.

Les autorités chinoises mettent systématiquement l’accent sur ces spécificités culturelles afin de renforcer la cohésion avec la diaspora et, plus largement, avec l’ensemble des pays asiatiques dont la Chine entend se faire le porte-voix. Rappelons à cet égard que la mascotte de l’exposition universelle, Haibo, est dessinée à partir du caractère chinois 人 (ren: Homme), comme le logo de l’exposition Shanghai 2010 qui représente le caractère 世 (shi : monde). Alors que l’anglais supplante progressivement certaines langues pour s’imposer comme l’esperanto du commerce et de la diplomatie, la langue chinoise est a contrario envisagée comme le vecteur privilégié d’une stratégie de résistance voire de contre-offensive linguistique et culturelle.

Conformément aux règlements du BIE qui exigent l’adoption d’un thème propre à chaque exposition universelle, les autorités chinoises ont choisi celui de « meilleure ville, meilleure vie ». Il s’agit en l’occurrence de faire de la Chine un acteur incontournable des dynamiques de la modernité (urbanisation, développement durable, solidarité internationale). À cet égard, l’aide budgétaire allouée par la Chine aux pays africains pour financer leur participation confirme son ambition de futur hegemon au moment où s’ouvre le 20ème Forum économique mondial sur l’Afrique à Dar-es Salaam (Tanzanie), avec l’objectif de « reconsidérer la stratégie de croissance de l’Afrique ». Par ailleurs, l’installation du plus haut thermomètre du monde (165 m) au sein du parc de l’Exposition, témoigne également de l’intérêt qu’elle revendique pour les questions environnementales alors qu’elle détient désormais le record mondial – en valeur absolue – d’émissions de gaz à effet de serre. Enfin, face aux condamnations internationales visant les violations des droits de la propriété intellectuelle, les autorités chinoises ont profité de l’Exposition Shanghai 2010 pour lancer une vaste campagne contre le piratage et les contrefaçons.
Malgré le coût record de l’organisation souligné par de nombreux observateurs, il convient toutefois de prendre en compte la potentialité des retours sur investissement. Elle contribue en effet à faciliter la négociation – voire la conclusion d’importants contrats commerciaux – notamment avec les vingt dirigeants étrangers présents lors de la cérémonie d’inauguration. Dans cette logique, Nicolas Sarkozy a par exemple négocié la fourniture d’une usine de retraitement de combustible nucléaire.

En dépit de la crise actuelle de la finance mondiale, la Chine – devenue le 25 avril 2010, le troisième actionnaire de la Banque Mondiale – affiche aujourd’hui une image insolente de prospérité. En accueillant un événement fondé sur les innovations technologiques et au service de la croissance économique, la Chine démontre sa capacité à engager plus avant le mouvement de décentrement de l’économie mondiale.

Références

Kita Julien, La Chine, nouvel acteur du système multilatéral, Compte-rendu du séminaire : China : a New Player in the Multilateral System, 18 avril 2008, IFRI, Paris, 18 Juillet 2008.
Kurlantzick Joshua, Charm Offensive, How China’s Soft Power is Transforming the World, New Haven, Yale University Press, 2007.
Site officiel du Bureau International des Expositions disponible à l’adresse Internet http://www.bie-paris.org/site/fr.html [5 mai 2010]
Site officiel de l’Exposition Universelle de Shanghai 2010, disponible à l’adresse Internet http://fr.expo2010.cn/ [5 mai 2010]

PAC 20 – L’emprise américaine sur la coopération humanitaire Les Tractations autour de la reconstruction d'Haïti

Par Clément Paule

Passage au crible n°20

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La conférence internationale des donateurs pour Haïti s’est déroulée le 31 mars 2010 à New York. 9,9 milliards de dollars y ont été promis, à moyen terme, pour la reconstruction de cet État caribéen. Alors que les dégâts provoqués par le séisme du 12 janvier avaient été évalués à 7,9 milliards de dollars, soit 120% du PIB (Produit Intérieur Brut) haïtien, cet événement diplomatique a été considéré comme un grand succès. Les commentateurs ont tout d’abord souligné la réussite de la mobilisation financière, bien supérieure aux prévisions et couvrant la majeure partie des besoins estimés par le gouvernement Préval. De nombreuses analyses ont mis en relief les aspects participatifs d’un processus qui aurait impliqué aussi bien les bailleurs bilatéraux et multilatéraux que les ONG (Organisations Non Gouvernementales), la diaspora, le secteur privé ou encore les collectivités locales. L’enjeu résiderait désormais dans l’emploi effectif des moyens recueillis et la coordination de la multitude d’acteurs impliqués à des degrés divers dans la reconstruction du pays. D’où la création de mécanismes institutionnels afin de garantir transparence et responsabilité – accountability – dans l’utilisation des fonds internationaux.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Haïti a connu au cours des dernières décennies plusieurs catastrophes de grande ampleur, provoquées surtout par la combinaison de phénomènes hydrologiques et météorologiques. Parmi les plus récentes, citons le cyclone Jeanne qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes en 2004, notamment dans la région de Gonaïves – ville située à 150 kilomètres au nord de Port-au-Prince. La même zone a été de nouveau dévastée par la succession de quatre ouragans en août et septembre 2008, qui a entraîné près de 800 décès. Ces aléas auraient affecté plus de 800 000 personnes et ont occasionné des dommages considérables, évalués à plus d’un milliard de dollars de dégâts.

Le pays fait également l’objet d’une attention internationale soutenue car il est considéré comme un État fragile, voire en faillite – failing State –, potentiellement déstabilisateur pour la région caribéenne. Les relations tendues entre Haïti et son voisin dominicain, la question migratoire – la diaspora haïtienne est estimée à près de 2 millions de personnes – et environnementales constituent aussi des préoccupations récurrentes. La précarité persistante des indicateurs socio-économiques haïtiens, conjuguée à une aide internationale inégale et fluctuante selon la conjoncture, ont conduit plusieurs bailleurs de fonds à diagnostiquer l’échec de leurs programmes successifs de développement. Ces dernières années, ces acteurs bilatéraux et multilatéraux se sont réunis à plusieurs reprises pour coordonner leurs stratégies envers Haïti, à l’occasion de crises politiques – le coup d’État militaire de 1990, l’éviction du Président Jean-Bertrand Aristide en 2004 – ou bien de catastrophes naturelles. Ainsi, une conférence des donateurs a-t-elle eu lieu le 14 avril 2009 à Washington, peu après les ouragans et les émeutes de la faim de 2008.

Cadrage théorique

1. Diplomatie des catastrophes. La survenue d’accidents naturels ou technologiques de grande ampleur a historiquement fait l’objet de mobilisations de solidarité internationale envers les sinistrés. Il semblerait que les États et les organisations interétatiques investissent de plus en plus ce champ d’action qui permet une grande visibilité – voire une mise en scène – de leurs interventions face à la succession de désastres toujours plus médiatisés.
2. Rationalisation des dispositifs d’aide. La reconstruction d’Haïti a ravivé de nombreux débats sur les bonnes pratiques des bailleurs bilatéraux et multilatéraux. Dès lors, les instruments et institutions mis en place tendent à se complexifier pour résoudre des difficultés qui semblent politiques, mais sont cependant identifiées comme de simples problèmes techniques, tels la coordination ou l‘effectivité des programmes.

Analyse

Certains acteurs, parmi lesquels des ONG locales ou internationales, ont critiqué l’omniprésence des États-Unis aussi bien sur le terrain – près de 20 000 militaires américains ont été déployés – que dans les négociations diplomatiques. Le lieu de la réunion des bailleurs et le rôle joué par le couple Clinton apparaissent par exemple comme des illustrations symboliques de cet investissement. Le fait que la Secrétaire d’État américaine co-préside toutes les sessions successives – aux côtés du Président René Préval et du Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon – traduirait ce contrôle étroit sur le déroulement de la conférence. Ce qui a suscité des critiques, ainsi le New York Times rapporte-t-il notamment qu’un diplomate européen aurait évoqué ironiquement l’événement comme le Bill and Hillary Show. À cet égard, il faut toutefois rappeler que l’ex-Président Clinton intervenait en tant qu’envoyé spécial des Nations-unies en Haïti – position qu’il occupe depuis mai 2009 – après avoir été un acteur de la reconstruction en Asie du Sud-est faisant suite au tsunami. Mais les modalités de l’aide auraient créé des tensions en coulisses, le gouvernement haïtien s’inquiétant d’être mis à l’écart dans des projets que le Département d’État mettrait en œuvre unilatéralement.

L’organisation de la conférence révèle aussi les contradictions et l’inconsistance de la diplomatie européenne. En effet, l’UE (Union Européenne) a bien fourni la contribution la plus importante à la reconstruction, soit près de 1,6 milliard de dollars – dont 243 millions proposés par la France. Ce chiffre est nettement supérieur aux aides américaine – 1,15 milliard – ou canadienne – 390 millions. Pourtant, les représentants européens ne semblent pas avoir exercé un impact proportionnel à cette enveloppe, loin s’en faut. À ce propos, il convient de rappeler que Catherine Ashton – la Haute-Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères – avait été très critiquée lors de la catastrophe ; la diplomate ne s’étant pas rendue en Haïti immédiatement après le séisme, contrairement à son homologue américaine, Hillary Clinton. Dès le 19 janvier, Michèle Striffler, députée européenne et rapporteur permanent pour l’aide humanitaire, déplorait une action peu visible de l’UE, au regard de l’intervention ostentatoire des États-Unis. En outre, Ashton, décriée pour son inexpérience diplomatique, a dû faire face à la concurrence de la présidence espagnole de l’Union, très active en Haïti. La Haute Représentante a également dû composer avec les annonces unilatérales, voire inattendues de certains États membres, comme la France proposant par exemple une conférence internationale dès le 14 janvier. Les pays européens ont pu paraître dispersés, et parfois divisés dans leurs efforts d’aide, notamment lorsqu’il s’est agi d’envoyer plusieurs centaines de gendarmes pour renforcer la MINUSTAH (Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti) fin janvier 2010. De plus, si la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas ont bien accepté de fournir du personnel, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont, en revanche, refusé de se joindre à l’opération. Enfin, il convient toutefois de nuancer ces dysfonctionnements dans la mesure où Haïti ne représenterait pas le même enjeu pour l’UE que pour des pays concentrant une forte diaspora haïtienne, tels les États-Unis ou encore le Canada.

Plus généralement, la conférence a été marquée par l’intérêt que les participants ont accordé au bon usage d’une aide devant être désormais efficace, coordonnée et transparente. L’État sinistré a tout d’abord été replacé au centre du dispositif, ce qui avait été réclamé en vain jusque-là par les gouvernements haïtiens successifs. Or cette orientation tend à inverser une tendance persistante des bailleurs à canaliser les fonds d’assistance par les ONG – depuis le milieu des années quatre-vingt – afin de contourner un acteur étatique jugé corrompu et incapable. En l’occurrence, cela permettait également d’exercer des pressions sur des gouvernements récalcitrants : ainsi, l’embargo décidé par les États-Unis en 1991, après le coup d’État contre le président Aristide, interdisait-il toute assistance. Mais la nouvelle Commission Intérimaire pour la Reconstruction – Interim Haiti Recovery Commission – sera coprésidée par le Premier ministre haïtien Jean-Max Bellerive et l’envoyé spécial des Nations-unies Bill Clinton. L’ouverture envers les acteurs haïtiens reste donc limitée et empreinte de suspicion. Quant aux associations locales, certaines s’estiment pour leur part, exclues du processus. Enfin, un fonds international administré par la Banque mondiale doit rassembler les contributions des multiples bailleurs. Cette future coordination est présentée comme la clé d’une bonne gouvernance qui doit s’appliquer au dispositif d’aide. En l’espèce, il est clair que cette rationalisation cherche à contrebalancer l’hétérogénéité de l’action publique internationale d’ores et déjà en cours. Ces initiatives risquent néanmoins de se heurter aux réalités de la mise en œuvre et plus encore à la concurrence existant entre les différents acteurs internationaux, concurrence entravant la réforme des Nations-unies depuis déjà plusieurs décennies. À bien des égards, la reconstruction d’Haïti pourrait par conséquent bientôt apparaître au plan mondial comme un test, en termes d’action collective.

Références

Buss Terry, Gardner Adam, Haiti in the Balance: Why Foreign Aid Has Failed and What We Can Do About It, Washington D.C., Brookings Institution, 2008.
MacFarquhar Neil, “Haiti Frets Over Aid and Control of Rebuilding”, The New York Times, March 31, 2010.
Maguire Robert, “Haiti: Towards and Beyond the Donors’ Conference”, USIP (United States Institute of Peace) Peace Brief, USIP, (17), April 8, 2010.

PAC 19 – L’étatisation de l’humanitaire La remise en cause des acteurs non-gouvernementaux après le séisme en Haïti

Par Philippe Ryfman

Passage au crible n°19

Sauveteurs en Haïti

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D’une magnitude de 7,0 à 7,3, le séisme survenu en Haïti le 12 janvier 2010 apparaît d’ores et déjà comme l’un des plus importants de ces vingt-cinq dernières années. Le bilan humain s’élève au minimum à 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris dans la capitale et les villes voisines. Par ailleurs, on compte 750 000 déplacés en province. Quant aux destructions matérielles, elles se monteraient à 120% du PIB annuel. Face à une catastrophe d’une telle ampleur, le déploiement sur l’île des agences humanitaires a été massif. Cependant, il a fallu compter avec l’engorgement de l’aéroport de Port-au-Prince, le blocage du port, la destruction d’infrastructures centrales et les interventions d’une administration peu efficace.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Le système international de l’aide humanitaire se caractérise depuis les années quatre-vingt-dix par une grande diversité d’acteurs comprenant des ONG, le Mouvement Croix-Rouge, des agences onusiennes et des États.

Á l’opposé d’une idée reçue, une catastrophe naturelle revêt toujours une dimension éminemment politique. Elle souligne la plus ou moins grande capacité d’un pays à faire face, qu’il s’agisse de l’appareil étatique ou bien de la société civile. Le tremblement de terre survenu au Chili le 27 février 2010 le démontre a contrario. Au plan régional, on mentionnera dans le cas haïtien, l’effort considérable de la République dominicaine, au regard du mauvais état traditionnel des relations entre les deux pays. On retiendra également le rôle joué par le Brésil qui contraste avec la quasi-absence du Mexique, pourtant géographiquement plus proche. Enfin, à la jonction du régional et de l’international, l’intervention massive des États-Unis demeurera l’élément marquant. Or, le positionnement de certaines des parties prenantes du système de l’aide, le contexte et le déroulement de cette crise elle-même induisent le risque majeur de voir l’action humanitaire connaître à l’avenir une reconfiguration.

Cadrage théorique

1. Les acteurs transnationaux privés — ONG et Mouvement Croix-Rouge — ou publics — agences des Nations unies, Union européenne — occupent depuis longtemps une place essentielle dans le champ humanitaire. Après le tsunami de décembre 2004, malgré des interactions et partenariats habituels, l’idée s’est progressivement imposée d’une coordination renforcée et rationalisée entre les différents acteurs humanitaires. Cette mesure permettrait en effet de mieux dimensionner les réponses de l’aide, tout en évitant une duplication des interventions et en optimisant leur maillage.
2. Ce début de gouvernance mondiale de l’humanitaire a été réalisé sous l’égide des Nations Unies, chargées du pilotage de l’ensemble du dispositif international.

Analyse

À partir de 2005, on a tout d’abord promu une reconfiguration par secteurs clés — ou clusters — correspondant à de grands domaines opérationnels ou transversaux. Un second effort a ensuite porté sur la réorganisation du financement, avec la mise en place d’une structure financière, le CERF (Central Emergency Response Fund) qui vise à supplanter les systèmes d’appels de fonds, propres à chaque agence onusienne. En outre, le Secrétariat général — avec son Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) — a vocation à superviser l’ensemble.

Á Haïti, ces mécanismes de coordination ont toutefois connu de sérieuses déficiences, comme l’a admis le Secrétaire général adjoint aux Affaires Humanitaires, John Holmes. Par ailleurs, ils ont été immédiatement concurrencés, voire supplantés par l’action humanitaire d’État, particulièrement celle des États-Unis. D’autant que celle-ci s’est prioritairement déployée autour d’un axe militaro-humanitaire. Or, ce choix américain apparaît préoccupant. En premier lieu, parce que cette formule a déjà été testée au début des années quatre-vingt-dix et rapidement abandonnée pour des raisons pratiques ; une série d’échecs — de la Somalie au Rwanda — ayant montré son inefficacité. Mais aussi parce qu’elle induisait une remise en cause des fondements et principes régissant l’humanitaire. Ce qui en a subsisté — en Afghanistan, notamment depuis 2001 avec les Provincial Reconstruction Teams (PRT) — a confirmé ce caractère contestable. En second lieu, cette présence militaro-humanitaire n’est pas celle d’un chevalier blanc débarquant sur un territoire vierge de toute aide. En effet, avant même son déploiement, des ONG haïtiennes ou internationales comme MSF, ACF et CARE s’étaient déjà portées au secours de la population au côté du CICR (Comité International de la Croix-Rouge) et de plusieurs Croix-Rouge nationales. S’agissant de la seule branche française de MSF (Médecins Sans Frontières), elle a par exemple déployé sur place en quelques jours quatre hôpitaux sous containers ou structures gonflables et soigné, depuis janvier, plusieurs dizaines de milliers de blessés. Quant à celle d’ACF, elle assiste chaque jour 100 000 personnes avec ses programmes d’Eau-assainissement-hygiène (WASH). Enfin, Solidarités, Oxfam, CARE, la Croix-Rouge française et diverses agences onusiennes, ont joué et jouent encore un rôle-clé auprès des sans-abris et déplacés.

La rapidité avec laquelle les États ont discuté de la reconstruction au plan international — au cours de la Conférence tenue à New-York, le 31 mars 2010 — semble accréditer l’idée que la crise humanitaire serait terminée. Or, elle se poursuit au contraire car le contexte de post-urgence n’est pas réductible à de simples facteurs techniques — nombre de sans-abris, de blessés, de déplacés internes vers d’autres villes ou à la campagne, de bâtiments détruits — et à une temporalité de quelques semaines. Elle va même perdurer durant des mois, voire un ou deux ans. Les besoins humanitaires à court terme demeurent donc considérables et la priorité actuelle consiste à prévoir et budgéter les financements, ainsi que les ressources humaines et matérielles permettant d’y faire face. Il existe alors un danger réel de voir la saison des pluies, les tempêtes tropicales ou les cyclones constituer un facteur aggravant. Autant dire que la reconstruction d’Haïti suppose une implication de toute la société civile par le biais des ONG, mais aussi des associations de la diaspora et des sociétés civiles des partenaires internationaux.

Ce tremblement de terre a finalement mis en lumière une donnée, longtemps sous-estimée, qui devrait désormais figurer en bonne place à l’agenda international. Sur une planète de plus en plus urbanisée — 25 villes de plus de 10 millions d’habitants en 2025, dont 10 de plus de 20 millions — et peuplée, ce type de catastrophe provoquera au cours des prochaines décennies des pertes humaines et matérielles considérables, particulièrement dans les pays pauvres. En l’occurrence, Haïti a montré que plus une population vit dans la précarité, plus sa vulnérabilité aux catastrophes s’accroît quasi mécaniquement. La question de la coordination entre tous les intervenants se pose par conséquent avec d’autant plus d’acuité. Or, si le dispositif de gouvernance mondiale de l’humanitaire venait de facto à passer sous la tutelle des États, c’est le rôle-pivot des acteurs non-gouvernementaux et celui des agences onusiennes, qui serait remis en cause. Le niveau optimum de secours et d’assistance aux victimes pourrait dès lors se retrouver subordonné à des considérations politiques, avec un risque éventuel de délitement et de diminution drastique de l’aide.

Références

Action Aid, The Evolving UN Cluster Approach in the Aftermath of the Pakistan Earthquake: An NGO Perspective, Londres, Action Aid International, 2006.
Adinolfi Costanza, Bassiouni David, Lauritzsen Halvor, Williams Roy, Humanitarian Response Review, OCHA, New York, Geneva, 2005.
Chevallier Éric, “Politique et catastrophes naturelles”, Questions internationales, Paris, La documentation française, 2006.
FICR, Rapport sur les catastrophes dans le monde, Genève, HCR, 2009.
Makki S, Militarisation de l’humanitaire, privatisation du militaire, Paris, CIRPES. Coll. Cahiers, 2004.
Ryfman Philippe, Une histoire de l’humanitaire, Paris, La Découverte. Coll. Repères, 2008.