Mar 8, 2012 | Contributions, Fil d'Ariane, Publications
Après avoir présenté les participants à la table ronde, le politiste Jean-Vincent Holleindre leur a immédiatement demandé d’analyser les raisons pour lesquelles l’international tenait une place si faible dans la campagne présidentielle de la France. Lui-même indiquant qu’après tout les candidats évoquaient sans doute peu ce domaine car il y avait désormais consensus sur les principaux grands dossiers, là où auparavant s’imposaient de profondes lignes de fracture (Guerre Froide, OTAN, construction européenne, etc.).
Le général Morillon déplore la faible présence de l’international dans les débats opposant les candidats avant d’exposer les raisons pour lesquelles il convient d’engager la France en faveur d’une Europe-puissance, seul recours qui lui permettrait de continuer de préserver son indépendance et d’exercer une réelle souveraineté face aux grands ensembles (États-Unis, Chine, puissances émergentes). Pour étayer sa thèse, il revient sur plusieurs conflits qui se sont déroulés au cours de ces vingt ou trente dernières années, conflits où les pays européens n’ont pas toujours témoigné d’une grande cohésion ni d’une totale solidarité. Il aborde notamment dans le détail, ceux ayant eu lieu au cœur de l’Europe lorsqu’il était aux responsabilités. Enfin, il analyse et commente la position des États européens dans la crise financière mondiale et propose quelques pistes de réflexion à caractère fédéraliste.
Pour sa part, le professeur Josepha Laroche souligne que l’absence de l’international dans la campagne représente en quelque sorte un marronnier journalistique car il en est plus ou moins de même à chaque élection. Cette situation ne revêt rien d’original comme le montre la campagne présidentielle se déroulant actuellement aux États-Unis. Selon elle, il existe 1) des raisons conjoncturelles (chômage massif, absence de perspectives pour les jeunes, précarité, coût du logement, retraites, baisse du pouvoir d’achat, paupérisation des classes moyennes et risque patent de récession, etc.) qui inciteraient les candidats à produire prioritairement un discours sur tous ces points : les candidats s’efforçant de dire ce que les électeurs ont envie et besoin d’entendre. Mais 2) peut-être y aurait-il aussi des raisons structurelles, chaque élection présidentielle représentant un temps fort sur le plan symbolique au cours duquel les citoyens français communient entre eux et réaffirment leurs valeurs communes. Ils se ferment alors sur leur entre-soi national. Au cours de ce processus de réaffirmation identitaire, ils transforment la nation en un véritable enclos émotionnel et passionnel où la nostalgie d’un passé aussi glorieux que phantasmé fait systématiquement retour. Ce faisant, l’international n’apparaît que sur le mode caritatif et/ou le mode défensif (peur de la mondialisation, de l’immigration, du terrorisme, de l’Islam, etc.).
Hubert Védrine considère, quant lui, qu’il n’y a pas matière à s’étonner et encore moins à s’offusquer que l’international soit si substantiellement absent de la campagne. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité française car il en va ainsi dans bon nombre de pays. Les citoyens – et par conséquent les candidats – abordent ce qu’il leur semble bon de traiter, il n’y a pas à leur faire injonction. Pour autant, si l’international fait largement défaut au cours de cette séquence électorale, cela ne permet en rien de préjuger de la suite, la France restant une grande puissance, la cinquième – et à ce titre, elle détient un rôle majeur sur la scène mondiale qu’elle doit préserver. Hubert Védrine revient ensuite, lui aussi, sur les questions européennes pour évoquer le rôle de l’Allemagne par rapport à la France et la construction européenne. Sur ce point, il met en garde l’assistance quant à la nécessité de bien distinguer les souverainistes, des eurosceptiques et des europhobes, ces derniers étant ultra minoritaires selon lui. Enfin, il esquisse des voies possibles pour la construction européenne. Celle-ci devrait être obligatoirement fondée, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, sur le principe de réalité, à savoir que les peuples entendent préserver leur identité et leur souveraineté et ne veulent pas se fondre dans un ensemble indifférencié et moyen.
Après ces trois interventions, Jean-Vincent Holleindre donne rapidement la parole à la salle où les questions s’avèrent nombreuses. Un intervenant s’adresse aux contributeurs en s’étonnant par exemple que l’on traite de l’Europe, lorsque l’on évoque l’international : la construction européenne ne serait-elle pas plutôt devenue une affaire intérieure ? Le professeur Josepha Laroche souscrit tout à fait à cette approche et rappelle qu’elle s’est délibérément refusée à mentionner l’Europe précisément pour cette raison. Hubert Védrine et Josepha Laroche reviennent ensuite tous deux sur la notion de communauté internationale si souvent mobilisée par les responsables politiques. Ils en soulignent le caractère flou et creux, Josepha Laroche y voyant pour sa part toutefois la possibilité sémantique et symbolique de pacifier les interactions entre les parties à une négociation, voire à un conflit. En effet, chaque acteur met dans cette coquille vide ce qui lui convient le mieux. Le recours à ce mot-joker remplit ainsi une fonction pacificatrice qui ne doit pas être sous-estimée.
À l’occasion de différentes remarques, les trois intervenants sont conduits à préciser leur analyse du rôle et de la structure des États dans leurs rapports avec les acteurs non-étatiques, notamment les ONG et les firmes transnationales.
Enfin, la table ronde s’achève sur une dernière question prospective de Philippe de Lara qui porte sur la dialectique guerre/paix et sur la montée éventuelle des violences sur la scène mondiale. Josepha Laroche estime que les violences communautaristes et infraétatiques (interconfessionnelles et interethniques) ne peuvent que se développer davantage devant la faiblesse actuelle des États. Hubert Védrine rappelle alors que les guerres interétatiques sont numériquement en voie de régression, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il y ait moins de violences sur le plan mondial. Les trois intervenants s’entendent sur ce point et sur la vulnérabilité des organisations sociales qu’elle induira dans l’avenir.
Fév 28, 2012 | Afrique, Chine, Développement, Passage au crible, Sécurité
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°59
Paysan africain. Pixabay
Les réunions consacrées à la sécurité alimentaire se multiplient début 2012 alors que des études faisant le bilan des transactions foncières montrent qu’entre 2000 et 2010 sur 200 millions d’hectares accaparées, les trois-quarts ont été destinés aux biocarburants et non à la sécurité alimentaire (Cirad, IIED, ILC, 2012). Les accaparements de terres dans les pays en développement, notamment africains et latino-américains font ainsi l’objet d’une inquiétude croissante alors que dans un contexte de prix agricoles et alimentaires élevés, la sécurité alimentaire est menacée. Généralement, ces transactions mal connues et peu transparentes conduisent à de violentes controverses notamment entre ONG, organisations internationales, décideurs politiques, organisations paysannes et chercheurs. À Madagascar, elles ont joué par exemple un rôle décisif dans le départ de Marc Ravelomanana à la suite du contrat prévu avec la firme coréenne Daewo.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Dans les pays du Sud, on a observé durant une trentaine d’années un faible taux d’investissement agricole et une tendance à la baisse de l’aide publique à l’agriculture. Or, le tournant du XXIe siècle est marqué par une inversion de cette tendance. Les acquisitions foncières internationales à grande échelle, comme ceux de la Chine, se multiplient dans les pays du Sud et plus spécialement en Afrique. En effet, ce continent est convoité non seulement pour les ressources de son sous-sol (mines, hydrocarbures), mais également pour les richesses de ses terres. On peut parler à cet égard d’un jeu de monopoly mondial pour les acquérir. Il existe toutefois de nombreuses inconnues quant à la réalisation effective de ces projets par rapport aux annonces médiatisés.
Cadrage théorique
1. Une croissance rapide des transactions. Dans un contexte mondial de hausse des prix agricoles, de fortes instabilités des marchés financiers et d’anticipation d’une hausse de la consommation agro-alimentaire, les transactions foncières sous formes d’achats ou de locations à long terme (bail emphytéotique) croissent rapidement.
2. L’émergence d’un nouveau néocolonialisme. Les investissements fonciers de la Chine répondent-ils à une stratégie d’aide au développement comme l’énoncent ses autorités et plusieurs organisations internationales, créent-ils de véritables opportunités ou bien s’apparentent-ils plutôt à un néo-colonialisme dénoncé par de nombreuses ONG ?
Analyse
Les accaparements de terres visent en premier lieu à produire des agro-carburants. Ils correspondent aussi à des anticipations en termes de sécurité alimentaire ou de changement des modes de consommation. Enfin, ils représentent des placements financiers. Ils résultent de trois types d’investisseurs : 1) Les États déficitaires en terres et forts importateurs alimentaires, possédant de fortes capacités de financement. 2) Les grands groupes agro-alimentaires mais également les industriels, qui témoignent le plus souvent d’une logique d’intégration de l’amont à l’aval et ou d’agriculture contractuelle pour des produits alimentaires. 3) Les investisseurs et les banques considérant les terres comme des placements financiers.
Les vendeurs et loueurs sont des pays aux faibles moyens financiers mais disposant de terres apparemment disponibles. C’est le cas en Afrique où des États ont loué ou vendu depuis 2004 plus de 2,5 millions d’hectares. Bénéficiant de plus de 80% de terres arables non cultivées*, ce continent est ainsi devenu l’objet de convoitises de la part d’investisseurs en quête de sécurité alimentaire et/ou énergétique. De même, a-t-il a vu se multiplier les investissements agro-industriels ou les placements financiers.
Dans le monde entier la Chine investit le secteur agricole. Elle détient globalement 2,1 à 2,8 millions d’hectares en Amérique du Sud, Afrique, Asie du sud-est (300 000 à 400 000 hectares – riz, bois), en Australie, en Russie et au Kazakhstan (87 400 hectares). Les mouvements d’appropriation des terres en Afrique émanent : 1) Des entreprises d’État (comme la China State Farm Agribusiness au Gabon, Ghana, Guinée, Tanzanie, Togo ou Zambie). 2) Des collectivités territoriales (par exemple la Shanxi Province Agribusiness Group. 3) D’initiatives individuelles.
Plusieurs types de bénéfices sont attendus tels que les afflux d’investissement qui compenseraient la baisse de l’APD, les apports de technologies et de compétences, l’amélioration des rendements et de la productivité, la sécurité alimentaire, ou encore l’obtention de devises (cas des agro-carburants). De fait, les semences chinoises peuvent multiplier les rendements par deux. D’autres effets sont en revanche plus problématiques. Il en est ainsi par exemple de l’installation de Chinois dans les grandes fermes du Mozambique, des exportations prévues, avant la chute de Kadhafi, de riz pour les Chinois en Libye dans le projet Malybia ou encore des projets d’agro-carburant pour 2 millions d’hectares en Zambie et d’huile de palme en RDC, Les principaux risques sont : 1) les conflits fonciers car les communautés vulnérables risquent de perdre leurs droits fonciers dont 80% sans titres de propriétés. 2) Le manque de transparence des contrats. 3) l’atteinte à la sécurité et à la souveraineté alimentaire. 4) Les effets négatifs environnementaux, liés notamment au riz hybride, aux OGM et au contrôle des semences.
Au contraire, la saisie des opportunités liées aux transactions foncières implique que les différents acteurs soient parties prenantes des contrats, que les droits de propriété des paysans soient sauvegardés et que les agricultures familiales bénéficient, grâce à des contrats de sous-traitance ou des aménagements d’infrastructures, d’intrants ou de crédit, des externalités propres aux grandes exploitations.
Références
Afrique contemporaine « Investissements agricoles en Afrique » (237) N, 2011.
CIRAD, IIUED, ILC (M Taylor ,al) www.landcoalition.org/cpl/CPL-synthesis-Report, déc 2012.
“Land grab or development opportunity? Agricultural investment and international land deals in Africa” Juin 2009 – IIED, FAO and IFAD – Lorenzo Cotula, Sonja Vermeulen, Rebeca Leonard, James Keeley.
Philippe Hugon, Fabienne Clérot « Les relations Chine-Afrique- les investissements agricoles au Mali », Rapport MAEE, 2010.
*1,5 milliard d’hectares de terres sont cultivés dans le monde sur 2,7 milliards de terres cultivables soit 55%. Seuls environ 190 millions d’hectares de terres arables du continent africain sont exploités, soit un cinquième du potentiel total (source Agrimonde, FAO).
Fév 27, 2012 | Industrie numérique, Internet, Passage au crible, Publications
Par Alexandre Bohas
Passage au crible n°58
Pixabay
L’affaire du site Megaupload pourrait être simplement considérée comme la dernière d’une longue série de différends sur les droits d’auteur. Mais son caractère mondial ainsi que ses suites avec le rejet des lois PIPA (Protect Intellectual Property Act) et SOPA (Stop Online Piracy Act) en font un événement charnière dans l’édification normative et institutionnelle d’Internet.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Le 19 janvier 2012, 18 des principaux dirigeants de Megaupload, parmi lesquels l’emblématique Kim « Dotcom » Schmitz, ont été arrêtés pour violation de droits d’auteur, blanchiment d’argent et racket. Puis le FBI a décidé sa fermeture en bloquant son domaine web. Pour des millions d’internautes, il en a résulté un retentissement global, tant par la médiatisation que par les conséquences de ces opérations policières. En effet, basée à Hong Kong, cette entreprise leader dans le téléchargement direct attirait jusque-là près de 50 millions de visiteurs par jour et comptait 150 millions d’utilisateurs attitrés, leurs connexions générant près de 4% du trafic numérique mondial. On a dénombré, 525 serveurs en Amérique, 630 en Hollande permettant ces mises en relation.
En réaction à ce coup de filet, de nombreux hackers se revendiquant d’Anonymous et de simples internautes ont protesté contre cet arrêt. Les premiers ont même piraté des sites hautement symboliques comme celui de la Présidence américaine ou celui d’Universal, sites qui ont été rendus indisponibles. Au même moment, le Congrès a dû voter deux projets de loi contre la cybercriminalité et la contrefaçon PIPA et SOPA. Ils prévoyaient notamment d’étendre les pouvoirs de la justice américaine en lui donnant la possibilité de procéder au retrait de tout contenu suspect sur Internet, qu’il provienne des États-Unis ou de l’étranger. Cependant devant la mobilisation de nombreuses associations, mais aussi de groupes influents, leur adoption a été repoussée.
Cadrage théorique
1. La marchandisation mondiale d’Internet. Initié par les firmes multinationales, ce processus vise à instituer le principe marchand comme le cadre fondamental de cette sphère. Il la « désencastre » de son environnement social, à l’image de ce que Karl Polanyi a qualifié en d’autres temps et lieux la « grande transformation ». Remplaçant progressivement des relations fondées sur la gratuité, la réciprocité et le don/contre-don, il vient menacer la diversité culturelle, économique et sociale, et démontre une fois de plus que le marché reste une institution construite, voire imposée.
2. Une gouvernance du numérique en formation. Cette notion désigne un mode d’exercice du pouvoir supposé moins contraignant, davantage consensuel et plus représentatif que le concept de gouvernement. C’est la raison pour laquelle elle a été usitée de manière croissante tant par les organisations internationales que par les spécialistes pour décrire des types de régulation adaptés aux sociétés mondialisées marquées par une pluralité d’enjeux et d’acteurs transnationaux. Or, elle passe pourtant sous silence la violence des oppositions et les moyens de coercition, policiers et judiciaires mis en œuvre pour réguler les secteurs concernés.
Analyse
Internet forme à présent une partie intégrante de la société où l’on se rend pour se distraire, mener des recherches et travailler. À ce titre, il entraîne de nombreuses interactions d’échange et de partage. Celles-ci s’inscrivent souvent hors du cadre marchand et relèvent bien plutôt de la réciprocité. Par exemple, le peer-to-peer et le streaming constituent des modes de diffusion originale et d’ampleur mondiale. En outre, des réseaux comme Youtube ont favorisé des liens déterritorialisés de type communautaire où des formes d’expression et de création novatrices ont pu se manifester.
Or, les firmes transnationales livrent un véritable combat pour prendre part à la structuration de cet espace central pour des millions de citoyens/consommateurs. En effet, il importe pour elles d’encourager en son sein des comportements, des valeurs ainsi que des représentations qui leur soient favorables. Mais cela suppose que le principe de la propriété privée y soit au préalable instauré et reconnu pour qu’elles puissent ensuite légitimement revendiquer des droits sur les biens et services échangés. Ceci afin que l’établissement d’un marché leur permette de valoriser commercialement leurs productions. Un tel ordonnancement selon les lois de l’offre et de la demande leur confèrerait une prépondérance de fait car elles concentreraient les droits d’auteurs ainsi que les moyens de créer, produire et diffuser.
D’où la bataille sur les normes juridiques d’Internet. Nous avons déjà évoqué les processus internationaux d’élaboration du droit positif ainsi que les grands procès en la matière*. Depuis les premières poursuites contre Napster jusqu’à Megaupload, elles se sont toutes efforcées de contenir, sinon réduire, les flux échappant aux règles de la propriété intellectuelle et donc aux versements des droits d’auteur. Au fil des années, ou bien les sites dits pirates n’ont plus proposé que des offres légales à l’instar de Napster ou Kazaa ; ou bien ils ont été contraints d’arrêter purement et simplement leur activité comme Emule ou Limewire.
Force est toutefois de constater que l’emprise de ces groupes ne reste pas sans limites. En façonnant cette sphère, ils se heurtent d’une part au monde diffus et disparate des internautes ; d’autre part ils doivent faire face à d’autres compagnies directement issues d’Internet. Ainsi celles-ci – telles que Wikipedia ou Google – ont-elles bénéficié de la créativité et de la liberté laissées sur Internet*, ce qui explique leur mobilisation active contre les lois SOPA et PIPA.
Nous avons assisté ces dernières semaines à un choc violent entre deux centres de l’économie-monde américaine, Hollywood et la Silicon Valley. Profitant de l’appui de l’opinion publique, ce dernier a su s’imposer malgré le lobbying du premier. Au terme de ces épreuves de force, prennent forme de nouvelles règles et institutions. Loin d’un consensus obtenu par la négociation ou le dialogue, une gouvernance d’Internet émerge à l’issue d’un combat entre firmes challengers qui doivent aussi compter avec le gouvernement des États-Unis comme instance décisive.
Références
Auffray Christophe, « MegaUpload : décryptage de l’affaire et des accusations », ZDNet France, 23 janv. 2012, disponible sur le site web : www.zdnet.fr.
*Bohas Alexandre, « Coup de force numérique, domination symbolique. Google et la commercialisation d’ouvrages numérisés », Passage au crible, (5), 16 nov. 2009, disponible sur le site web : www.chaos-international.org.
*Bohas Alexandre, « Une construction mondiale de la rareté. Le projet ACTA d’accord commercial sur la contrefaçon », Passage au crible, (22), 22 mai 2010, disponible sur le site web : www.chaos-international.org.
« De Napster à Megaupload, le long affrontement entre la justice et les services de téléchargement», Le Monde, 23 janv. 2012.
Finkelstein Lawrence S., « What Is Global Governance ? », Global Governance, (1), 1995, pp. 367-372.
Hewson Martin, Sinclair Timothy J. (Eds.), Approaches to Global Governance Theory, Albany, NY, SUNY Press, 1999.
« Lois antipiratage : sous pression, Washington fait machine arrière », Le Monde, 20 janv.2012.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
May Christopher, The Global Political Economy of Intellectual Property Rights: The New Enclosures, 2nd Ed., London, Routledge, 2010.
Polanyi Karl, La Grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, trad., Paris, Gallimard, 2009.
« Peer-to-peer, la fin d’un protocole ? », Le Monde, 11 mars 2011.
Sell Susan, Private Power, Public Law: The Globalization of Intellectual Property Rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
Fév 7, 2012 | Chine, Développement, Environnement, Passage au crible
Par Valérie Le Brenne
Passage au crible n°57
Port Guangxi Qinzhou, Pixabay
Le 15 Janvier 2012, l’entreprise minière Guangxi Jihne Mining Co.Ltd a pollué la rivière Longjiang (située dans la région autonome du Guangxi, au sud de la Chine) en y déversant du cadmium (produit lié à l’exploitation du zinc et hautement toxique). Comme la pisciculture demeure une activité essentielle, la mort de centaines de poissons a donné le signal d’alarme aux autorités locales qui ont aussitôt tenté de neutraliser le produit. Liuzhou, deuxième ville la plus importante de la région, située à 60 km en aval de la pollution, se trouve ainsi directement exposée. Malgré des discours officiels teintés d’optimisme, les habitants de la ville se sont précipités vers les supermarchés afin de s’approvisionner en bouteilles d’eau, renforçant ainsi le risque de pénurie.
Cet incident vient s’ajouter à une longue liste de pollutions industrielles des eaux enregistrées en Chine ces dernières années. Ces dommages interviennent alors même que le pays connaît des disparités hydrauliques considérables ainsi qu’une pénurie d’eau croissante, sans compter que les besoins en ressources énergétiques multiples augmentent de manière exponentielle.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Depuis 1979, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, la Chine est progressivement entrée dans l’économie de marché et a atteint des niveaux de croissance et de compétitivité qui en font désormais la deuxième puissance économique du monde. Parmi les multiples objectifs de sa transition, celui visant à réduire le volume des importations tout en augmentant les exportations s’est traduit par un fort développement industriel, posant de facto la question de l’approvisionnement énergétique nécessaire à un tel niveau d’activité. L’existence de sous-sols riches en énergies (pétrole, charbon, uranium), en minerais métalliques (cuivre, zinc, bauxite…) et non métalliques (graphite, soufre, phosphore…) a rapidement entraîné de vastes campagnes de prospection et l’ouverture de nombreux sites miniers, coïncidant avec la création de nombreuses entreprises d’extraction.
À partir des années quatre-vingt-dix, la question énergétique s’est également posée avec le problème de l’inégale répartition de l’eau sur le territoire. En effet si la Chine du Sud présente d’abondantes ressources hydrauliques, permettant la riziculture, le Nord reste en revanche marqué par une pénurie d’eau et un climat aride. L’ambition d’opérer un rééquilibrage par le transfert Sud-Nord culmine d’ailleurs dans le projet du barrage des Trois Gorges réalisé en 1992, et pour lequel la Chine a été condamnée au Tribunal International de l’Eau de La Haye, à la suite d’une plainte du Canada.
Dans le même temps, la Chine est entrée dans un processus de transition urbaine. L’affluence de migrants ruraux a conduit à l’émergence de villes nouvelles, dont le nombre est passé de 69, à la fin des années 1940, à 670 au cours de la décennie deux mille. L’augmentation de la demande de biens de consommation, à laquelle s’ajoute l’ouverture économique des villes côtières aux entreprises étrangères, sont ainsi venues accroître la production industrielle. Dès lors, les pollutions liées aux activités industrielles, qu’il s’agisse de la pollution de l’air, liée à l’extraction du charbon, ou celle de l’eau par les rejets d’effluents toxiques, se sont multipliées, engendrant de lourds risques pour la santé publique.
Cadrage théorique
1. La pression sur les ressources énergétiques : afin de répondre à une demande aussi bien nationale que mondiale, le développement économique fait peser sur l’industrie chinoise des impératifs de productivité. Ainsi, l’accroissement de la pression sur les ressources énergétiques a-t-il accéléré la privatisation des entreprises par l’État chinois. Pour autant, le passage à la logique de marché participe, selon l’expression de Susan Strange, d’une « dispersion du pouvoir » qui rend plus complexes les tentatives de régulation étatique.
2. L’émergence d’une société civile chinoise : la multiplication des incidents industriels a favorisé l’émergence d’une société civile. Cette dernière se manifeste particulièrement en matière de santé publique et d’environnement. Ces questions représentent pour les acteurs sociaux des pôles de structuration, dont certains – forts de liens transnationaux – semblent actuellement être pris en considération par les autorités.
Analyse
La pollution au cadmium de la rivière Longjiang par l’entreprise minière Guangxi Jinhe Mining Co.Ltd s’avère symptomatique des impératifs de productivité et de compétitivité que fait peser la croissance économique sur l’industrie. En effet, le poids de la production industrielle engendre une pression constante sur les sources d’énergie dont la maîtrise constitue un enjeu stratégique majeur. Dans cette perspective, les entreprises d’extraction doivent renforcer leur niveau d’activité, en réalisant de meilleurs rendements et en diversifiant leurs sources d’approvisionnement. À présent, de nombreuses firmes chinoises sont implantées en Afrique et concurrencent les groupes occidentaux sur le marché énergétique. Cependant, si la privatisation croissante rend davantage possible la transformation de ces entreprises en sociétés transnationales, elle réduit dans le même temps la capacité de régulation de l’État.
En fait, cet incident révèle l’absence de législations contraignantes en matière de responsabilité environnementale des entreprises, lesquelles ont pourtant provoqué de très nombreuses pollutions industrielles. Les multiples rejets d’effluents toxiques, tels que le cadmium, sont aujourd’hui à l’origine d’un véritable problème de santé publique. La consommation d’eau non-potable expose les populations à d’importants risques de cancers. De plus, l’agriculture se trouve également affectée par les impacts environnementaux de ces activités. En 2011, une étude publiée par l’hebdomadaire économique Xin Shiji révélait que 10% du riz produit en Chine, et exporté à l’étranger, présentait des traces de cadmium.
Face à l’ampleur de ces dommages environnementaux, et sous la pression conjuguée des organisations internationales et des ONG, les autorités chinoises visent dorénavant à réduire leur consommation énergétique et à lutter contre les pollutions industrielles. Outre la création d’autorités locales chargées de contrôler les niveaux de pollution, le gouvernement autorise, à des conditions très strictes, l’existence d’ONG environnementales et la présence d’ONG internationales. Bénéficiant d’un déficit de prise en charge étatique, les acteurs de la société civile chinoise sont par conséquent conduits à se structurer autour de la cause environnementale. Tout en informant les populations des risques encourus, ils détiennent également une certaine capacité à infléchir les politiques étatiques, en s’appuyant notamment sur de multiples réseaux de solidarité transnationaux. Preuve de leur importance croissante, le gouvernement chinois incite désormais les ONG environnementales à participer au processus de « black listing » des entreprises polluantes.
Références
Chen Jie, « ONG chinoises, société civile transnationale et pratiques démocratiques », Perspectives chinoises, 97, sept-déc 2006.
Colonomos Ariel (Éd.), Sociologie des réseaux transnationaux: communautés, entreprises et individus. Lien social et système international, Paris, L’Harmattan, 1995.
Keck Margareth, Sikkink Kathryn, Activists beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Ithaca/London, Cornell University Press, 1998.
Strange Susan, Le Retrait de l’État. La dispersion du pouvoir dans l’économie mondiale, [1996], trad., Paris, Temps Présent, 2011.
Jan 26, 2012 | Communautarisme, Nord-Sud, Passage au crible
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°56
Pixabay
En ce début d’année 2012, le Nigeria, allié des États-Unis et du Royaume-Uni, est miné par deux grandes crises : 1) celle de l’affrontement Nord-Sud caractérisé par une spirale de tensions ethnico-religieuses ; 2) celle de la grève générale liée à la hausse du prix de l’essence. Les menaces des deux grands syndicats d’arrêter la production de pétrole du premier producteur d’Afrique contribuent également à alourdir la situation. Certaine voix autorisées – telles le prix Nobel Soyinka – vont jusqu’à évoquer un risque de guerre civile. D’autres soulignent pour leur part un risque de sécession et mettent en avant la proximité du Nigeria avec le cas du Soudan divisé entre un Nord musulman –où règne la charia – et un Sud chrétien. Premier pays africain par sa population avec 150 millions d’habitants, cet État fédéral – où ne cessent d’alterner régimes civils et militaires –, connaît une violence endémique qui le fragilise.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Ancienne colonie britannique, le Nigeria est aujourd’hui un État fédéral composé de 36 États parcourus par des forces centripètes qui ont été contenues jusqu’ici par des pouvoirs militaires et civils forts ou par le fédéralisme. L’augmentation du nombre de ses États fédérés ou les règles relatives à la dévolution du pouvoir politique entre le Nord et le Sud ou bien encore le partage territorial de la rente, participent également de cette logique.
Les systèmes de sultanats et de chefferies du Nord Nigeria diffèrent fortement des organisations sociopolitiques plutôt segmentaires du Sud Nigeria. Ces différenciations ont été maintenues par l’administration coloniale britannique d’indirect rule. Depuis, le Nord, où 12 Etats ont instauré la charia, reste dans l’ensemble défavorisé par rapport au Sud.
Le pays a été déchiré par plusieurs conflits dont le plus violent demeure la guerre de sécession du Biafra (1967-1970) qui a opposé les Ibos (soutenus par la France, Israël et le Portugal) à la fédération (soutenue par le Royaume-Uni et l’URSS). Les causes de cette guerre tenaient à la fois à ces facteurs sociopolitiques et religieux et surtout aux enjeux pétroliers opposant les grandes puissances et les majors ; ces tensions ayant induit des rivalités internes au Nigeria. En 1970, les 3 R (reconstruction, réhabilitation, réconciliation) ont symbolisé la sortie du conflit. Mais le pays a connu alors de nombreuses tensions entre le Nord et le Sud et des conflits au sein du Delta du Niger.
Cadrage théorique
Les crises du Nigeria révèlent deux principales lignes de force :
1. Le Nigeria se présente comme une société caractérisée par la rente pétrolière et son impact économique, social et politique. Richement doté en hydrocarbures, il offre en outre des conditions d’extractions aisées et des possibilités de transport grâce à l’accès à la mer. Ces atouts en font une des zones d’extraction les plus convoitées d’Afrique. Les tensions internes sont cependant avivées car ces richesses sont concentrées à 90 % dans le Delta du Niger.
2. Le Nigeria est historiquement marqué par des clivages Nord-Sud tant sur le plan social que religieux. Les affrontements entre les communautés chrétiennes et musulmanes illustrent ces clivages qui sont liés à des différences de droits et à des inégalités quant au partage de la rente pétrolière.
Analyse
Les conflits du Nigeria peuvent être décryptés au regard de deux critères principaux.
Le premier renvoie aux hydrocarbures. Ce secteur est en effet stratégique d’un point de vue macro économique avec une rente pétrolière qui représente entre 35 et 40% du PIB, 80% des recettes fiscales et 97 % des exportations du pays. En 2011, le niveau a atteint 2,5 millions barils jour à 75 dollars le baril, faisant du Nigeria le huitième exportateur mondial de pétrole. 6 multinationales contrôlent 95% de la production dont plus de 40% de la production est exportée vers les États-Unis soit 10% de leurs importations. En fait, le pétrole exacerbe nombre de tensions politiques car il est concentré au Sud-Est et conduit à de fortes différenciations entre les États. Dans le Delta du Niger (9 États fédérés regroupant 30 millions d’habitants), certains mouvements, comme le Mouvement pour l’Émancipation du Delta du Niger (MEND), et certaines factions dissidentes se sont considérablement développés. La filière des hydrocarbures et le prix de l’essence apparaissent tout autant au cœur des conflits sociaux dans la mesure où la rente pétrolière suscite une grande corruption et une forte évasion de capitaux. Or, la redistribution de la rente entre les États et les populations aurait dû passer notamment par une subvention permettant aux deux tiers des nigérians (disposant d’un revenu par jour inférieur à 2 dollars) d’accéder à un bien de première nécessité.
A ces enjeux pétroliers, se superpose un second facteur de crise : les clivages Nord-Sud. Dans la capitale de l’État des plateaux, à Jos, les conflits opposent ainsi les Fulani musulmans aux Berom chrétiens, deux populations qui disposent de droits différents. Quant aux mouvances islamiques du Nord, elles sont plurielles (soufisme des confréries traditionnelles, mouvements salafiste, maadhistes et chiites) avec 12 États (sur 36) qui ont instauré la charia. Les situations de grandes inégalités et exclusions des droits dans un pays où le partage de la rente pétrolière demeure inégal, constituent les principaux éléments expliquant la puissance des réseaux musulmans ; certains responsables politiques voulant instrumentaliser les oppositions religieuses et étendre la charia dans l’État du plateau. La question la plus importante, en raison des bouleversements intervenus en Libye, est à présent la prolifération de la nébuleuse AQMI. Le mouvement anti occidental Boko Haram, apparu après le 11 septembre 2001, localisé dans l’État de Borno développe désormais le djihadisme ; il s’est scindé en plusieurs branches dont l’une est proche des Chebabs de Somalie et d’Aqmi. Or par sa radicalisation et ses actions violentes, il favorise un clivage religieux engendrant un engrenage des violences, des représailles et de la répression.
Les puissances extérieures sont aussi des acteurs déterminants. Notamment les États-Unis auxquels le Nigeria fournit plus de 40% de leurs importations de pétrole brut. Quant à la Chine et à l’Inde, elles cherchent à faire prévaloir leurs intérêts dans la zone. S’agissant des puissances pétrolières arabes et de l’Iran, ils appuient les États musulmans du Nord ou les mouvements qui s’y déploient. Enfin, les puissances occidentales et émergentes s’efforcent de sécuriser la zone du Nord menacée par des réseaux radicaux et les zones de production et de transport pétrolier au Sud.
Aujourd’hui, la structure fédérale du Nigeria, le pouvoir des grands commerçants du Nord et la mémoire du Biafra rendent très peu probable un processus de séparation Nord-Sud, sur le modèle du Soudan. De même, une extension du conflit religieux n’est guère envisageable car le Nord serait perdant. En revanche, la question de la légitimité du pouvoir actuel est posée. Les violences conduiront-elles à de nouveaux compromis quant à : 1) la redistribution de la rente pétrolière, 2) l’éradication de la corruption et 3) des négociations avec les différents protagonistes, politiques, syndicaux, religieux ? A contrario, un retour de l’armée jacobine et majoritairement laïque est-il envisageable si la violence s’étendait ?
Références
Draper Michael I., Shadows: Airlift and Airwar in Biafra and Nigeria, 1967-1970, Hikoki Publications, 2006.
TaiEjibunu Hassam, “Nigeria’s Delta Crisis: Root causes and Peacelessness”, EPU, research paper, Issue 07/07;
Perouse de MonclosAntoine, “Le Nigeria entre deux eaux”, Ramses, 2011.