Juin 4, 2012 | Environnement, Nord-Sud, Passage au crible, Santé publique mondiale
Par Armand Suicmez
Passage au crible n°67
Pixabay, OGM, Monsanto
Le 4 avril 2012, Giovanni Conti, juge du tribunal d’État du Rio Grande do Sul a condamné Monsanto à suspendre la collecte des redevances sur les OGM de soja (Organismes Génétiquement Modifiés). Cette décision implique également le remboursement des frais de licence, honorés depuis la campagne culturale de 2003-2004, au motif d’une « violation de la loi brésilienne sur les variétés ». Une amende journalière de 400 000 euros sanctionnera la compagnie en cas de non respect de ce jugement.
Ceci est loin d’être un cas isolé. La multinationale avait déjà connu une déconvenue lorsqu’elle a été déboutée par la CEJ (Cour Européenne de Justice) le 6 juillet dernier. Monsanto avait alors tenté d’empêcher les exportations de soja transgénique, de l’Argentine vers les Pays-Bas, pour non-paiement. Cette situation montre combien la suprématie de l’entreprise s’est désormais effritée.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Fondée aux États-Unis en 1901 par John Francis Queeny, la firme Monsato était initialement spécialisée dans la commercialisation de produits chimiques. Dès le début des années quatre-vingt, elle a obtenu les premières plantes modifiées en serre à l’issue de nombreuses recherches génétiques. En 2002, le conglomérat est devenu le leader de l’agriculture transgénique dans le monde après avoir développé ses ventes à l’international.
L’autorisation de commercialisation de la pomme de terre NewLeaf, du maïs YieldGard, du colza et du soja Roundup Ready entre 1995 et 1996 diversifie les gammes et offre de nouvelles potentialités à la société. En 2001, profitant de la faiblesse des récoltes de soja en Afrique du Sud et de la production du coton en Inde, Monsanto s’implante durablement dans ces pays. Depuis, sa progression dans d’importants États producteurs, reste régulière et durable. Cette expansion est liée à la vente des grains, mais surtout aux royalties perçues sur la propriété industrielle qui empêchent ; « d’une part de pouvoir ressemer les années suivantes et, d’autre part, de donner ou échanger leurs semences. En clair, ces organisations d’agriculteurs brésiliens refusent de payer quelle que redevance que ce soit sur des semences récoltées, triées et ressemées ».
Au Brésil – République fédérale composée de 26 États – la propriété intellectuelle est régie par les articles 10 et 18 de la loi 9279. Le premier d’entre eux stipule que, sont exclus de cette définition « tout ou partie d’êtres vivants naturels et des matériels biologiques trouvés dans la nature, ou encore qui en sont isolés, y compris le génome ou germoplasme de tout être vivant naturel et les processus biologiques naturels ». Le second, contourné par Monsanto qui signe des accords directement avec les négociants, notifie que « ces micro-organismes, à l’exception de tout ou partie de plantes ou d’animaux, expriment, par l’intervention humaine directe dans leur composition génétique, une caractéristique qui, normalement, n’est pas réalisable par l’espèce dans des conditions naturelles ».
En 2009, la mise sur le marché de nouvelles générations de plants entraîne l’augmentation de la taxe de 48 euros/hectare à 145 euros, sous couvert de rentabilité. Dans ce cadre, les travailleurs agricoles du Rio Grande do Sul et les associations des agriculteurs de Giruá et Arvorezinha rejointes par celles de Passo Fundo, Santiago et Sertão portent plainte pour abus. Monsanto riposte immédiatement en contestant la recevabilité de cette sentence « puisqu’elle n’a de relations commerciales qu’avec des individus ». La firme fait donc appel près la Cour fédérale du Brésil qui, si elle statue en faveur des plaignants, confèrera une valeur nationale à sa décision.
À terme, le remboursement total des versements depuis 2003-2004 s’élèverait à environ 6,2 milliards d’euros redistribués à cinq millions d’agriculteurs.
Cadrage théorique
1. Le brevet au cœur du profit system. Bien que symbolisant principalement la protection de la recherche, le principe de la propriété industrielle – qui permet d’interdire à tout tiers, le droit d’exploiter une invention – sert aussi aux firmes de levier dans les négociations. Les compagnies profitent de l’hétérogénéité des normes qui subsiste entre les pays – comme dans le cas des OGM – pour accroître leurs profits, quand elles ne sont pas parfois même plus ou moins directement en collusion avec les pouvoirs publics.
2. La contestation symbolique des firmes monopolistiques. Les stratégies prédatrices des entreprises en position de monopole, montrent souvent l’inaptitude des États à arbitrer les litiges que celles-ci entretiennent avec leurs clients. Les poursuites judiciaires ne représentent généralement que l’aboutissement des campagnes de shaming, menées par des acteurs transnationaux tels que les ONG par exemple.
Analyse
Dans un pays où 95% de l’agriculture est transgénique, le monopole pratique de Monsanto induit une dépendance des producteurs brésiliens, pérennisée par le prélèvement de royalties. C’est pourquoi, déjà largement décriée par le public et les médias pour l’absence de toute concurrence sur le marché des OGM, la multinationale pâtit d’une image symbolique largement détériorée.
La croissance organique du groupe industriel présente la particularité de se fonder sur la propriété industrielle qui lui sert à imposer le paiement d’une redevance aux producteurs. Dès lors, le brevet devient une arme légale assurant la rentabilité. Contrairement à une idée reçue, les lacunes du droit commercial en matière d’innovation ne semblent pas constituer une faiblesse, elles permettent au contraire une plus grande marge de manœuvre à Monsanto dans la mise en œuvre de sa stratégie entrepreneuriale. Profitant de cette asymétrie, elle peut ainsi engranger des bénéfices réguliers face à des paysans de plus en plus isolés. En contournant les législations pour négocier directement avec les agriculteurs, Monsanto profite de sa majesté dans le domaine des OGM pour imposer ses conditions d’exploitation.
Dans ce contexte, la plainte déposée par des associations d’agriculteurs vient contester un rapport de force qui paraissait il y a deux ans encore, comme naturalisé. En effet, les connivences que la firme entretenait avec des gouvernements incapables de répondre à l’imprécision des cadres normatifs, lui offraient jusque-là un champ d’action très large en toute impunité. Or, le concours d’acteurs hors souveraineté, tels que la nouvelle communauté de négociants-cultivateurs et la collectivité territoriale du Rio Grande do Sul, met un terme à cette situation.
En matière de prospective, les récentes oppositions aux pratiques de Monsanto ont ouvert une brèche quant au renforcement des normes internationales traitant de la propriété industrielle. Jusqu’à présent, des initiatives peu contraignantes et non-homogènes, ont déjà été proposées par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), mais elles demeurent encore embryonnaires. Par ailleurs, l’implication de tribunaux nationaux indique une tentative de réétatisation de certains échanges transnationaux.
Références
Info’OGM ; Brésil – La justice refuse à Monsanto le droit de prélever des royalties sur le soja OGM: http://www.infogm.org/spip.php?article5124 ; dernière consultation : 31/05/2012.
Sägesser Caroline, «Le dossier des OGM dans les instances internationales», Courrier hebdomadaire du CRISP, (19), 2001, pp. 5-34.
Fok et al Michel, « Un état de coexistence du soja transgénique et conventionnel au Paraná (Brésil) », Économie rurale, (320), juin 2010, pp. 53-68.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Mai 20, 2012 | Ouvrages, Publications
Sous la direction de Josepha Laroche
Cette publication réunit des contributions portant sur l’actualité internationale de l’année 2011. Elle forme un ensemble homogène qui éclaire le lecteur sur les lignes de force parcourant la scène mondiale. Une importance particulière a été accordée en premier lieu à l’affaiblissement des États. Désormais incapables de préserver leur monopole diplomatique face à l’autonomie, voire à la subversion de certains acteurs nonétatiques, ils tentent pour l’essentiel de mettre en oeuvre des régulations qui restent fragmentaires. Ce livre s’attache également à souligner les avancées juridiques et les innovations institutionnelles réalisées en matière de protection internationale des droits de l’Homme. Enfin, il met l’accent sur la vigueur et le dynamisme des mobilisations sociales qui s’exercent aujourd’hui sur la scène mondiale.
Ont contribué à cet ouvrage
Alexandre Bohas, André Cartapanis, Philippe Hugon, Josepha Laroche, Clément Paule, Franck Petiteville, Yves Poirmeur, Jenna Rimasson, Jean-Jacques Roche, Catherine Wihtol de Wenden.
Commander l’ouvrage
Mai 4, 2012 | Biens Publics Mondiaux, Environnement, Passage au crible, Sécurité
Par Clément Paule
Passage au crible n°66
Source : Wikipedia
Depuis plus d’un mois, le géant pétrolier Total tente d’endiguer la fuite de gaz qui s’est déclarée le 25 mars 2012 dans le puits G4 de la plate-forme d’Elgin en mer du Nord. À cet effet, la firme mène simultanément une procédure de dynamic kill – colmatage par injection de boues lourdes – et une solution à long terme reposant sur deux forages de secours. Évaluant ses pertes quotidiennes à plus de 2,5 millions de dollars, la supermajor a affirmé le 20 avril que le volume d’émission du gaz, estimé initialement à 200 000 mètres cubes par jour, avait été divisé par trois. Selon les responsables du groupe, les conséquences environnementales seraient de surcroît limitées, ce que des analyses menées par la marine écossaise ont partiellement confirmé début mai. Ce discours rassurant a cependant été contesté par l’OING (Organisation Internationale Non Gouvernementale) Greenpeace, qui a dépêché dès le 2 avril un bateau dans le but de réaliser des prélèvements non loin des lieux du sinistre. Au-delà de son impact immédiat sur les plans économique – les performances de l’entreprise et le marché du brut Forties – et écologique, cette crise a relancé la controverse portant sur les risques internationaux liés aux installations offshore.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Pendant les trois dernières décennies, la demande de gaz naturel a augmenté régulièrement et la production mondiale a plus que doublé. À ce titre, l’industrie s’est établie dès la fin des années soixante en mer du Nord, principal réservoir d’hydrocarbures en Europe occidentale. Or, le déclin de l’extraction dans cet espace – de 6% par an en moyenne, le pic ayant été atteint en 2000 – a conduit les compagnies à développer de nouvelles techniques afin d’exploiter des gisements moins accessibles, dans des conditions de température et de pression extrêmes. Opérationnelle en 2001, l’infrastructure d’Elgin était ainsi présentée comme une vitrine d’innovation repoussant les limites du forage en eaux profondes. En 2011, les investissements réalisés dans la seule ZEE (Zone Économique Exclusive) britannique se sont élevés à 8,6 milliards d’euros.
Pour autant, les avancées technologiques n’annihilent pas le risque, comme le rappelle le désastre de Piper Alpha survenu en juillet 1988. En l’occurrence, l’explosion puis l’incendie de cette plate-forme opérée par Oxy (Occidental Petroleum Corporation) avait provoqué la mort de 167 personnes et plusieurs milliards de dollars de dégâts. Citons aussi les multiples anomalies relevées récemment dans le site de Gullfalks C entre novembre 2009 et mai 2010 : le rapport de l’agence norvégienne PSA (Petroleum Safety Authority) avait alors souligné les défaillances des procédures de sécurité. D’après le ministère britannique DECC (Department of Energy and Climate Change), ces quasi-accidents se produiraient presque quotidiennement. En effet, il a recensé 69 fuites d’hydrocarbures ou de produits chimiques pendant le seul premier trimestre de l’année 2012.
Troisième entreprise intervenant en mer du Nord – après Shell et BP (ex-British Petroleum) –, Total détient la plus grande capitalisation boursière de la zone euro avec 93,2 milliards d’euros fin 2011. La part du groupe dans le gisement Elgin-Franklin s’élève à 46,2%, ces deux champs fournissant 2% – soit 53 000 barils par jour – de sa production totale. Quant à Greenpeace, association fondée en 1971 au Canada, elle dispose de représentations dans une quarantaine de pays : en 2010, ce réseau transnational comptait près de trois millions de membres –dont plusieurs milliers de salariés et de volontaires – et son budget qui repose exclusivement sur les cotisations de ses adhérents, s’élevait à environ 225 millions d’euros. Si cette OING est réputée pour ses interventions spectaculaires, le lobbying, les démarches judiciaires et l’expertise sont désormais au cœur du répertoire d’action de cette organisation centralisée et professionnalisée.
Cadrage théorique
1. Gestion non-étatique d’une crise limitée. L’arène post-accidentelle est surtout investie par des acteurs privés, alors que les autorités britanniques demeurent en retrait. Cette configuration a favorisé la communication de Total, concurrencée toutefois par le déploiement militant de Greenpeace.
2. Régulation régionale du secteur offshore. Cet événement a contribué à l’intensification de la polémique sur l’intervention de l’UE (Union européenne) dans la réglementation de l’exploitation en mer du Nord. Soutenu par les OING environnementales et certains députés européens, ce projet – prévoyant un renforcement des contraintes sur les activités pétrolières et gazières – est vivement combattu par l’industrie.
Analyse
Dès le 28 mars 2012, Greenpeace a condamné la multinationale en invoquant le précédent du désastre de Deepwater Horizon impliquant BP en 2010. Aussi, la mobilisation de l’OING s’est concentrée sur la remise en cause du monopole du diagnostic par les gestionnaires de l’incident, en l’occurrence Total et les experts de la société Wild Well Control. Cette opération de stigmatisation n’a cependant pas entraîné un naufrage économique de la firme, malgré la fonte initiale de la capitalisation boursière de la supermajor dont le cours a certes baissé de 8% entre le 25 mars et le 8 avril 2012. Total semble en effet avoir atténué les conséquences de la fuite de gaz en développant une communication de crise axée sur le contrôle de l’information. L’absence de victimes et de marée noire, le faible impact présumé sur le plan environnemental et le soutien tacite des gouvernements britannique et écossais ont, sous ce rapport, joué en faveur de l’opérateur d’Elgin. Notons que le directeur financier de Total s’est rapidement adressé aux actionnaires en annonçant que l’événement ne modifiait pas sa politique de dividendes, fondée sur des bénéfices évalués à 12 milliards de dollars pour l’année 2011. Ce qui montre la relation ambiguë entre la dégradation de l’image de l’entreprise – accentuée en avril 2012 par un nouvel accident au Nigeria et par les suites de l’affaire Erika – et la réaction du marché. Les principaux brokers – parmi lesquels Exane BNP Paribas, le Crédit Suisse ou HSBC – sont ainsi demeurés neutres voire modérément optimistes quant à la performance du groupe, d’autant que l’assurance de celui-ci devrait couvrir les dommages jusqu’à hauteur d’un milliard de dollars.
Total paraît relativement épargné par le sinistre. En revanche, le secteur tout entier fait face à un regain de critiques de la part des ONG – au premier rang desquelles Greenpeace – et de députés européens qui préconisent une réglementation plus contraignante de l’exploitation offshore en mer du Nord. Structuré sur une base nationale, le système actuel repose sur la coopération entre l’autorité régulatrice de l’État – à l’instar du HSE (Health and Safety Executive) au Royaume-Uni –, l’industrie et les syndicats. Malgré la réforme consécutive à la catastrophe de Piper Alpha, cette organisation a été accusée de perpétuer des défaillances et de favoriser une certaine collusion entre les différents intervenants. En 2010, le Commissaire européen en charge de l’énergie s’était même déclaré en faveur d’un contrôle des contrôleurs accompagné d’un moratoire sur le forage en eaux profondes.
Toutefois, le projet d’initiative réglementaire formulé par la Commission en octobre 2011 a surtout insisté sur l’homogénéisation des procédures et le durcissement des conditions d’obtention de nouvelles licences, qui incluraient désormais la possibilité financière de couvrir tout accident. Selon l’agence de notation Fitch Ratings, ce montant des provisions pour risques atteindrait 10 milliards d’euros, ce qui ne serait pas sans effet sur les notes des entreprises opérant en mer du Nord. Ces mesures ont donc rencontré une opposition générale, depuis l’industrie – les 200 compagnies représentées par Oil & Gas UK – jusqu’aux syndicats de travailleurs – RMT (National Union of Rail, Maritime and Transport Workers) et Unite the Union – en passant par le gouvernement britannique. Soulignant la qualité de leurs standards, ces acteurs dénoncent le transfert de cette compétence à une nouvelle entité dépourvue d’expérience, au détriment d’une approche pragmatique et concertée au sein du secteur.
À l’évidence, la mobilisation de Greenpeace à l’occasion de la fuite d’Elgin s’inscrit dans sa campagne globale Go Beyond Oil, dirigée notamment contre les risques induits par les projets d’investissements en Arctique. S’appuyant sur un rapport de la compagnie d’assurances Lloyd’s, l’entrepreneur environnemental dénonce cette ruée vers le pôle nord, symbolisée par le projet SDAG (Shtokman Development AG). Rappelons également que l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) craint de nouveaux accidents lors du désengagement des firmes pétrolières de la production en mer du nord. Le coût du démantèlement des 500 plates-formes et des 8 000 puits de cet espace maritime pourrait s’élever à 100 milliards de dollars, selon les estimations de Douglas-Westwood et Deloitte Petroleum Services. Autant d’aspects dissimulés par la course technologique à l’exploitation, stimulée par un marché hautement compétitif avec le soutien des États. Ces expertises alternatives indiquent que la régulation de l’extraction offshore semble davantage structurée par les logiques financières et assurantielles qu’orientée vers la préservation des biens publics mondiaux.
Références
Ravignan Antoine de, « Greenpeace, entre contestation et négociation », L’Economie politique, (18), 2003, pp. 86-96.
Greenpeace International, Annual Report 2010, consultable à l’adresse web : http://www.greenpeace.org [25 avril 2012].
Lloyd’s & Chatham House, Arctic Opening: Opportunity and Risk in the High North, 2012.
Site de Total consacré à l’incident : http://www.elgin.total.com/elgin [1er mai 2012].
Avr 15, 2012 | Biens Publics Mondiaux, Environnement, Multilatéralisme, Passage au crible
Par Valérie Le Brenne
Passage au crible n°65
Pixabay
Sous l’égide du Conseil Mondial de l’Eau, s’est tenu du 12 au 17 mars 2012, à Marseille, le sixième Forum Mondial de l’Eau. Intitulée Le Temps des solutions, cette manifestation triennale a rassemblé plus de vingt mille participants venus de 140 pays. Ces derniers ont traité de toutes les problématiques liées à l’accès à l’eau et à l’assainissement. À cette occasion, les ministres présents ont adopté une déclaration visant à accélérer la mise en œuvre du Droit à l’eau potable reconnu par l’Assemblée Générale des Nations Unies en juillet 2010. Par ailleurs, un dispositif de forum en ligne – la plateforme Solutions for Water – a été inauguré afin de recueillir les diverses propositions citoyennes.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Organisé tous les trois ans depuis 1997, le FME (Forum Mondial de l’Eau) résulte de l’initiative du CME (Conseil Mondial de l’Eau). Créé en 1996, cet organisme indépendant des Nations Unies entend rassembler régulièrement l’ensemble des acteurs possédant des intérêts liés à ce secteur afin de favoriser les débats et les échanges d’expériences. En l’espèce, il s’agit de bâtir une «vision stratégique commune » et d’élaborer collectivement des solutions ad hoc. Établie à Marseille, cette plate-forme multilatérale a obtenu le statut de membre consultatif à l’ECOSOC (Conseil économique et social des Nations Unies) et regroupe, à l’heure actuelle, plus de 300 organisations représentant soixante pays.
Rappelons que depuis les années soixante-dix, le constat de l’épuisement des ressources naturelles a donné lieu à de multiples sommets internationaux sur l’environnement. En 1977, la Conférence de Mar Del Plata a ainsi défini, pour la première fois, l’eau comme un bien commun à l’humanité et alerté sur les risques pesant sur cette ressource. Néanmoins, il faut attendre la Conférence de Dublin, en 1992, pour que soient énoncées les lignes directrices d’une gouvernance mondiale. Ce premier corpus a permis d’adopter le principe de la GIRE (Gestion Intégrée des Ressources en Eau) qui sert désormais de référentiel à l’échelle mondiale. Inspiré du modèle français, ce système repose sur une approche globale de la gestion de l’eau par bassin hydrographique et appelle à une délégation des infrastructures publiques aux opérateurs privés.
Avec le Sommet de Rio, cette conférence a représenté une étape cruciale dans la prise de conscience mondiale de la raréfaction des ressources hydriques. Surtout, elle a permis d’aboutir à un consensus sur la création du Conseil Mondial de l’Eau. En 2000, le Sommet du Millénaire a d’ailleurs renouvelé la mission du CME en inscrivant «l’accès à des sources améliorées en eau potable » aux OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement).
Cadrage théorique
Retenons deux lignes de force :
1. Un multilatéralisme sectoriel : en tant que BPM (Bien Public Mondial), l’eau nécessite la mise en œuvre d’une gouvernance globale. En ce sens, l’organisation régulière de forums mondiaux semble participer à la construction d’un « nouveau multilatéralisme » tel que l’a analysé Robert Cox.
2. L’exportation d’un modèle de gestion : l’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement exige des investissements substantiels que les États fragiles ne semblent pas en mesure d’assumer. De ce fait, le modèle français du PPP (Partenariat Public-Privé) a constitué la solution privilégiée afin d’atteindre les OMD. Néanmoins, un nombre croissant d’ « acteurs hors souveraineté », selon l’expression de James Rosenau, contestent cette approche et dénoncent la marchandisation d’une ressource patrimoniale.
Analyse
La tenue du sixième Forum Mondial de l’Eau traduit le déploiement d’une gouvernance globale qui dépasse le strict cadre étatique. À cet égard, faut-il rappeler que chaque année, 5 millions de personnes sont victimes des maladies causées par la consommation d’eau insalubre, en faisant ainsi la première cause de mortalité dans le monde. Simultanément, l’accroissement démographique, l’augmentation des surfaces irriguées, l’urbanisation et la multiplication des pollutions industrielles contribuent à la raréfaction des ressources hydriques. Par voie de conséquence, la poursuite des Objectifs du Millénaire – qui prévoient « de réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau de boisson salubre » – implique une coopération de l’ensemble des parties prenantes dans le cadre de nouvelles arènes multilatérales.
De plus, l’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en développement nécessite de lourds investissements en matière d’infrastructures. Les négociations menées lors des différentes rencontres multilatérales ont par conséquent conduit à l’adoption du modèle français du Partenariat Public-Privé par de nombreux organismes internationaux. Ce système qui repose sur une conception économique des Biens Publics Mondiaux, incite à une résolution de cette problématique par une plus grande implication des acteurs du marché. Ceci signifie que la non gratuité doit permettre un financement durable des équipements ainsi qu’une responsabilisation des populations à cet enjeu. Soulignons à ce titre que la Banque Mondiale et le FMI (Fonds Monétaire International) conditionnent l’octroi de leurs aides à la mise en œuvre de ce modèle par les États bénéficiaires.
Néanmoins, cette approche demeure contestée par de multiples ONG qui dénoncent la marchandisation de cette ressource dans les pays en développement. Pour ces acteurs, la privatisation produit de nouvelles inégalités car elle implique un coût supplémentaire pour les ménages. En fait, à cette vision économique s’oppose la conception patrimoniale du bien commun, suivant laquelle une forte implication des instances internationales permettrait d’emprunter la meilleure des voies pour le Développement. Autant dire qu’en l’absence de consensus préalable sur la notion de BPM, les processus de négociation demeurent structurés par ce clivage stratégique.
Ainsi assiste-t-on actuellement à un phénomène de convergence des ONG opposées à ce mode de gouvernance. Réunis au sein de coalitions, ces intervenants mutualisent leurs capitaux afin de former de nouvelles arènes, comme le montre la tenue à Marseille du quatrième FAME (Forum Alternatif Mondial de l’Eau) du 14 au 17 mars 2012. En l’occurrence, leurs revendications portent sur la collusion des intérêts publics et privés au sein du CME, dont plusieurs membres appartiennent en effet aux trois majors françaises de l’eau et de l’assainissement. Dès lors, le Forum Mondial de l’Eau représenterait un moyen de porter les intérêts de ces firmes à l’échelle internationale à travers la promotion du modèle PPP. Dénonçant une logique de club, le FAME remet également en cause l’efficience de ce système et souligne les revers qu’il connaît depuis une dizaine d’années en Afrique et en Amérique latine.
Références
Cox Robert W. (Éd.), The New Realism: Perspectives on Multilateralism and World Order, New York, St. Martin’s Press, 1997.
Gabas Jean-Jacques, Hugon Philippe, « Les biens publics mondiaux et la coopération internationale », L’Économie politique, 12 (4), 2001, pp.19-31.
Hugon Philippe, « Vers une nouvelle forme de gouvernance de l’eau en Afrique et en Amérique latine », Revue Internationale et Stratégique, 66 (2), 2007, pp.65-78.
Rosenau James, Turbulence in World Politics : a Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.
Schneier-Madanes Graciela (Éd.), L’Eau mondialisée, Paris, La Découverte, 2010.
Smouts Marie-Claude, « La coopération internationale : de la coexistence à la gouvernance mondiale » in : Smouts Marie-Claude (Éd.), Les Nouvelles relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, pp. 135-160.
Avr 15, 2012 | Afrique, Passage au crible, Sécurité, Terrorisme
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°64
Sahara. Pixabay
Dans un contexte de défaillance du pouvoir malien et de son armée, les rebelles touaregs du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad), agissant en liaison avec les mouvements islamiques ont proclamé unilatéralement l’indépendance de l’Azawad en avril 2012. Cette situation qui conduit à une sécession de fait du Mali, a d’ores et déjà entraîné la fuite de nombreux Maliens du Nord. Tombouctou, La Mecque du sahara est désormais contrôlée par Ansar Dine tandis que des Algériens ont été pris en otages à Gao. Au-delà de ces conflits, c’est toute la région sahélo-saharienne qui est concernée.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Les mouvements touaregs sont anciens. La France coloniale s’est opposée aux guerriers touaregs durant la Première Guerre mondiale, tout en les intégrant dans les Compagnies méharistes sahariennes. À la fin de la IVe république et au début de la Verépublique l’OCRS (Organisation Commune des Régions Sahariennes) avait pour ambition de créer un espace touareg indépendant, notamment pour dissocier de l’Algérie le Sahara riche en hydrocarbures. L’Azawad a été marquée depuis l’indépendance du Mali par des cycles de rébellions, de répression et de négociation. Le régime de Kadhafi a ainsi recruté en 1972 de nombreux Touareg dans sa légion islamique et a périodiquement avivé les tensions, avant de se poser comme négociateur. Cependant, les accords reconnaissant plus d’autonomie et de droits aux Touareg sont généralement restés lettres mortes. Récemment, la chute du régime de Kadhafi a réactivé les antagonismes, en raison du retour au pays des migrants et des mercenaires disposant d’armes lourdes.
On note aujourd’hui une nouveauté quant à l’ampleur et la nature des revendications. En effet, le mouvement du MNLA (3000 hommes très armés) a proclamé l’indépendance en rupture avec les anciennes revendications qui concernaient simplement jusque-là l’égalité des droits, une plus grande autonomie et une moindre marginalisation du Nord-Mali. Pour ce faire, il a été appuyé par les milices islamistes, le mouvement Ansar Dine de Lyad ag-Ghali – qui prône la charia – et le Mujao (mouvement pour l’unicité et le djihad) ayant tous deux des liens avec Aqmi et même, selon certaines sources, Boko Haram.
Cadrage théorique
1. La faiblesse de l’État. La mutinerie des militaires non gradés est vite devenue un putsch avec l’accusation de laxisme, voire de connivence entre le pouvoir politique et les mouvements rebelles. Le président Amadou Toumani Touré a dû rapidement céder la place et le président de l’Assemblée nationale Traoré a été désigné comme chef de l’État de transition. Mais cette crise politico-institutionnelle témoigne en fait et avant tout d’une grande faiblesse de l’État, sinon d’un vide. Dans un pays où l’on observe une explosion démographique aggravée par la sécheresse, sévissent en effet des trafics de toute nature (cocaïnes, automobiles, prises d’otages, armes), des conflits armés (diverses Katibas Aqmi, mouvements touaregs) ainsi que des rivalités minières et pétrolières. Cette situation vulnérabilise à l’extrême des populations livrées à des tensions aussi récurrentes qu’ancestrales (entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, entre descendants de razzieurs et de razziés).
2. La montée en puissance des acteurs non-étatiques. L’arc saharo-sahélien réunit bien conditions pour que des acteurs non-étatiques (tels que le MNLA, Mujao, etc.) très hétérogènes puissent étendre désormais leur emprise.
Analyse
Les Objectifs du MNLA (l’indépendance de l’Azawad), d’Ansar Dine (instaurer la charia au Mali) et de certaines Katibas d’Aqmi (établir un califat de la Mauritanie à la Somalie) diffèrent. A priori, les liens semblent limités entre les salafistes djihadistes d’Aqmi et les Touareg Berbères, rattachés à l’École malékite, ouverte au soufisme des confréries Tidjânyia ou Kandinya et matinée d’animisme. Mais les espaces où sévit Aqmi restent les mêmes que ceux où se déploient les Touareg. Quant à la région Adrar des Ifaghas, elle apparaît comme un sanctuaire pour certaines katibas. Par ailleurs, des connivences d’intérêts existent sans nul doute dans le contrôle des trafics de cocaïnes ou d’armes alors même que certains espéraient que les mercenaires touaregs revenus de Libye se mobiliseraient pour s’opposer à Aqmi.
Les acteurs concernés par la crise malienne apparaissent très diversifiés. L’Algérie ne peut accepter l’indépendance de l’Azawad. Le Nord Niger abrite 700 000 Touareg et est proche du nord Mali. La CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest) est concernée par la dimension régionale du conflit. Elle peut disposer au sein de l’ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group) d’une force de 2000 à 3000 hommes. Toutefois, l’histoire montre la faible efficacité des troupes de la CEDEAO et cette force mettrait du temps pour être efficace, sans compter qu’elle se heurterait à des problèmes de logistique. La France a pour sa part été présente dans le déclenchement de la crise avec les effets collatéraux de l’intervention de l’OTAN en Libye. Elle est jugée proche des mouvances touaregs et directement concernée par le devenir des otages, alors même qu’elle connaît une période électorale. C’est pourquoi, elle a recommandé à ses ressortissants de quitter provisoirement le Mali, sans pour autant intervenir militairement.
Les drames humanitaires sont accrus par les afflux de réfugiés (200000 sur le sol malien et dans les pays voisins, Burkina Faso, Niger, Algérie, en mars 2012) et de déplacés. La désorganisation de la production et l’impossibilité de fonctionnement des actions humanitaires aggravent d’autant la situation. Une mobilisation de l’aide internationale apparaît donc urgente. L’indépendance de l’Azawad n’a pas de légitimité mais la sécession de fait sera durable. Néanmoins, les solutions semblent moins militaires que diplomatiques et économiques.
Références
Boiley Pierre, Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes du Soudan français au Mali, Paris, Karthala, 1999
Bourgeot André (Éd.), Horizons nomades en Afrique sahélienne, Paris, Kathala, 1999.
GEMDEV, Mali-France. Regards pour une histoire partagée, Paris Karthala, 2005
Hugeux Vincent, Thilay Boris, « Les 12 plaies du Mali », L’express, 11-17 avril 2012
Hugon Philippe, Géopolitique de l’Afrique, Paris, SEDES, 3e ed. 2012.