Multi-Nodal Politics: Globalisation is What Actors Make of it

Par Philip G. Cerny

Review of International Studies (2009), 35, 421–449 Copyright _ British International Studies Association
doi:10.1017/S0260210509008584

Abstract

What has been traditionally conceptualised as ‘the international’ has been undergoing a fundamental transformation in recent decades, usually called ‘globalisation’. Globalisation is a highly contested concept, and even among those who accept that some sort of globalisation process is occurring, attempts to analyse it have focused on a range of structural explanations: the expansion of economic transactions; the development of transnational or global social bonds; and the emergence and consolidation of a range of semi-international, semi-global political institutions. In all of these explanations, the role of actors as agents strategically shaping change has been neglected. In this article I argue that structural variables alone do not determine specific outcomes. Indeed, structural changes are permissive and can be the source of a range of potential multiple equilibria. The interaction of structural constraints and actors’ strategic and tactical choices involves a process of ‘structuration’, leading to wider systemic outcomes. In understanding this process, the concepts of ‘pluralism’ and ‘neopluralism’ as used in traditional ‘domestic’-level Political Science can provide an insightful framework for analysis. This process, I argue, has developed in five interrelated, overlapping stages that involve the interaction of a diverse range of economic, social and political actors. Globalisation is still in the early stages of development, and depending on actors’ choices in a dynamic process of structuration, a range of alternative potential outcomes can be suggested.

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PAC 71 – L’échec d’un multilatéralisme sans contraintes Le sommet Rio+20, 20-22 juin 2012

Par Clément Paule

Passage au crible n°71

Rio de Janeiro - RJ, 20/06/2012. Presidenta Dilma Rousseff posa para foto oficial da Conferência das Nações Unidas sobre Desenvolvimento Sustentável (Rio+20). Foto: Roberto Stuckert Filho/PRSource : Wikipedia

Du 20 au 22 juin 2012, la métropole brésilienne de Rio de Janeiro a accueilli la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (United Nations Conference on Sustainable Development). Rassemblant plus de 40 000 participants – représentant aussi bien les firmes transnationales, les agriculteurs et les peuples indigènes que les collectivités locales, les ONG, les scientifiques ou les syndicats –, l’événement aurait attiré près de 130 chefs d’État et de gouvernement. Aboutissement d’une longue phase de négociations entamée en 2010, cette rencontre devait relancer les problématiques environnementales sur l’agenda international et définir à moyen terme les objectifs des acteurs impliqués. De nombreuses thématiques y ont été abordées, depuis la réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’aux menaces sur la biodiversité en passant par la déforestation ou l’urbanisation sauvage. La conférence a ainsi conduit à la publication d’un texte de 49 pages intitulé L’avenir que nous voulonsThe Future We Want – dont les 283 points précisent les perspectives et les engagements – environ 700 – des parties signataires. Par ailleurs, le Secrétaire général des Nations Unies a pu évoquer un succès consacrant l’union du secteur privé et de la société civile afin de réconcilier la prospérité économique et la sauvegarde des BPM (Biens Publics Mondiaux).

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Remarquons que ces assemblées mondiales ont lieu tous les dix ans depuis la première Conférence des Nations Unies sur l’environnement qui s’était déroulée à Stockholm du 5 au 16 juin 1972. Ce processus de création normative s’est en effet poursuivi à Nairobi en 1982, à Rio en 1992 et à Johannesburg en 2002. Ces réunions aux résultats inégaux ont permis l’établissement du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) en 1972 et la mise en place de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) vingt ans plus tard. Soulignons dès lors les avancées du Sommet de la Terre de 1992, qualifié par ses organisateurs de moment historique pour l’humanité, dans la prise de conscience des menaces pesant sur l’environnement. En témoignent l’adoption de l’Agenda 21 et la signature de deux conventions contraignantes concernant la lutte contre le réchauffement climatique et le maintien de la biodiversité. En 1997, le Protocole de Kyoto – entré en vigueur en 2005 – visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre et confirmait la dynamique de renforcement de la coopération internationale sur ce thème.

Cependant, le fiasco de la quinzième COP (Conférence des parties) à Copenhague en 2009 a été perçu comme un coup d’arrêt dans la mesure où les États-Unis et la Chine sont parvenus à bloquer les pourparlers. L’année suivante, le sommet de Cancún a en revanche donné des signes positifs en matière de multilatéralisme, avec notamment l’idée d’un Fonds vert pour aider les PED (Pays en développement) désormais plus impliqués. Dans cette perspective, Rio+20 était appréhendé comme sommet symbolique et décisif dans la poursuite de l’effort entrepris en 1992.

Cadrage théorique

1. Le naufrage attendu d’une gouvernance fragmentée. Le scepticisme affiché au sujet de la conférence avant même son ouverture montre toute la difficulté des tractations au sein d’une assemblée organisée autour du clivage Nord-Sud ; ceci qui paraît fonctionner a posteriori comme une prophétie autoréalisatrice pesant sur les anticipations des acteurs.
2. L’économie verte et la marchandisation des BPM. Nouvel avatar du développement durable, l’économie verte constitue l’une des principales propositions des pays industrialisés pour associer la sauvegarde de l’environnement avec la logique capitaliste. Or, ce concept a fait l’objet de stigmatisations diverses émanant d’une coalition hétérogène de participants contestataires.

Analyse

Quelques heures avant l’inauguration et l’arrivée des chefs d’État et de gouvernement, les négociateurs ont achevé de rédiger la déclaration finale afin d’éviter la répétition des errements de Copenhague. Rappelons cependant qu’au début du mois de juin 2012, les délégués n’avaient validé qu’un quart des 283 paragraphes retenus par la suite. Cette précipitation semble avoir tout autant limité l’horizon des possibilités offertes par la rencontre que l’improvisation régnant lors de la 15e COP à la fin de l’année 2009. En ce qui concerne les avancées du texte, de nombreux commentateurs ont salué la mise en place des ODD (Objectifs pour le Développement Durable), composantes environnementales des OMD (Objectifs Millénaires du Développement). En revanche, le document a surtout été critiqué pour ses insuffisances : d’une part, l’échec du projet d’OME (Organisation Mondiale de l’Environnement) est désormais avéré. Soutenue par l’Union européenne, cette initiative visait à réformer la gouvernance mondiale de l’environnement, actuellement incarnée par le PNUE et les AME (Accords Multilatéraux sur l’Environnement). D’autre part, si les signataires affirment la promotion de l’économie verte, force est de constater l’absence d’une définition claire de ce concept prôné par les pays du Nord. Autrement dit, le produit de longs mois de tractations se révèle décevant pour les activistes engagés dans la défense de l’environnement.

Pour l’heure, s’il paraît difficile de dresser un bilan exhaustif de l’événement, remarquons que la grande majorité des acteurs avaient exprimé leur scepticisme dans les semaines précédant la conférence internationale. Le déroulement de Rio+20 atteste en effet d’une configuration diplomatique stabilisée autour du clivage Nord-Sud – les pays industrialisés face au Groupe des 77 et de la Chine qui compte aujourd’hui 132 membres – au sein duquel le Brésil a tenté de s’imposer comme médiateur et arbitre. Ce qu’illustre la problématique récurrente de la responsabilité commune mais proportionnelle qui a été à nouveau débattue sans avancée manifeste. Si un accord a été formalisé in extremis sous l’égide du pays organisateur, le multilatéralisme sans contraintes – qui avait grevé l’assemblée de Copenhague fin 2009 – se trouve confronté à un manque patent de leadership. Dans cette perspective, les longues négociations s’apparentent davantage à une série de conflits hâtivement résolus qu’à l’élaboration concertée d’un dispositif à l’échelle mondiale. La cristallisation des rapports de force semble avoir été renforcée par la crise économique – en particulier dans la zone euro – incitant au statu quo et aux réticences envers tout engagement financier à moyen terme. Soulignons à ce titre les absences notables de Barack Obama, Angela Merckel ou David Cameron pourtant présents les 18 et 19 juin 2012 au Mexique pour le G20. Le jeu croisé des anticipations de l’ensemble des participants prend ici tout son sens, dans la mesure où la faillite annoncée du sommet agit comme une prophétie autoréalisatrice. À l’évidence, le consensus final ne peut être qu’a minima, affirmant formellement la poursuite du mouvement amorcé vingt ans plus tôt et accréditant les accusations d’immobilisme.

Qualifié d’échec épique par Greenpeace, Rio+20 a en outre suscité de multiples mobilisations contestataires qui se sont caractérisées par leur hétérogénéité. Ainsi, la pétition lancée par des artistes et célébrités hollywoodiennes pour la sanctuarisation du Pôle Nord a bénéficié d’une grande visibilité médiatique, les ONG et associations écologiques dénonçant la prédominance des logiques économiques sur le processus. À cet égard, les pays producteurs de pétrole, à l’instar du Canada et du Venezuela, ont refusé la réduction des subventions accordées aux énergies fossiles. Plus encore, le lobbying des multinationales a été décelé dans la généralisation de mécanismes mercantiles comme outils de régulation environnementale, dans la lignée des marchés de carbone créés par le Protocole de Kyoto. C’est alors que le concept d’économie verte apparaît comme un compromis ambigu dans lequel il s’agit de protéger les BPM en les rentabilisant, c’est-à-dire en les intégrant aux structures de domination. Cette posture critique a été défendue par certains acteurs du Sud, au premier rang desquels les présidents bolivien et équatorien stigmatisant une forme déguisée de néocolonialisme sous couvert de préoccupations écologiques. Les mobilisations des peuples indigènes – particulièrement visibles au Brésil et en Amérique du Sud où leur existence a souvent été menacée par les projets de développement – ont abondé dans ce sens en dénonçant la prédation incontrôlée des ressources au détriment des pratiques locales. Dès lors, la préservation des BPM se révèle plus que jamais encastrée – embedded – dans l’ordre économique prédominant au niveau global, en l’absence de réinvention d’un modèle qui a atteint ses limites.

Références

Déclaration finale du sommet Rio+20 intitulée The Future We Want, consultable à l’adresse web : http://www.uncsd2012.org [30 juin 2012].
Jacquet Pierre, Tubiana Laurence, Pachauri Rajendra K. (Éds.), Regards sur la Terre 2009. La gouvernance du développement durable, Paris, Presses de Sciences Po, 2009. Coll. « Annuels ».
Site de l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) : http://www.iddri.org [1er juillet 2012].
Uzenat Simon, « Un multilatéralisme sans contraintes. Les engagements des États dans le cadre de Copenhague », Passage au crible (15), 18 fév. 2010.

PAC 70 – Une crise glocalisée La dénonciation de la situation alimentaire au Yémen

Par Armand Suicmez

Passage au crible n°70

Pixabay, Yémen

Le 23 mai 2012, sept ONG ont publié un communiqué de presse informant de la famine qui sévit actuellement au Yémen. Dans un contexte de guerre civile et de déplacements massifs de populations, près de la moitié des habitants est concernée par cette crise, dont une grande majorité d’enfants. Dans ce cadre, l’aide d’urgence est jugée insuffisante par les acteurs du développement.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Issu, en 1990, de l’unification des deux Républiques – arabe au nord et démocratique populaire au sud, idéologiquement marxiste –, le Yémen, qui est situé au sud ouest de la péninsule arabique, reste confronté à d’importants troubles entre les anciennes parties, méridionale et septentrionale. Pourtant, la découverte de gisements pétrolifères et gaziers à la fin de années quatre-vingt laissait présager une embellie de l’économie, même si l’État n’est ni membre de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole), ni de l’OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole). Cependant, si l’exportation des matières premières énergétiques représente aujourd’hui 70% du PIB, le manque d’infrastructures ne permet pas une exploitation efficace.

En 2007-2008, la flambée de la valeur des produits agricoles a entraîné de nombreuses crises dans les régions les plus pauvres du monde, mais aussi parmi les pays industrialisés. Cette situation qui est due à la diminution des terres arables – principalement en Asie, à l’urbanisation massive et aux besoins croissants des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud) a alors incité le Chicago Board of Trade et d’autres arènes financières à spéculer sur des denrées de base comme les céréales et les produits laitiers.

Le Yémen avec une PPA (Parité Pouvoir d’Achat) de 2 500 dollars par habitant et par an, est classé par l’ONU au 173e rang mondial en termes de développement humain. La volatilité de plus de 70% des prix relatif aux denrées de base oblige désormais les Yéménites à dépenser près de 80% de leur salaire journalier pour s’alimenter dans une zone déjà considérée comme l’une des plus pauvres du monde.

Sur un territoire où 43% des habitants ont moins de 15 ans, les principales victimes restent les enfants que « les mères retirent de l’école pour aller mendier dans la rue ». Les ONG Oxfam, Save the Children et Care dénoncent la situation absurde dans laquelle se trouve le Yémen car de la nourriture demeure disponible sur les marchés locaux. Or, du fait d’une cotation trop élevée, la moitié de la population ne dispose pas de suffisamment d’argent pour s’alimenter.

Les conflits et/ou alliances entre indépendantistes, tribus et AQPA (Al-Qaïda pour la Péninsule Arabique) forcent, par ailleurs, des civils à des déplacements massifs, si bien que près de 500 000 personnes vivent dorénavant en exode. D’après le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés), la multiplication des camps de réfugiés a pour effet d’aggraver la pauvreté des Yéménites et d’accroître considérablement la violence. Les acteurs présents sur le terrain dénoncent notamment le manque de moyens, surtout lorsque l’on sait que sur les 447 millions de dollars demandés par les Nations Unies pour assurer une aide humanitaire, seuls 43% du montant sont parvenus en dons.

Cadrage théorique

1. La spéculation sur les denrées alimentaires. Souvent associées aux transactions monétaires, des bulles se forment autour des biens consommables, ce qui provoque une hausse des prix. Des placements à risques, opérés au sein des principales arènes financières, entraînent alors une raréfaction des produits et l’aggravation des famines dans des États en développement.
2. L’émergence d’un régionalisme islamique. Face à l’endiguement des pays occidentaux, la construction d’une communauté islamique, comme alternative à la domination du Nord, se trouve confortée. Cependant, dans cette zone hétérogène, le leadership de ce référent symbolique est disputé entre des pays émergents et des puissances régionales plus classiques.

Analyse

Dès 2007, une crise alimentaire d’envergure mondiale frappe à la fois les nations industrialisées et des PMA (pays moins avancés) comme le Yémen. Des causes structurelles, dues à des transformations sociétales, expliquent l’augmentation de la demande et une diminution simultanée de l’offre. Ces effets sont aggravés par l’action des financiers qui y voit une nouvelle fenêtre d’opportunités. Cette mutation conduit à une élévation de la rente versée aux actionnaires.

Auparavant, l’achat à terme (titres papiers) et le stockage des produits de base, ont engendré une flambée des valeurs qui a fait passer le blé de 145 à 230 dollars la tonne. Le gonflement des tarifs semble dès lors d’autant plus difficile à supporter, dans des régions où les faibles revenus obligent les habitants à consacrer la totalité de leur salaire quotidien à la consommation. Ce constat est établi par les ONG qui assurent la veille informationnelle sur le terrain. D’après elles, une telle volatilité paraît clairement artificielle car les produits ne sont pas si rares. En revanche, leurs tarifs demeurent en inadéquation avec les ressources de la population.

Ce mixing micro-macro des acteurs en présence, montre une conjoncture totalement globalisée. En effet, des décisions prises au sein des instances de la finance mondiale induisent une incidence directe sur les villages yéménites les plus isolés. Or, ces dommages collatéraux sont imputés par les courants islamistes aux défaillances du système occidental, ce dernier étant largement désavoué au profit du modèle alternatif qu’ils cherchent à promouvoir. Ce changement de leadership mobilise dès lors deux paramètres capitaux. D’une part, il renvoie au pacte sur les traditions islamiques et relève d’autre part de l’aide au développement. S’agissant du cas yéménite, l’Arabie Saoudite mobilise ces deux leviers dans le but de s’imposer sur ce territoire. À titre d’exemple, rappelons que de récentes discussions onusiennes se sont tenues pour lever des fonds et endiguer ainsi la crise humanitaire sévissant au Yémen. Or, sur les quatre milliards de dollars débloqués, 3,25 milliards l’ont été par l’Arabie Saoudite, contre seulement 200 millions alloués par l’Union Européenne.

Finalement, cette situation témoigne de l’interdépendance complexe existant entre des données religieuses, sociétales et économiques. Il est clair que le Yémen, où vivent 55% de sunnites et 45% de chiites, représente désormais un enjeu de domination pour les puissances régionales. Parmi elles, l’Arabie Saoudite – hegemon traditionnel – tente de s’octroyer un rôle qui lui est contesté par la Turquie, déjà très implantée dans cette partie du monde.

Références

Le Monde.fr, Le Yémen touché par une grave crise alimentaire, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/05/23/le-yemen-touche-par-une-grave-crise-alimentaire_1705873_3218.html, dernière consultation : le 11 juin 2012.
Oxfam, Yemen on Brink of Hunger Catastrophe Aid Agencies Warn, http://www.oxfam.org.uk/media-centre/press-releases/2012/05/yemen-on-brink-of-hunger-catastrophe-aid-agencies-warn, dernière consultation : 12 juin 2012.
Ravignan Antoine de, « Agriculture : pourquoi ça flambe ? », Alternatives Économiques, (305), sept.2009, p.52.
Piromallo-Gambaderlla Agata, « La communauté entre nostalgie et utopie », Sociétés, (87), janv. 2005, pp. 65-73.
Hibou Béatrice, « Le réformisme, grand récit politique de la Tunisie contemporaine », Revue d’histoire moderne et contemporaine, (56), mai 2009, pp. 14-39.
Rosenau James N., Turbulence in World Politics: a Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.

PAC 69 – Les paradoxes du marché cinématographique en Chine Le rachat d’AMC par le groupe chinois Wanda, le 21 mai 2012

Par Justin Chiu

Passage au crible n°69

Wikipédia

Le 21 mai 2012, le groupe chinois Wanda rachète AMC (American Multi-Cinema), le deuxième opérateur de salles de cinéma nord-américain. Détenant déjà 730 écrans en Chine, le groupe en acquiert 5034 de plus avec cette nouvelle filiale. Il devient ainsi le numéro un mondial du cinéma.

Cette acquisition pour un montant de 2,6 milliards de dollars (2 milliards d’euros) a fait grand bruit. Pourtant, pour de nombreux observateurs, elle ne permettrait pas au groupe chinois d’en tirer profit dans l’immédiat. En effet, depuis la crise, les recettes en salles aux États-Unis continue de reculer et l’AMC affichait en 2011 une perte nette de 82 millions de dollars. Par ailleurs, l’acquisition ne change en rien le fonctionnement d’AMC. Convaincu que cette firme deviendra bientôt bénéficiaire, Wanda l’aidera à rembourser ses dettes et à moderniser ses équipements en lui apportant 500 millions de dollars. En revanche, ne disposant pas d’assez de liquidités, Wanda a pris le risque d’emprunter pour investir. La question se pose donc de savoir quels sont les objectifs du groupe chinois à long terme.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Fondé en 1988 à Dalian au nord-est de la Chine par Wang Jianlin, le groupe Wanda s’est initialement développé dans le secteur immobilier. En 2011, son chiffre d’affaires s’élève à 105,1 milliards de yuans (13 milliards d’euros) dont 95,3 milliards de yuans (11,8 milliards d’euros) uniquement pour l’immobilier commercial. Le produit-phare du groupe – Wanda Plaza, méga-construction réunissant un centre commercial, un centre de loisirs, des hôtels de luxe et des bâtiments de bureaux – est très apprécié par les collectivités territoriales. Effectivement, des Wanda Plaza pourraient être construites sous un délai de dix-huit mois, ce qui permettrait aux responsables locaux d’atteindre l’objectif de développement urbain fixé par l’État ; d’autant plus que ces dernières années, les chantiers du groupe s’étendent jusqu’aux villes moyennes du pays. De plus, étant membre de la Conférence consultative politique du peuple de Chine, le dirigeant Wang Jianlin dispose incontestablement de facilités pour obtenir des permis de construire.

Cependant, le développement de l’économie chinoise ralentit tandis que le prix de l’immobilier baisse. Wanda annonce une prévision de croissance de 11% pour 2012, autrement dit, nettement plus faible par rapport aux trois années précédentes (40%). En 2011, la valeur des actifs globaux du groupe a atteint 203 milliards de yuans (25,2 milliards d’euros), dont uniquement 20,5 milliards de yuans (2,5 milliards d’euros) d’actifs nets. Ceci signifie que le ratio d’endettement du groupe chinois s’élève à 89,9%.

Afin de diversifier désormais ses activités, Wanda investit dans le domaine des industries culturelles depuis 2005. Rappelons qu’en Chine, ce dernier est devenu priorité nationale comme en témoignent la tenue de nombreux débats portant sur le soft power. Soutenu par l’État avec la garantie de taux d’intérêt faible, depuis 2010, Wanda signe des accords de partenariat avec quatre grandes banques nationales – la Banque de Chine, la Banque agricole de Chine, la China Exim Bank et la China Construction Bank – pour qu’elles soutiennent ses initiatives dans la filière audiovisuelle et le tourisme à l’international.

Cadrage théorique

1. La financiarisation des industries culturelles. À l’échelle mondiale, les fusions-acquisitions s’inscrivent depuis deux décennies dans une stratégie entrepreneuriale permettant d’obtenir rapidement des parts de marché, des technologies et un circuit optimal de distribution des produits. Marquée par la concentration de l’offre et la financiarisation des échanges, la mondialisation de la communication a favorisé un développement capitalistique du secteur des médias. Soutenus par la finance mondiale, les capitalistes culturels se lancent à présent dans la conquête de nouvelles parts de marché.
2. La construction d’une réputation mondiale. L’analyse de Robert Jervis nous permet d’appréhender la notion de réputation comme un processus de construction sociale. En fait, si un acteur consacre beaucoup d’effort pour soigner son image, c’est parce qu’il est convaincu que grâce à celle-ci, il pourra bénéficier d’une ressource plus importante à l’avenir. Dans cette perspective, le rachat d’AMC ne doit pas être simplement analysé comme une simple décision financière. Il s’agit aussi d’une opération symbolique grâce à laquelle Wanda peut gagner une plus grande visibilité et capitaliser une meilleure réputation sur le plan international, même s’il doit, pour ce faire, prendre des risques.

Analyse

Avec sa récente acquisition Wanda entend prendre la place de numéro un mondial, plus que d’accroître ses bénéfices sur les marchés nord-américains. D’autant que son coût extrêmement élevé a créé un effet de surprise. La capacité financière du groupe chinois a non seulement augmenté sa visibilité à l’échelle mondiale mais elle a aussi contrarié ses concurrents à l’intérieur du pays. Néanmoins, cela demeure un pari risqué car Wanda ne dispose pas de liquidités suffisantes et doit avoir recours au crédit. L’essentiel pour cette entreprise reste d’acquérir le mode de management d’AMC et de s’approprier ses expériences dans l’installation des écrans IMAX. C’est en fait au marché chinois que le groupe aura à appliquer ces précieux savoir-faire. Par un acte symbolique et de dimension internationale, Wanda vise donc paradoxalement le marché florissant du cinéma en Chine.

En 2011, le marché du cinéma a augmenté dans ce pays de 28,93%, atteignant ainsi 13,12 milliards de yuans (1,63 milliard d’euros). Pour soutenir la croissance du secteur, il faudrait par conséquent que l’offre légale de films soit suffisante et que la construction de salles de cinéma se poursuive. Le 17 février 2012, lors de sa visite officielle aux États-Unis, le vice-président chinois Xi Jingpin a signé un accord autorisant l’importation supplémentaire de quatorze films en 3D ou au format IMAX, sans pour autant relever le quota annuel de vingt films étrangers. En réaction, le 24 mars 2012, Wanda a conclu un pacte de partenariat avec la firme canadienne IMAX pour qu’elle intervienne en exclusivité dans la construction de nouvelles salles en Chine. Après le rachat d’AMC, cet événement fait suite à l’introduction en bourse –à Shanghai – de Wanda Cinema Line. Les perspectives semblent apparemment de plus en plus favorables pour le groupe chinois. Toutefois, la réalité s’avère plus complexe et l’analyse demande à être nuancée. En effet, Wanda a dû négocier laborieusement avec ses différents partenaires publics ou privés et, les négociations avec AMC, par exemple, se sont déroulées pendant deux ans. En fait, le principal atout de Wanda réside dans les bonnes relations qu’il entretient avec les autorités chinoises et dans l’alliance conclue ses divers partenaires.

Alors que le marché du cinéma prospère en Chine, l’avenir de l’industrie cinématographique demeure incertain dans ce pays. Car même s’il produit 558 long-métrages en 2011, les vingt films américains ont cumulé à eux seuls 46,39% des recettes nationales. Incontestablement, Hollywood fait figure de référence ou même de valeur sûre pour les publics chinois. Finalement, contre toute attente, plus le marché chinois s’étend, plus la domination d’Hollywood s’accentue.

Références

Bohas Alexandre, Disney. Un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 2010. Coll. Chaos International.
Braudel Fernand, La Dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2008.
Caixin – China Economics & Finance, « 万达50亿美元收购资金何来?», [D’où viennent les 50 milliards de dollars de Wanda pour les acquisitions ?], le 11 juin 2012, à l’adresse web : http://magazine.caixin.com/2012-06-08/100398578.html
China National Radio, « 2011年中国电影产量和票房收入均创历史新高 », [La production cinématographique et les recettes en salles en Chine battent les records historiques en 2011], consulté le 15 juin 2012, à l’adresse web: http://www.cnr.cn/gundong/201201/t20120111_509046175.shtml
Cerny Philip G., Rethinking World Politics, A Theory of Transnational Neopluralism, New York, Oxford University Press, 2010
Jervis Robert, The Logic of Images in International Relations, New York, Columbia University Press, 1989.
Le site officiel du groupe Wanda : http://www.wanda.cn
Thibault Harold, « Wang Jianlin fait du groupe chinois Wanda le numéro un mondial des cinémas », Le Monde, 23 mai 2012.

PAC 68 – L’intrusion virtuelle comme mode d’intervention politique Les attaques protestataires d’Anonymous

Par Adrien Cherqui

Passage au crible n°68

AnonymousSource: Wikimedia

Anonymous fait régulièrement la une des journaux. Le 21 mai 2012, des individus se revendiquant d’Anonymous ont dérobé au Département d’État américain de la Justice, puis publié sur The Pirate Bay, 1,7 giga-octets de données contenant notamment des emails internes. Fort de sa grande visibilité médiatique, Anonymous ne cesse de multiplier ses manifestations depuis plusieurs mois.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Anonymous a vu le jour sur l’imageboard www.4chan.org en 2006. Site permettant le partage d’images sans enregistrement préalable. Sous le pseudonyme générique Anonymous, un nombre croissant d’internautes et de manifestants a pris part, au début de l’année 2008, à une série de protestations contre l’Église de Scientologie. Celle-ci tenta alors de supprimer de l’Internet une vidéo prosélyte dans laquelle intervenait l’acteur Tom Cruise. Cette série d’agissements appelée Projet Chanology a marqué l’entrée en politique d’Anonymous. Ses combats se sont ensuite multipliés au gré de l’actualité internationale. En décembre 2010, soutenant WikiLeaks et répondant aux mesures de rétorsion concernant cette association, Anonymous s’est lancé dans une cyber-vendetta portant le nom d’Operation Payback. Depuis, celle-ci a pris la forme d’attaques par déni de service (DDoS) à destination des entreprises ayant interrompu les services qu’elles mettaient à la disposition de Julian Assange1. Le Printemps arabe a également fait l’objet d’un soutien de la part d’Anonymous et de Telecomix. Plus récemment, Anonymous a mené des opérations visant à dénoncer la fermeture du site MegaUpload et la mise en place du Stop Online Piracy Act (SOPA) ainsi que du Protect IP Act (PIPA) et de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA). Cette pluralité d’interventions et la multiplicité des cibles – qu’elles soient publiques ou privées – n’est pas sans lien avec l’hétérogénéité caractérisant le mouvement.

Cadrage théorique

1. Un réseau transnational. Acteurs de la scène mondiale, les Anonymous s’établissent de manière réticulaire en facilitant les relations entre les acteurs non-étatiques. Ces connexions favorisent une mobilisation accrue grâce au maintien simultané de liens faibles et forts (Mark Granovetter) donnant accès à plusieurs structures sociales à la fois.
2. Une communauté imaginée d’activistes. Avec ce concept de Benedict Anderson, nous appréhendons mieux les liens unissant un agrégat de personnes ne visant pas nécessairement des objectifs communs. En revanche, elles partagent un répertoire d’action et des représentations fondés sur un rejet de toute hiérarchie. C’est pourquoi elles privilégient les rapports horizontaux.

Analyse

La démocratisation de l’Internet et le maintien de la liberté d’expression sur le cyberespace demeurent des enjeux de lutte fondamentaux pour des entités tels que Telecomix ou Anonymous. À l’heure où chacun peut s’exprimer anonymement sur l’Internet, l’information devient une cause pour laquelle de nombreux militants combattent. La multiplication de l’accès à l’Internet et l’émergence de nouvelles formes de contact via des espaces de sociabilité numérique favorisent l’expansion de réseaux d’individus.

Les Anonymous prennent part à ce phénomène. Devenu un lieu privilégié de débat, l’Internet a su être utilisé sous différentes formes et a contribué à la mise en place d’une évolution du répertoire d’action collective. La diversité des Anonymous et leur réticularité facilitent la recrudescence des protestations. Alliance de hackers, de script kiddies, ou de simples activistes refusant tout leadership et favorisant des formes d’autogestion, Anonymous fournit un outil permettant de fédérer et de faire coopérer un large spectre de partisans. Comparable à une nébuleuse d’intérêts et de causes, Anonymous opère comme un label susceptible d’accroître la dimension symbolique et la légitimité des opérations entreprises. Soulignons à cet effet que l’emploi des mêmes procédés de diffusion de vidéos sur l’Internet participe à l’économie médiatique des combats menés. Illustrations de l’atomisation libérale, les Anonymous arrivent ainsi à reconstruire, grâce à la technologie, un nouvel espace de résistance. Issu d’un monde dématérialisé, Anonymous tend à employer tout à la fois une série de moyens dits classiques – tels que la manifestation ou le raid –, mais également des méthodes comme le hacking, ou le dephacing.

Empreint de cyberculture, Anonymous se développe en partie sur un terreau idéel en faveur de la liberté d’expression. La contestation de la régulation de l’Internet en constitue à cet égard l’une des principales bases idéologiques. Par ailleurs, l’un des traits les plus saillants d’Anonymous réside dans la circulation transnationale des idées et des pratiques. Ce faisant, on remarque que le développement des réseaux sociaux et d’Internet Relay Chat utilisés par ces derniers joue un rôle fondamental en participant à la création de cyberespaces et à la synchronisation de nombreux groupes revendiquant leur appartenance à Anonymous. Mentionnons à ce titre combien la création de sites internet communautaires apparaît vectrice de valeurs communes. Aussi, bien qu’il s’agisse d’un réseau global, les causes défendues s’inscrivent dans un environnement local : des problèmes locaux sont globalisés par le biais des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les acteurs locaux s’inscrivent alors dans des transactions locales-globales les transformant en sujets politiques à échelles multiples. On retrouve ici l’imbrication d’échelles au cœur de la mobilisation soulignée par Saskia Sassen. À titre d’exemple, rappelons que des personnes se revendiquant d’Anonymous, extérieures aux pays signataires du traité ACTA, sont intervenues aux côtés d’autres Anonymous, révélant alors la transnationalité du mouvement et l’interdépendance de ces protagonistes.

Renforcé par une amplification de communications transnationales, Anonymous s’apparente à une communauté imaginée transcendant les frontières. Désormais, Anonymous offre à certains citoyens les moyens de contester l’action des gouvernements. À l’évidence, les Etats ne peuvent plus ignorer les Anonymous, tant leur présence s’inscrit dans une dimension mondiale.

Références

ANDERSON Benedict, L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte 2002.
BARDEAU Frédéric, DANET Nicolas, Anonymous : Pirates informatiques ou altermondialistes numériques ?, Paris, FYP, 2011.
DEVIN Guillaume (Éd.), Les Solidarités transnationales, Paris, L’Harmattan, 2004, Coll. Logiques politiques.
GRANJON Fabien, L’Internet militant : Mouvement social et usage des réseaux télématiques, Paris, Apogée, 2001. Coll. Médias et nouvelles technologies.
ROSENAU James, People Count! Networked Individuals in Global Politics, Boulder, Paradigm, 2008, Coll. International Studies Intensives.
SASSEN Saskia, La Globalisation. Une sociologie, Paris, Gallimard, 2009.

1 Attaque informatique visant à rendre inaccessible un site par un nombre important de connexions simultanées sur ce dernier.