Mar 14, 2013 | Ouvrages, Publications
Michel-Olivier Lacharité
Préface de Jean-Hervé Bradol
La guerre de Saada (2004-2010) opposant le gouvernement yéménite au mouvement armé houthiste s’est déroulée également sur le plan médiatique. Les combats ont ainsi été représentés différemment suivant les belligérants et les États impliqués, au premier rang desquels le Qatar. Dans ce contexte, Médecins sans frontières a tenu à apporter des secours médicaux aux populations et à témoigner du sort des victimes. Mais cette démarche est entrée en confrontation avec les intérêts des parties prenantes. Cette étude de sociologie des relations internationales est fondée sur l’expérience directe que l’auteur a vécue au sein de MSF. Elle met en exergue les revendications identitaires des acteurs du conflit et relativise la portée des prises de parole de cette ONG sur la conduite des hostilités.
Michel Olivier Lacharité travaille au sein de Médecins sans frontières depuis 2004 où il est actuellement responsable de programmes. Il a notamment effectué des missions en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Soudan et au Tchad. Il a fait partie de l’équipe de coordination des programmes de MSF pour le Yémen de 2007 à 2011.
Jean-Hervé Bradol est médecin, diplômé de médecine tropicale, de médecine d’urgence et d’épidémiologie médicale. Il a été président de MSF de 2000 à 2008. Il est actuellement directeur d’études au CRASH (Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires) de la Fondation MSF.
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Fév 22, 2013 | Articles, Fil d'Ariane, Publications
Par Florent Bédécarrats
CEMCA. TRACE 52, dec. 2007
Résumé
Cet article est une synthèse critique du rapport « Políticas públicas y servicios financieros rurales en Mesoamérica » réalisé par Michelle Deugd, Hans Nusselder, Iris Villalobos et Ignacio Fiestas. Le document analysé consiste en une étude comparative dans cinq pays mésoaméricains (Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras et Nicaragua) de l’articulation entre politiques publiques de promotion des services financiers ruraux et politiques publiques de développement rural. Après avoir présenté un panorama détaillé des situations nationales, les auteurs montrent qu’il existe des schémas récurrents de désarticulation entre les interventions publiques étudiées. Sur la base de leur diagnostic, ils présentent des propositions pour une meilleure intégration de ces cadres politiques. On met ici en avant les précieux apports de cette recherche qui permettent une bonne compréhension d’architectures institutionnelles complexes. On relève aussi certaines approches qui n’ont pas été prises en compte par les auteurs et qu’il faudrait explorer pour avoir une vision plus complète de la problématique.
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Fév 12, 2013 | Constructivisme, Passage au crible, Sécurité
Par Thomas Lindemann
Passage au crible n°85
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La Corée du Nord vient de procéder, ce 12 février 2013, à un nouvel essai nucléaire. Il s’agit du troisième après ceux de 2006 et de 2009. L’ONU annonce une réunion d’urgence du Conseil de sécurité.
Le 12 décembre 2012, ce pays avait déjà lancé un missile, en présentant l’opération comme le lancement d’un simple satellite. Ce tir avait été sanctionné par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le 25 janvier 2013, la Corée du Nord avait même menacé la Corée du Sud d’une attaque militaire si cette dernière se joignait aux sanctions économiques de l’ONU. Bien que les mesures – le gel des avoirs de certains de ses ressortissants et de ses firmes présentes à l’étranger – aient été modérées à la demande de la Chine, les réactions nord-coréennes ont été très violentes.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Aidée par l’Union soviétique, la Corée du Nord est apparue après la Deuxième Guerre mondiale dans l’opposition à l’ancien occupant japonais. Puis, son régime s’est émancipé progressivement de ses protecteurs soviétiques et chinois et a développé un système politique aussi fermé qu’autonome. Idéologiquement isolé, le régime nord-coréen a provoqué au cours des décennies suivantes de multiples crises internationales. En outre, les manœuvres militaires sud-coréennes à proximité des côtes nord-coréennes ont été à l’origine de la confrontation militaire limitée entre les deux États qui s’est déroulée en décembre 2010.
Cadrage théorique
Pour les approches dites constructivistes, l’intérêt d’un acteur n’existe pas en soi, mais il est plutôt façonné par des croyances collectives qui se construisent dans les interactions. S’agissant des dirigeants nord-coréens, c’est en grande partie la défense d’un script dramatique qui explique leur action héroïque. En l’occurrence, ce terme de script dramatique désigne une croyance affichée en une supériorité nord-coréenne face à la scène internationale. Cette présentation grandiose du soi (E. Goffman) demeure cependant fragile car tout intervenant menace en permanence potentiellement ce récit. L’écart entre l’image revendiquée par les responsables politiques nord-coréens et l’image renvoyée par la scène mondiale est toujours susceptible d’inspirer des actions spectaculaires destinées à confirmer ce script. Le script dramatique comporte les éléments suivants :
1. La distribution des caractères. Plus la présentation de soi repose sur une légitimité charismatique et surdimensionnée et plus les décideurs politiques doivent prendre des risques sur le plan international pour prouver leur caractère exceptionnel. En outre, plus la narration officielle s’appuie sur l’imaginaire d’innocents agressés – habituellement les villageois, les personnes âgées, les femmes et les enfants – et plus les options pacifiques peuvent être facilement écartées comme lâches. Enfin, une narration dans laquelle certains protagonistes sont systématiquement réifiés et définis comme « lâches, agressifs, insensibles », sera plus volontiers susceptible de légitimer une vengeance.
2. Les séquences dramatiques. Plus l’histoire nationale est présentée de manière victimaire sous l’angle d’une simple séquence : agression (impérialisme japonais, impérialisme américain), souffrance (par exemple « les femmes de confort »), riposte (guérilla, autarcie) et, plus la violence paraît justifiée. Enfin, plus la force militaire est montrée dans le script dramatique comme banale, nécessaire ou même glorieuse et plus sa légitimité sera aisément étayée. Des dirigeants politiques peuvent s’engager dans une politique conflictuelle dès lors que des étrangers déstabilisent ce script dramatique car une telle fragilisation produit chez les décideurs une perte de légitimité et des atteintes à l’estime de soi.
Analyse
L’idéologie officielle du Juche (sujet) est moins liée à l’ambition dominatrice qui s’exprime dans les relations internationales qu’à l’idée suivant laquelle la Corée du Nord doit se préserver de toute influence étrangère (le terme chaju désigne l’indépendance). Son caractère figé rend la Corée du Nord sujette à toute remise en question extérieure. Rappelons quelques exemples qui en témoignent: les téléphones portables sont uniquement autorisés dans ce pays depuis 2008 et les communications avec l’extérieur sont impossibles. Par ailleurs, tout nous porte à croire que l’agressivité nord-coréenne provient aussi du souci de se prémunir contre toute contagion idéologique. Ainsi, trois simples sapins de Noël placés près de la frontière ont-ils provoqué à eux seuls de vives tensions entre les deux Corées en décembre 2011. La dynastie Kim n’est-elle pas présentée comme une famille de dieux laïques divinisée par le père fondateur Kim-Jong-il et sa femme héroïque Kim Jong Suk ? À ce titre, le calendrier nord-coréen commence avec l’année de sa naissance. Mais la grandeur du pouvoir se retrouve aussi matérialisée dans l’architecture comme en témoigne la tour de Juche qui mesure 150 mètres et est supplantée par une torche illuminée de 20 mètres éclairant Pyongyang. Dans la même logique, le stade du 1er mai possède une capacité d’accueil de 150 000 spectateurs, ce qui en fait le plus grand du monde. Cette présentation hubristique de soi importe pour comprendre les provocations nord-coréennes car le nouveau leader Kim-Jong-Un a besoin de prouver sa filiation divine auprès de l’élite et de sa population. Le lancement du missile du 12 décembre 2012 et ce troisième essai nucléaire du 12 février 2013 doivent par conséquent être compris sous l’aspect d’une mise en scène virile de soi. Alors que le lancement d’Ariane est habituellement filmé à partir d’une certaine distance, celui de la Corée du Nord est capté de très près, illustrant de ce fait plus facilement sa puissance. De même, la vitesse annoncée de ce missile était-elle clairement trop importante pour être conforme aux lois de la gravitation. Enfin, le troisième est revendiqué immédiatement de manière spectaculaire et provocatrice car dans la vision du monde nord-coréen, les autres se présentent comme des agresseurs immuables. Les ennemis sont définis de manière abstraite comme impérialistes ou dominateurs. Le critère de cette qualification continue d’être celui de classe sociale. Après le lancement du missile et dès l’adoption des sanctions onusiennes, l’appareil militaire avait donc annoncé des essais multiples et un test nucléaire d’un plus haut niveau : autant de décisions dirigées contre les États-Unis, ennemis désignés de la Corée du Nord.
Si la violence est officiellement condamnée dans ce pays, elle y est aussi banalisée. Les parades militaires sont nombreuses et spectaculaires d’autant plus que ses forces militaires forment, avec 1,2 million de soldats, la quatrième armée du monde. Les discours de ses dirigeants laissent à penser que le tabou du recours à l’arme nucléaire est loin d’être intériorisé et leur vision reste clairement instrumentale. Ainsi, le chef des forces armées Ri Yong-Ho a-t-il promis en 2010 d’utiliser l’arme nucléaire « si les impérialistes et leurs disciples empiètent un tant soit peu sur la souveraineté et la dignité du pays ».
Pour des raisons tenant à l’hubris narcissique et au culte de la force, il demeure donc difficile de dissuader les dirigeants nord-coréens même si leurs ambitions s’avèrent avant tout nationales. La capacité d’endiguer l’agressivité de la Corée du Nord dépendra finalement de la stratégie plus ou moins fine qui sera déployée contre elle.
Références
Cha Victor, The Impossible State. North Korea, Past and Future, New York, Ecco, 2013.
Goffman Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne, 2 vol., trad., Paris Minuit, 1973.
Goffman Erving, Les Rites d’interaction, trad., Paris, Minuit, 1974.
Miller Steven E., Sagan Scott D., “Nuclear Power Without Nuclear Proliferation”?”, Daedalus, 138 (4), Fall 2009, pp. 7-18.
Lindemann Thomas, Causes of War. The Struggle for Recognition, ECPR, Colchester, 2011.
Lukacz Georg, Théorie du roman, Paris, Gallimard, 1968.
Narushige Michishita, North Korea’s Military-Diplomatic Campaigns, 1966-2008, Londres, Routledge, 2013.
Fév 4, 2013 | Afrique, Défense, Passage au crible, Sécurité
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°84
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Une conférence de donateurs internationaux, destinée à financer le déploiement d’une force africaine au Mali et la restructuration de l’armée malienne, s’est ouverte le mardi 28 janvier 2013 à Addis-Abeba, au siège de l’UA (Union africaine). Autour de cette organisation, étaient réunis, l’Union européenne, le Japon, les États-Unis et l’ONU. L’UA a chiffré les besoins à 460 millions de dollars pour la Misma (Mission internationale de soutien au Mali), dont 240 millions de dollars pour la reconstruction de l’armée malienne et le financement des troupes tchadiennes. Elle s’est engagée à apporter 10% de cette somme.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Adoptée le 20 décembre 2012, la résolution 2085 du Conseil de sécurité a apporté la légalité et la légitimité onusienne. Il devait y avoir une négociation politique et, à défaut, les forces maliennes et africaines devaient être appuyées par des forces internationales. Mais il y a eu nécessité pour la France d’intervenir avant la présence des troupes africaines (Misma), la reconstitution de l’armée malienne et la mise en place d’un pouvoir légitime au Mali. L’esprit, sinon la lettre, de la résolution 2085 des Nations unies a été par conséquent respecté. L’intervention légale, à la suite de la demande du président Traoré et de la résolution des Nations unies, n’a été condamnée ni par l’Algérie, ni par la Chine ou la Russie. Elle a reçu en outre l’assentiment de la très grande majorité des Maliens et des Africains. Seuls, l’Égypte, la Tunisie et le Qatar l’ont désavouée. La France s’est trouvée en première ligne et dans un relatif isolement opérationnel, sans aide directe de l’Union européenne, malgré l’appui logistique des alliés occidentaux, notamment britannique et nord-américain (avions ravitailleurs, Transaal, drones et renseignement).
Préparée de longue date, l’intervention militaire française et malienne (opération Serval), est apparue inévitable après l’échec des négociations tenues à Ouagadougou et le renversement de position de Ansar Dine. La conquête de Konna par les djihadistes menaçait en effet la base stratégique de Sévaré et leur aurait permis de descendre vers Mopti puis la capitale, Bamako. De surcroît, le calendrier était lié au climat qui empêche toute opération d’ampleur entre mars et septembre.
L’intervention du 11 janvier 2013 s’est traduite par les attaques aériennes des forces françaises (rafales, mirages, hélicoptères), blindés légers et forces terrestres de 2500 hommes (forces spéciales, et 250 parachutistes le 27 janvier à Tombouctou). Après avoir arrêté l’avancée des djihadistes, elles ont contrôlé la boucle du Niger secondées par des unités maliennes (Gao puis Tombouctou) et tchadiennes (Kidal où. le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) était présent. Les djihadistes se sont dispersés vers le nord (dans leur sanctuaire de l’Adrar des Ifoghas), et vraisemblablement dans la forêt près de Diabali, le long de la frontière de pays voisins comme le Niger. Progressivement, les États alliés de la France ont appuyé cette opération, a fortiori après la prise d’otages d’In Amenas, le 16 janvier (Allemagne, Canada, Danemark, Émirats, Italie). Les forces africaines se sont ensuite déployées, particulièrement les Tchadiens, les Nigériens et les Burkinabé.
Cadrage théorique
1. Le conflit malien illustre le modèle des guerres asymétriques. En l’occurrence, il oppose des armées nationales ou multilatérales plus ou moins bien équipées et motivées à des milices mobiles déterminées, fanatisées, prêtes à la guérilla et à des actions terroristes. Celles-ci sont particulièrement hétérogènes. On discerne 1) le MNLA composé de Touareg, groupe berbère transfrontalier qui est laïc, mais revendique une plus grande autonomie pour l’Azawad, à défaut de l’indépendance. 2) le groupe Ansar Eddine dirigé par Iyad Ag Ghali et proche d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) qui préconise la charia pour le Mali avec récemment une scission entre la tendance djihadiste et une partie plus proche du MNLA (le MIA le mouvement islamique de l’Azawad). Quant aux autres groupes, citons Aqmi, le Mujao (mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) dissident d’Aqmi inséré dans l’économie de la drogue et Boko Haram venus du Nord Nigeria.
2. Il souligne également la dimension transnationaliste des conflits contemporains. Notons par exemple les interdépendances existant entre des circuits mafieux et un islamisme radical qui combat la présence occidentale ; cette dernière étant représentée par les multinationales liées aux hydrocarbures et aux mines.
Analyse
Le conflit du Mali se caractérise par un emboîtement d’échelles, un enchaînement de facteurs et une pluralité d’acteurs. Il trouve ses sources à la fois dans : 1) les revendications anciennes des Touareg renforcées par le retour des mercenaires de Khadafi, 2) l’extension du salafisme radical et 3) l’insertion dans une économie criminelle avec – à l’époque du président Touré (ATT) – une connivence au sein de l’appareil d’État et de l’armée. En réalité, le putsch du 22 mars 2012 n’a fait qu’accroître la décomposition de l’armée au point qu’aujourd’hui, la décomposition de l’État malien et de son armée a transformé le Nord du Mali en un espace non contrôlé.
Bien que le Nord du Mali ne compte que pour 5% du PIB du pays, il convient de prendre en compte la dimension socio-économique de la crise sahélo-saharienne. En effet, avec l’explosion démographique qui laisse des jeunes sans perspectives, se conjugue une prolifération de trafics, notamment de drogues et d’armes, de crises environnementales et alimentaires liées au climat et à la vulnérabilité des écosystèmes. L’insécurité n’a fait qu’accentuer la défaillance de l’État et des collectivités décentralisées au point que le Mali pourrait devenir l’épicentre d’une crise se propageant dans l’arc sahélo-saharien. Les différentes puissances et organisations régionales et internationales appuient l’intervention militaire française et malienne, comme en témoigne la conférence des donateurs d’Addis-Abeba. Certes, il y a eu réussite à court terme sur le plan militaire par les voies aériennes (destruction des dépôts d’armes, d’essence, colonnes de pick-up.) et terrestres (reconquêtes des villes), toutefois face à la puissance du feu, les djihadistes ont refusé l’affrontement et se sont disséminés, ce qui signifie qu’il subsistera durablement des poches de résistances sur un territoire plus grand que celui de la France. Très déterminés, les djihadistes savent se disséminer et mener des attaques-surprises, voire des guérillas urbaines. Peut-il y avoir un relais crédible des armées africaines qui pour leur majorité ne sont pas aguerries à ces guerres du désert ? L’armée malienne reste à reconstruire. Or, il existe des risques inévitables d’enlisement ou d’engrenage dans toute guerre asymétrique. Le Mali n’est pourtant pas l’Afghanistan car les djihadistes demeurent étrangers au Mali, ce que ne sont pas les talibans pour les Pachtounes. Le contrôle des frontières peut permettre d’assécher les djihadistes en essence, armement et pick up. Cependant, l’inconnue majeure reste la position des acteurs algériens dont certains sont liés aux divers trafics entretenus avec les mouvances du Nord Mali. L’échec de l’intervention en Afghanistan peut servir de leçon en évitant une aide qui ne ferait qu’alimenter les circuits de corruption de l’État au lieu d’appuyer des opérations décentralisées. Les réponses durables supposent une implication multiple sur le plan militaire, politique (élections, pouvoir légitime, provinces autonomes au Nord), humanitaire, économique et diplomatique. Prochainement, les troupes françaises doivent être partiellement relayées par les forces maliennes et africaines, ce que devrait faciliter la conférence des donateurs. Par ailleurs, les contrôles de sécurité doivent être réalisés avec l’appui des populations, à commencer par les Touareg qui sont appelés à rentrer dans le jeu politico-militaire. Les engagements diplomatiques, comme la conférence des donateurs d’Addis-Abeba, apparaissent aussi importants qu’insuffisants pour financer la Misma de plus de 8000 hommes et restructurer l’armée malienne, même si une mission d’intervention de casques bleus est envisagée. Enfin, le volet d’appui militaire doit impérativement s’accompagner d’une aide internationale à vocation économique (lutte contre les trafics, redynamisation des territoires, développement local, coopération décentralisée..).
Références
Gourdin Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel ». Diploweb.com, 11/3/2012
Hérodote, Géopolitique du Sahara, (142),2011.
Holeindre Jean-Vincent, Geoffroy Murat (Éds.), La Démocratie et la Guerre au XXIe siècle. De la paix démocratique aux guerres irrégulières, Paris, Hermann, 2012.
Hugon Philippe, Géopolitique de l’Afrique, Paris, SEDES 2012.
Jan 23, 2013 | Mondialisation, Nord-Sud, Passage au crible, Sport
Par Josepha Laroche
Passage au crible n°83
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Géré par Amaury Sport Organisation, le rallye Dakar 2013 a débuté le 5 janvier et a pris fin le 20 de ce mois. Il comprend trois catégories de véhicules – les motos, les automobiles et les camions – et représente, à ce titre, la plus grande course de tout-terrain au monde.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Le rallye Paris-Dakar s’est tenu pour la première fois en 1979. L’itinéraire a ensuite varié d’une fois sur l’autre. Parfois son arrivée n’a pas eu lieu à Dakar, comme par exemple en 1992 où la ville du Cap lui a été préférée. De la même façon, la course n’est pas toujours partie de la capitale française. Ainsi en 2002, le raid s’est-il élancé de Dakar pour se terminer au Caire.
Malgré sa dénomination, depuis 2009 cette manifestation sportive ne part plus de Paris et ne s’achève plus sur les plages de Dakar. Elle se déroule en Amérique latine, traversant le Pérou, l’Argentine et le Chili. En effet, après l’assassinat en Mauritanie de quatre touristes français le 24 décembre 2007, ses organisateurs ont décidé pour des raisons de sécurité d’annuler les épreuves de 2008 et de s’éloigner ensuite du Sahel en quittant purement et simplement le continent africain. En fait, cette décision n’a guère surpris alors car plusieurs éditions avaient déjà été perturbées, voire menacées auparavant, ce qui avait contraint les responsables à annuler plusieurs étapes et à modifier le parcours initialement prévu.
Cadrage théorique
1. Une dynamique civilisationnelle. Norbert Elias a montré dans son œuvre que la propension des gens à tirer plaisir d’actes de violences avait régressé en Europe occidentale dès la fin du Moyen Âge. Il en a résulté un abaissement du seuil de tolérance à la violence physique et une volonté de la rejeter davantage « dans les coulisses » (E. Dunning), de la punir ou bien de la sublimer, notamment grâce au sport.
2. Une sportification inaccomplie. Pour le sociologue allemand, le processus de sportification participe de ce lent mouvement d’autocontrôle et de transformation des sensibilités opéré par les individus depuis la Renaissance, parallèlement à la construction étatique. Certes, cette « libération contrôlée des émotions », permise par le sport, libère bien les affects et l’agressivité, mais dans un cadre étroit où la violence reste endiguée et limitée dans un espace-temps bien circonscrit. Elias analyse le sport comme une activité où l’économie émotionnelle et pulsionnelle de chacun est systématiquement encadrée et finalement soumise. Autrement dit, ce qu’il appelle la sportification forme à ses yeux une part constitutive du processus civilisationnel, un dispositif-clé indispensable à la pacification des mœurs.
Analyse
Depuis sa création, ce raid fait l’objet d’importantes polémiques et de très virulentes critiques. Tout d’abord, ses détracteurs soulignent le nombre considérable de morts et de blessés qui accompagne chaque année son palmarès. Qu’il s’agisse d’enfants mortellement heurtés par des compétiteurs, de spectateurs écrasés ou de concurrents qui se tuent accidentellement au cours de l’épreuve, on dénombre effectivement tous les ans beaucoup de victimes. Les journalistes et les organisateurs eux-mêmes (Thierry Sabine en 1986) n’échappent pas davantage à cette loi d’airain en payant régulièrement de leur vie la participation à cette compétition sportive. En second lieu, ses opposants y voient aussi une agression écologique et une dilapidation des ressources énergétiques, à l’heure où il est tant question de lutter de manière drastique contre le réchauffement climatique.
Dans un tel contexte, le CAVAD (Collectif Actions pour les Victimes Anonymes du Dakar) créé en 2006 demande la suppression de ce rendez-vous mondial. Il réclame par ailleurs l’ouverture d’une enquête parlementaire sur « les agissements délictueux du rallye Dakar » en Afrique et désormais en Amérique latine ainsi que sur la pertinence d’éventuels désordres sociétaux. Enfin, il refuse de faire silence et de se rendre complice « d’un rodéo publicitaire sur le continent de la pauvreté ». Ce faisant, il stigmatise l’utilisation de pays en développement, « meurtris par le SIDA, la faim et le surendettement » comme terrains de jeu. Voyant dans cet événement mondialement médiatisé « une provocation néo-colonialiste matérialisée par un immense et inutile gaspillage d’argent et d’énergie », il appelle tous les ans à son boycott ainsi qu’à la constitution d’un front commun contre ce qui s’apparente, selon cette association internationale, « à une croisade de négriers déshonorante d’obscénité ».
Pour leur part, les organisateurs prétendent a contrario n’être à l’origine d’aucune violence physique ou symbolique, tout juste déplorent-ils la « fatalité » de quelques accidents. Ils en veulent pour preuve l’enthousiasme des pays traversés – aussi bien celui des gouvernements que celui des citoyens – africains hier et latino-américains, aujourd’hui, qui se montrent toujours ravis d’accueillir le rallye. Ce faisant, les animateurs de ce raid international tiennent un discours de légitimation dans lequel l’alibi du développement occupe une place prépondérante : cette épreuve sportive permettrait selon eux d’attirer des devises, de construire des routes et autres infrastructures destinées au bien-être des populations. Cependant, cette lecture paternaliste et occidentalo-centrée doit se comprendre plutôt comme un déni et comme la réification de sociétés culturellement aliénées. Ces dernières ne vont-elles pas jusqu’à réclamer la venue du rallye sur leurs territoires, alors même que cette course n’induit aucun avantage économique, sinon celui des marques qui s’affichent et concourent ? On voit ainsi que l’intrusion sportive qu’elle constitue n’est pas perçue par les populations intéressées pour ce qu’elle est, à savoir le comble de la domination culturelle, celle qui n’est pas perçue par ceux sur lesquels elle s’exerce. Pourtant, la seule géographie des parcours depuis la création de cette manifestation en dit déjà assez sur la domination du Sud par le Nord.
Les organisateurs du Dakar donnent à voir – et plus encore à valider – ce raid comme une épopée où la recherche de la performance, le culte de la vitesse, celui de l’exploit technique se conjuguent à la valorisation d’une forme primaire de virilité. Dans l’entre soi du rallye, les participants se livrent tout au long de l’épreuve à un simulacre de combat effectivement dépourvu de violence physique entre eux, confirmant en cela la thèse d’Elias. En effet, les liens sociaux qu’ils nouent les uns avec les autres, se trouvent resserrés et plus fonctionnels qu’avant leur départ en raison de l’allongement des chaînes d’interdépendance mises en place. En d’autres termes, nous sommes en présence d’une solidarité organique telle que l’entendait Durkheim, celle qui raffermit substantiellement la cohésion du groupe. Mais si le processus de sportification s’accomplit bel et bien entre les protagonistes, il reporte d’autant plus fortement leur brutalité au pourtour de l’enclos symbolique du Dakar. En fait, ce dernier fait office de sanctuaire pour ses membres et remplit une fonction cathartique. En infligeant ainsi une souillure collective aux pays traversés, il témoigne de dominants qui s’épuisent à « étaler du superflu en « un gaspillage ostentatoire » (Veblen). Tout nous porte donc à considérer que dans la violence banalisée – voire naturalisée – de cette intrusion mondialisée et réitérée chaque année, il faut voir un processus de brutalisation à l’œuvre.
Références
Barthes Rolland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Douglas Mary, De la Souillure : Essais sur les notions de pollution et de tabou, trad., La Découverte, 2001.
Elias Norbert, Au-delà de Freud, sociologie, psychologie, psychanalyse, trad., Paris, La Découverte, 2010.
Elias Norbert, La Civilisation des mœurs, [1939], trad., Paris, Calmann-Lévy, 1973.
Elias Norbert, La Dynamique de l’Occident, trad., Paris, 1975.
Elias Norbert, Dunning Eric, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, trad., Paris, Fayard, 1994.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Renaud, « 500 connards sur la ligne de départ », https://www.youtube.com/watch?v=Ct5SeoMQhew
Veblen Thorstein, Théorie de la classe du loisir, [1899], trad., Paris, Gallimard, 1970.