Mar 24, 2015 | Ouvrages, Publications
Passage au crible
de la scène mondiale
L’actualité internationale 2014
Sous la direction de
Josepha Laroche
Cette publication réunit des contributions portant sur
l’actualité internationale de l’année 2014. Elle forme un
ensemble homogène qui éclaire le lecteur sur les lignes de
force parcourant la scène mondiale.
Plusieurs articles mettent tout d’abord l’accent sur la
résistance des souverainetés étatiques face aux acteurs
non-étatiques, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie
ou bien encore de certains pays en développement. Ce
livre aborde également l’ambivalence de ressources symboliques,
mobilisées par exemple par des agences de notation
ou des réseaux transnationaux d’individus. Un autre
groupe de textes s’attache ensuite à souligner la puissance
des écosystèmes industriels dans une économie mondiale
où règne désormais une concurrence implacable. Enfin,
une dernière partie traite de la marchandisation des BPM
(Biens Publics Mondiaux) et montre combien ces derniers
sont fragilisés, voire menacés de destruction.
Ont contribué à cet ouvrage : Robin Baraud, Florent Bédécarrats,
Alexandre Bohas, Weiting Chao, Adrien Cherqui, Justin Chiu,
Michaël Cousin, Florian Hévelin, Philippe Hugon, Elie Landrieu,
Josepha Laroche, Valérie Le Brenne, Thomas Lindemann,
Clément Paule, Yves Poirmeur, Jean-Jacques Roche.
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Mar 15, 2015 | Droits de l'homme, Migrations internationales, Nord-Sud, Passage au crible, Union européenne
Par Catherine Wihtol de Wenden
Passage au crible n° 125
Source: Wikipedia
La fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015 ont été le théâtre de nouvelles catastrophes migratoires en Méditerranée. Deux cargos affrétés par des passeurs, qui les avaient abandonnés, ont été interceptés par les garde-côtes italiens dans le sud de la péninsule. Or, il se trouvait à bord sur chacun d’eux près de 500 demandeurs d’asile venus de Syrie et d’Irak. Ceux-ci s’ajoutent ainsi aux 230 000 migrants entrés en Europe via la Méditerranée en un an. Plus récemment, en février 2015, la disparition de plus de 300 personnes et le décès de 29 autres au large de la Libye sont venus rappeler que rien n’avait changé depuis 2013. Enfin, début mars, la Libye a menacé l’Italie de lui envoyer des cargos d’immigrés si cette dernière persistait dans son projet d’intervention militaire contre l’État islamique. Ces données coïncident avec la fin du dispositif Mare Nostrum, mis en place par l’Italie entre novembre 2013 et novembre 2014. Cette opération, qui était destinée à porter secours aux migrants naufragés en Méditerranée, a en effet été remplacée fin 2014 par Triton, une initiative de Frontex.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Terre de confrontations et de dialogues entre les deux rives, la Méditerranée se trouve depuis les années quatre-vingt-dix au carrefour de nouvelles turbulences migratoires qui questionnent la politique européenne mise en œuvre depuis lors. Les premiers flux irréguliers qui ont marqué l’opinion concernent les arrivées d’Albanais sur des cargos hors d’âge, tentant d’accoster en Italie en 1991, au lendemain de la chute du rideau de fer. Ils furent suivis par d’autres carcasses chargées de demandeurs d’asile irakiens, à la suite de la première puis de la seconde guerre du Golfe. Il s’agissait en l’occurrence de flux mixtes. Autrement dit, les réfugiés étaient aussi en demande de travail. Ils se retrouvaient alors entassés sur de gros bateaux souvent affrétés par des passeurs, puisque l’accès à l’Europe était verrouillé par le système Schengen des visas depuis 1986.
Ensuite, les arrivées clandestines ont ressemblé davantage à de petites entreprises mafieuses. Elles concernaient essentiellement des jeunes entre le Maroc et Gibraltar, le Sénégal et les îles Canaries et surtout entre la Libye, la Tunisie et l’île de Lampedusa, située à 130 km des côtes tunisiennes et à 200 km de la Sicile. D’autres lieux de passage – comme Malte et Chypre – ont mêlé touristes, demandeurs d’asile et sans-papiers à la recherche de travail. Par ailleurs, ont également été très empruntés, la frontière de la rivière Evros, entre la Turquie et la Grèce pour les réfugiés du Proche et du Moyen-Orient, ou encore les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc. Des accords bilatéraux conclus entre le Sénégal, le Maroc et l’Espagne ont diminué le nombre des traversées par Gibraltar et les îles Canaries. Mais le passage par Lampedusa a été aggravé par le fait que la Libye, qui verrouillait jusque-là les frontières sur son territoire par les accords qu’elle avait conclus avec l’Italie et la France, ne contrôle plus dorénavant les flux sur son territoire. Jusqu’à un million de migrants pourraient par conséquent arriver de Libye sur les côtes italiennes, a déclaré le directeur de l’Agence Frontex en mars 2015. Quant à la Méditerranée orientale, elle se trouve en proie aux arrivées de migrants syriens, en Turquie (1, 5 million), en Jordanie (800 000) et au Liban (1, 5 million). Face à cette situation, lors de chaque naufrage et arrivées de « harragas » (« grilleurs de frontières » entre le Maghreb et l’Europe) ou de familles de réfugiés, les réponses européennes se sont limitées à réaffirmer l’allocation de moyens à l’Agence Frontex, destinée à assumer le « partage du fardeau ».
Cadrage théorique
1. Le migration gap. Cette question a été analysée par Philip Martin ou James Hollifield à propos des États-Unis et du paradoxe de l’État libéral devenu sécuritaire. Concernant la région euro-méditerranéenne, il s’agit de considérer l’écart qui se creuse entre d’une part les analyses convergentes des experts favorables à la mobilité comme facteur essentiel de développement humain dans la région ; d’autre part, de noter la politique européenne, mue surtout par la pression des États-nations en proie à la montée de l’extrême-droite et à une approche sécuritaire des migrations. Mais cette politique revêt un coût humain, financier et diplomatique très élevé. Surtout, elle va à l’encontre des besoins économiques et démographiques de l’Europe qui exigeraient plutôt un choix rationnel des entrées volontaires et un respect des droits de l’homme pour les migrations forcées (réfugiés) et garanties par le droit (regroupement familial, mineurs non accompagnés).
2. Les procédés de contrôle aux frontières et leur mise en concurrence. Le premier d’entre eux, le mécanisme européen résulte d’un empilement de dispositifs mis en œuvre depuis l’instauration, en 1985, du système Schengen. Les flux affectent surtout les pays européens du Sud face à l’indifférence et au défaut de solidarité des pays du Nord. Ce différentiel a entraîné des divergences entre pays européens sur la façon dont les pays du sud de l’Europe gèrent les arrivées clandestines, les laissant seuls face à l’explosion des entrées, bien que l’essentiel des personnes en situation irrégulière soient entrées légalement et aient prolongé leur séjour. Le deuxième système de contrôle, marqué par une prise d’autonomie souverainiste à l’égard du carcan européen, consiste à signer des accords bilatéraux avec les pays de la rive sud de la Méditerranée : les pays européens ont par exemple contracté plus de 300 accords de réadmission dans le monde pour la seule année 2015. Pour sa part, la France a confirmé une quinzaine d’entre eux, tout comme l’Italie et l’Espagne. Ces textes entérinent l’engagement des pays de la rive sud – souvent devenus eux-mêmes pays d’immigration et de transit – à reprendre chez eux ou à renvoyer les migrants qui les ont traversés vers les pays sub-sahariens, en échange de titres de séjour pour les plus qualifiés et de politiques de développement. Certains pays, comme la Libye, en avaient fait, du temps du colonel Khadafi, une diplomatie des migrations, conscients du rôle de verrou qu’ils pouvaient jouer pour les Européens riverains. La crise libyenne et le drame syrien ont toutefois bouleversé ce dispositif, provoquant en Syrie le départ de 4 millions de réfugiés, un record dans la région, dépassé seulement par les Palestiniens et les Afghans.
Analyse
Parmi les pays méditerranéens, l’Italie reste le pays qui s’est élevé le plus nettement face à la tragédie faisant de la Méditerranée un vaste cimetière, ainsi qu’un enjeu de sécurité mondiale. La frontière de l’Europe passant entre les deux rives de la Méditerranée, cette mer « du milieu des terres » a toujours été un lieu de passage. Mais faute de visas, sa traversée est devenue aujourd’hui hautement périlleuse pour le plus grand nombre. Elle représente également une zone active où les réseaux criminels exploitent le désespoir des jeunes en proie au chômage de masse et à l’absence d’avenir, sur la rive sud. Cette situation s’avère d’autant plus préoccupante que les opinions publiques peinent à distinguer l’immigration du terrorisme. Sans compter qu’elles ne sortent guère d’une approche nationale et territorialisée du contrôle des frontières.
L’essentiel de l’immigration résulte des crises qui déstabilisent la région ; les Syriens et les Erythréens représentant par exemple la moitié des personnes arrivées en Italie où Mare Nostrum a sauvé 170 000 personnes. Or, avec Triton, le sauvetage n’est plus considéré comme une priorité. Autant dire que l’Europe ne parvient pas à adopter une politique commune. Cependant, sa responsabilité dans les morts s’avère en contradiction totale avec son approche humanitaire vis-à-vis des pays du Sud et ses déclarations en matière de respect des droits de l’homme. Comment pourrait-elle par ailleurs chercher à s’imposer dans la compétition internationale si elle s’enferme dans une forteresse à la population vieillissante ? Comment pourrait-elle compter sur la scène mondiale si elle refuse de considérer les migrations comme une priorité diplomatique ?
Références
Wihtol de Wenden Catherine, Faut-il ouvrir les frontières ?, Paris, Presses de Sciences-Po, 2014.
Wihtol de Wenden Catherine, Pour accompagner les migrations en méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2013.
Fév 10, 2015 | Afrique, Défense, Diplomatie, Passage au crible, Sécurité, Terrorisme
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°124
Source: Wikimedia
Le 24e sommet de l’UA (Union africaine) s’est tenu à Addis-Abeba du 21 au 28 janvier 2015. Les principaux dossiers ont porté sur « L’assise de l’autonomisation et du développement des femmes vers l’agenda 2063 ». La question de l’épidémie d’Ebola a été abordée avec une demande d’annulation de la dette à hauteur de 3 milliards de dollars américains pour trois pays concernés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Le Conseil de paix et de sécurité s’est réuni le 29 janvier avec la présence de 15 chefs d’État, mais en l’absence du président du Nigeria Good Luck Jonathan. Cette instance avait pour ordre du jour la lutte contre le terrorisme, ciblant particulièrement Boko Haram. Une force multinationale de 7500 soldats a été proposée faisant notamment appel au financement des Nations unies.
L’événement marquant tient toutefois à la désignation du président du Zimbabwe, Robert Mugabe, comme nouveau président de l’Union africaine. Agé de 90 ans, cet autocrate au pouvoir depuis 35 ans, héros de la lutte contre l’Apartheid, a multiplié les flèches envers l’Occident. Son élection symbolise la contradiction des pays africains exprimant un panafricanisme anti-occidental, malgré l’impuissance des États membres à traiter de manière autonome des questions relatives à la paix et à la sécurité ou bien encore à régler le problème des épidémies. Elle témoigne également de la constance des gérontocrates, présidents à vie, face à la jeunesse africaine qui cherche sa place dans le jeu politique et s’oppose, ce faisant, aux manipulations constitutionnelles.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
L’UA a renforcé l’intégration politique de l’Afrique en mettant en œuvre le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) et en transformant en 2002 l’OUA (Organisation de l’unité africaine) en UA (Union africaine). Aujourd’hui, cette dernière regroupe 53 États africains. Seul, le Maroc n’en fait pas partie en raison de la position adoptée par l’OUA, puis l’UA, en faveur de l’indépendance du Sahara occidental. L’UA s’est renforcée sur le plan institutionnel (Assemblée, Conseil exécutif, Comité des représentants permanents et Commission). Initialement organisation de coordination, elle s’est désormais transformée en institution d’intégration sur le modèle de l’Union européenne.
Le Plan d’action, adopté à Ouagadougou le 12 octobre 2004, avait défini cinq priorités : 1/ la transformation institutionnelle (Parlement panafricain) ; 2/ la promotion de la paix (Conseil de paix et de sécurité), de la sécurité humaine et de la gouvernance (Cour africaine des droits de l’homme et des peuples) ; 3/ le développement de l’intégration régionale ; 4/ la construction d’une vision partagée au sein du continent ; 5/ l’adoption du protocole relatif à la Cour de justice de l’UA. Il prévoyait par ailleurs la désignation du président de l’UA pour un an, alors que le président de la commission serait élu pour 5 ans.
L’UA a réalisé deux grandes innovations par rapport à l’OUA :
1/ Elle a permis d’imposer des sanctions aux États membres qui ne respecteraient pas les politiques et les décisions de l’UA. En outre, la charte de 2007 a renforcé les objectifs en matière de démocratie et de gouvernance. 2/ Elle a reconnu un droit d’intervention quand l’ordre légitime se trouve menacé ; une décision qui va à l’encontre du principe de non-ingérence, protecteur des souverainetés. Créée en 2003 et destinée à être déployée dans le cadre de missions de maintien ou d’appui à la paix, la force africaine en attente se décline en cinq brigades régionales intégrées dans l’architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine.
La réalité effective reste toutefois éloignée de ces normes car les marges de manœuvre de l’UA apparaissent étroites face à la souveraineté des grands États membres. Par ailleurs, elle manque d’autonomie face à l’UE et à ses financements. Or, force est de constater qu’avec la disparition de certains leaders africains (Kadhafi, Wade) qui désiraient avancer vers un gouvernement des États-Unis d’Afrique, l’UA a connu une perte d’influence. D’autant plus que cette ambition s’est heurtée à la réticence de l’Afrique du Sud, à la division entre l’Afrique arabo-musulmane et sub-saharienne et à la faible intégration régionale.
Finalement, l’élection de Robert Mugabe, comme président de l’organisation renforce le poids de l’Afrique du Sud. Elle résulte comme celle de madame Dlamini-Zuma en juillet 2012 à la présidence de la Commission, des alliances nouées lors de la lutte contre l’Apartheid. Elle confirme aussi la relative unité du bloc de la SADC (Communauté de Développement d’Afrique Australe) face à la CEEAC (Communauté Économique des États d’Afrique Centrale) et la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et des pays francophones représentés par l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) et surtout le Nigeria.
Cadrage théorique
La faiblesse de l’Union africaine renvoie à deux principales lignes de force.
1. Une conflictualité d’intérêts. L’Union africaine reflète les rivalités entre États membres. Elle est marquée par l’opposition entre deux puissances rivales : le Nigeria et l’Afrique du Sud. Celles-ci veulent exercer un leadership continental et visent à terme un poste de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
2. Une faible mobilisation collective en faveur de la sécurité. La rhétorique panafricaine de la pax africana achoppe devant la faiblesse des financements et le peu d’engagement en faveur de la paix et de la sécurité. Si bien que l’architecture de paix et de sécurité fonctionne mal à l’échelle du continent. Devant les conflits, le développement du terrorisme et du djihadisme en Libye, au Soudan, en Somalie, au Mali, au Nigeria, dans les pays du lac Tchad, en Centrafrique, ou bien encore en RDC, l’Union africaine n’a pas su ou n’a pas pu faire montre d’autorité. Ainsi, la force africaine pour lutter contre Boko Haram se retrouve-t-elle confrontée à des difficultés de financement et à la difficile mise en place d’un dispositif multilatéral. De sorte que les forces africaines interviennent au second plan, derrière les armées nationales ou bilatérales avant d’être le plus souvent relayées par les forces des Nations unies.
Analyse
Malgré la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, l’UA demeure très en retrait sur la violation des droits existant dans de nombreux pays, notamment en RDC, en Côte d’Ivoire, en Somalie et au Zimbabwe. Il en va de même quant aux dénis de démocratie ou lorsqu’il s’agit d’aborder les révolutions populaires (ex des « printemps arabes » depuis janvier 2011). Le plus souvent, les manipulations constitutionnelles visent à s’affranchir des règles garanties par les Cours ou Conseils constitutionnels. Ainsi, existe-t-il un lien en Afrique entre la durée des mandats, la personnalisation du pouvoir et le risque de dérives autoritaires. Ceci explique que des élections au caractère conflictuel aient conduit à des crises en Côte d’Ivoire (2000, 2010), au Kenya (2007, 2008), au Zimbabwe (2007) ou en RDC (2011) ; le clientélisme identitaire n’ayant été dépassé que dans certains cas rares (Ghana, Sénégal, Kenya en 2013).
L’élection du gérontocrate et autocrate Robert Mugabe se présente aussi comme un défi à la jeunesse africaine. Certes, son populisme et la lutte contre les intérêts britanniques miniers revêtent encore un certain écho. Mais son rôle dans la lutte contre l’Apartheid appartient désormais au passé. Les jeunes zimbabwéens subissent surtout aujourd’hui les effets de sa réforme agraire qui – en donnant les terres aux vétérans de la guerre – a ruiné leur agriculture. C’est pourquoi, ils sont soumis à un régime contrôlé par l’armée. Or, la jeunesse africaine – bombe à retardement ou facteur de changement – entend participer à présent à la vie politique, sociale et économique du continent. Cependant, majoritaires sur le plan démographique, les jeunes restent minoritaires sur le plan social et politique. Sans perspectives, ils oscillent par conséquent souvent entre résignation et contestation ; se montrant ainsi parfois à l’écoute des intégrismes de tous ordres (oppositions aux imams et confréries sunnites, chiisme au Sénégal ou au Nigeria, églises évangéliques…).
Le triomphe de Mugabe souligne également la défaillance de l’UA dans le domaine de la paix et de la sécurité. Certes, cette organisation a préconisé une force africaine d’intervention contre Boko Haram qui continue de commettre des crimes contre l’humanité. Pour ce faire, elle a écarté les hésitations du Nigeria très soucieux de sa souveraineté nationale. En revanche, sa déclaration d’intention ne fait qu’accompagner les initiatives régionales des pays riverains du lac Tchad, membres de la Commission du Bassin du Tchad et les appuis logistiques de la France ou des États-Unis. Enfin, elle manque cruellement de financement et de consensus, avec seulement 40% de son budget qui provient des cotisations de ses membres.
Au-delà de la rhétorique, l’UA doit mettre en place ses principes proclamés en matière de démocratie, gouvernance et ingérence. Mais ceci implique un financement des États membres, notamment ceux qui – miniers et pétroliers – disposent d’importantes ressources financières. Les transferts de souveraineté et la production de biens publics à l’échelle régionale pourraient répondre au débordement des souverainetés dans un contexte transnational. De même, l’intégration économique régionale pourrait contribuer à contrer la dépendance économique des acteurs étatiques. Néanmoins, un tel processus suppose des États forts et démocratiques, capables d’empêcher toute fragmentation territoriale ; une puissance publique qui s’appuierait sur une société civile dotée de contre-pouvoirs et reconnaissant les droits des minorités. Or, l’élection de Mugabe contredit singulièrement cette orientation.
Références
Nougarel Fou, Briga LMI, L’architecture de paix et de sécurité en Afrique : bilan et perspectives, Actes colloques, Bordeaux, Ougadougou, nov 2012-oct. 2013.
Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, 3e ed., Paris, SEDES 2013.
Romuald Likibi, La Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance, Paris, Publibook 2012.
Jan 28, 2015 | Afrique, Droits de l'homme, Ouvrages, Publications
Moustafa Benberrah
Cet ouvrage montre comment après la Révolution du Jasmin les islamistes tunisiens ont su profiter des potentialités offertes par Internet pour s’affirmer dans la société tunisienne. Il met ensuite en lumière les tactiques multiples mises en œuvre par Ennahdha pour parvenir au pouvoir. En effet, malgré des décennies de marginalisation sous le régime Ben Ali, cette organisation a su rapidement apparaître dans le pays comme un acteur incontournable de la scène politique.
Mais l’auteur analyse aussi les échecs de cette formation politique qui ont suivi son accession au pouvoir. Il revient notamment sur ses multiples violations des libertés, violations qui ont été sanctionnées par la nouvelle constitution adoptée en janvier 2014.
Moustafa Benberrah est doctorant en science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Sa thèse porte sur la diplomatie économique de la Chine en Algérie et sa politique d’investissement dans le secteur du BTP. Il est par ailleurs responsable du pôle de traduction en arabe pour le site de Chaos International.
Déc 30, 2014 | Passage au crible, Publications
Par Alexandre Bohas
Passage au crible n°123
Source: Wikimedia
Sony qui vient de tourner et produire L’interview qui tue !, a été récemment menacée de connaître des attentats. En effet, ce film tourne en ridicule le régime nord-coréen et se termine par l’assassinat de l’actuel président, Kim Jon. Auparavant, les systèmes informatiques de la firme avaient subi des attaques et des informations confidentielles en sa possession avaient été divulguées. Pour l’heure, elle a renoncé à projeter en salles cette production.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Les studios Sony – connus sous le nom de Columbia-Tristar avant leur rachat par la firme nippone – ont produit, en 2014, une comédie satirique sur le régime nord-coréen, réalisée par Seth Rogen et Evan Goldberg. Ce long métrage raconte l’histoire de deux journalistes qui, après avoir obtenu un entretien avec l’actuel dictateur, reçoivent pour mission de l’assassiner. Ne devant sortir qu’à l’automne, il a entraîné, dès le mois de juin 2014, la réprobation de la Corée du Nord qui a menacé de lancer des actions « impitoyables » contre les États-Unis.
Au mois de novembre, les systèmes informatiques de Sony Pictures Entertainment ont été piratés par des hackers autoproclamés, Les Gardiens de la paix. Or, selon le FBI, ce dernier entretiendrait des liens avec la Corée du Nord. Cette incursion s’est traduite par des révélations portant sur les prochaines productions de la major, les rémunérations de ses principaux dirigeants ainsi que le contenu de leurs correspondances via internet. Ce groupe a en outre menacé d’attaques terroristes les salles de cinéma où serait diffusé le film. A la suite de ces avertissements entraînant l’annulation de sa programmation dans de nombreuses sociétés d’exploitation cinématographique, le studio a lui-même suspendu sa sortie en salles et a opté pour un lancement limité en ligne. De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre de cette décision, dont celle du Président Barak Obama.
Cadrage théorique
1. L’avènement d’une ère post-internationale. Traversé par des tendances contradictoires d’intégration et de fragmentation, le monde est sorti de l’ère interétatique consacrée par les traités de Westphalie, signés en 1648. Il se caractérise désormais par des acteurs multiples, des identités superposées et des loyautés fragmentées. Aussi doit-il être envisagé de manière large, tel que l’ont fait James Rosenau, Yale Ferguson et Richard Mansbach, en utilisant les concepts de polities et d’espaces de pouvoir.
2. Une économie politique de la culture. Fondé sur l’inséparabilité du culturel et du social, ce nouveau domaine de recherche contribue à enrichir l’analyse des relations internationales car il intègre les aspects sémiotiques et idéologiques des phénomènes transnationaux. Dans cette approche, les représentations collectives reflètent la société dans laquelle elles sont observées, tout en participant à sa production. De cette façon, l’analyse de la culture implique de saisir les processus de diffusion massive et d’appropriation symbolique, qui forment un enjeu essentiel pour tout acteur de la scène mondiale.
Analyse
Gouvernée d’une main de fer et de manière quasi autarcique, la Corée du Nord peut craindre, malgré sa maîtrise des moyens de diffusion et de télécommunications, que cette comédie satirique crée des désordres internes. En outre, si ce film connaît un succès international, il contribuera à façonner mondialement les représentations collectives de nombreux pays, bien au-delà des États-Unis, véhiculant notamment une image caricaturale et peu valorisante du pays. Notons d’ailleurs, que son régime a lui aussi utilisé le cinéma comme moyen de propagande et de rayonnement. Rappelons à cet égard que Kim Jong Il, le père de l’actuel leader, avait initié de grandes productions cinématographiques dont plusieurs avaient connu un succès limité – comme Souls Protest (2000) – hors du territoire.
L’ère numérique met aujourd’hui en lumière et exacerbe ces conflits déjà existants. A l’instar du réseau acéphale et non-étatique Anonymous, les États, qu’ils soient autoritaires ou démocratiques, connaissent ou pratiquent des cyber-attaques, en recourant parfois même aux services de hackers professionnels. La Corée du Nord détiendrait en la matière une unité d’élite de 3 000 experts. En l’occurrence, ces interventions peuvent viser des organisations privées, – de grands organes de presse – mais aussi des serveurs intranet d’administrations, comme celui du Département d’État, nuisant ainsi de façons multiples à l’entité visée. Il peut alors s’agir de paralyser son activité, de ruiner sa réputation et/ou d’accéder à des documents secrets, afin de la pénaliser économiquement, symboliquement et politiquement.
Dans le cas de Sony, outre le manque à gagner du film L’interview qui tue !, produit mais non commercialisé dans les salles, ces opérations ont rendu publiques des données confidentielles ainsi que des échanges d’emails entre grands responsables de l’entreprise. Or, ceux-ci se révèlent tour à tour racistes, peu scrupuleux ou méprisants dans leur correspondance. Ajoutons que cette attaque intervient alors que Sony sort tout juste d’un piratage massif de son réseau Playstation. Nous sommes donc bien loin des conflits interétatiques traditionnels opposant deux armées sur un champ de bataille, sur lesquels les théoriciens réalistes concentrent leurs analyses.
Au contraire, nous assistons ici à une confrontation qui oppose une major hollywoodienne – opérant à l’échelle mondiale et appuyée par Washington – à un groupe criminel soupçonné d’être soutenu par la Corée du Nord. Ce choc asymétrique voit l’une des plus grandes entreprises du cinéma mondial se soumettre, contre l’avis du gouvernement de son pays, au chantage d’activistes inconnus, exploitant la peur d’éventuels attentats qui seraient perpétrés dans les salles de cinéma. Nous assistons ainsi à un désordre, une « turbulence » –selon les mots de Rosenau – au terme de laquelle quelques individus réussissent à déstabiliser un géant américain au chiffre d’affaires annuel de 8 milliards de dollars. Ceci montre bien que les relations internationales ont désormais perdu leur caractère interétatique.
Références
Best Jacqueline et Paterson Matthew (eds.), Cultural Political Economy, London, Routledge, 2010.
Ferguson Yale, Mansbach Richard, A World of Polities. Essays on Global Politics, Abingdon: Routledge, 2008.
Rosenau James N., Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.
Sum Ngai-Lim, Jessop Bob, Towards A Cultural Political Economy. Putting Culture in its Place in Political Economy, Cheltenham, E. Elgar Publishing, 2013.