Fév 3, 2011 | Passage au crible, Union européenne
Par Klaus-Gerd Giesen
Passage au crible n°34
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Le 17 décembre 2010, l’Union européenne a accordé au Monténégro le statut officiel de candidat à l’adhésion. C’est à ce jour le seul État à être autorisé par le Conseil européen à rejoindre le groupe composé de la Croatie, de l’Islande, de la Macédoine et de la Turquie, alors que les demandes albanaise et serbe ont été ajournées. Quelques jours après cette décision, le Premier ministre Milo Djukanovic a quitté les fonctions d’État qu’il exerçait quasiment sans interruption depuis 1991.Or, les deux événements sont intimement liés.
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Rappel historique
Milo Djukanovic a pris les rênes du pouvoir à l’âge de 29 ans, lorsque le Monténégro formait encore l’une des composantes de la Yougoslavie. Avec l’appui de son mentor, Slobodan Milosevic, il a réussi la révolution antibureaucratique au sein de la Ligue des Communistes. Depuis, Djukanovic a constamment régné sur le petit État balkanique, à l’exception d’une seule interruption de seize mois (octobre 2006-février 2008). Ensuite, il a accompli cinq mandats comme chef du gouvernement et deux comme président. Débutant sa carrière politique comme communiste dogmatique, il s’est rapidement converti au nationalisme serbe lors des guerres de sécession qui ont secoué la Yougoslavie durant les années quatre-vingt-dix. Puis, il s’est retourné contre son ancien allié Milosevic avant d’incarner finalement un leadership indépendantiste, concrétisé par la sécession de la Serbie en 2006.
Quant au processus d’élargissement de l’Union européenne au-delà des vingt-sept Etats membres actuels, il semble enrayé depuis les référendums de 2005 sur la constitution européenne et, affaibli plus encore depuis la sévère crise économique de 2008-2009. Une certaine fatigue d’élargissement se fait sentir, la Croatie ne réussissant par exemple toujours pas à finaliser son adhésion. Dans un tel contexte, il apparaît d’autant plus surprenant que le Monténégro parvienne à dépasser la première étape du processus d’adhésion, à savoir le cadre des accords de stabilisation et d’association.
Cadrage théorique
Deux facteurs explicatifs se conjuguent:
1. La maîtrise unilatérale de toutes les étapes du processus d’adhésion par l’Union européenne se révèle un levier efficace de soft power. Il permet à cette dernière d’infléchir la politique intérieure des pays désireux de la rejoindre.
2. Certaines forces endogènes demeurent néanmoins en mesure de résister structurellement à la tutelle de Bruxelles et de s’adapter à la pression.
Analyse
Le statut de candidat officiel à l’adhésion a été accordé au Monténégro en échange de l’abandon par Milo Djukanovic de ses fonctions d’État. Celui-ci, qui jouissait du soutien de son ami Silvio Berlusconi, était devenu au fil des ans une figure embarrassante pour la majeure partie des autres chefs d’État ou de gouvernement ouest-européens. À la tête d’un pays progressivement transformé, sous sa houlette, en structure néo-patrimoniale, il dirigeait aussi un clan que de nombreux observateurs qualifient de mafieux. Par ailleurs, impliqué dans d’innombrables trafics et affaires de corruption, Djukanovic a été jugé infréquentable depuis que la gigantesque contrebande de cigarettes qu’il a cautionnée, voire peut-être supervisée, entre 1995 et 2002 a fait perdre des milliards d’euros de taxes aux États membres de l’Union européenne. Enfin, son régime pourtant élu avec toutes les apparences démocratiques, intimidait régulièrement les médias indépendants. Des juges italiens et allemands s’étaient par exemple intéressés de près à son cas, mais avaient été entravés dans leurs investigations par l’immunité dont il jouissait grâce à son statut de Premier ministre ou président.
Dominant les structures locales de pouvoir, qui sont profondément irriguées par la corruption et l’achat de votes, le départ de Djukanovic – à l’âge de seulement 48 ans – ne pouvait être imposé que de l’extérieur. Soutenue en tout premier lieu par l’Allemagne, la Commission européenne avait donc discrètement fait comprendre que le Monténégro n’accéderait pas au statut de candidat tant que ce dirigeant resterait en place. Sa promesse de départ a ainsi pu conduire à la décision du Conseil européen du 17 décembre 2010.
En fait, Bruxelles exerce des pressions en raison des problèmes rencontrés lors du dernier élargissement, devenu effectif au 1er janvier 2007. En effet, admises au sein de l’UE alors que des réserves avaient été émises sur l’intégrité de leurs systèmes judiciaires, leurs niveaux de corruption et leur volonté gouvernementale de lutter contre le crime organisé, la Bulgarie et la Roumanie font depuis l’objet d’un suivi européen tout à fait inédit. Quatre ans plus tard, il en résulte que les progrès en la matière demeurent insuffisants. Régulièrement tancés par la Commission pour la passivité de leurs élites politiques, les deux nouveaux entrants sont toujours autant gangrenés par la corruption et le crime organisé. Il s’agit là d’un véritable camouflet pour les institutions européennes d’autant plus manifeste que le gel d’importantes subventions à la Bulgarie n’a pas réussi à modifier la donne. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a décidé de changer de stratégie et d’exiger dorénavant un niveau acceptable de lutte contre la corruption et le crime organisé, de préférence en amont de toute négociation d’adhésion, sinon au plus tard au terme de celle-ci. Il en va de la crédibilité d’un projet d’intégration européenne dont le cœur reste le déploiement d’un marché unique pleinement transparent et fonctionnant sans obstacles autres que légaux. La Croatie en subit déjà (tardivement) les frais, entre autres parce que l’ancien Premier ministre Ivo Sanader est depuis le 10 décembre 2010 emprisonné en Autriche après avoir été accusé d’être directement impliqué dans plusieurs affaires de corruption qui secouent la Croatie.
Il reste à savoir si la nouvelle approche de la Commission européenne permettra réellement de favoriser des réformes structurelles. Dans le cas du Monténégro, l’on peut émettre de sérieux doutes car l’ancien Premier ministre Milo Djukanovic ne se retire nullement de la politique et reste à la tête du principal parti gouvernemental DPS qui a succédé à l’ancienne Ligue des Communistes. De ce fait, il continuera à contrôler le gouvernement du nouveau Premier ministre, Igor Luksic, un jeune technocrate âgé de 34 ans. Autant dire que la marge de manœuvre de ce dernier pour moderniser le pays et entamer les négociations d’adhésion semble être des plus étroites. Il faut y voir la preuve que si le soft power de l’Union européenne parvient peut-être à influer sur les événements, il ne réussit pas pour autant à infléchir les structures – en l’occurrence néo-patrimoniales – à l’intérieur des États de sa proche périphérie.
Références
Giesen Klaus-Gerd, « La crise économique et l’érosion de la souveraineté monténégrine », Le Courrier des Balkans, 31 mars 2009, http://balkans.courriers.info/article12586.html
Krifa-Schneider Hadjila (Éd.), L’Élargissement de l’Union européenne, Paris, L’Harmattan, 2007.
Sajdik Martin, Scwarzinger Michael, Europen Union Enlargement, New Brunswick, Transaction Publishers, 2008.
Telo Mario, Europe: A Civilian Power?, Basingstoke, Palgrave/Macmillan, 2007.
Jan 20, 2011 | Droits de l'homme, Passage au crible, Union européenne
Par Catherine Wihtol de Wenden
Passage au crible n°33
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Durant l’été 2010, le gouvernement français a décidé de reconduire vers leur pays – la Roumanie pour la plupart – les Roms campant en France dans des zones illicites. En échange, il a été proposé aux volontaires un pécule de 300 euros. L’argument suivant lequel ils seraient pénalement responsables de leurs campements établis dans des zones non autorisées a défrayé la chronique dans les pays européens et jusqu’aux institutions de Bruxelles. La plupart d’entre eux sont en effet – à l’exception de l’ex-Yougoslavie – ressortissants d’États membres de l’Union européenne (depuis 2007 pour la Roumanie et la Bulgarie) et ils bénéficient à ce titre de la liberté de circulation.
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Rappel historique
Selon les sources, cette population comprend 9 à 12 millions. À l’origine, les Roms proviennent de populations indiennes qui auraient pris la fuite, il y a plus de mille ans. Ils sont passés à travers la Perse, puis l’empire byzantin et l’Europe centrale et orientale avant de gagner l’Europe du sud, notamment l’Espagne. Autrement dit, ils font partie de l’histoire de l’Europe depuis le Moyen Age. On en dénombre désormais environ 2,4 millions en Roumanie (soit 10% de la nation), 800 000 en Bulgarie, (10% de la population), 800 000 en Espagne, 600 000 en Russie, 600 000 en Hongrie, 500 000 en Turquie, 400 000 en France, 150 000 au Royaume-Uni (selon des données chiffrées, fournis par La Croix en 2008).
Ils sont également présents aux États-Unis et au Canada depuis le dix-neuvième siècle ainsi qu’en Israël depuis ces vingt dernières années. De même, on note leur présence en Allemagne et au Portugal qui les a déportés vers ses colonies africaines et vers le Brésil dès le XVIIe siècle. Cependant, ils sont surtout nombreux aujourd’hui en Europe centrale et orientale où ils forment une composante non négligeable de la population, entre 5 et 10%. La majorité est devenue sédentaire, tandis que d’autres demeurent nomades. Ces derniers sont appelés, en France, « gens du voyage », comme d’autres itinérants non Roms. Soulignons que tous les Roms ne sont pas nomades et tous les gens du voyage ne sont pas des Roms. Ainsi par exemple, certains Français exercent-ils des métiers du voyage – marchands forains, théâtre ambulant, cirque – depuis des générations, sans être pour autant des Roms.
Cadrage théorique
Retenons deux lignes de force :
1. La question du contrôle des frontières par un Etat. La France est intervenue dans un contexte européen où la liberté de circulation des Européens de l’Union figure parmi les droits essentiels des citoyens européens.
2. La souveraineté d’un Etat européen sur une matière largement européanisée. Ceci signifie que la gestion des flux migratoires ne peut relever de la seule compétence et de la seule autorité souveraine d’un État membre. Ce dernier doit compter avec les autorités de Bruxelles et composer avec elles.
Analyse
Certes, le gouvernement français pouvait infliger des sanctions pénales aux Roms et aux autres nomades pour campement irrégulier. Mais nombre de communes ne respectent toutefois pas la législation leur enjoignant de prévoir un espace de stationnement au-delà d’un certain nombre d’habitants. En outre, il ne pouvait pas pour autant reconduire à la frontière, des Européens comme de simples migrants extra-européens en situation irrégulière, même avec une offre de 300 euros. Le second point faisant problème, reste le ciblage ethnique : comment décider qu’il s’agit de Roms alors que la France n’a pas officiellement de statistiques ethniques ? Or, une circulaire du 5 Août 2010 émanant du Ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, les a pourtant désignés nommément, avant qu’elle ne soit précipitamment retirée face aux réactions des média et d’une partie de l’opinion publique. De nombreuses atteintes à la déontologie de la sécurité par les forces de police ont déjà été mises à jour au sujet de Roms. De toute évidence, l’opération s’inscrivait, semble-t-il, dans le seul souci de séduire une certaine frange de l’opinion publique –davantage marquée à droite – face à l’échec d’autres dispositions, comme le débat sur l’identité nationale. Cette politique est sans doute apparue d’autant plus légitime aux autorités françaises que la France ne semblait pas isolée sur ce dossier. En Italie, la capitale a été par exemple perdue par la gauche socialiste aux dernières élections municipales sur le thème de l’insécurité ; la droite ayant criminalisé la question des Roms, après l’avoir portée avec succès au cœur de la campagne électorale.
Le 15 octobre 2010, une recommandation du Parlement européen a condamné cette reconduction à la frontière des Roms. Elle a été suivie d’une intervention de la Commissaire à la Justice, Viviane Reding, qui a comparé la période actuelle à celle des années quarante. Par ailleurs, une prise de position du Conseil européen est également allée dans ce sens. La politique française a alors été discréditée par Bruxelles et le cas français largement médiatisé à l’étranger. En effet, les Roms représentent une population qui a déjà été victime de persécutions à plusieurs reprises. Ainsi, ont-ils été mis à l’écart pendant plusieurs siècles en Europe de l’Ouest et de l’Est avant d’être gravement persécutés sous le nazisme. Rappelons qu’en Roumanie, ils ont été assujettis au servage jusqu’en 1865, puis sédentarisés de force sous le communisme, comme dans les autres pays d’Europe centrale et orientale. Fortement discriminés et privés de leurs avantages sociaux depuis la chute du mur de Berlin, certains d’entre eux sont redevenus nomades, comme leurs compatriotes roumains et bulgares non Roms, anticipant souvent sur la liberté de circulation dès le début des années quatre-vingt-dix. Finalement, ils l’ont acquise respectivement en 2000 (Bulgarie) et 2001 (Roumanie). Pourtant, ils ne bénéficieront de la liberté de travail et d’installation qu’en 2014.
Durant l’été 2010, l’affaire des Roms est apparue révélatrice du traitement improvisé et unilatéral de cette question européenne par la France. Elle a suscité les réactions du gouvernement roumain, avec lequel les responsables français avaient tenu sur ce sujet plusieurs rencontres bilatérales au cours de ces cinq dernières années. Bucarest déplorait qu’une confusion entre Roms et Roumains puisse s’insinuer dans les esprits. Mais la Roumanie a plus encore démontré que l’Europe existait, comme garante de la défense des droits de l’Homme quand les limites au respect des droits se trouvaient dépassées. À cet égard, la riposte du Parlement européen, conjointement à celle de la Commissaire européenne à la Justice et aux vives réactions du Conseil européen d’octobre 2010 ont rappelé que les institutions bruxelloises restaient vigilantes dès lors que les droits des Européens étaient menacés.
Références
Sur les roms en Europe : La Croix, 10 Août 2010
Sur les roms en général : revue Etudes tziganes
Alain Reyniers (ULB) : http://www.iiac.cnrs.fr/lau/spip.php?article129
Jan 7, 2011 | Crise financière, Finance internationale, Passage au crible
Par André Cartapanis
Passage au crible n°32
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Le Sommet du G20 qui s’est tenu à Séoul, les 11 et 12 novembre 2010, a fait l’objet de commentaires quelque peu désabusés. Après celui de Washington (15 novembre 2008), qui avait pour ambition de refonder le capitalisme et de préparer un nouveau Bretton Woods, on attendait de cette dernière réunion, une maîtrise accrue des distorsions de taux de change, souvent qualifiées de guerre des monnaies. Enfin, on espérait également l’ébauche de nouvelles règles en matière monétaire. Or, sur ce plan, le bilan du G20 apparaît extrêmement décevant. Cependant, les chefs d’État ou de gouvernement ont tout de même approuvé les contours d’une réforme de la réglementation financière qui s’avère ambitieuse. Mais son application ne sera toutefois effective, qu’en 2019.
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Rappel historique
Dès le déclenchement de la crise systémique, à l’automne 2008, les chefs d’État ou de gouvernement ont très vite initié une action collective en adoptant un vaste plan de consolidation des systèmes financiers pour éviter qu’un tel scénario ne puisse se reproduire à l’avenir. Le G20 de Washington a ainsi approuvé un Plan d’action qui s’apparente à un programme d’extension et d’approfondissement des règlementations s’appliquant aux intermédiaires financiers. Le 2 avril 2009, cette feuille de route a été approfondie lors du Sommet du G20 de Londres, afin de rendre opérationnelles, les options retenues à Washington. Les Sommets de Pittsburgh, les 24 et 25 septembre 2009, et de Toronto, les 26 et 27 juin 2010, ont poursuivi la tâche, sans inflexion majeure sur le plan des objectifs financiers. Dans le même temps, ils ont élargi les discussions à la gouvernance des institutions internationales – le FMI en particulier – et à la coordination des politiques macroéconomiques et des politiques de change. Dernier en date, le Sommet de Séoul, a élaboré une nouvelle Déclaration incluant un Plan d’action portant sur une coordination accrue des politiques monétaires et de taux de change. Ce texte approuve les propositions du Conseil de stabilité financière et du Comité de Bâle sous la forme d’un nouvel ensemble de standards macroprudentiels – désormais dénommés Bâle III – qui doit s’appliquer aux banques.
Cadrage théorique
1. Déséquilibres globaux et guerre des monnaies. La crise financière est pour partie liée aux déséquilibres globaux de balances des paiements qui se sont accumulés depuis les années 2000 entre les pays émergents (Chine, Russie, OPEP) et l’économie américaine. En effet, l’accumulation de réserves officielles en dollars a rendu possible une expansion très vive de la liquidité internationale. Elle s’est en outre accompagnée de distorsions de taux de change, certaines monnaies se trouvant sous-évaluées – comme le yuan – tandis que le dollar demeurait dans une situation de surévaluation pesant sur la compétitivité américaine. Quant à l’euro, il s’est maintenu dans la même situation qu’avant la crise. Cette configuration a été imputée à la politique chinoise de change car celle-ci vise effectivement un ancrage du yuan vis-à-vis du dollar qui favorise un processus de croissance tiré par les exportations. Or, on retrouve aujourd’hui des distorsions comparables, certains pays – Chine, Allemagne, Japon – continuant à enregistrer de très importants excédents de balances des paiements courants qui alimentent des transferts massifs de capitaux et entretiennent la surévaluation de certaines monnaies, en Asie et en Amérique latine. Cela provoque alors dans ces économies de nouvelles bulles spéculatives sur les marchés d’actifs financiers ou dans l’immobilier. D’où l’idée de limiter ces déséquilibres globaux dans un cadre coopératif, par exemple, selon la proposition du Secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner. En l’espèce, il s’agirait d’imposer un ajustement des politiques macroéconomiques dès que ces déséquilibres dépassent le seuil de 4% du PIB, en situation d’excédent ou de déficit des paiements courants. Une autre option consisterait à laisser les taux de change s’ajuster en fonction des forces du marché afin de neutraliser les risques de guerre des monnaies et de manipulation des taux de change.
2. Réglementation macroprudentielle. La réglementation prudentielle qui s’applique aux banques a pour fonction de brider les comportements à risque et de minimiser la probabilité de crise en visant deux objectifs. Elle doit contribuer à la sécurité de chaque intermédiaire bancaire afin de protéger les déposants ou les investisseurs, face à d’éventuelles défaillances individuelles. Telle est la dimension traditionnelle de dispositifs prudentiels – qualifiés de microprudentiels et dénommés Bâle I ou Bâle II – qui cherchent à limiter le risque de détresse financière pour des institutions individuelles, indépendamment de leur impact sur le reste de l’économie. Mais la réglementation bancaire doit également stabiliser le système monétaire et financier dans son architecture globale, compte tenu de ses fonctions macroéconomiques. Autrement dit, elle a pour objet de contenir le risque systémique. On voit donc bien ainsi que la finalité d’une telle approche macroprudentielle consiste à assurer la stabilité et la continuité des échanges au sein de la sphère financière, même si elle implique aussi de limiter les sources de surendettement. Enfin, elle vise à juguler tout risque de détresse financière qui induirait des pertes significatives en termes de croissance, comme ce fut le cas par exemple avec la crise systémique de 2008-2009.
Analyse
Dans le domaine de la coordination des politiques monétaires ou de change, le Sommet de Séoul constitue un échec. En effet, aucun accord politique n’a été possible, la Chine y étant opposée aussi bien sur la réduction des déséquilibres globaux, que sur la gouvernance mondiale du système monétaire et les politiques de change. Plutôt que d’adopter de nouvelles règles, les participants se sont donc modestement contentés de confier au FMI le soin d’approfondir la réflexion sur la compatibilité globale des politiques macroéconomiques. En revanche, en ce qui concerne les réglementations prudentielles, le G20 de Séoul marque de réels progrès, insuffisamment soulignés. Le nouveau dispositif macroprudentiel, que l’on dénomme déjà Bâle III, prévoit d’augmenter significativement les provisions en capitaux propres des banques et d’introduire de nouveaux ratios –de liquidité et de levier – qu’elles devront impérativement respecter. Autant de mesures qui sont de nature à limiter les prises de risques – illiquidité, insolvabilité, transformations d’échéances – des banques. Quant aux risques de contagion et de défaillances bancaires en cascade, plusieurs lignes d’action ont été arrêtées : 1) réduire l’importance systémique de certains établissements en plafonnant leur taille ou en restreignant la gamme de leurs opérations sur les marchés d’actifs; 2) renforcer le provisionnement en fonds propres en fonction du risque systémique porté par un établissement ; 3) élargir le périmètre de la réglementation prudentielle à des établissements –comme les Hedge Funds – ou des produits financiers – tels les dérivés – qui y échappaient encore jusqu’ici. Á l’avenir, en fonction de leur contribution au risque systémique certaines banques –qualifiées de too big to fail – devraient donc être assujetties à des provisions plus élevées en capitaux propres que d’autres institutions bancaires plus modestes. Si toutes ces mesures vont certes dans le bon sens et marquent une inflexion majeure en matière de dérèglementation financière, on regrettera cependant que le calendrier d’application de ces mesures s’étende jusqu’en 2019. Enfin, soulignons que la transposition opérationnelle des principes de Bâle III reste soumise à l’agrément des gouvernements.
Références
Cartapanis André, La crise financière et les politiques macroprudentielles : inflexion réglementaire ou nouveau paradigme ?, Conférence présidentielle, 59e Congrès de l’AFSE, Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, 10 septembre 2010 : http://www.touteconomie.org/index.php?arc=v25.
G20, The Seoul Summit Leader’s Declaration November 11-12, 2010:
http://media.seoulsummit.kr/contents/dlobo/E1._Seoul_Summit_Leaders_Declaration.pdf
Cartapanis André, « Les architectes de la crise financière », in : Josepha Laroche (Éd.) Un Monde en sursis, dérives financières, régulations politiques et exigences éthiques, Paris, L’Harmattan, 2010, coll. Chaos International, pp. 41-52.
Déc 15, 2010 | Diplomatie non-étatique, Droits de l'homme, Paix, Passage au crible, Prix Nobel
Par Josepha Laroche
Passage au crible n°31
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Le 10 décembre dernier, lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix, le lauréat –l’opposant chinois Liu Xiaobo – était absent car il purge actuellement dans son pays une peine de onze ans de prison pour « activités subversives ». Malgré les pressions exercées par Pékin, il était considéré depuis plus d’un an comme l’un des favoris. Finalement, le comité Nobel lui a décerné cette récompense le 7 octobre 2010 « pour ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine », récompense qualifiée d’« obscénité » par les autorités chinoises.
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Rappel historique
Depuis 1901, la cérémonie de remise des Nobel se déroule chaque année, le 10 décembre. Ce jour précis marque la date anniversaire de la mort d’Alfred Nobel (1833-1896), le fondateur de ce système de prix. Inventeur, industriel, financier, homme de lettres, et plus encore pacifiste, ce philanthrope suédois à la tête d’une des premières firmes transnationales, a décidé par testament le 27 novembre 1895 de consacrer son immense fortune à la création de cinq prix annuels, dont quatre seraient décernés à Stockholm : physique, chimie, physiologie-médecine, littérature. Quant au prix de la paix, il exigea expressément que l’attribution en fût confiée au Parlement norvégien, le Storting. À l’époque, la chambre d’Oslo représentait en effet l’une des rares assemblées en Europe, réellement démocratiques. Par ailleurs, l’activité qu’elle avait déjà déployée en faveur de la paix parut à Alfred Nobel plus déterminante que le conflit suédo-norvégien, alors pourtant très vif. L’entrepreneur désigna donc la Chambre norvégienne pour en assurer la gestion, estimant qu’elle était la plus qualifiée et la plus légitime. Comme Nobel ne partageait pas les vues utopistes de ses amis pacifistes, il a cherché à promouvoir une nouvelle technologie pacifiste en forgeant un dispositif aussi inédit qu’original. Pour ce faire, il a conçu un outil symbolique marqué au sceau de l’humanisme, du scientisme et de l’idéologie méritocratique. Ainsi, a pris forme depuis plus d’un siècle un système de gratifications internationales qui honore des individus et transcende les frontières étatiques, tout en récusant les nationalismes que son fondateur abhorrait.
Rappelons que le dissident chinois Liu Xiaobo a joué un rôle central dans la rédaction de la Charte 08, un manifeste publié par des intellectuels et des militants réclamant la liberté d’expression et des élections pluralistes en Chine. Cet ancien professeur de littérature a également été l’un des leaders des manifestations d’étudiants de la place Tiananmen en 1989, événements au cours desquels il avait notamment mené une grève de la faim. S’agissant de son absence lors de la cérémonie, il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’un Nobel n’est pas autorisé à recevoir sa récompense. Cette interdiction fait suite à plusieurs décisions analogues. En 1958 par exemple, l’écrivain soviétique Boris Pasternak, n’a pu se rendre à Stockholm pour recevoir son Nobel de littérature et il en fut de même en 1970, pour le romancier, Alexandre Soljenitsyne. De nouveau, en 1975, l’académicien et physicien, Andrei Sakharov, n’a pas davantage obtenu de visa des autorités soviétiques pour recevoir son Nobel de la paix. Enfin, de la même façon, l’opposante à la junte birmane, Aung San Suu Kyi, n’a pas été autorisée à se rendre à Oslo en 1991.
Cadrage théorique
Une diplomatie non étatique. L’attribution des prix Nobel – quelle que soit leur mention – a institué au fil du temps une diplomatie – la diplomatie Nobel – qui se caractérise par une forte cohérence globale et une constante détermination à faire prévaloir la doxa Nobel face aux acteurs étatiques. C’est pourquoi, le processus de nobélisation a souvent pour finalité de contredire – voire de condamner – la politique d’un ou de plusieurs d’entre eux.
Une diplomatie morale. L’institution Nobel se pose en conscience universelle et en entrepreneur de morale. En l’espèce, elle entend incarner l’irréductibilité de valeurs telles que la liberté, le savoir ou le désintéressement. Elle se considère à ce titre comme le plus solide défenseur des droits humains contre la Raison d’État. Á travers ses lauréats, elle représente une élite militante, une véritable cléricature internationale qui s’octroie un droit d’ingérence dans les affaires intérieures des États au nom de l’universalité des droits de l’Homme et de la préservation de la paix mondiale.
Analyse
Face à la radicalité de la diplomatie Nobel, les autorités chinoises ont engagé une vaste offensive diplomatique en amont pour tenter dans un premier temps de modifier la décision du Comité et de prévenir toute distinction accordée à Liu Xiaobo. Cependant, la proclamation du 7 octobre a sonné comme un premier échec et une stigmatisation de leur politique. Dès lors, elles sont intervenues en aval auprès des chancelleries étrangères afin qu’elles boycottent massivement la cérémonie. Mais malgré leurs pressions réitérées, seuls, vingt pays – parmi lesquels l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, Cuba, l’Iran, le Pakistan, la Russie, et le Sri Lanka ou encore le Venezuela – ont finalement décliné l’invitation de l’Institut Nobel. En revanche, les soixante-cinq pays disposant d’une représentation diplomatique à Oslo ont décidé pour l’essentiel d’être présents. Ainsi par exemple, les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni ou bien encore le Brésil ont-ils décidé de ne pas céder devant les mises en garde et menaces qui leur ont été signifiées par Pékin.
Le choix de Liu Xiaobo s’inscrit dans une ligne diplomatique qui montre combien la diplomatie Nobel envers la Chine reste constante au cours du temps. En effet, n’oublions pas qu’en 1989, les jurés d’Oslo ont décerné ce prix au chef spirituel du Tibet, le Dalaï-lama, quatre mois seulement après le printemps de Pékin et trente ans après le soulèvement de Lhassa. Á l’époque, cette décision offrait de manière très significative une reconnaissance internationale à la cause tibétaine alors que l’ouverture du marché chinois incitait déjà à la pusillanimité. En effet, si le Dieux vivant s’était toujours efforcé d’obtenir l’autodétermination du Tibet par des moyens pacifiques, il était pourtant resté jusque-là diplomatiquement isolé. Á plusieurs reprises, il avait proposé à Pékin des compromis très modérés ; suggérant par exemple, pour le Tibet, un statut analogue à celui de Hong-Kong, en vertu du principe un pays, deux systèmes. En le désignant, le jury d’Oslo tint à souligner dans ses attendus combien le lauréat s’était « systématiquement opposé au recours à la violence ». En d’autres termes, ce prix représentait tout à la fois une condamnation de la politique chinoise et une invitation lancée à ses dirigeants pour qu’ils négocient un règlement de la question tibétaine avec le nouveau lauréat.
Alors qu’elle ne s’est toujours pas ouverte à la démocratie, la Chine n’a cessé depuis plus de vingt ans de renforcer sa puissance sur la scène mondiale au point de devenir aujourd’hui le principal rising challenger face à l’hegemon américain. Á certains égards, ne compose-t-elle pas désormais avec ce dernier, un directoire du monde, le G2 ? Toutefois, malgré cette nouvelle donne, la ligne Nobel demeure rigoureusement la même : elle oscille entre condamnation morale et incitation au dialogue. C’est dire qu’en décidant de couronner le combat d’un citoyen chinois pour la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, le Comité Nobel a refusé radicalement – à la différence de bien des États – d’être condamné à résipiscence face aux objurgations chinoises.
Références
Laroche Josepha, Les Prix Nobel, sociologie d’une élite transnationale, Montréal, Liber, 2012, 184 p.
http://nobelprize.org/nobel_organizations/
http://fr.rsf.org/chine-liu-xiaobo-biographie-28-10-2010,38695.html
http://fr.globalvoicesonline.org/2010/10/12/46516/
Nov 13, 2010 | Humanitaire, Nord-Sud, Passage au crible
Par Clément Paule
Passage au crible n°30
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Le 29 octobre 2010, plusieurs porte-parole des agences humanitaires de l’ONU (Organisation des Nations unies) ont réaffirmé leurs inquiétudes quant à la situation fragile de millions de déplacés pakistanais. Ces déclarations alarmistes insistent sur le manque d’abris et de nourriture à l’approche de l’hiver, trois mois après le déclenchement des pluies torrentielles ayant ravagé le Pakistan. Depuis le 26 juillet 2010, des inondations massives se sont en effet étendues sur près d’un cinquième du pays, de la province de Khyber Pakhtunkhwa – située au Nord-ouest – jusqu’à la région méridionale du Sindh. Pour l’heure, le bilan humain s’élèverait à près de 1800 morts et environ 14 millions de sinistrés. D’autant que les dégâts matériels ont pu être estimés à 43 milliards de dollars et que le secteur agricole – crucial pour l’économie nationale – a été durement affecté. Selon des responsables onusiens, il s’agirait de la pire catastrophe de l’histoire pakistanaise. Dès lors, de nombreux analystes ont évoqué le futur incertain d’un État déstabilisé alors que s’intensifie le conflit interne opposant les autorités aux groupes islamistes.
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> Références
Rappel historique
En premier lieu, soulignons que le Pakistan – sixième pays le plus peuplé du monde – est particulièrement exposé aux risques naturels, surtout sismiques et hydrologiques. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, plusieurs inondations de grande ampleur ont frappé ce territoire également vulnérable aux tremblements de terre. Rappelons à titre d’exemple que six millions de personnes avaient été affectées – dont plus de 1300 morts – par les fortes précipitations accompagnant la mousson d’hiver de 1992. La base de données EM-DAT (Emergency Events Database) du CRED (Centre for Research on the Epidemiology of Disasters) dénombre ainsi quelques dizaines de phénomènes similaires depuis 1900. Pour autant, ces chiffres montrent aussi que les coûts socio-économiques liés à ce type d’aléa paraissent très supérieurs à l’impact des grands séismes pourtant plus meurtriers.
Ensuite, il importe d’évoquer certains précédents historiques établissant un lien structurant entre la gestion des catastrophes et la conjoncture politique. À cet égard, le cyclone de Bhola ayant frappé le Pakistan oriental – l’actuel Bangladesh – en novembre 1970 semble révélateur de cette interdépendance. La passivité du gouvernement fédéral avait alors été stigmatisée par l’opposition séparatiste – la Ligue Awami –, permettant à cette dernière de remporter les élections provinciales un mois plus tard et de proclamer la sécession bengalie. Si la réussite de la scission doit beaucoup à l’implication indienne dans le conflit, il n’en demeure pas moins que cet accident naturel a été fortement instrumentalisé par les acteurs politiques. Enfin, le récent tremblement de terre d’octobre 2005 – survenu dans la région disputée du Cachemire – a également suscité une puissante mobilisation transnationale. Cependant, de nombreuses tensions ont alors opposé les ONG (Organisations non gouvernementales) occidentales et l’armée pakistanaise, critiquée pour son encadrement étroit de l’assistance. Enfin, l’agence nationale ERRA (Earthquake Reconstruction and Rehabilitation Authority), mise en place par les autorités pour centraliser les secours, a été accusée de corruption et de détournements massifs.
Cadrage théorique
1. Internationalisation de la catastrophe. Il s’agit de rappeler ici que le désastre s’inscrit dans un système de contraintes historiques, politiques et stratégiques. Dans cette logique, les dynamiques internationales de l’intervention humanitaire doivent être analysées en regard de ces enjeux régionaux.
2. Gestion concurrentielle des secours. De toute évidence, de nombreux clivages parcourent l’espace des opérateurs de l’aide et orientent la distribution de ressources rares et ses modalités. En d’autres termes, la dispersion des stratégies – et des objectifs – transforme l’assistance en objet de compétition, aussi bien à l’échelle diplomatique qu’au sein même de l’État pakistanais.
Analyse
Précisons dans un premier temps certaines caractéristiques de cette catastrophe qui se présente comme un processus lent – contrairement au tsunami de 2004 ou au séisme haïtien – dont l’impact se manifeste à moyen terme. En l’occurrence, les dégâts entraînés par les inondations sont démultipliés par la crise économique sévissant dans le pays qui a récemment fait appel au FMI (Fonds Monétaire International). Soulignons que quatre millions d’hectares cultivables ont été submergés, contraignant le Pakistan à l’importation de produits alimentaires pour tenter d’enrayer une probable flambée des prix. Or, ceci laisse présager un regain de tensions sociales dans un État déjà profondément divisé par des conflits ethniques – liés à une centralisation contestée –, religieux et surtout politiques. En l’espèce, il convient de rappeler le rôle spécifique des militaires qui ont pris le pouvoir de 1999 à 2008 avec le général Musharraf, et ses relations ambivalentes avec l’actuel gouvernement civil. Outre cette considération, les autorités nationales – alliées traditionnelles des États-Unis – font face depuis une décennie à une insurrection de groupes armés liés aux Talibans afghans. Cette configuration complexe d’intérêts opposés a été retranscrite dans la crise post-accidentelle. Plus encore, la gestion du désastre apparaît comme un moyen de modifier les rapports de force existants, aussi bien pour les acteurs locaux qu’internationaux.
Derrière la rhétorique consensuelle de la solidarité mondiale se déploie en effet une véritable diplomatie de la catastrophe structurée par les objectifs stratégiques des bailleurs. À ce titre, mentionnons l’aide américaine s’élevant à près d’un demi-milliard de dollars. Si cet engagement peut permettre l’amélioration de l’image de Washington – entachée par les bavures de la guerre en Afghanistan –, il s’agit surtout de soutenir un allié traditionnel et indispensable pour son implantation régionale. Cet impératif de sécurité nationale, selon l’expression du Sénateur John Kerry, a été confirmé par l’annonce récente d’une assistance militaire de deux milliards de dollars sur cinq ans. Dans la même logique, la mobilisation considérable du monde musulman peut difficilement être réduite à une simple manifestation d’entraide. Ainsi, les contributions saoudienne – 365 millions de dollars – et iranienne – 100 millions – évoquent par leur ampleur une démarche de soft power visant à affirmer leur présence dans la région sinistrée. De la même manière, le voisin chinois, bailleur émergent, a promis près de 250 millions de dollars le 23 septembre 2010. Par ailleurs, l’intrication des dimensions symbolique et politique s’exprime aussi dans le refus du gouvernement pakistanais de tout secours direct du rival indien.
Remarquons également que la procédure d’appel des Nations unies – requérant désormais 1,9 milliard de dollars – n’a rassemblé à ce jour que 39% de la somme sollicitée. Au-delà de la crise mondiale, les modalités de financement permettent d’expliquer cette carence : les pays musulmans et la Chine semblent privilégier l’aide bilatérale, alors que les bailleurs occidentaux s’en méfient et attribuent surtout leurs fonds au SNU (Système des Nations unies), aux ONG internationales, ou encore au Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Pour autant, les autorités pakistanaises ont récemment tenté d’affirmer leur leadership sur le plan de la reconstruction en refusant la gestion directe de projets par des acteurs externes. Cette revendication du contrôle des secours paraît vitale pour un gouvernement affaibli et très critiqué pour son inefficacité, notamment par les responsables régionaux. D’autant que, selon certains analystes, la forte mobilisation de l’armée – 60 000 soldats déployés fin août – a éclipsé le pouvoir civil, rendant possible un coup d’État similaire à celui de 1999. Enfin, d’autres commentateurs ont souligné le rôle croissant des organisations islamistes – comme Jamaat-ud-Dawa ou Ahle Sunnat Wal Jamaat – dans l’assistance, susceptible d’accentuer la délégitimation d’un régime allié des Américains. Cette extrême fragilité de l’État pakistanais dans ses frontières renforce l’impact d’une aide internationale dont la maîtrise demeure plus que jamais cruciale.
Références
Jaffrelot Christophe (Éd.), Le Pakistan, carrefour de tensions régionales, Bruxelles, Complexe, 2002.
OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs), FTS (Financial Tracking Service), Table A: List of All Commitments/Contributions and Pledges as of 02 November 2010, 2 novembre 2010, consulté sur le site : http://www.reliefweb.int/fts [2 novembre 2010].
Questions internationales, « Les catastrophes naturelles », (19), mai-juin 2006.
Site internet de l’agence pakistanaise NDMA (National Disaster Management Authority) : http://www.ndma.gov.pk/.