The Global Public Domain and Offside In-Your-Face Publics Séminaire du Professeur Daniel Drache du 14 décembre 2011

En partenariat avec l’École doctorale du Département de science politique de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, Chaos International a organisé un séminaire de recherche – en français et en anglais – autour de Daniel Drache, professeur de science politique à l’Université d’York (Canada). Sa communication a porté sur l’impact des NMS (Nouveaux Médias Sociaux) dans l’économie politique de la protestation, mais également dans la création d’un nouvel espace public.

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L’article du professeur Daniel Drache

La note de synthèse du séminaire

PAC 50 – Le triomphe de l’American Way of Life L’échec de la voiture indienne, la Nano

Par Alexandre Bohas

Passage au crible n°50

Source : Pixabay

Annoncée avec éclat par les médias occidentaux, la Nano a été saluée en mars 2009 comme la voiture du monde émergent tandis que d’autres ont stigmatisé la pollution que sa mise sur le marché massive entrainerait. Toutefois, tous se sont accordés à dire qu’elle constituerait pour les pays nouvellement industrialisés, la Ford T des années folles. Or, force est de constater qu’elle n’a pas recueilli le succès escompté.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

A l’image du reste de l’économie, le secteur indien de l’automobile connaît une expansion fulgurante avec plus de 2 millions de véhicules produits et l’objectif de dépasser les 3 millions d’ici fin 2016. Le principal acteur reste Maruti-Suzuki affichant 45% de part de marché tandis que Tata – pourtant un géant des Poids Lourds – n’en détient que 12%. Les clients potentiels restent innombrables : 81 millions de ménages dont les revenus dépassent 75 000 roupies par an. Leur pouvoir d’achat ne cessant de progresser régulièrement, ils aspirent à entrer dans la société de consommation. Par ailleurs, il se vend 13 millions de motos par an. Souvent utilisées comme moyen de locomotion familiale, celles-ci devraient cependant être progressivement remplacées.

Dans ce contexte, la commercialisation de la Nano correspond aux attentes d’Indiens enrichis. En effet, proposée à l’époque pour 100 000 roupies (1 700 euros), le groupe Tata comptait sur ce modèle à bas coût pour conquérir une place prépondérante sur ce segment et détrôner ainsi Maruti-Suzuki. Avec un objectif ambitieux de 15 000 ventes par mois, il s’est donc doté d’une capacité de production de 20 000 unités mensuelles. Il s’est également lancé dans une stratégie de distribution systématique car il souhaitait pouvoir distribuer ce véhicule dans les campagnes les plus reculées où la moto demeure le type de transport le plus utilisé. Mais confronté à une baisse des commandes — le niveau le plus bas ayant été atteint en novembre 2010 avec seulement 509 ventes — il a abaissé sa marge pour favoriser ses points de ventes. Puis, il a étendu sa garantie de 18 à 60 mois et offert un moteur plus efficient et davantage d’options, sans retrouver un niveau de ventes satisfaisant. En fait, à l’exception d’avril 2011, les objectifs n’ont jamais été atteints. Malgré 1) les erreurs de communication et de marketing, 2) les déboires industriels entraînés par un mauvais emplacement du site productif et 3) la pénurie des premiers mois, des causes plus fondamentales semblent à l’origine de ces méventes.

Cadrage théorique

1. Une structuration socioculturelle des marchés. Souvent naturalisés par les analystes, les marchés ne résultent pas uniquement d’un ajustement entre une offre et une demande. À plusieurs titres, cette dernière apparaît structurée sur le plan social et culturel. Tout d’abord, elle émerge dans une société et un contexte bien spécifiques. Ensuite, de manière déterminante, son fonctionnement demeure fortement marqué par des symboliques et des représentations culturelles qui déterminent le désir des acquéreurs et la valeur fixée.

2. Le caractère hégémonique du mode de vie occidental. Si l’hégémonie est souvent assimilée à la suprématie militaire d’un État, il convient de retenir tout autant la prépondérance socioculturelle de groupes transnationaux.

Analyse

Trop rapidement traitée par les publications spécialisées, la dimension culturelle dans l’échec de la Nano apparaît incontournable. En effet, le Groupe Tata a voulu attirer les classes moyennes de l’Inde qui souhaitaient acquérir une automobile. Pour ce faire, il a présenté une offre à un prix très compétitif. Mais, alors que cet élément est devenu l’argument de vente principal, l’assimilation de ce bien aux populations pauvres a terni son image et l’a discrédité auprès des acheteurs potentiels. En témoignent les surnoms dont il a été affublé, « la voiture du peuple » en Inde et « la voiture des taxis » au Sri Lanka, où beaucoup de chauffeurs de cette profession l’ont acquis. Or, ce véhicule reste associé à un statut, à un signe extérieur de réussite sociale, de valeurs, « d’une extension de puissance… [et] un constructeur du moi » pour reprendre les termes d’Erich Fromm. À ce propos, d’aucuns ont souvent rapproché la Nano de la Ford T, ce qui méconnaît les symboles, les représentations collectives de liberté, de loisirs et de modernité qu’incarnait la berline américaine. En fait, les constructeurs occidentaux prospèrent grâce à cet aspect symbolique. Ils se fondent sur l’emploi des dernières technologies, un branding premium, un luxe intérieur et des lignes innovantes, autant de caractéristiques pour désigner ce que Roland Barthes a bien perçu, à travers la Citroën Déesse, des créations « consommées dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique ». Comme l’a analysé Peter Wells, la Nano a représenté a contrario un vrai défi à la filière occidentale en promouvant un business model centré sur le caractère fonctionnel.

Toutefois, ses clients ont voulu se départir du modèle de base qui n’a représenté que 20% des ventes. Ils ont même préféré à 38% le plus onéreux. Mentionnons à cet égard qu’elle constitue souvent le deuxième véhicule du foyer. En Inde, ces comportements d’achat démontrent l’identification des classes moyennes à l’American Way of Life. Ces dernières entendent se distinguer de la bourgeoisie, reconnaissant implicitement que les sociétés européano-américaines détiennent le droit de définir la culture légitime de référence. Finalement, elles ne font que reproduire des pratiques importées.

Enfin, mettons en lumière un clivage Nord-Sud. Dans les pays dits du Nord, la voiture est désormais considérée comme nocive et polluante, est banalisée et perçue davantage comme simple moyen de transport. À titre illustratif, la Dacia Logan destinée à l’Europe de l’Est a créé la surprise en se vendant bien dans des pays de l’Ouest comme la France où le covoiturage et les systèmes de voiture en libre service se développent rapidement. Aussi, si la Nano arrive à accéder aux marchés européens comme elle l’ambitionne, elle parviendra contre toute attente à un plus grand succès qu’en Inde.

Références

Cox Robert, Sinclair Timothy, Approaches to World Order, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
Almeida Jeewan, Jony Sandeep, Chandran Nikhil, Purushotham Keerthi, Gupta Ashish, « Auto-Economics : The Tata Nano », Deakin Papers on International Business Economics, July 2010, pp. 26-32.
Baggonkar Swaraj, « Big Sales Problem with Tata’s Small Car », Business Standard Monitoring, 15 Aug. 2011.
Barthes Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Becker-Ritterspach Florian, Becker-Ritterspach Jutta, « The Development of India’s Small Car Path », Management Online Review, April 2009, pp. 1-10.
Fromm Erich, Avoir ou être ? Un choix dont dépend l’avenir de l’homme, Paris, Editions R. Laffont, 1978.
Gramsci Antonio, Cahiers de prison, Paris, Gallimard, 1996.
« Stuck in Low Gear », The Economist, 20 Aug. 2010.
Pooshan Upadhyay, Keertiman Sharma, « A Study on Consumer Perceptions & Expectations for TataNano », Adhyayan : A Management Journal, 25 Feb 2011, pp. 21-25.
Thomas White International, « Automobile Sector in India : Fast Growth », BRIC Spotlight Report, Oct. 2010, pp. 1-11.
Thottan Jyoti, « The Little Car That Couldn’t », Time, 14 Oct. 2011, pp. 39-41.
Wells Peter, « The Tata Nano, the Global ‘Value’ Segment and the Implications for the Traditional Automative Industry Regions », Cambridge Journal of Regions, 1st April 2010, pp. 1-15.
Zelizer Viviana, Pricing the Priceless Child : The Changing Social Value of Children, Princeton, Princeton University Press, 1985.

PAC 48 – De la guerre juste à la paix juste La mort de Mouammar Kadhafi, 20 octobre 2011

Par Jean-Jacques Roche

Passage au crible n°48

Source Pixabay

Le Conseil national de transition a annoncé que l’ancien dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, tué le 20 octobre 2011, a été enterré ce mardi dans un lieu tenu secret, quelque part dans le désert libyen. Son fils, Mouatassim a été inhumé lors de la même cérémonie.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

S’il vient de recevoir le prix Sakharov, le Printemps arabe n’apparaît pas seulement comme le résultat de manifestations pacifiques. Cela a été certes le cas en Tunisie et en Égypte où le pouvoir a cédé sous la pression de la rue. Mais le recours à la force a été nécessaire pour libérer la Libye d’une tyrannie vieille de quarante ans.

Ces révoltes prennent une dimension nouvelle quand une répression disproportionnée entraîne une intervention au nom de la responsabilité de protéger. Mis en œuvre hier par des ONG, le devoir d’ingérence doit désormais s’appuyer sur des forces armées qui – au nom de Justes Causes – s’engagent dans de nouvelles guerres justes qu’elles ne parviennent pas à terminer faute d’avoir anticipé ce que pourrait être une Paix Juste.

Cadrage théorique

La question n’est pas nouvelle et a nourri d’âpres débats depuis Cicéron ou Saint Thomas d’Aquin. L’opposition entre réalistes et libéraux reprend aujourd’hui, dans le domaine des théories des Relations Internationales, un argumentaire devenu très classique qui se répartit selon deux lignes de force.

1. Les réalistes se rangeraient plutôt du côté des opposants au tyrannicide pour deux raisons. Ils rappellent tout d’abord que les Six Livres de la République de Bodin ont été publiés quatre ans après la Saint-Barthélemy. Ils soulignent en outre que l’acteur étatique demeure le principal instrument de pacification d’une société civile naturellement violente. Quand la violence de la tyrannie s’agrège aux facteurs de divisions internes, alors toutes les chances d’implosion du pays sont réunies car seul l’État permet « d’éviter que l’animosité n’explose en passion pure et en brutalité sans restriction » pour reprendre la formule d’Aron. En second lieu, il n’appartient pas aux États de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’un d’entre eux. Au contraire, la paix et la sécurité internationales passent, selon la Charte des Nations-Unies par le développement de relations amicales et pacifiques entre ses membres, fondées prioritairement sur la non-ingérence. Le rappel de cet impératif dans la récente Charte de l’ASEAN de 2007 atteste en l’espèce de la permanence de cette règle.

2. Quant aux libéraux, ils défendent le principe du nécessaire droit de regard dans les affaires intérieures pour deux raisons. En premier lieu, le tyran a cessé d’être le représentant légal des citoyens dont il a dévoyé le mandat. Éliminer le despote ne revient par conséquent pas à porter atteinte au Pacte social car celui-ci est antérieur au Pacte politique. En d’autres termes, les sources réelles du droit existent naturellement au sein des structures sociales (familles, clans, tribus….) et précèdent l’émergence de la puissance publique : le tyran ne peut donc se poser en protecteur de cette unique source du droit. En second lieu, les libéraux se retrouvent derrière le principe de la responsabilité de protéger qui incombe à tous les acteurs quand la souveraineté s’avère défaillante dans l’accomplissement de cette mission. Considérant que la souveraineté est conditionnelle – les pouvoirs qu’elle crée restent tributaires de sa capacité à protéger les citoyens ; ceux-ci retrouvant leur droit naturel à se faire justice dès lors que l’État ne remplit plus sa mission –, les libéraux prônent l’émancipation de la société civile face à la tutelle étatique. Surtout lorsque celle-ci est oppressive ou tout simplement quand elle semble inadaptée pour répondre à des défis transnationaux qui la dépassent.

Analyse

L’irruption des sociétés civiles dans l’arène interétatique perturbe les repères classiques et impose de repenser les mécanismes de pacification internationale dans le cadre de conflits infraétatiques aujourd’hui internationalisés. Alors que certains États entendent intervenir au nom de la Guerre Juste, sans avoir anticipé l’échec de ces opérations et privilégié une réflexion sur la Paix Juste.

Le démantèlement d’États autoritaires qui imposaient jusque-là un semblant d’unité et la faible crédibilité de structures importées, rend illusoire l’instauration rapide de l’État de droit, promise par ses initiateurs. Même si des élections peuvent être rapidement organisées, la polarisation autour des communautés ethniques et religieuses consacre, dans le meilleur des cas, le groupe le plus puissant au détriment de minorités qui contesteront très vite le verdict des urnes. Dans une situation de guerre civile ouverte ou larvée, l’organisation d’élections générales n’est pas la garantie de la pacification. Parfois même, la perspective d’une consultation électorale peut servir de déclencheur aux affrontements, comme ce fut le cas au Congo-Brazzaville en 1997. Bien plus, même si des observateurs internationaux accordent un satisfecit global au processus électoral, il semble à craindre que les nouveaux dirigeants – trop inexpérimentés après avoir été écartés du pouvoir pendant des décennies – s’en remettent ouvertement aux forces extérieures ou cèdent à la tentation de la corruption. Dans les deux cas de figure, leurs opposants auront beau jeu de dénoncer la mainmise étrangère ou la vénalité des nouveaux gouvernants pour justifier la reprise des combats. Si, comme dans le cas irakien, les structures de l’ancien pouvoir – le parti unique et l’armée – ont été démantelées, les insurgés auront tout loisir de s’équiper dans les arsenaux que les forces d’occupation n’ont pas entièrement sécurisés et de se former auprès des anciens militaires pour défier, avec les moyens de la guérilla, les forces d’occupation. Celles-ci sont d’autant plus mal à l’aise face à ce type de combat que toutes les tentatives pour les adapter aux guerres révolutionnaires, aux conflits de faible intensité, aux échanges asymétriques ou à la contre-insurrection se sont heurtées aux contraintes juridiques alors que leurs adversaires prétextent de leur infériorité numérique et matérielle pour ignorer ces règles. Il est en effet toujours aussi difficile d’affronter le guérillero de Mao « à l’aise au milieu de la population comme un poisson dans l’eau » que de détruire un stock d’armes entreposé sous une école ou d’éliminer un quartier général installé sur le toit d’un hôpital. Le guide interprétatif du CICR de 2009 traitant de la participation directe aux hostilités apparaît ainsi inadapté aussi bien pour éliminer la menace d’un taliban cultivant paisiblement ses terres neuf mois sur douze que pour neutraliser un hacker pouvant interférer avec les systèmes d’observation et de communication à des milliers de kilomètres de distance.

La fragilité des nouvelles structures importées, la corruption, la diffusion des armements, la capacité de nuisance de minorités déterminées constituent autant de facteurs qui transforment radicalement la sortie de crise. En fait, celle-ci a pris la forme d’une épreuve de force imposée par les vaincus à ceux qui avaient cru emporter une victoire facile en se justifiant d’avoir mené une guerre juste. Or, ils se révèlent incapables de négocier une paix juste qui permettrait de sortir de l’impasse.

Références

Allan Pierre, Keller Alexis, What is Just Peace, Oxford, Oxford University Press, 2006.
Badie Bertrand, Un Monde sans Souveraineté, les Etats entre Ruse et Responsabilité, Paris, Fayard, 1999.
Commission Internationale de l’Intervention et de la souveraineté, 2001, http://www.iciss.ca
Kaldor Mary, Global Civil Society : An Answer to War, Wiley-Blackwell, 2003.

La loyauté dans les relations internationales

la_loyaute
Sous la direction de Josepha Laroche

Nouvelle édition refondue

Définie comme fidélité aux engagements pris, la loyauté est spontanément perçue comme une vertu morale, une qualité comportementale s’accomplissant essentiellement dans les relations interpersonnelles. Cet ouvrage issu d’une recherche collective et transdisciplinaire a au contraire pour ambition de démontrer que la loyauté ne se réduit plus à ce simple registre éthique et subjectif. Il propose un cadre d’analyse qui permette de mettre en évidence pourquoi et comment la loyauté est à présent passée à l’échelle internationale. Avec la mondialisation, elle est devenue une injonction structurelle, juridiquement reconnue et politiquement sanctionnée, un principe d’ordre désormais indispensable à la sécurité des échanges de tous les acteurs impliqués. Elle représente un mode d’imposition de règles communes de plus en plus contraignantes et en voie de juridicisation.

Ont contribué à cet ouvrage

Frédéric Charillon, Jacques Chevallier, Josepha Laroche, Armelle Le Bras-Chopard, Patrick Lehingue, Yves Poirmeur, Michel Rainelli, Philippe Ryfman, Pascal Vennesson.

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