Nov 9, 2012 | Environnement, Passage au crible, Santé publique mondiale
Par Clément Paule
Passage au crible n°78
Source : Wikipedia
Publiée le 19 septembre 2012, l’étude dirigée par Gilles-Éric Séralini – professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen – a relancé les débats sur les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) et leur utilisation dans le secteur agroalimentaire. Les conclusions de cette recherche affirment en effet la toxicité de deux produits de la firme Monsanto : l’herbicide Roundup et le maïs transgénique NK 603. Ces résultats ont pourtant été remis en question par une grande partie de la communauté scientifique, qui a pointé les faiblesses statistiques et méthodologiques de la démonstration. Certains commentateurs ont même évoqué les éventuels conflits d’intérêts d’une enquête financée par une association réputée pour ses positions militantes. Par ailleurs, plusieurs organismes français – à l’instar du HCB (Haut Conseil des Biotechnologies) et de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) – et internationaux – comme l’EFSA (European Food Security Authority) ou les agences sanitaires allemande et australienne – ont successivement invalidé les investigations du Pr. Séralini et de son équipe. Notons que cette polémique a rapidement impliqué de nombreux acteurs des champs politique – dont quatre ex-Ministres de l’Environnement – et associatif, tout en débordant les frontières nationales. La nécessité d’évaluer à long terme l’impact des plantes transgéniques a dès lors été réaffirmée dans l’agenda des décideurs, ouvrant la perspective d’une régulation plus contraignante au niveau européen.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Les premières manipulations génétiques ont eu lieu au début des années soixante-dix, aboutissant une décennie plus tard aux cultures pionnières d’OGM. Ces avancées techniques ont stimulé des investissements considérables du secteur privé dans la biotechnologie. Surtout employées par les firmes pharmaceutiques, les applications de la transgénèse vont rapidement s’étendre à l’agriculture sous l’égide de compagnies transnationales comme Monsanto ou Bayer. À cet égard, signalons la mise sur le marché en 1994 de la tomate Flavr Savr, premier aliment génétiquement modifié à obtenir l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis. Plus généralement, l’industrie agrochimique née de la Révolution verte, jusqu’ici spécialisée dans les intrants – herbicides et pesticides –, s’est désormais redéployée dans la production de semences transgéniques largement utilisées sur l’ensemble du continent américain. D’après l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) – organisation de lobbying en faveur des biotechnologies végétales –, 160 millions d’hectares seraient aujourd’hui concernés par ces techniques – contre 1,7 million en 1996 –, une surface en augmentation de 8% pour la seule année 2011. Si ces chiffres paraissent surévalués selon Greenpeace, il faut néanmoins constater que la proportion du maïs transgénique cultivé aux États-Unis, évaluée à 30% en 1998, a atteint les 85% en 2009.
Dans cette logique, ce modèle agricole s’est diffusé dans les pays dits émergents comme le montre l’exemple emblématique du soja au Brésil et en Argentine. Ce développement exponentiel de la biotechnologie agroalimentaire a bénéficié sous ce rapport d’une absence de véritable régulation jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Toutefois, la survenue de crises sanitaires à répétition au sein des États occidentaux – comme l’ESB (Encéphalopathie Spongiforme Bovine) – a provoqué l’essor de mobilisations citoyennes d’envergure transnationale – depuis les associations de consommateurs jusqu’aux ONG (Organisations Non Gouvernementales) environnementales – ainsi qu’un renforcement des législations mises en œuvre par des agences spécialisées. Les OGM sont alors apparus comme un problème public dans plusieurs pays européens. En témoigne le moratoire de fait sur la commercialisation des produits génétiquement modifiés, adopté par l’UE (Union européenne) au nom du principe de précaution de juin 1999 à mai 2004. Mentionnons enfin, à l’échelle internationale, le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques – relatif à la Convention sur la diversité biologique de 1992 – entré en application en 2003, comptant 164 signataires parmi lesquels ne figurent ni les États-Unis, ni le Canada.
Cadrage théorique
1. Internationalisation d’une controverse sociotechnique. Empreint d’une forte incertitude, le questionnement autour des OGM dans l’agroalimentaire paraît incarner ces situations difficilement gouvernables où le politique semble en retrait. Dès lors, l’expertise joue un rôle déterminant dans la régulation d’un secteur aux implications mondiales.
2. Construction d’un lanceur d’alarme. Dans cette logique, les études mettant en cause les produits transgéniques constituent autant de coups tactiques dont les effets se mesurent surtout dans leurs multiples usages sociaux, échappant en grande partie au seul champ scientifique.
Analyse
Ainsi, la controverse sur les biotechnologies végétales se caractérise avant tout par sa complexité puisqu’elle fait intervenir de nombreux acteurs situés à différentes échelles. La production et la diffusion des OGM sont en l’espèce contrôlées et soutenues par le groupe oligopolistique des firmes agrochimiques, essentiellement états-uniennes – Monsanto, DuPont, Dow Agrosciences LLC – et européennes à l’instar de Bayer Cropscience, BASF, ou encore Syngenta. À l’évidence, la dimension économique s’avère ici fondamentale aussi bien dans la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et l’UE au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) que dans la domination exercée sur les PED (Pays en développement) qui importent ces techniques agricoles. Mais elle ne saurait être dissociée des problématiques sanitaires et environnementales, défendues par des réseaux militants et certains gouvernements. En l’espèce, l’intrication de ces différents enjeux permet de déconstruire les stratégies de légitimation employées par les industriels. Citons l’argument humanitaire présentant les aliments transgéniques – notamment l’initiative du Golden Rice – comme une solution pragmatique à la malnutrition chronique ravageant le Sud. Alors même que les semenciers ont cherché parallèlement à protéger leurs brevets en s’appuyant sur les ADPIC (Accords sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce) et par le développement du gène Terminator, procédé pour l’heure non commercialisé.
Globalement, ces multiples arènes de conflit révèlent des dynamiques de transnationalisation d’une controverse qui se décline de manière différenciée selon les États. Si les OGM alimentaires constituent un problème public dans de nombreux pays européens – dont la France, la Grèce ou encore l’Autriche – ils sont considérés comme équivalents en substance aux autres produits par la FDA. Dans cette logique, le principe de précaution prend tout son sens au sein de l’UE, justifiant une réglementation contraignante en termes de traçabilité et d’étiquetage. Au contraire, ces exigences n’existent pas aux États-Unis comme le montre la proposition 37 en Californie. En l’absence d’un consensus sur l’innocuité à long terme de ces produits, les acteurs politiques se replient souvent sur des stratégies d’évitement – blame avoidance – caractérisées par le report des responsabilités sur les experts. À mesure que se développe le débat sur les aliments transgéniques, les actions symboliques – à l’instar des faucheurs volontaires en France – tendent de surcroît à laisser la place à une technicisation de la polémique.
Il importe sous ce rapport de circonscrire l’impact des études scientifiques : diffusée en 1999, la recherche du Pr. Losey sur la toxicité d’un maïs de type Bt pour le papillon monarque avait été utilisée afin de justifier le moratoire européen sur l’extension de la culture et de la commercialisation des OGM. S’agissant de l’enquête dirigée par le Pr. Séralini, remarquons qu’il s’agit d’une véritable campagne de communication. En effet, les résultats ont été transmis à une partie de la presse française deux semaines avant la publication officielle, sous couvert d’une clause de confidentialité. Le traitement médiatique s’est alors d’autant plus caractérisé par son côté sensationnaliste que les journalistes n’ont pu faire appel à d’autres avis scientifiques. Puis, deux ouvrages et un documentaire ont accompagné la parution de l’article du Pr. Séralini, consacrant sa position de lanceur d’alarme et assurant le succès de la mobilisation malgré le désaveu quasi unanime de ses pairs. À ce titre, le concept même d’expertise paraît ici redéfini, dans la mesure où l’on assiste à une reconfiguration militante de ses frontières et de son rôle. Au-delà des stigmatisations récurrentes portant sur d’éventuels conflits d’intérêts, cette activité située avant tout – entre savoirs et pouvoirs – contribue ainsi à requalifier politiquement des enjeux délaissés par les autorités.
Références
« OGM : comment ils conquièrent le monde », Alternatives internationales (43), juin 2009.
Bérard Yann, Crespin Renaud (Éds.), Aux Frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. Coll. « Res Publica ».
Kempf Hervé, La Guerre secrète des OGM, Paris, Seuil, 2003.
Oct 28, 2012 | Diplomatie non-étatique, Passage au crible, Prix Nobel, Union européenne
Par Josepha Laroche
Passage au crible n°77
Source: Wikipedia
Le vendredi 12 octobre 2012, le prix Nobel de la paix a été décerné à l’Union européenne. Dans son discours de proclamation, le président du Comité Nobel, Thorbjorn Jagland, a déclaré notamment que « L’UE et ses ancêtres contribuent depuis plus de six décennies à promouvoir la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ».
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Dans son testament du 27 novembre 1895, le chimiste, industriel et philanthrope suédois, Alfred Nobel, a jeté les bases d’un système international de gratifications résolument pacifiste et cosmopolite. Ses dispositions testamentaires précisent la création de cinq prix annuels – tous devant également concourir à pacifier la scène mondiale – physique, chimie, physiologie-médecine, littérature ainsi qu’un prix de la paix dont il exige que l’attribution en soit confiée au Parlement norvégien (Storting). À l’époque, cette volonté a suscité une profonde réprobation en Suède car la Norvège se trouvait alors placée sous l’autorité de Stockholm. Mais l’activité que le Storting avait déjà déployée en faveur de la paix parut à l’inventeur de la dynamite plus déterminante que le conflit au sein de l’Union suédo-norvégienne. Libéral et démocrate, Nobel a donc désigné expressément cette chambre pour assurer la gestion de ce prix, estimant qu’elle était l’institution la plus qualifiée et la plus légitime. Depuis 1901 – date de la remise des premiers prix – c’est par conséquent un comité émanant du parlement norvégien qui récompense à Oslo une personnalité ou un organisme qui a particulièrement œuvré en faveur de la paix. Paradoxalement, c’est en Norvège, l’un des pays aujourd’hui les plus eurosceptiques, qu’a été décernée cette récompense.
S’agissant du prix de la paix, le philanthrope suédois n’a pas indiqué de critères de sélection bien précis. Il a simplement esquissé trois grandes orientations : « Il faut avoir œuvré pour la fraternité entre les nations, pour l’abolition ou la réduction des forces armées et pour la tenue et la promotion des conférences pour la paix » a-t-il écrit. On peut toutefois discerner quatre grands types-idéaux de lauréats qui ont participé à l’émergence et à la mise en place d’une diplomatie Nobel. 1) Le militantisme pacifiste et humanitaire, 2) La paix par le droit, 3) Le bénévolat missionnaire, 4) L’expertise au service de la paix. Cependant, à l’évidence, le Nobel accordé à l’Union européenne n’entre dans aucune de ces catégories qui structurent, pourtant depuis plus d’un siècle, la politique d’attribution des Nobel de la paix. Comment dès lors analyser cette nobélisation ?
Cadrage théorique
1. Une autorité performative. On doit le concept d’énoncé performatif au linguiste Austin. À la différence d’un énoncé descriptif du type « il pleut », un énoncé performatif est générateur d’effets pratiques car il détient, à lui seul, la possibilité de modifier le réel en raison du statut institutionnel de celui qui le produit et par conséquent de l’autorité dont il dispose.
2. Une fenêtre d’opportunité politique. Cette expression, forgée initialement par John Kingdon, désigne par analogie avec l’idée de « fenêtre de tir », une conjoncture bien particulière. En effet, cette dernière apparaît – à un moment donné – favorable à la réalisation d’une action politique. Elle représente la séquence pertinente qui permet de faire passer des mesures qui n’auraient aucune chance d’exister sinon.
Analyse
La politique d’attribution des prix Nobel s’applique depuis plus d’un siècle à endiguer la brutalisation du monde. Ce faisant, elle est à l’origine d’une diplomatie cohérente par laquelle le système Nobel intervient globalement sur la scène mondiale pour imposer l’irréductibilité de valeurs telle que la liberté ou la démocratie. Rappelons que le système Nobel est un système global qui a mis en place au fil du temps, une diplomatie non-étatique qui suscite, appuie, protège et consacre certains processus politiques afin de faire prévaloir ses priorités et son agenda sur la scène mondiale. En l’espèce, nous avons affaire à une diplomatie innovante qui forge des normes et se donne les moyens de traiter des questions internationales jugées prioritaires. Se donne aussi à voir une diplomatie interventionniste qui s’ingère le cas échéant dans les affaires intérieures des États ou bien dans les relations interétatiques, les contentieux régionaux ou internationaux. Enfin, s’affirme une diplomatie inédite et suffisamment puissante pour être désormais en mesure d’exercer une autorité performative. Dès lors, comment s’étonner qu’elle veuille s’impliquer dans les enjeux du siècle en nobélisant l’Union européenne ?
Parce qu’elle cherche à dire les formes de la paix future, cette diplomatie fait de plus en plus fréquemment irruption dans la High Politics, déterminant ainsi un nouveau mode d’énonciation du politique. L’institution et ses lauréats se considèrent, à ce titre, comme les plus solides défenseurs des droits humains contre la Raison d’État. En se posant comme pouvoir universel de critique, ils interviennent de plus en plus souvent dans l’arène internationale, qu’il s’agisse d’aborder des thèmes de société ou qu’il faille traiter plus directement de questions politiques. Ce faisant, ils n’hésitent pas à s’ingérer dans les affaires intérieures des États ou à s’impliquer dans des règlements internationaux. Ils déploient alors leurs actions tous azimuts pour promouvoir une politique qu’ils labellisent au nom d’un savoir ou des biens communs dont ils s’autoproclament les gardiens.
Avec ce prix, pointe une nouvelle ligne doctrinale qui confirme l’ambition grandiose qui avait déjà été esquissée en 2009, lors de l’attribution du Nobel au président Barak Obama. La diplomatie Nobel est en effet à présent suffisamment puissante sur le plan symbolique pour être en mesure d’exercer une autorité performative. En l’occurrence, la question n’est donc pas ici de savoir si l’institution européenne mérite ou ne mérite pas le prix car nous ne sommes plus là dans le registre de la morale et des bons sentiments, mais bien dans celui de la politique.
Certes, en nobélisant l’UE, le Comité a récompensé un parcours de paix déjà accompli. De même, a-t-il voulu encourager et soutenir l’Union en lui conférant un atout de poids face aux difficultés et critiques actuels. Le jury a ainsi tenu à rappeler que le prix était consciemment attribué à une Europe en crise et « en proie à de graves difficultés économiques et troubles sociaux ». Par le Nobel et tout l’apparat qui s’y rattache, il a choisi de la distinguer parmi d’autres lauréats potentiels pour lui conférer un surcroît de légitimité mondiale. Dès lors, l’Union européenne est dépositaire de l’aura Nobel et de ses valeurs. Elle porte un projet d’universalité qui la dépasse et incarne la diplomatie Nobel au lieu d’être simplement le maître d’œuvre de la construction européenne. À l’heure où elle est tant critiquée et affaiblie, il s’agit là d’un parti pris politique en sa faveur qui est clair et net. À cet égard, ce choix correspond, très fidèlement aux desseins du grand européen que fut Alfred Nobel car c’est un investissement symbolique et politique qui vient en appui du processus d’intégration. Naturellement, ceci constitue également une prise de risque car le système Nobel engage tout son crédit, tant symbolique qu’institutionnel. Dans un avenir proche, ce coup de force symbolique pourrait par exemple permettre plus facilement à l’UE de revendiquer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. De même, cette nobélisation confère-t-elle à l’Union un surcroît d’autorité pour rétablir la paix sociale dans les États membres tentés par le repli communautariste et les discours populistes, tout comme elle rappelle implicitement aux opinions publiques, volontiers oublieuses, tout ce que la construction européenne leur a apporté de positif. Enfin, elle accorde à l’Union une précieuse ressource symbolique à l’heure où il est question que la BCE prenne en charge les mécanismes de stabilité et de solidarité financière, la surveillance budgétaire commune, et bientôt l’Union bancaire, voire un budget de relance de la croissance pour la zone euro. Bref, à l’heure où l’Europe est en voie de devenir un ensemble fédéral intégré, la diplomatie Nobel se saisit d’une fenêtre d’opportunité politique pour ordonner le monde en normant l’Europe. Autrement dit, ce prix est loin d’être une simple récompense, c’est bien davantage un ordre de mission par lequel l’UE est mandatée par le Comité pour réaliser concrètement et accomplir institutionnellement tout ce sur quoi elle s’est engagée jusqu’ici. C’est pourquoi ce Nobel peut se lire, à bien des titres, comme un fardeau, une obligation de résultat par laquelle l’institution Nobel fait injonction à l’Union de réaliser enfin le rêve européen : nobélisation oblige.
Références
Austin John L., Quand dire, c’est faire, trad., Paris, Seuil, 1972.
Cobb Roger, Elder Charles, Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda Building, Boston, Allyn and Bacon, 1972.
Kingdon John W., Agenda, alternatives and Public Policies, 2nd ed., New York, Longman, 2003.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Laroche Josepha, Les Prix Nobel, sociologie d’une élite transnationale, Montréal, Liber 2012 ;
Laroche Josepha, http://www.chaos-international.org/index.php?option=com_content&view=article&id=107%3Aune-injonction-symbolique-le-prix-nobel-de-la-paix-decerne-a-barack-obama&catid=40%3Aliste-des-passages-au-crible&directory=64&lang=f
Oct 22, 2012 | Articles, Fil d'Ariane, Publications
Par Florent Bédécarrats GRET-CERISE et Reynaldo Marconi FINRURAL
Cet article est publié avec l’aimable autorisation de la Revue Tiers Monde, 197(1), 2009.
Résumé
La Bolivie, pays pionnier de la microfinance, est aussi l’un des premiers à avoir mis en place une régulation spécifique de cette activité. Résolument soutenu par des institutions internationales, cet encadrement a été conçu pour servir une vision commerciale du secteur, favorisant sa croissance et sa pérennité. Les règles instaurées ont poussé à la standardisation des pratiques et privilégié la rentabilité et la stabilité. Néanmoins, elles ont entravé la capacité des prestataires de services microfinanciers à assumer la mission sociale qu’ils s’étaient initialement fixée. Etant donné ces limites, le gouvernement impulse des politiques publiques les enjoignent à intervenir davantage en faveur des secteurs rural et productif. Pour surmonter ces pressions antagoniques, certains acteurs mettent en avant des normes qui combinent des critères sociaux et financiers. Dans le contexte actuel, de telles évolutions peuvent alimenter les réflexions pour une meilleure régulation du secteur financier.
Télécharger l’article L’Influence de la régulation sur la contribution de la microfinance au développement. Le cas de la Bolivie
Oct 20, 2012 | Afrique, Défense, Passage au crible, Sécurité
Par Jean-Jacques Roche
Passage au crible n°76
Pixabay
Le 15 octobre 2012, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2071 présentée à la demande des autorités maliennes et avec le soutien de la France. Pressant les pays d’Afrique de l’Ouest de mettre au point les modalités d’une intervention militaire dans le Nord du Mali, la France s’est engagée par la voix de son président à assister « matériellement et logistiquement » cette intervention. Trois jours plus tôt à Dakar, le président français avait exclu toute possibilité de négociation avec des groupes armés « qui imposent une loi, la charia, et qui coupent des mains, et qui détruisent des monuments jusque-là considérés comme au patrimoine de l’humanité? »
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
« L’Afrique est le dernier continent qui soit encore à la mesure de la France, à sa portée, le seul continent où avec trois cents hommes la France puisse encore changer le cours de l’histoire ». Cette citation de Louis de Guiringaud, ancien ministre des Affaires étrangères de Valery Giscard d’Estaing, est aussi souvent reprise que l’affirmation suivant laquelle « le temps de la France-Afrique est révolu» (François Hollande, discours de Dakar du 12 octobre 2012). Comme tous ses prédécesseurs, François Hollande se sent obligé d’affirmer en début de mandat sa détermination d’en finir avec les pratiques postcoloniales. Comme François Mitterrand, qui limogea fin 1982 le ministre de la coopération initialement chargé de mettre en œuvre cette rupture (Jean-Pierre Cot), François Hollande entame classiquement son mandat en posant les bases d’une nouvelle relation mais sans pour autant modifier l’objectif fondamental d’assurer la continuité de la présence française en Afrique. Comme chez François Mitterrand, la « volonté de renouveler (le) partenariat entre la France et l’Afrique » (discours de Dakar du 12 octobre 2012) va de pair avec la certitude que « la France ne serait plus tout à fait elle-même aux yeux du monde si elle renonçait à être présente en Afrique » (F. Mitterrand, XVIIIe conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique, 8 novembre 1994). Cette présence en Afrique a certes changé de forme et le temps des accords secrets de défense est révolu. Pourtant, la France s’estime toujours garante de la sécurité des États relevant de son pré-carré et il n’est pas de président de la Ve République qui n’ait été associé à deux ou trois interventions armées dans les anciens territoires de l’Union française. Il faut cependant remarquer que François Hollande est plus prompt qu’aucun de ses prédécesseurs à autoriser une intervention sur le sol africain. Valery Giscard d’Estaing avait en effet lancé l’opération Lamentin en Mauritanie en 1977, trois ans après son arrivée au pouvoir. Quant à François Mitterrand, il était intervenu pour la première fois au Tchad, plus de deux ans après son entrée à l’Elysée (opération Manta d’août 1983). Pour sa part, Jacques Chirac avait autorisé l’opération Aramis au Cameroun en février 1996, soit neuf mois après son élection. Enfin, Nicolas Sarkozy avait décidé d’intervenir dans la bataille de Ndjamena en février 2008 (également neuf mois après son élection) autant pour soutenir le régime d’Idriss Déby que pour organiser l’évacuation des ressortissants européens de la capitale tchadienne.
Cadrage théorique
Même s’il est aujourd’hui exclu que des soldats français puissent participer à cette opération – on se demande comment le soutien et la logistique seraient assurés ? – la question qui se pose reste de savoir s’il est possible de concevoir une guerre qui resterait limitée pour la France alors que ses adversaires mèneront inévitablement une guerre totale. En d’autres termes, l’approche clausewitzienne de la guerre totale est-elle dépassée ? La remise en cause de la guerre clausewitzienne n’est pas apparue dans les années post-guerre froide. Il suffit pour s’en convaincre de revenir aux débats des années 60 et 70 sur l’impact du nucléaire à une époque où la doctrine Malenkov excluait la possibilité d’un recours à la guerre entre les détenteurs d’armes nucléaires. Déjà à cette époque, on pouvait se demander si les risques conceptuels de « montée aux extrêmes » ne rendaient pas caduc le cadre clausewitzien alors que la seule guerre possible devait être repoussée à la périphérie du système stratégique central. L’imposante littérature qui depuis 1990 a repris ce thème doit donc, en dépit de son intérêt, être abordée en conservant à l’esprit le caractère récurrent de ce questionnement.
En 1991 parut La Transformation de la Guerre de Martin Van Creveld. Pour l’historien israélien, la trinité clausewitzienne (peuple, armée, gouvernement) avait cessé de fonctionner, mais les armées occidentales continuaient de vouloir considérer leurs adversaires à leur image (mirror image) ce qui les condamnait à les considérer comme des sauvages. Allant encore plus loin dans la prise de distance avec l’analyse clausewitzienne, John Keegan considérait en 1993 dans son History of Warfare que l’homme n’est nullement un animal politique raisonnable puisque la guerre révèle avant tout ses instincts. Dans une perspective plus socio-économique, Mary Kaldor analysait en 1999 les nouvelles guerres (New and Old War, 1999) sous l’angle d’une triple rupture. Tout d’abord, leur objectif vise à assurer la mobilisation politique sur la base des identités. En deuxième lieu, la terreur et la violation massive des droits de l’homme remplacent les tactiques conventionnelles. Enfin, les acteurs sont à la fois globaux et locaux, publics et privés et interagissent à l’échelle du monde. Le succès des rééditions (en 2005 aux États-Unis et en 2008 en France) de Galula, théoricien français de la contre-insurrection s’inscrit dans cet ensemble de remise en cause des analyses clausewitziennes, la contre-insurrection visant à s’assurer de la victoire en gagnant « les cœurs et les esprits », tout en se montrant mesuré dans l’usage de la force.
Analyse
L’actuelle remise en cause de la contre-insurrection – ce qui se traduira inévitablement par l’abandon programmé du concept de « conflit asymétrique » – s’explique par les trois pièges que recelait la notion connexe de « guerre limitée ».
En premier lieu, la guerre est une épreuve de volonté. Les deux parties engagées dans ce type de conflit ne sont pas animées du même désir de vaincre. Paradoxalement, l’asymétrie des moyens joue en faveur du plus faible qui bénéficie de l’asymétrie des volontés. Menacé de tout perdre, il est engagé dans une « guerre totale » alors que le plus fort raisonne en termes de « guerre limitée ». Or, « c’est l’adversaire qui fait la loi de l’autre » (Clausewitz), il s’ensuit par conséquent que le plus fort – qui redoute avant tout la montée aux extrêmes –répugnera à se conformer à cette règle immuable de la guerre qui détermine un vainqueur et un vaincu.
Cette répugnance précipite donc le deuxième piège théorisé par Mao : « la certitude du succès des États forts les pousse à l’escalade pour atteindre les objectifs au risque de se couper des populations ou alors à paraître incompétents ». Puisque le plus faible dicte sa loi au plus fort, ce dernier est fatalement entraîné dans une guerre qu’il n’est pas capable de gagner. Pour les armées régulières, la violence doit en effet être encadrée par le jus in bello. À l’inverse, les forces irrégulières sont peu économes de leurs propres soldats et se servent de leur population civile comme d’un bouclier. Ils la prennent par exemple en otage pour forcer l’adversaire à la faute. Pouvant accepter des pertes inconsidérées, les forces rebelles condamnent leurs adversaires à la défensive qui est, au mieux, le moyen de ne pas perdre, mais qui ne donne guère d’assurances de vaincre. Enfin, les buts de guerre des forces en présence ne sont pas identiques. Comme le constatait Raymond Aron, le plus fort « à la volonté de vaincre, le parti rebelle de ne pas se laisser éliminer ou exterminer […] Il suffit aux rebelles de ne pas perdre militairement pour gagner politiquement ». Dès lors, s’ouvre une guerre d’usure qui tourne rarement à l’avantage des armées régulières quand, lassées par des expéditions aussi lointaines que coûteuses, les opinions publiques imposent un retrait sans gloire, ni victoire.
Comme l’indiquait l’auteur de, De la guerre, « on ne saurait introduire un principe modérateur dans la philosophie de la guerre elle-même sans commettre une absurdité ». Les auteurs des « horreurs actuelles » (discours de Dakar du 12 octobre 2012) et autres rebelles, terroristes et insurgés, pirates et asociaux (des appellations empruntées au vocabulaire colonial) auront à cœur de démontrer soit l’inhumanité, soit l’irrésolution de leurs adversaires. Entre ces deux maux, nous ne pouvons aujourd’hui que choisir le second (l’absurdité de Clausewitz), ce qui augure mal de l’engagement en préparation.
Références
Keegan John, Histoire de la Guerre : du Néolithique à la Guerre du Golfe, Paris, Dagorno, 1996, 497 p.
Kaldor Mary, New and Old Wars – Organized Violence in a Global Era, Stanford University Press, 2007, 2° éd., 231 p.
Van Creveld Martin, La Transformation de la Guerre, Editions du Rocher, 1998, 318 p.
Oct 5, 2012 | Défense, Nord-Sud, Passage au crible, Sécurité
Par Josepha Laroche
Passage au crible n°75
Pixabay, Téhéran
Du 26 au 31 août 2012, Téhéran a accueilli le XVIe sommet du mouvement des non alignés (MNA) qui comprend à ce jour 120 pays membres. À l’issue de ce rassemblement auquel ont notamment participé 35 chefs d’État et de gouvernement, la République islamique d’Iran a pris la présidence du MNA pour les trois prochaines années.
À cette occasion, Téhéran a engagé une vaste opération diplomatico-médiatique destinée à rompre son isolement sur le dossier nucléaire et à susciter des soutiens envers sa politique pro-syrienne. Étaient entre autres présents lors de ce rassemblement, le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon –malgré les fortes réserves de Washington – les Présidents et Secrétaires généraux de la Ligue Arabe, de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique) et de l’OUA (Organisation de l’Union Africaine) ainsi que le président russe Vladimir Poutine (Russie, État invité) et les présidents latino-américains Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Équateur) et Michel Temer, vice-président du Brésil, État au statut de simple observateur.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Rappelons que le MNA a vu le jour en septembre 1961, lors de la conférence de Belgrade. Trois chefs d’État, le maréchal Tito (République fédérative socialiste de Yougoslavie), le colonel Nasser (République arabe Unie/Égypte) et Nehru (République indienne) ont joué un rôle particulièrement déterminant dans la création de cette organisation et plus encore dans son élaboration doctrinale. Il s’agissait alors essentiellement de fonder sa doctrine sur deux piliers : l’anticolonialisme d’une part et l’opposition à la bipolarité d’autre part. Autrement dit, le non-alignement (NA) se définissait exclusivement au regard du conflit Est-Ouest car face au clivage Nord-Sud, les États membres du MNA s’affirmèrent toujours – dans la droite ligne de la conférence de Bandung (1955) – comme les représentants et les porte-parole du Sud contre le Nord.
À l’époque, ils se refusèrent d’emblée à fonder une structure permanente qui deviendrait détentrice du monopole de la formulation et de la représentation du NA et établirait ainsi une politique non-alignée unique et uniformisée. Dès sa fondation, le MNA adopte une démarche pragmatique qui consiste à rejeter les systèmes d’alliances en général et les deux blocs en particulier, tout en exploitant les antagonismes existant entre les différents acteurs étatiques dans le cadre d’une politique active de médiation et d’oscillation.
Il en sera ainsi jusqu’à la fin de la Guerre froide. Mais après l’implosion de l’Unions soviétique et la disparition du bloc de l’Est, symbolisé par les démantèlements du COMECON et du Pacte de Varsovie comme par la disparition des démocraties populaires d’Europe centrale et orientale, le MNA perd l’essentiel de sa raison d’être. Depuis, il a enregistré un sérieux déclin. Marqueur fondateur de son identité, l’équilibre de la terreur qui structurait jusque-là les relations internationales, n’a-t-il pas cédé la place à une configuration mondiale plus mouvante et chaotique, dépourvue de tout lien conceptuel avec le NA ? Le mouvement a connu de ce fait plusieurs années d’atonie politique et d’éclipse médiatique. Or, le gouvernement de Téhéran entend désormais mettre un terme à cette situation en travaillant à lui redonner une aura depuis longtemps perdue.
Cadrage théorique
1. Contourner la diplomatie coercitive mise en place par les Occidentaux. L’objectif d’une diplomatie coercitive ne consiste pas à occuper un territoire, chasser un ennemi ou lui infliger le plus de pertes possibles, voire le détruire. Au contraire, l’invocation d’une possible coercition vise simplement à aiguillonner les tractations et marchandages nécessaires à la concrétisation plus rapide d’une solution pacifique. En d’autres termes, il s’agit d’un pouvoir de marchandage. « L’exploiter relève de la diplomatie, une diplomatie vicieuse, mais une diplomatie tout de même » (Thomas Schelling).
2. Susciter une ligne diplomatique anti occidentale. Pour faire échec à la politique de mise au ban dont il est l’objet, l’Iran des Mollahs entend fédérer les États membres du MNA autour de sa vision obsidionale et foncièrement antioccidentale.
Analyse
La diplomatie coercitive engagée depuis plusieurs années par les pays occidentaux à l’encontre de la République islamique d’Iran cherche à sanctionner le développement clandestin de son programme nucléaire, en violation flagrante des dispositions du TNP (Traité de Non Prolifération, 1968) dont ce pays est pourtant partie. Le refus persistant de l’Iran de suspendre ses activités nucléaires sensibles, tout comme celui de faire toute la lumière sur son programme nucléaire ont été confirmés par plusieurs rapports de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie atomique). De même l’État iranien s’est-il soustrait de manière réitérée aux propositions de négocier avec les Six (E3+3 : Allemagne, France, Royaume-Uni + États-Unis, Chine, Russie). Ce blocage systématique n’a donc pas offert d’autre choix au Conseil de sécurité des Nations Unies que d’accentuer la pression exercée sur Téhéran et de mettre en place des sanctions (Comité de sanctions contre l’Iran créé par la résolution 1737 des NU). Ainsi par exemple, un sévère dispositif d’embargo élaboré par les États-Unis et l’Union européenne a-t-il été mis en place pour accroître la pression sur la BCI (Banque Centrale Iranienne) et imposer au gouvernement iranien l’abandon d’un programme d’armement nucléaire.
Face à cette coercition onusienne, l’Iran a élaboré une riposte dans le cadre du mouvement non-aligné qui consiste à faire entériner ses positions par les représentants d’un très grand nombre d’États. Téhéran a par exemple obtenu que la déclaration finale du MNA entérine sa lecture du dossier nucléaire qui fait l’objet d’un si lourd contentieux. Autrement dit – et contre l’avis unanime de tous les experts – la république islamique a réussi à faire valider la thèse suivant laquelle son programme nucléaire ne revêtirait que des finalités civiles. En outre, elle a obtenu des participants la reconnaissance de son droit à maîtriser le cycle complet du nucléaire. Or, ces prises de position reviennent à transgresser ouvertement l’interdiction ordonnée à l’Iran par les Occidentaux et l’ONU de cesser son programme d’enrichissement, interdiction à laquelle la Russie et la Chine, elles-mêmes, se sont associées.
Pour autant, peut-on considérer qu’il s’agit là d’un véritable succès diplomatique engrangé par l’Iran, succès qui pourrait lui permettre de contourner – dans un proche avenir et sur le long terme – l’ostracisme dont il est l’objet ? Certes non, et ceci pour deux raisons. En premier lieu, son souci politique d’unifier le MNA sous son autorité relève de la simple gesticulation et d’un affichage éphémère comme les divisions sur le dossier syrien l’ont bien montré ; le président égyptien Mohamed Morsi n’hésitant pas à s’opposer publiquement aux positions iraniennes. Enfin, en second lieu, le MNA est resté durablement affaibli depuis la fin de la Guerre froide. Aussi, apparaît-il aujourd’hui davantage comme une coquille vide que comme un fer de lance. En fait, il ne correspond plus à la nouvelle donne internationale car la scène mondiale est à présent parcourue par d’innombrables flux transnationaux et structurée par des interactions complexes dans lesquelles l’interétatique n’est plus prédominant. Finalement, le MNA est devenu un mouvement anachronique et, à ce titre, dépourvu de crédit. Dès lors, comment un État sans crédibilité pourrait-il en attendre un quelconque salut ?
Références
Hassner Pierre, « Violence, rationalité, incertitude: tendances apocalyptiques et iréniques dans l’étude des conflits internationaux », RFSP, 14 (6), déc. 1964, pp. 1019-1049.
Levy Jack, « Prospect Theory, Rational Choice and International Relations », International Studies Quarterly, 41 (1), 1997, pp. 87-112.
Schelling Thomas, Arms and Influence, New Haven, Yale University Press, 1966.
Willetts Peter, The Non-aligned Movement: the Origins of a Third World Alliance, Londres/New York, F. Printer, 1978.