Fév 22, 2014 | Articles, Fil d'Ariane, Publications
Written by: Florent Bédécarrats, Research Coordinator, CERISE, France ; Silivia Baur, Research Fellow, CERISE, France ; Cécile Lapenu, Director, CERISE, France. With Assistance from: Mathias, Ph D Candidate, Ecole polytechnique, CREST, France
2011 Global Microcredit Summit
Commissioned Workshop Paper November 14-17, 2011 – Valladolid, Spain
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Fév 21, 2014 | Commerce international, Industrie numérique, Mondialisation, Passage au crible
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Par Justin Chiu
Passage au crible n°106
Le 4 février 2014, Satya Nadella succède à Steve Ballmer et devient ainsi le troisième directeur général du géant américain Microsoft. Quant au fondateur du groupe, Bill Gates, il quitte son poste de président du conseil d’administration déclarant vouloir consacrer désormais plus de temps à l’entreprise en tant que conseiller technologique. En fait, face aux difficultés rencontrées, on attendait plutôt un nouveau dirigeant venu de l’extérieur afin de changer en profondeur les stratégies de la firme. Certes, cette nomination interne a démontré la volonté de réussir au-delà de l’industrie du PC puisque S. Nadella dirigeait jusqu’alors la division Cloud et entreprise, seule branche affichant une forte croissance du groupe. Or, ces dernières années, la faiblesse majeure de Microsoft a précisément résidé dans son incapacité à surprendre et dans la lenteur de ses prises de décision.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
En 1981, la firme IBM a produit le premier ordinateur personnel à grand succès – IBM PC – avec plusieurs millions d’unités vendues. En choisissant Microsoft et Intel pour son système d’exploitation (DOS/Windows) et microprocesseur (Intel 8088), IBM a en outre contribué à l’essor de ces deux groupes. Avec leurs produits respectifs, Microsoft et Intel contrôlent en effet ensemble l’architecture du PC. Depuis les années quatre-vingt, ils développent des stratégies communes, notamment par le lancement simultané de nouvelles offres. Ce faisant, les fabricants de composants ne peuvent que s’aligner sur leurs standards toujours plus élevés. Dans cette logique, l’alliance Wintel a permis à l’industrie du PC d’innover dans sa globalité, tout en laissant Microsoft et Intel détenir un monopole. En revanche, les fabricants de composants doivent constamment abaisser leur coût de production à cause de la concurrence. Par conséquent, à qualité égale, un PC équipé de Windows coûte moins cher qu’un ordinateur Apple qui conserve toute la chaîne de production, ce qui renforce encore la domination de Microsoft.
Si Microsoft a pu exploiter ses logiciels sur le marché mondial, le gouvernement américain a aussi joué un rôle non négligeable. En fait, à partir de la décennie quatre-vingt, Washington a défendu la protection de la propriété intellectuelle, dans un cadre multilatéral, comme par exemple avec l’accord TRIPs (Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights) conclu en 1994 dans le cadre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ou bien sur le plan bilatéral avec la Chine afin d’obtenir une réglementation plus stricte en la matière.
Grâce à sa position dominante – rappelons que sur dix ordinateurs existant dans le monde, neuf sont aujourd’hui encore équipés de Windows – Microsoft dégage des bénéfices colossaux évalués à près de 27 milliards de dollars pour 2013. Mais l’entreprise a tout de même perdu son image innovante car l’émergence des réseaux sociaux a ainsi mis fin à son service de messagerie instantané MSN. De plus, son moteur de recherche Bing en concurrence avec Google s’est avéré une catastrophe financière (9 milliards de dollars de perte accumulée entre 2005 et 2011). Par ailleurs, dans le secteur du cloud computing, c’est Amazon qui a jusqu’ici pris l’avantage. Enfin, Google et Apple ont réussi à développer leurs propres écosystèmes autour des smartphones et des tablettes, tandis que Microsoft et Intel peinent toujours à pénétrer ce marché.
Cadrage théorique
1. La destruction créatrice des innovations numériques. Forgé par Schumpeter, le concept de destruction créatrice désigne un processus de mutations industrielles au cours duquel la création de nouvelles activités économiques entraîne la disparition d’activités désuètes dans le même domaine. Selon cet économiste, plusieurs types d’innovation peuvent déclencher ce processus, par exemple, la fabrication de produits innovants, des méthodes inédites de production ou de gestion, l’ouverture de marchés inexploités, etc.
2. Le contrôle de la structure de production. Pendant deux décennies, l’alliance entre Microsoft et Intel a dominé le marché mondial du PC avec des normes et standards créés conjointement par les deux groupes. Or, le pouvoir structurel – notion chère à Susan Strange – qu’exerçait l’alliance Wintel sur les constructeurs de composants informatiques est aujourd’hui largement affaibli. En effet, les deux firmes ne sont plus en mesure de dicter leurs règles de production à l’échelle mondiale, d’autant plus qu’à la suite de ses échecs successifs, Microsoft a perdu sa réputation de leader en matière d’innovation.
Analyse
Amorcé dès les années quatre-vingt-dix, la convergence de l’informatique et des télécommunications a facilité l’apparition des smartphones et des tablettes numériques, véritables produits destinés au marché mondial. Si l’industrie du PC résiste encore face à cette vague numérique, ses acteurs doivent innover davantage et diversifier leurs activités afin de ralentir le déclin de cette filière, désormais devenue l’activité traditionnelle de la high-tech.
À n’en pas douter, la nomination de S. Nadella aura pour premier objectif de renforcer les activités autour du cloud computing, divers services informatiques en ligne dédiés aux entreprises ou aux administrations publiques. Ce dirigeant devra ensuite finaliser le rachat de la division téléphonie mobile de Nokia, conclu par S. Ballmer en décembre 2013. Seulement, il paraît néanmoins difficile d’imaginer que la combinaison des deux stars déchues de la high-tech puisse produire des smartphones attractifs. En effet, ces objets placés au cœur de la vie quotidienne de chacun, sont devenus tellement personnels et intimes, qu’il faut prendre également en considération la valeur symbolique que les consommateurs leur attribuent. Sans compter que pour augmenter ses parts de marché, Microsoft ne se lancera certainement pas dans des produits d’entrée de gamme. Ainsi, avec un prix jugé trop élevé, la tablette créée par Microsoft en 2012 – surface – n’a-t-elle pas rencontré le succès escompté. Finalement, le retard qu’elle a subi avec Intel dans la filière des smartphones et des tablettes les a ensuite empêchés de prendre des initiatives.
En outre, commercialisé depuis octobre 2012, le système d’exploitation, Windows 8, n’a suscité ni l’engouement ni le renouvellement des matériels informatiques. Ce phénomène inédit a déçu les constructeurs de l’informatique, le directeur d’Acer a même déclaré que « L’ère de Wintel est révolue» car certains privilégient désormais la coopération avec d’autres géants d’Internet comme Amazon ou Google. En l’espèce, ce dernier a développé des produits avec des entreprises asiatiques, pourtant auparavant fidèles alliées de Microsoft : citons par exemple, la gamme du PC portable Chromebook élaborée avec le coréen Samsung et le Taïwanais Acer ou bien celle de la tablette et du smartphone Nexus réalisée avec le Coréen LG et le Taïwanais Asus.
Enfin, même si Microsoft a perdu sa réputation d’innovateur et son pouvoir structurel dans le secteur de l’informatique, force est de constater que les autres géants américains d’Internet continuent à assurer aux États-Unis une prépondérance mondiale. Jusqu’à présent, seuls Google, Apple, Amazon et Facebook ont en fait réussi à créer leurs propres écosystèmes fondés sur de nouvelles technologies et se sont montrés capables de rapprocher des industriels provenant du monde entier.
Références
Chiu Justin, « L’anarchie mondiale dans la téléphonie mobile », in : Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible, l’actualité internationale 2012, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 117-122.
Kim Sangbae, Hart J. A., « The Global Political Economy of Wintelism: A New Mode of Power and Governance in the Global Computer Industry », in : Rosenau James, Singh J. P. (Éds.), Information Technologies and Global Politics, The Changing Scope of Power and Governance, Albany, State University of New York Press, 2002, pp. 143-168.
Laroche Josepha, « L’Économie politique internationale », in : Balzacq T., Ramel F. (Éds.), Traité de relations internationales, Paris, Presses de Science Po, 2013, pp. 631-659.
Le Monde, « Avec Satya Nadella, Microsoft mise sur l’après-PC », 5 fév. 2014.
Reich Robert, The Works of Nations. Preparing Ourselves for 21st-Century Capitalism, New York, Vintage Books Edition, 1992.
Schumpeter Joseph, Capitalism, Socialism and Democracy, [1943], Londres, Routledge, 2010.
Stopford John, Strange Susan, Henley John., Rival States, Rival Firms: Competition for World Market Shares, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
Strange Susan, States and Markets: An Introduction to International Political Economy, Londres, Pinter, 2e éd, 1994.
Fév 17, 2014 | Nord-Sud, ONU, Passage au crible, Santé publique mondiale
Par Michaël Cousin
Passage au crible n°105
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Depuis 1988, le 1er décembre célèbre la Journée mondiale contre le SIDA. À l’occasion de cet événement, les acteurs publics comme privés publient, informent et médiatisent les dernières évolutions et les nouvelles décisions relatives à cette pandémie.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
En 2011, « l’Objectif zéro » devient le mot d’ordre à suivre. Lancé par le comité, le projet ambitieux de la Campagne Mondiale contre le SIDA, conduit les bailleurs de fonds à envisager pour l’année 2015 « zéro nouvelle infection à VIH, zéro discrimination [et] zéro décès lié au SIDA ». Théoriquement, les conditions pour y parvenir existent. En effet, les scientifiques ne cessent de repenser les thérapeutiques et les techniques de prévention comme avec le gel antirétroviral et le traitement post-exposition. Enfin, les coûts des trithérapies diminuent, soit en raison de l’expiration des brevets portant sur les premiers médicaments, soit grâce à la mise en place de financements innovants comme la taxe UNITAID fixée entre 1 et 40 dollars de prélèvement par billet d’avion.
Néanmoins, il ne reste plus que quelques mois pour atteindre ces résultats. Parmi ceux-ci, la mise à plat des discriminations semble difficile à réaliser. En l’occurrence, selon les zones géographiques ou les pays, la coopération internationale aborde plus ou moins sérieusement les inégalités entre les sexes, et effleure – voire évite – les problèmes rencontrés par les minorités sexuelles, les prostitués et les usagers de drogues. Toutefois, face à ces difficultés, les organisations interétatiques ne désarment pas lorsqu’il s’agit de rechercher des financements.
Dans cet état d’esprit, ONUSIDA – Programme commun et coparrainé des Nations Unies et de la Banque Mondiale sur le VIH/SIDA – annonce la création dès 2014 d’une nouvelle Journée mondiale contre les discriminations le 1er mars, tandis que d’autres institutions ciblent plutôt la jeunesse (entre 10 et 19 ans). L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) souhaite, par exemple, améliorer l’an prochain la prévention, les traitements et les soins chez les adolescents. Pour sa part, l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) s’engage à sensibiliser au minimum 95% des jeunes à la santé sexuelle, notamment à ce virus trentenaire, comme le recommandent les Nations unies. Pour autant, chaque année les dotations internationales s’effritent alors qu’elles augmentent sur le plan national.
Cadrage théorique
1. L’efficacité de l’aide publique au développement. Elle s’analyse de plus en plus à partir d’indicateurs de performance. Cette orientation conduit majoritairement les financeurs à privilégier une gestion orientée vers les résultats (results-based management). Pourtant, cette méthode favorise davantage la résolution d’un programme – les solutions prévues seront-elle atteintes ? – qu’elle ne privilégie sa nécessité pour les bénéficiaires.
2. L’érosion de l’aide. L’inefficacité des politiques de coopération provoque également une baisse des investissements. Malgré plusieurs décennies d’apports financiers, la persistance des difficultés au sein des pays en développement, induit en effet une certaine lassitude chez les bailleurs, ce qui se traduit par une dégradation des allocations.
Analyse
Depuis les années quatre-vingt-dix, les organisations interétatiques multiplient les programmes orientés vers des objectifs spécifiques. À titre d’exemple, la Banque mondiale a lancé au début des années deux mille le « Combat contre la pauvreté » pour s’aligner finalement sur le premier des huit ODMs (Objectifs de Développement pour le Millénaire) des Nations unies. Quant au septième, il envisage l’enrayement de la propagation du VIH. La mobilisation « Objectifs zéro » alimente d’ailleurs ce point par deux autres ambitions : briser les discriminations et supprimer les décès.
Outre le fait que ces campagnes mondiales orientent les institutions internes et internationales, les compétences de chacune de ces dernières singularisent leurs politiques d’aide publique. Toutefois, cela ne détermine pas la façon dont elles seront menées ensuite car ces instances sélectionnent et attribuent différemment leurs flux financiers selon les pays. Ainsi, certains jeunes homosexuels d’Afrique subsaharienne ne bénéficieront-ils pas des dispositifs de prévention VIH/SIDA de l’UNESCO, pourtant spécifiquement destinés à ces catégories.
La gestion orientée vers les résultats produit des effets encore plus pernicieux. En l’occurrence, l’obtention d’un prêt peut simplement dépendre d’un lexique dominant, devenu à la mode, comme la discrimination envers les femmes, la bonne gouvernance ou encore la séroconversion materno-fœtale. Cette logique affecte autant les responsables de projets et leurs collaborateurs que les bénéficiaires. Dans le cas des receveurs, il s’agit souvent de représentants cherchant à détourner les fonds au profit d’autres actions qu’ils estiment plus nécessaires, voire à assurer leur enrichissement personnel.
Malgré les tentatives de sélectivité, l’inefficacité de l’aide démotive les investisseurs. La réactivation de leurs intérêts supposerait donc un renouvellement des discours. Pourtant, l’ONU ambitionne encore d’atteindre ses ODMs – qui vont vraisemblablement échouer. Elle organise, pour ce faire, les « 1000 jours d’action », c’est-à-dire le temps restant pour « agir et assurer » l’accomplissement des huit objectifs. Par ailleurs, elle entend également renouveler ce plan après 2015 en se concentrant cette fois-ci sur les inégalités.
Dans une même démarche, la multiplication des Journées mondiales change radicalement leur fonction. Il ne convient plus d’aménager un jour dans l’intention d’apporter au public des connaissances sur un problème d’importance transnationale – le SIDA, les femmes, etc. – mais de créer plutôt un événement symbolique qui ciblerait et mobiliserait certains acteurs. On peut, effectivement, s’interroger sur l’opportunité de transformer ce 1er décembre en journée dédiée par ONUSIDA aux discriminations, alors même que plusieurs dates existent déjà, centrées sur l’homophobie et la transphobie, les personnes handicapées ou bien encore le racisme. Mais ces modalités de renouvellement ne suffisent néanmoins pas à lutter contre le désinvestissement des commanditaires ; d’autant plus que les victoires récentes remportées sur cette épidémie demeurent encore fragiles et ne peuvent subir une érosion des prêts. En effet, même si ces contributions permettent avant tout l’accessibilité aux soins, de telles réductions affecteraient la recherche car ces traitements restant majoritairement destinés à une population peu solvable, les industries pharmaceutiques connaîtraient un manque à gagner.
Certes, la courbe des nouvelles infections s’est stabilisée depuis 2010. Cependant, en 2009, les sommes allouées à cette pandémie ont chuté de 8,7 milliards de dollars et en 2010 de 7,6 milliards de dollars ; autant dire que la situation apparaît très préoccupante.
Références
ONU, « Lancement de la campagne “Zéro discrimination” à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, 1er décembre 2013 », http://www.un.org/fr/events/aidsday/2013/zerodiscrimination.shtml.
OMS, « Campagnes mondiales de santé publique de l’OMS : Journée mondiale du sida », http://www.who.int/campaigns/aids-day/2013/event/fr/index.html.
UNESCO, « Journée mondiale de lutte contre le SIDA : Objectif zéro », http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/.
Charnoz Olivier, Severino Jean-Michel, L’Aide publique au développement, Paris, La Découverte, 2007. Coll. Repères.
Bourguignon François, Sundberg Mark, « Aid Effectiveness », The American Economic Review, 97 (2), 2007, pp. 316-321.
Gabas Jean-Jacques, Sindzingre Alice, « Les Enjeux de l’aide dans un contexte de mondialisation », Les Cahiers du GEMDEV, 25, 1997, pp. 37-71.
Jan 27, 2014 | Nord-Sud, ONU, Passage au crible, Pauvreté, Santé publique mondiale
Par Clément Paule
Passage au crible n°104
Source: Chaos International
Le 12 janvier 2014, la République d’Haïti a commémoré le quatrième anniversaire du séisme destructeur qui avait dévasté la zone métropolitaine de Port-au-Prince et ses environs. Or, une autre catastrophe, sanitaire cette fois, est survenue dans le pays dès la fin de l’année 2010. Il s’agit de l’épidémie de choléra qui à ce jour aurait provoqué le décès de près de neuf mille personnes sur l’île d’Hispaniola. Malgré les efforts conjugués des opérateurs de l’aide internationale et des autorités haïtiennes depuis plus de trois ans, des foyers de vibrio cholerae demeurent actifs dans une vingtaine de localités, selon un communiqué récent du MSPP (Ministère de la Santé Publique et de la Population). Alors que s’organisait la lutte incertaine contre cette toxi-infection meurtrière, la controverse sur l’origine de la contamination a pris une ampleur considérable lorsque les soupçons se sont dirigés sur un contingent népalais de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), la force multilatérale de maintien de la paix présente en Haïti depuis 2004. La responsabilité des Nations unies constitue désormais un débat majeur dans le déclenchement de la pire épidémie contemporaine de choléra.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
La crise sanitaire a commencé pendant l’automne 2010 dans le département du Centre, non loin de Mirebalais, commune située à une soixantaine de kilomètres au Nord-est de Port-au-Prince. Jusqu’alors inconnue en Haïti, la maladie s’est répandue très rapidement, à tel point qu’un officiel du MSPP a évoqué en novembre 2010 un enjeu de sécurité nationale. La réponse humanitaire des acteurs de l’assistance internationale s’est rassemblée sous le leadership de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) et d’ONG (Organisation Non Gouvernementale) comme MSF (Médecins Sans Frontières) avec le déploiement de centres et d’unités de traitement dans tout le pays. Les autorités semblaient en outre débordées par la succession des urgences, d’autant que le passage de l’ouragan Tomas sur l’île au début du mois de novembre complexifiait davantage une situation déjà précaire. Plusieurs centaines de milliers de personnes, catégorisées sous le label IDP (internally displaced people), vivaient toujours dans des tentes au sein de la capitale traumatisée par le séisme du 12 janvier. En l’occurrence, le fléau s’est très vite étendu à l’ensemble du territoire haïtien, avant de frapper la République dominicaine – quelques dizaines de milliers de cas – et dans une moindre mesure Cuba.
Mais la question de l’introduction du vibrio cholerae a immédiatement fait l’objet de rumeurs persistantes désignant une base militaire de la MINUSTAH située dans la région de Mirebalais. En l’espèce, les investigations menées sur la souche pathogène de la bactérie ont permis de déterminer son origine asiatique – de sérotype O1 El Tor Ogawa –, donc importée. Dès le mois de décembre 2010, la publication d’une enquête épidémiologique conduite par un médecin français semble confirmer la piste du camp des Casques bleus dont le système défaillant d’évacuation des eaux usées – confié à un sous-traitant haïtien – aurait entraîné la contamination d’un affluent de l’Artibonite, le plus grand fleuve d’Haïti. Après plusieurs mois de polémique, d’autres études ont consolidé cette hypothèse et écarté définitivement les thèses alternatives d’une propagation à partir de la côte due à la conjoncture climatique.
Pour l’heure, plus de 6% de la population haïtienne auraient été concernés par la maladie – soit près de 700 000 cas, un bilan probablement sous-évalué – qui continue de tuer par des flambées récurrentes, en particulier dans les zones reculées où le personnel médical demeure insuffisant et l’accès à l’eau inexistant. À cet égard, citons les statistiques du MSPP pour la troisième semaine de janvier 2014 : 75 personnes ont été hospitalisées, et trois d’entre elles ont succombé au vibrion cholérique. Si la menace paraît désormais relativement contenue, le pays reste en état de veille permanente et l’éradication devrait s’étaler sur des années – voire des décennies – alors que les programmes internationaux d’urgence ferment, faute de financements.
Cadrage théorique
1. L’irresponsabilité d’une organisation internationale. Si le SNU (Système des Nations unies) a dans un premier temps ignoré la polémique, ses porte-paroles ont progressivement développé une communication axée sur la technicisation du problème et le refus implicite de toute forme d’accountability.
2. La médiation timorée d’un État dépassé. Longtemps inerte dans cette controverse sociotechnique, le gouvernement haïtien a récemment tenté de reprendre la main en proposant un ensemble d’initiatives visant à trouver une solution politique à la crise sanitaire.
Analyse
S’inscrivant dans un contexte national déjà sensible à la présence de troupes étrangères depuis 2004, les mobilisations de victimes se sont organisées autour de mouvements tels que le COMODEVIC (Collectif de Mobilisation pour le Dédommagement des Victimes du Choléra) ou encore le MOVIK (Moun Viktim Kolera). Plusieurs manifestations ont eu lieu dans le pays – mais également à New York – afin de réclamer aux Nations unies des réparations symboliques – sous la forme d’excuses publiques – et matérielles, en l’occurrence des indemnités pour les familles endeuillées. Remarquons que ces activités protestataires ont été relayées sur le plan juridique, avec notamment le dépôt d’une plainte en novembre 2011 au nom de cinq mille personnes représentées par deux organisations jumelles : l’IJDH (Institute for Justice and Democracy in Haiti) – ONG fondée par un avocat états-unien spécialiste des droits humains – et le BAI (Bureau des Avocats Internationaux), sa contrepartie locale. Deux ans plus tard, une nouvelle démarche a été entreprise contre l’ONU par des juristes haïtiens à New York afin d’exiger des compensations pour la population. Citons enfin la publication fin 2013 d’un rapport accablant élaboré par des chercheurs de l’Université de Yale, qui incrimine la MINUSTAH, tant sur le plan de la santé publique que du droit.
Toutefois, les responsables onusiens se sont cantonnés pendant les premières semaines de l’épidémie à une stratégie de démenti systématique : plus encore, des cadres de l’OMS et des CDC, optant pour le traitement technique d’un problème sanitaire, ont affirmé que l’enquête sur l’origine du fléau ne constituait pas une priorité. Rappelons que le pays se trouvait alors en période électorale, et que les bailleurs de fonds avaient fortement appuyé l’organisation précipitée d’un scrutin présidentiel jugé indispensable au processus de reconstruction. Pour autant, la succession d’expertises mettant en cause la MINUSTAH a conduit les Nations unies à mener une contre-offensive médiatique et juridique. Afin de rejeter les doléances des avocats haïtiens invoquant l’accord SOFA (Status of Forces Agreement) de 2004 signé entre l’ONU et le gouvernement haïtien – qui prévoyait notamment la mise en place d’une commission des réclamations –, l’Organisation a eu recours en février 2013 à la section 29 de la Convention sur les privilèges et immunités de 1946. À ce titre, les demandes d’indemnisation ont été jugées irrecevables : notons que le Secrétaire général Ban Ki-moon s’est exprimé en insistant sur les 140 millions de dollars de fonds multilatéraux investis contre le choléra, tout en refusant implicitement de reconnaître une quelconque responsabilité dans la crise sanitaire.
Face à l’ampleur de la controverse, l’État haïtien s’est cantonné pendant de longs mois dans le silence, ce qui témoigne de sa dépendance envers l’international, mais également des conflits incessants entre le nouveau Président et le Parlement. Le Ministre des Affaires étrangères a même déclaré en octobre 2012 ne détenir aucune preuve impliquant la force onusienne dans la propagation du vibrio cholerae. À l’automne 2013, le Premier ministre haïtien amorce néanmoins un revirement en évoquant la « responsabilité morale » de l’ONU avant de proposer, lors de la 68e Assemblée générale des Nations unies, la création d’une structure mixte chargée de trouver un compromis. Soulignons combien cette timide voie de sortie s’appuie surtout sur un plan décennal d’éradication de 2,2 milliards de dollars, qui vise à construire un réseau performant d’eau et d’assainissement tout en contenant l’épidémie par des campagnes de vaccination orale. Pour autant, cette initiative tardive sera financée seulement à hauteur de 1% par les Nations unies qui ont préféré lancer un appel au secteur privé et au philanthrocapitalisme. Si bien que la stratégie implicite d’impunité choisie par l’ONU semble devoir se payer par son discrédit le plus complet. Le scandale du choléra en Haïti démontre en l’espèce les limites d’une approche focalisée sur une population qu’il s’agit de traiter en négligeant l’impératif de responsabilité devant un peuple.
Références
Paule Clément, « La gestion capitaliste d’une catastrophe naturelle. Le deuxième anniversaire du séisme haïtien, 12 janvier 2012 », Fil d’Ariane, Chaos International, fév. 2012, consultable sur le site de Chaos International : http://www.chaos-international.org.
Transnational Development Clinic, Jerome N. Frank Legal Services Organization, Yale Law School, Global Health Justice Partnership of the Yale Law School and the Yale School of Public Health, Association Haïtienne de Droit de l’Environnement, « Peacekeeping Without Accountability. The United Nations’ Responsibility for the Haitian Cholera Epidemic », août 2013, consultable à l’adresse web : http://www.yaleghjp.org [11 janvier 2014].
Jan 25, 2014 | Diffusion de la recherche, Théorie En Marche
Privilégiant une approche pluridisciplinaire, l’auteur montre très bien que le réchauffement climatique confère au monde arctique une nouvelle dimension de politique internationale. Certes les routes maritimes semblent encore loin d’être permanentes. Mais tout juste esquissées, elles induisent déjà des enjeux économico-stratégiques qui bouleversent les relations entre États. En effet, qu’il s’agisse des cinq pays riverains – Canada, Danemark, États-Unis, Norvège, Russie – ou qu’il soit question de la Chine ou de l’Union européenne, les richesses halieutiques et les matières premières suscitent des tensions majeures. Quant au tourisme en croissance exponentielle, il représente également un dossier sensible.
Mais Th. Garcin ne se limite pas à une analyse interétatique. Il traite aussi des acteurs non-étatiques en mettant en perspective la situation des peuples autochtones. À l’avenir, il faudra de plus en plus compter avec cette « marqueterie de communautés » au nombre d’une trentaine.
Thierry Garcin, Géopolitique de l’Arctique, Paris, Economica, 2013, 186 pages dont 6 pages de bibliographie et un index analytique. L’ouvrage comprend en outre 16 cartes et 20 encadrés.