Le 5 octobre 2016, les conditions d’entrée en vigueur de l’Accord de Paris (ratification par 55 pays représentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre) ont été atteintes. Trente jours plus tard, soit le 4 novembre 2016, sa mise en œuvre deviendra donc effective. En conséquence, la 22e CdP (Conférence des Parties) à la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques), qui se réunira à Marrakech du 7 au 18 novembre prochains, marquera également la 1ère session de la CMA (Conference of the Parties serving as the Meeting of the Parties to the Paris Agreement) qui installera le nouveau régime multilatéral de régulation climatique, au sein duquel les acteurs non-étatiques, et en particulier les gouvernements infranationaux, tiennent une place de plus en plus importante. Le 1er Sommet « Climate Chance », qui s’est déroulé à Nantes du 26 au 28 septembre 2016, a été organisé dans cette perspective pour affirmer et préciser leur action climatique. > Rappel historique > Cadrage théorique > Analyse > Références
Rappel historique Le Sommet de Copenhague lors de la 15e CdP représentait la date butoir pour achever les négociations conformément au PAB (Plan d’Action de Bali) et à la Feuille de route de Bali, approuvés en décembre 2007. Son échec, douze ans après l’adoption du protocole de Kyoto, a acté la fin d’une approche contraignante et enregistré « la poursuite d’une redistribution mondiale de l’autorité politique », qui engage désormais les autorités locales. En décembre 2008, lors de la 14e CdP à Poznan, le Secrétaire exécutif de la CCNUCC, Yvo de Boer, reconnaissait déjà que « 50 à 80% des actions concrètes visant à réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) et quasiment 100% des mesures d’adaptation aux conséquences du changement climatique sont conduites à un niveau infra-étatique ». Dans le cadre d’associations internationales comme CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) ou d’événements transnationaux comme le 1er Sommet mondial des régions, qui a eu lieu en octobre 2008 à Saint-Malo, les collectivités locales se sont progressivement déployées à l’échelle mondiale afin de faire entendre leur voix dans les négociations climatiques. Pour la première fois, la décision adoptée à Cancun par les États a pris en compte en 2010 leur rôle dans les politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. En l’espèce, cette dernière « reconnaît que de multiples parties prenantes doivent être mobilisées aux niveaux mondial, régional, national et local, qu’il s’agisse de gouvernements y compris les administrations infranationales et locales ».
Cadrage théorique La mobilisation transnationale des collectivités locales et le renforcement de leurs partenariats avec les autres acteurs non-étatiques relèvent de deux mouvements simultanés. 1. La dissémination de l’autorité politique. S’il n’éteint pas les conflictualités territoriales qui caractérisaient le système westphalien, le processus de mondialisation laisse place à une concurrence accrue entre gouvernements locaux. Il s’agit pour eux de conquérir des parts du marché global, grâce à des stratégies de nature entrepreneuriale, comportant une double dimension politique et économique. Leur répertoire d’action revêt en effet une forme syncrétique qui combine la diplomatie classique, à l’exception notable du recours à la force militaire, et certains des outils d’interpellation et d’action propres aux ONG et aux firmes transnationales. C’est dans cette perspective qu’il convient désormais de situer les débats sur le multilatéralisme qui, « loin de se réduire à la description d’une nouvelle configuration interétatique, désigne plutôt l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale, fragmentée et hybride ». 2. La nouvelle division internationale du travail climatique. Alors que le protocole de Kyoto n’impliquait que les pays industrialisés, mentionnés à l’Annexe I, en vue de réduire leurs émissions globales de GES dans des proportions et un calendrier très précis, l’Accord de Paris engage aussi bien les pays développés, les puissances émergentes que les PED (Pays En Développement) sur la base de leurs contributions volontaires, les INDC (Intended Nationally Determined Contribution). Les principaux leviers d’action climatique relevant principalement des acteurs non-étatiques au regard de leurs compétences (collectivités locales et entreprises), ces derniers acquièrent par conséquent un rôle important dans la définition et la mise en œuvre des stratégies nationales et, partant, internationales de développement climato-résilientes.
Analyse Si l’Accord de Paris conforte le septième principe de la Déclaration de Rio (1992) relatif aux « responsabilités partagées et différenciées » des États, il traduit surtout le renversement du paradigme de l’action collective porté par la CCNUCC et qui était principalement fondé sur les travaux du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat). L’approche interétatique et normative qui prévalait avec le protocole de Kyoto a laissé la place à des initiatives décentralisées, « sans contraintes », organisées autour d’un objectif global déterminé par l’expertise scientifique (limiter la hausse de la température à 2°C d’ici 2100 et si possible 1,5°C) s’apparentant au plus petit dénominateur commun, au point que certains, comme François Gemenne, évoquent le passage « de la coopération à la coordination ». Ce processus de récolement s’inscrit dans un plus vaste mouvement à l’œuvre depuis le virage climatique post-Copenhague – initié à Cancun et acté à Paris – qui offre de nombreuses fenêtres d’opportunités aux acteurs non-étatiques, et singulièrement aux autorités locales. Les synergies avec les autres grands accords multilatéraux sur le développement, indispensables pour leur réalisation effective, font par ailleurs l’objet d’appels répétés de la part de ces mêmes acteurs, comme l’illustrent les déclarations adoptées à l’issue des récents événements internationaux qu’ils ont organisés, comme le Sommet mondial « Climat & Territoires » à Lyon en juillet 2015, le 1er Sommet des élus locaux pour le climat à Paris dans le cadre de la 21e CdP ou encore celui de Nantes en septembre 2016. Articulés autour de la sécurité humaine et de la priorité donnée à la reconnaissance de droits à la fois individuels et collectifs, ces textes transnationaux entérinés par les acteurs étatiques renforcent la légitimité des acteurs non-étatiques, et notamment des gouvernements locaux au plus proche des attentes exprimées par les citoyens, à agir et revendiquer un rôle croissant sur la scène mondiale en général et au sein de l’arène climatique en particulier. Le plan d’Actions Lima-Paris (devenu Global Climate Action Agenda) et la nomination de champions de haut niveau prévue à la partie IV de l’Accord de Paris témoignent ainsi de la volonté d’associer plus étroitement acteurs étatiques et non-étatiques portée par les Parties et les instances onusiennes, les unes pour décomposer les responsabilités (et donc les points de tension), les autres pour démultiplier les engagements climatiques et optimiser les résultats attendus. La présence de la championne française, Laurence Tubiana, durant les trois jours du Sommet de Nantes, et le soutien affiché de la championne marocaine allaient clairement dans ce sens, en ajoutant un canal officiel de médiation avec les agents centraux de la négociation. La déclaration de Nantes reconnaît en l’espèce que « la mobilisation [des acteurs non-étatiques] ne sera efficace que si elle s’appuie sur le dialogue renforcé avec les États et les instances onusiennes ». Le lancement de la plateforme numérique NAZCA (Non-state Actor Zone for Climate Action) lors de la 20e CdP en traduit la réalité opérationnelle : cette dernière enregistre « les engagements à l’action climatique des entreprises, villes, gouvernements régionaux, les investisseurs et les organisations de la société civile ». Sur les 5305 structures recensées actuellement, les collectivités locales en représentent 47,7%, à parité avec les acteurs privés. Cet équilibre se vérifie également sur le nombre d’engagements (pour un total de 11615) alors que l’écart se creuse nettement dès que l’on adopte un regard plus qualitatif : sur la période pré-2020, le secteur privé pèse 88,6% contre 9,8% pour les gouvernements locaux. Les données fournies appellent une analyse approfondie mais confirment d’ores et déjà les différentiels de moyens et de temporalité qui permettent de mieux comprendre la mise en place des coalitions hybrides (eau, air, alliance solaire internationale ) qui se sont données à voir lors du Sommet de Nantes afin de faire valoir, après des États-Parties, leurs points de vue dans la perspective de la 22e CdP. En cela, ces « entités non-Parties intéressées » participent activement à une dynamique de reconfiguration partielle de l’arène climatique qui, tout en tendant à rapprocher les acteurs non-étatiques du cœur de la négociation, les tient à distance des décisions.
Références Aykut Stefan C., Dahan Amy, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014. Betsill Michelle M., Corell Elisabeth (Eds.), NGO Diplomacy : The Influence of Nongovernmental Organizations in International Environmental Negotiations, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2008. Petiteville Franck, Placidi-Frot Delphine (Éds.), Négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2013. Setzer Joana, Environmental Paradiplomacy: the Engagement of the Brazilian State of São Paulo in International Environmental Relations, Thèse LSE, juin 2013, consultable à l’adresse : http://etheses.lse.ac.uk/839/1/Setzer_Environmental_paradiplomacy.pdf Uzenat Simon, « Un multilatéralisme sans contraintes. Les engagements des États dans le cadre de Copenhague », Passage au crible (15), 18 fév. 20
Du 10 au 15 octobre 2016, s’est tenu à Lomé (Togo) le sommet de l’Union africaine sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement. À l’issue de cette rencontre, trente-et-un États ont adopté une charte pour lutter contre la piraterie et la pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée). > Rappel historique > Cadrage théorique > Analyse > Références
Rappel historique L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions du monde où sévit le plus gravement la pêche illégale. Signalons d’ores et déjà que cette pratique doit être distinguée de la pêche non déclarée et non réglementée. Souvent associées à tort, l’une constitue un acte criminel perpétré à l’échelle internationale, tandis que l’autre relève soit d’un délit de braconnage local, soit d’une infraction par rapport aux normes nationales en vigueur. Si l’ampleur de ce phénomène demeure difficile à évaluer – notamment à cause 1) des faibles pouvoirs coercitifs conférés aux organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), 2) de l’absence de coopération régionale entre États, 3) du fort déficit de dispositifs nationaux de contrôle, 4) du manque de coordination des autorités portuaires dans ce domaine, 5) de la dimension transnationale des opérations et, le cas échéant, des réseaux criminels impliqués et 6) de la sophistication des mécanismes de blanchiment utilisés – on estime toutefois que ces captures représentent chaque année entre un tiers et la moitié des prises réalisées dans les eaux ouest-africaines pour un montant d’environ 1,3 milliard de dollars. En 2013, une équipe de chercheurs du projet Sea around us – un programme développé au sein de l’Université de Colombie Britannique au Canada et qui élabore un vaste ensemble de données portant sur la pêche mondiale – a quantifié l’impact de ce phénomène au Sénégal. Selon les conclusions qu’ils avaient alors communiquées au gouvernement, le manque-à-gagner s’élevait à environ 300 millions de dollars par an. Alors que les ressources halieutiques subissent depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, une diminution continue – selon le dernier rapport de la FAO, la proportion de stocks surexploités se-rait passée entre 1973 et 2013 de 10 à 31,4% –, la lutte contre la pêche illégale est devenue un enjeu majeur pour orienter les pêcheries mondiales vers un modèle durable. De surcroît, ceci forme pour les pays côtiers en développement, un défi en termes de sécurité alimentaire. Actuellement, cette question figure parmi les grandes priorités de l’agenda international en ma-tière de protection de l’océan. En septembre 2015, le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) a fixé de nouveaux ODD (Objectifs de développement) dont le quatorzième, consacré à la « Vie aquatique », prévoit l’élimination de cette pratique. En juin 2016, une avancée significative a par ailleurs été enregistrée avec l’entrée en vigueur de l’accord de la FAO (dit « accord PSM ») qui vise à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Adopté en 2009, ce traité contraint les pays qui y ont adhéré à 1) « mettre en place des mesures en matière de contrôle portuaire des navires de pêche », 2) « interdire l’accès aux ports ou l’utilisation de leurs infrastructures pour les navires ayant pris part à des activités illicites » et 3) « prévoit le partage entre États des in-formations relatives à ces navires ».
Cadrage théorique 1. Les failles de la gouvernance maritime. Adoptée en 1982 à Montego Bay en Jamaïque et entrée en vigueur en 1994, la CNUDM (Convention des Nations unies sur le droit de la mer) régit les usages des eaux intérieures et de l’océan. Plus particulièrement, le texte a consacré la souveraineté des États côtiers sur leurs eaux nationales. Tout pays qui en fait la demande officielle peut donc disposer d’une ZEE (Zone économique exclusive) de 200 miles pour laquelle il est seul habilité à décider des activités qui y sont poursuivies (exploration et extraction minières, énergies marines renouvelables (EMR), pêche, tourisme etc.). Mais en dépit de cette avancée juridique, les pays d’Afrique de l’Ouest – dont les abondantes ressources halieutiques suscitent de nombreuses convoitises – connaissent des difficultés pour faire respecter ce droit. Par manque de moyens de contrôle en mer, les autorités ne parviennent pas à intercepter les navires de pêche qui opèrent illégalement dans leurs ZEE en usant de toutes sortes de stratagèmes pour échapper aux appareils de localisation.
2. Une criminalité transnationale. Pratiquée dans différentes régions – notamment en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud Est et en Antarctique –, impliquant de nombreux États – en particulier ceux qui offrent des pavillons de complaisance – et s’appuyant sur des réseaux organisés, la pêche INN constitue aujourd’hui une nouvelle forme de criminalité transnationale. Ainsi, assiste-t-on, en réponse, à la mise en œuvre de nouveaux instruments (accords, chartes, programmes de surveillance etc.) qui résultent de la convergence de multiples institutions autour de cette problématique (OI, organisations régionales, États, ONG, universités). Toutefois, ces initiatives restent encore très disparates et peinent à se muer en une coopération fonctionnelle, faute de concrétisation des engagements pris par les États concernés.
Analyse L’adoption de la CNUDM en 1982 a été précédée de trois réunions internationales dont la première fut la Conférence de Genève sur le droit de la mer en 1958 qui a abouti à la signature de quatre conventions. Cependant, ces règles ont rapidement été mises en cause par les PED (pays en développement) qui venaient d’accéder à l’indépendance. Rappelons à cet égard, qu’à partir des années cinquante, les armements européens (espagnols, français et portugais), confrontés à la diminution de certaines espèces en Atlantique Nord, ont commencé à opérer en Afrique de l’Ouest. À la même époque, plusieurs études scientifiques ont établi l’abondance des stocks dans la région, ce qui a accéléré l’expansion de ces chalutiers vers les eaux du Golfe de Guinée. À la suite de ces contestations, une deuxième conférence fut donc convoquée en 1960 mais celle-ci fut clôturée sans qu’aucun accord ne fût trouvé. Une troisième conférence s’ouvrit enfin en 1972 et siégea jusqu’en 1982. En consacrant le principe de la ZEE, le texte autorise les États présentant un fort potentiel halieutique à le protéger des navires étrangers et à privilégier leurs propres flottes. En outre, la Convention de Montego Bay prévoit que les États qui ne seraient pas en mesure d’exploiter l’intégralité de leurs stocks, peuvent signer des partenariats avec des pays-tiers afin que ceux-ci accèdent à ce surplus en échange d’une contrepartie financière. Ne disposant pas des infrastructures suffisantes, ni des moyens pour investir dans la construction de nouvelles unités, ni même des données et/ou de l’expertise permettant de contredire les évaluations réalisées par les scientifiques étrangers, la plupart a donc conclu des accords et, à ce titre, perçu des taxes sur la valeur des prises. Toutefois, ce processus ne s’est pas accompagné d’un renforcement de la sécurité maritime en Afrique de l’Ouest. Un nombre croissant de bateaux étrangers – européens d’abord, puis à partir des années quatre-vingt-dix, russes, chinois et originaires d’Asie du sud-est – a commencé à opérer illégalement dans ces eaux, au détriment des pêcheurs locaux. En quelques décennies, le phénomène a pris une ampleur inédite. Au point qu’il menace désormais gravement des écosystèmes déjà fragilisés, les équilibres socio-économiques des communautés littorales, tout en représentant un risque substantiel pour la sécurité alimentaire. De surcroît, la raréfaction des ressources halieutiques incitant certains armateurs asiatiques à baisser leurs coûts d’exploitation, ces derniers ont eu tendance à pratiquer, de manière croissante, la traite humaine en embarquant, par exemple, des exilés birmans. Ainsi, la lutte contre cette criminalité transnationale est-elle devenue l’une des priorités de l’agenda international. En Afrique de l’Ouest, plusieurs modes opératoires ont été identifiés. L’une des premières stratégies consiste à échapper aux dispositifs de surveillance soit 1) en désactivant les systèmes d’identification automatique (AIS) et/ou de surveillance des navires par satellite (VMS), soit 2) en transmettant des données erronées ou encore 3) en modifiant les marques permettant de reconnaître un bateau. Une seconde méthode repose sur le transbordement des cargaisons illicites, c’est-à-dire le transfert des prises sur un ou plusieurs cargos frigorifiques afin de les blanchir en les mélangeant aux captures légales. Cette manœuvre peut s’effectuer au port, près des côtes ou en haute mer. Une autre technique peut être le recours à une fausse immatriculation, comme ce fut le cas du bracon-nier Thunder (PAC 126). Enfin, le grave déficit de transparence en matière d’attribution des licences dans les pays d’Afrique de l’Ouest facilite et encourage les usages frauduleux. Afin d’endiguer ces pratiques, la FAO – principale organisation internationale intervenant dans le secteur des pêches maritimes – a élaboré l’accord PSM qui propose d’encadrer plus strictement les activités portuaires. En l’occurrence, ce traité prévoit de renforcer les échanges d’informations entre États, OI et ORGP dans le but 1) d’améliorer l’identification et le suivi des contrebandiers et 2) appréhender plus efficacement les unités impliquées dans les activités illicites et/ou les transbordements illégaux. À cet égard, le récent développement de technologies avancées – par exemple l’outil de suivi en temps réel Global Fishing Watch qui résulte de la coopération entre Google, SkyTruth, Océana et plusieurs universités – représente une avancée substantielle en matière de localisation. Pourtant, on ne dénombre actuellement que 47 parties à l’accord PSM parmi lesquelles seulement sept pays d’Afrique de l’Ouest (Angola, Bénin, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Sierra Leone). À ce jour, aucun d’entre eux ne l’a encore ratifié. Il en va de même pour la charte de Lomé qui compte deux grands absents, le Cameroun et le Sénégal, dont les économies sont très affectées par les incursions étrangères dans leurs eaux. Signalons en outre que le texte n’énonce que des grands principes directeurs – en particulier en matière d’échange d’informations entre États –, mais n’envisage la mise en place d’aucun mécanisme spécifique. Autant dire qu’en l’absence d’engagements concrets de la part des pays concernés, la lutte contre la pêche illégale ne saurait produire de résultats concluants. De telles avancées s’avèrent néanmoins indispensables si l’on considère que les espèces situées dans les eaux équatoriales, en plus d’être surexploitées, subissent d’ores et déjà les conséquences du changement climatique.
Références Daniels Alfonso et al., Western Africa’s Missing Fish: The Impacts of Illegal, Unreported and Unregulated Fishing and Under-reporting Catches by Foreign Fleets, Overseas Development Institute, Londres, juin 2016. Interpol, Sous-direction de la sécurité environnementale (Projet Scale), Étude sur la pêche illégale au large des côtes d’Afrique de l’Ouest, Lyon, sept. 2014. Le Manach Frédéric et al., « Who gets whats ? Developing a more equitable framework for EU fishing agreements », Marine Policy, 38, 2013, pp.257-266. Pauly Daniel, « La pêche illégale le long de la côte ouest-africaine », Diplomatie magazine, numéro spécial, octobre 2016, pp. 68-71. (Non diffusé) Site officiel du sommet de Lomé sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement, disponible à la page suivante : http://www.sommetdelome.org/. Dernière consultation : le 20 octobre 2016.
Le 14 septembre 2016 s’est tenue la deuxième réunion de la commission parlementaire mixte Tunisie-UE (Union Européenne). Elle s’est conclue par l’adoption d’une résolution non contraignante qui recommande aux institutions européennes d’œuvrer pour la création d’un « plan Marshall ». Un dispositif destiné à soutenir la transition tunisienne ainsi que la conversion de la dette européenne en projets d’investissements. > Rappel historique > Cadrage théorique > Analyse > Références
Rappel historique
Cinq ans après le renversement de Zine el Abidine Ben Ali, plusieurs évolutions ont mar-qué la scène politique en Tunisie, parmi lesquelles l’adoption d’une nouvelle constitution le 26 janvier 2014. Celle-ci inscrit notamment la liberté d’expression et d’opinion, celle de conscience, l’égalité des droits entre hommes et femmes ainsi que le principe de la parité dans les assemblées des élus. Ces avancées ont été saluées le 9 octobre 2015 par l’attribution du prix Nobel de la paix au quartet composé du syndicat UGTT (Union générale tunisienne du travail), de la fédé-ration patronale UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l’homme) et de l’ONA (Ordre national des avocats). Notons que ce groupe développe depuis plus de deux ans un « dialogue national ». À tel point que l’UE (Union européenne) a exprimé sa volonté de consolider sa relation avec la république tunisienne en mettant l’accent sur le rôle essentiel joué par la société civile dans la construction du proces-sus démocratique. Soulignons la reprise des négociations entre la Tunisie et l’UE le 15 octobre 2015, dans la perspective de conclure un ALECA (Accord de libre-échange complet et approfondi) étendant la zone de libre-échange établie en 1995 pour les produits industriels. Ce texte confère à l’État tunisien le statut de « partenaire privilégié » et encourage de surcroît son intégration économique dans l’espace européen. Enfin, rappelons que ces pourparlers s’inscrivent dans le cadre du processus euro-méditerranéen de Barcelone lancé en 1995. Ce dernier introduit le concept de « partenariat EUROMED » fondé sur trois axes : politique, économique et sécuritaire. Suivant cette initiative, le président français François Hollande a annoncé vendredi 22 janvier 2016 que « la France mettrait en œuvre un plan de soutien à la Tunisie d’un milliard d’euros sur les cinq prochaines années ». Toutefois, cet État du Maghreb fait toujours face à de considérables défis politiques, économiques et sécuritaires. Gardons ainsi en mémoire les assassinats politiques et les attaques terroristes survenus ces derniers mois, actions violentes qui ont conduit l’UE à réaffirmer son soutien. Après l’attentat perpétré le 18 mars 2015 contre le musée du Bardo, l’organisation euro-péenne a en effet exprimé sa solidarité en reliant « la sécurité du pays voisin à celle des pays européens ». Sa déclaration fait suite à la signature, le 4 novembre 2015, d’un accord conclu entre l’ambassadrice de l’UE Laura Baeza et les ministres du Développement et de l’Intérieur, Yassine Brahim et Nejem Gharsalli concernant un prêt de 23 millions d’euros. Cette somme sera consa-crée à la réforme du secteur de la sécurité ciblant la protection des frontières et la lutte contre la radicalisation. En outre, des mesures économiques ont été discutées, telles que l’augmentation des quotas d’huile d’olive exportée vers l’Europe. La Commission européenne a adopté ces pro-positions en septembre « pour protéger l’économie de la Tunisie à la suite des récentes attaques terroristes ». À ce titre, ce soutien à un domaine dont dépend plus d’un million de Tunisiens est présenté comme un « effort concret pour stimuler l’emploi » et un « avantage économique nécessaire à court terme ».
Cadrage théorique 1. La maîtrise unilatérale des négociations. Les attaques terroristes qui ont frappé la Tunisie en 2015 ont consolidé les initiatives de l’UE en matière de sécurité. Ces dispositions sont proposées dans le cadre d’un « partenariat privilégié » qui englobera, à terme, tous les secteurs de l’économie tunisienne. Cependant, une ouverture significative des marchés laisse craindre un déséquilibre au profit des opérateurs occidentaux, ce qui a déjà conduit les acteurs locaux à se mobiliser pour s’opposer aux pourparlers.
2. La résistance structurelle de la société civile. James Rosenau a bien montré que la politique étrangère ne constituait plus aujourd’hui une compétence exclusive des autorités nationales. Les gouvernements doivent désormais composer avec de nouveaux acteurs hors-souveraineté. Ces derniers contestent en l’occurrence ce qu’ils considèrent comme une mauvaise gestion des fonds publics n’ayant pas conduit à une amélioration significative sur le plan socio-économique.
Analyse Notons qu’en Tunisie, les efforts de coopération restent controversés au sein de la société civile et de la sphère médiatique qui ont tendance à stigmatiser une forme dissimulée de clientélisme. Ces groupes soulignent que la conclusion d’un tel compromis influencera largement les orientations politiques en matière diplomatique et économique. Outre cette considération, ils soulèvent la question des impacts immédiats qu’ils jugent incertains. Dans cette logique, l’opposition dénonce le caractère purement commercial et financier de l’ALECA et les déséquilibres potentiels entre les opérateurs locaux et européens. Elle considère que le libre-échange reste surtout profitable à l’Europe, et en particulier à la France, l’Allemagne et l’Italie. Les contestataires déplorent également l’absence d’une aide réelle pour moderniser l’économie tuni-sienne et construire un appareil productif véritablement compétitif aussi bien sur les plans in-dustriel et agricole qu’en ce qui concerne les services. Dans ces conditions, Tunis pourrait diffici-lement tirer profit de l’ouverture des marchés. En outre, ces mobilisations protestataires se sont transformées en source potentielle de turbulence globale. Après avoir réclamé un moratoire sur les discussions en juin 2015, quinze organisations – y compris l’UGTT, le FTDES (Forum tunisien pour les droits de l’homme) et la LTDH -, ont fait part de leurs préoccupations dans une déclaration publique. Enfin, la jeunesse tunisienne rejette un néo-paternalisme persistant. Plusieurs économistes et organes médiatiques de presse ont relayé cette vision afin de ralentir le processus des négociations, en citant le cas du Maroc où l’ALECA reste conditionné aux évaluations d’impact effectuées par le ministère du Commerce. Ces acteurs disposent de données qui leur permettent d’utiliser la structure des savoirs décrite par Susan Strange pour hiérarchiser les objectifs mis à l’agenda politique. Dans un contexte où l’UE attribue un rôle im-portant à ces sovereignty free actors considérés comme des interlocuteurs incontournables de l’État, les pourparlers risquent donc d’être ralentis, voire suspendus momentanément comme en 2014.
Références Benberrah Moustafa, La Tunisie en transition. Les usages numériques d’Ennahdha, Paris, L’Harmattan, 2014. Coll. Chaos International. Laroche Josepha, « L’engagement du Nobel contre l’islamisme. Le quartet tunisien, Nobel de la paix 2015 » : www.chaos.international.org Nawaat, consulté le 10 février 2015 sur : www.nawaat.org
Distribution : Heidi Blänkner, Erich Guhne, Ingetraud Hinze, Franz Krüger, Edmund Meschke, Ernst Pittschau, Hans Sangen..
Pour aller plus loin :
– Besnard Philippe, L’Anomie, Paris, PUF, 1987.
– Boszormenyi Nagy Ivan, Spark Geraldine, Invisible loyalties: Reciprocity in Intergenerational Familiy Therapy, New York, Brunner Mazel, 1973.
– Durkheim Émile, Le Suicide, [1987], Paris, PUF, 1991.
– Elias Norbert, La Société des individus, trad. Paris, Fayard, 1991.
– Le Goff Jean-François, L’Enfant, parent de ses parents, Parentification et thérapie familiale, Paris, L’Harmattan, 2000.
– Le Goff Jean-François, Thérapeutique de la parentification: une vue d’ensemble, Thérapie familialemusée disparu : Enquête sur le pillage des œuvres d’art françaises, 26 (3), 2005.
– Rossellini Roberto, Le Cinéma révélé, trad., Paris, Flammarion, 2008.
– Seknadje-Askénazi Enrique, Roberto Rossellini et la Seconde Guerre mondiale: cinéaste entre propagande et réalisme, Paris, L’Harmattan, 2000.
– Solchany Jean, Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro: 1945-1949, Paris, PUF, 1997.
Si l’émergence des États au sortir du Moyen Âge a
progressivement conduit à une réduction des violences
privées, le processus qui s’est alors mis en marche semble
de nos jours enrayé. Ce tournant civilisationnel s’est traduit
jusque-là par un refoulement de la pulsion de mort qui a pris la forme d’un monopole de l’État sur les guerres et d’une pacification diplomatique.
Mais il témoigne à présent d’un épuisement inquiétant. Cela tient à l’affaiblissement des acteurs étatiques, si discrédités et contestés qu’ils ne sont plus en mesure d’intervenir comme instances légitimes de régulation et de protection. Désormais, avec la mondialisation des violences non-étatiques et des communautarismes, les sociétés doivent faire face à la brutalisation du monde qui se caractérise notamment par des affrontements identitaires, une destruction du lien social et un affaiblissement des solidarités.
Conjuguant les apports de la psychanalyse, de l’histoire et de la sociologie, cet essai propose un cadre d’analyse qui rend compte des reconfigurations actuelles d’une scène mondiale traversée par les forces destructrices de la décivilisation.