PAC 4 – Une redistribution mondiale de l’autorité politique 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin – 9 nov. 1989-9 nov. 2009

Par Josepha Laroche

Passage au crible n°4

Mur de BerlinSource : Wikipedia

L’Allemagne, l’Europe et chacun de ses États membres fêtent, ce 9 novembre 2009, le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Cet événement a marqué symboliquement la fin de la Guerre Froide.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Décidée par la RDA (République démocratique allemande), la construction du Mur de Berlin (12 au 13 août 1961) visa à mettre un terme définitif à l’émigration de ses ressortissants vers l’Allemagne de l’Ouest. Leurs départs massifs portaient en effet directement atteinte à la crédibilité – voire à la viabilité même – de l’Allemagne de l’Est : en quinze ans, trois millions d’Allemands avaient émigré de l’Est vers l’Ouest. Qualifié de mur de la honte par les Occidentaux, il fut au contraire appelé mur de la paix par les communistes. Le président des États-Unis, John F. Kennedy, en voyage à Berlin-Ouest, le 25 juin 1963, tint à l’époque à manifester la solidarité américaine envers la population allemande, en déclarant non sans emphase : « Ich bin ein Berliner ».

Dès l’été 1989, l’exode des Allemands de l’Est, qui traversaient la Hongrie pour rejoindre le territoire de la RFA (République fédérale d’Allemagne), marqua une étape décisive. Le 9 novembre 1989, le mur et la frontière interallemande furent entrouverts grâce à une décision du gouvernement Est-allemand. Dans un premier temps, aussi bien le projet Modrow de Communauté contractuelle que celui de Structures confédératives du chancelier d’Allemagne fédérale, Helmut Kohl, eurent pour objectif à long terme, la réunification de l’Allemagne. Cependant, la victoire électorale remportée en RDA, le 18 mars 1990, par les partisans d’une intégration rapide à la RFA, bouleversa ce schéma d’évolution. Elle marqua un tournant capital qui scella la disparition de la RDA. Cette élection prit valeur de plébiscite et il devint vite patent que l’Allemagne unie se ferait par le biais d’une adhésion de la RDA à la RFA, et non par une fusion de l’Est avec l’Ouest. Ce processus fut entériné par les deux traités interallemands du 18 mai et du 31 août 1990, le premier portant sur l’union monétaire, économique et sociale, le second traitant de l’unité allemande.

C’est l’article 23 de la Loi Fondamentale de la République fédérale (1949) qui a finalement constitué l’instrument juridique de la réunification. Il offrait l’avantage politique d’une solution car il prévoyait que les dispositions de cette constitution s’étendraient également à la partie orientale de l’Allemagne après son rattachement. En outre, cette option ne compromettait pas les engagements internationaux de l’Allemagne de l’Ouest et n’affaiblissait pas sa position dans le concert des États.

Cadrage théorique

La chute du mur de Berlin met en relief deux questions fondamentales. 

1. La fin de la bipolarité. Durant plusieurs décennies, elle s’était caractérisée par la suprématie des États-Unis et de l’URSS, deux unités diplomatico-stratégiques derrière lesquelles s’étaient ordonnées toutes les autres. Dès l’après-guerre, cette configuration interétatique a suscité un grand nombre de modélisations chez les théoriciens des relations internationales. Parmi eux, mentionnons principalement Hans J. Morgenthau, le fondateur de l’École réaliste, qui a analysé la politique des blocs dans son ouvrage canonique, Politics Among Nations (1948). Citons encore le théoricien réaliste, Raymond Aron qui, dans Paix et guerre entre les Nations (1962), a revisité l’œuvre de Thucydide – La Guerre du Péloponnèse –, pour mieux appréhender le fameux « condominium américano-soviétique » et caractériser la bipolarité par la célèbre formule : « guerre impossible, paix improbable ». En 1979, le néo-réaliste, Kenneth Waltz, a également consacré de longs développements à cette configuration. Ainsi, dans Theory of International Politics, il tint à souligner qu’elle procurait de nombreux avantages, en termes de : 1) stabilité, prévisibilité et équilibre du système international, 2) réduction des interdépendances, aussi bien économique que diplomatico-stratégique, 3) préservation de la paix mondiale. À cet égard, il se plaisait à résumer sa thèse par la boutade suivante : « smaller is better […] two is best of all , Plus petit, c’est mieux, deux, c’est mieux que tout ».

Pour autant, ce principe de régulation internationale mis en place aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale – l’équilibre de la terreur entre les deux blocs – disparaît avec le Mur. Dès lors, comment les relations internationales vont-elles se structurer ? Après le tournant historique de l’année 1989, la réflexion des théoriciens – mais aussi celle des politiques – s’est principalement centrée sur cette question. Le système international allait-il prendre la forme de la multipolarité, – la répartition de la puissance entre plusieurs pôles – ou bien au contraire celle de l’hégémonie sans partage de la superpuissance américaine ? La scène mondiale allait-elle être gouvernée par l’exceptionnalisme des États-Unis ou être façonnée par un multilatéralisme émergent ? Pour leur part, les théoriciens transnationalistes ont plutôt mis l’accent sur le poids déterminant des acteurs non-étatiques et la prise en compte indispensable des flux dépassant les cadres stato-nationaux.

2. La réunification de l’Allemagne. Elle pose, en termes renouvelés, le dossier de l’intégration européenne. Modifiant les équilibres internes, propres à l’ensemble communautaire, elle invite à repenser l’aptitude de l’Union européenne à mettre en œuvre une politique extérieure bien identifiée qui soit susceptible de modifier la donne mondiale.

Analyse

La chute du mur de Berlin illustre de manière paradigmatique une redistribution mondiale de l’autorité politique qui s’est opérée à la fois par le haut et par le bas.

Par le haut (macro). L’Union soviétique et les autorités communistes de RDA ont laissé des milliers de Berlinois franchir le Mur – sans effusion de sang – pour s’enfuir à l’Ouest. Ce faisant, ils ont symboliquement reconnu leur défaite dans le combat idéologique, économique et politique qui les avait opposés au bloc occidental, au cours des précédentes décennies. De fait, en tolérant ce transfert massif de population, ils ont implicitement permis un transfert irréversible d’autorité au profit de la seule RFA. Par delà le triomphe de cet État, ils ont reconnu plus encore celui du bloc occidental dans son ensemble.

Par le bas (micro). Les milliers d’Allemands de l’Est passant à l’Ouest illustrent à merveille l’impact des fameuses « forces sous-jacentes », analysé par le politiste américain James Rosenau. En l’occurrence, cette expression désigne des mouvements sociaux, capables d’initier et de bénéficier d’une réattribution de l’autorité politique au plan mondial. Ce bouleversement international de 1989 et ceux qui suivirent ultérieurement – l’implosion de l’Union soviétique, la disparition du Comecon ou bien encore celle du Pacte de Varsovie – soulignent en effet l’aptitude des Sovereignty Free Actors (acteurs hors-souveraineté), à s’imposer sur la scène internationale en contraignant finalement les États à transiger avec eux.

Avec la chute du Mur de Berlin, c’est donc une nouvelle distribution du pouvoir qui s’esquisse à l’échelle internationale. Certes, elle témoigne sans nul doute d’un réagencement d’ordre inter étatique et hiérarchique, mais elle rend compte également d’une nouvelle dynamique relationnelle, établie entre les collectivités dirigeantes et les citoyens. Désormais, il faudra compter avec ce mixing micro-macro et les nouveaux critères de légitimité qu’il implique.

Références

Aron Raymond, Paix et guerre entre les nations, [1962], 8ème éd., Paris, Calmann-Lévy, 1984.
Morgenthau, Hans J., Politics Among Nations, [1948], 6th ed., New York, McGraw-Hill, 1985.
Rosenau James, Turbulence in World Politics, a Theory of Change and Continuity, New York, Harvester, 1990.
Taylor Frederick, Le Mur de Berlin, trad., Paris, Jean-Claude Lattès, 2009.
Waltz Kenneth, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.

PAC 3 – La sécurité est-elle un bien marchand ? Sommet de l’International Peace Operation Association, Washington, 25-27 octobre 2009

Par Jean-Jacques Roche

Passage au crible n°3

Source : Pixabay

Le sommet annuel de l’International Peace Operation Association (IPOA) a réuni à Washington du 25 au 27 octobre derniers plus de 400 participants sur le thème du soutien du secteur privé aux opérations de stabilisation régionale en Afghanistan. En l’occurrence, il s’agissait également de diffuser l’image d’un consortium qui rassemble aujourd’hui 72 SMP (Sociétés Militaires Privées) et de souligner leur implication dans le dispositif de l’Alliance atlantique mis en place en Afghanistan.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Fondée en 2001, l’IPOA est arrivée sur le devant de l’actualité en 2003, lorsque Kofi Annan a menacé de recourir à ses services si les puissances occidentales ne s’engageaient pas au Congo. Depuis lors, les guerres en Irak et en Afghanistan ont constitué une source d’expansion continue pour les SMP. D’après les données diffusées par le Congrès américain en 2008, les États-Unis auraient injecté dans le secteur 89 milliards de dollars entre 2003 et 2007 pour le seul théâtre irakien (dont 22 milliards pour la logistique et 6 à 10 milliards pour des opérations de stricte sécurisation). Ainsi, la société Blackwater (aujourd’hui rebaptisée XE) a-t-elle reçu 832 millions de dollars de 2003 à 2007 afin d’assurer la seule protection des diplomates américains. Un investissement a priori rentable puisqu’un seul diplomate a été assassiné depuis le début de l’invasion. Avec 25 à 30.000 hommes en armes déployés dans ce pays, le contingent des SMP représentait à cette époque la deuxième force présente sur le territoire. On aurait pu penser que ce choix de l’administration Bush serait remis en cause par le nouveau président. En effet, le désir affiché de Barak Obama d’accélérer le retrait américain, comme sa volonté d’amplifier la lutte contre les talibans grâce à l’envoi de 10.000 hommes supplémentaires en Afghanistan, a pourtant représenté un formidable appel d’air pour ces entreprises. À l’évidence, le dernier récipiendaire du Prix Nobel de la Paix n’a pas d’état d’âme concernant la sécurité privée. Entre janvier et juin 2009, le retrait d’Irak et les besoins du surge en Afghanistan ne se sont-ils pas traduits par une augmentation de 20% des personnels civils armés employés par le Département de la Défense, soit 13.232 hommes pour l’Irak et 5198 pour l’Afghanistan (chiffres fournis le 30 juin 2009 par le US Central) ? Au total, 24.500 employés armés relèveraient désormais des SMP licenciés sur le théâtre afghan. Or, cette tendance est loin de s’inverser.

Les esprits critiques pourront arguer que cette propension américaine à externaliser un nombre accru de fonctions militaires n’est pas partagée par leurs alliés de la coalition, à commencer par la France. De nouveau, le sens commun sera pris en défaut puisque le Ministère de la Défense français est sur le point d’accorder aux techniciens de la DCNS le statut de militaire dont bénéficient déjà – depuis le 6 octobre 2009 – les personnels de Dassault et de Thalès présents sur des théâtres extérieurs. La raison de cette générosité subite de l’État semble claire. Il s’agit tout simplement d’éviter que ces personnels soient considérés comme parties prenantes des guerres menées par les gouvernements pour lesquels ils entretiennent les matériels, comme ce fut le cas à Karachi en mai 2002. La loi du 14 avril 2003, interdisant l’activité de mercenaires, avait déjà fait l’objet d’une interprétation extensive à l’automne dernier, lorsqu’il avait été décrété que rien dans ce texte n’interdisait à l’armée française de recourir aux services de SMP françaises. Allant désormais plus loin dans la logique des Partenariats Privé-Public (PPP), ce nouveau statut des techniciens des industries d’armement devrait leur permettre de bénéficier du statut d’ancien combattant, tout en fournissant à leurs entreprises une couverture comparable à celle de leurs concurrents anglo-saxons. Comme le remarquait Philippe Chapleau dans Ouest-France des 17-18 octobre 2009, on peut désormais envisager qu’une société spécialisée dans la sûreté maritime puisse participer à la lutte anti-piraterie au large de la Somalie.

Cadrage théorique

1. La qualification de la sécurité et son enjeu. Si elle n’est ni un bien public, ni un bien tout à fait marchand, ne serait-il pas souhaitable que les économistes inventent une catégorie de biens intermédiaires pour la qualifier ? D’un point de vue théorique, ce débat aurait l’avantage de poser, sous une forme originale, le débat récurrent sur le dépérissement de l’État.
2. Le désengagement de la puissance publique. Pour l’Ecole réaliste, dite stato-centrée, la délégation de l’exécution de missions de sécurité ne porterait pas atteinte au monopole de la décision. Une puissance renouvelée devrait donc réinventer ses pouvoirs d’arbitrage à l’égard d’acteurs privés dont l’émancipation demeure garantie par la tutelle publique. À l’inverse, les approches plus libérales ont parfois du mal à admettre que l’État puisse renoncer à son monopole en matière de sécurité. Ainsi, n’est-il pas étonnant de voir un auteur transnationaliste, comme Susan Strange, oublier la question sécuritaire dans son analyse sur le Retrait de l’État.

Analyse

Il serait grand temps d’analyser la privatisation de la sécurité à l’aune d’un référentiel modernisé où l’Etat aurait cessé d’être omnipotent et bienveillant. En l’occurrence, il est regrettable que des décisions de cette ampleur puissent être prises en catimini. Les activités de l’IPOA permettent au moins d’éviter ces dérives. Jusqu’où peut-on aller dans l’externalisation des missions de sécurité ? Dans quelle mesure la privatisation de la sécurité est-elle le corollaire de la professionnalisation des armées ? À partir de quel moment le monopole de la violence physique légitime attribué à la puissance publique sera-t-il remis en cause ? La sécurité est-elle un bien marchand ou un bien public ? Ces questions ne relèvent pas de l’accessoire et c’est justement parce qu’elles portent sur l’essence même du Pacte social qu’elles devraient faire l’objet d’un débat ouvert. Continuer de se référer au modèle idéaltype d’un État détenteur du monopole de la violence physique légitime apparaît d’autant plus problématique que l’État est lui-même à l’origine du démembrement de ses fonctions régaliennes.

L’une des caractéristiques principales de ce nouveau marché de la sécurité consiste en effet à confronter une offre privée à une demande publique. En confiant la garde de l’École militaire à une entreprise privée, l’État français donne-t-il une image claire de ses responsabilités? Bien plus, en considérant que la force publique ne pourra pas être utilisée pour faire appliquer des décisions de justice en cas de troubles à l’ordre public, l’État n’est-il pas le premier acteur à nier l’idée que la sécurité puisse être un bien commun ? Si la sécurité d’une minorité ne peut être assurée qu’au risque de porter atteinte à celle du plus grand nombre, alors elle ne constitue plus un bien public et doit être au contraire considérée comme un bien marchand.

Références

Chapleau Philippe, Sociétés militaires privées, Paris, Éditions du Rocher, 2005.
Roche Jean-Jacques (Éd.), Insécurité publique, sécurité privée ? Essais sur les nouveaux mercenaires, Paris, Economica, 2005,
Roche Jean-Jacques, Contractors, mode d’emploi, http://www.cedoc.defense.gouv.fr/Contractors-mode-d-emploi-par-Jean
Scahill Jérémy, Baker Chloé, Blackwater – L’ascension de l’armée privée la plus puissante du monde, Acte Sud, 2008.
D’une manière générale on pourra se référer au site http://www.privatemilitary.org

Barcelone, 2-6 novembre 2009 Dernières négociations internationales avant la conférence de Copenhague

Après Bangkok (28 sept.-8 oct. 2009), s’est tenue à Barcelone, du 2 au 6 novembre 2009, la dernière phase de négociations avant Copenhague. 4 000 délégués représentants 175 pays – aussi bien les gouvernements que les organisations non gouvernementales (ONG), ou les milieux académiques, le secteur privé ou bien encore les médias – ont tenté d’y surmonter leurs différends. Pour bien comprendre l’enjeu d’une telle réunion, il est nécessaire de revenir sur quelques temps forts qui ont marqué l’agenda international sur la question du climat.

La réponse internationale aux changements climatiques a pris forme avec l’adoption en 1992 de la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle a établi le cadre institutionnel visant à stabiliser les concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre (GES). Elle est entrée en vigueur le 21 mars 1994 et compte aujourd’hui 192 Parties.

En décembre 1997, les délégués à la troisième Conférence des Parties (CdP) à Kyoto se sont accordés sur un protocole qui engageait les pays industrialisés – mentionnés dans l’Annexe I – à réduire d’ici 2012 leurs émissions globales de GES d’une moyenne de 5,2% en deçà de leurs niveaux de 1990. Le Protocole de Kyoto est entré en vigueur le 16 février 2005 et compte aujourd’hui 189 parties. La première puissance émettrice de GES, les États-Unis, n’a cependant pas ratifié le traité. En revanche, grâce à Barack Obama, ce pays est revenu à la table des négociations pour envisager désormais des objectifs chiffrés. Pour autant, il refuse toujours la logique de Kyoto – pourtant soutenue par l’Union européenne – d’un objectif global réparti ensuite entre les pays. En outre, il demeure hostile au système supranational de sanctions qui a été prévu en cas de non-respect des objectifs.

Les négociations menées dans le cadre de la conférence de Bali en décembre 2007 ont par ailleurs abouti à l’adoption du Plan d’action de Bali (PAB). Ce dernier contient une liste non exhaustive des questions à examiner et appelle à « vision commune pour une action concertée à long terme ». La conférence de Bali a également abouti à un accord sur un processus biennal – la Feuille de route de Bali – et a créé à cette fin deux organes de travail : l’AWG-LCA (Ad hoc Working Group-Long- term Cooperative Action), chargé des quatre éléments clés de la coopération à long terme : 1) l’atténuation, 2) l’adaptation, 3) le financement, 4) la technologie. Quant à l’AWG-KP (Ad hoc Working Group-Kyoto Protocol), il est dédié aux engagements des pays de l’annexe I. Enfin, cette feuille de route fixe une date butoir pour l’achèvement des négociations lors de la CdP15 qui se tiendra à Copenhague, du 7 au 18 décembre 2009.

Or, à Barcelone, tous les participants s’accordent à dire que les discussions n’ont pas assez progressé depuis leur ouverture en 2007. Afin d’empêcher une hausse des températures supérieure à 2°C, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) avait estimé – dans son 4ème rapport – que les pays industrialisés devraient réduire d’ici à 2020 leurs émissions de 25 à 40% par rapport à 1990. Pour l’heure, les pays signataires du protocole de Kyoto proposent des objectifs bien inférieurs, compris entre – 16 et – 23%. Quant aux États-Unis, ils sont uniquement prêts à une baisse de 7%. À cet égard, l’avant-projet de loi Boxer-Kerry sur le plafonnement et l’échange de droits d’émission, votée au Comité de l’environnement et des Travaux publics du Sénat, constitue une inflexion notable. Toutefois, avant une adoption éventuelle, le texte devra être examiné par un comité de conciliation chargé d’apprécier les différences entre la version de la Chambre des Représentants et celle du Sénat, ce qui devrait en tout état de cause empêcher sa promulgation avant Copenhague.

Actuellement, trois blocs – le G77/Chine, l’Europe et les États-Unis – s’affrontent. Leurs oppositions se cristallisent autour des quatre points que le Secrétaire exécutif de la CCNUCC – Yvo de Boer – estime cruciaux pour obtenir la signature d’un accord politique : 1) les réductions des émissions de gaz à effet de serre des pays riches, 2) les politiques effectives des pays émergents pour limiter leurs pollutions, 3) les nouvelles aides financières et techniques pour les plus pauvres, 4) le système de supervision du financement. Plus fondamentalement, aucune position commune n’a été arrêtée quant à la vision à long terme (« shared vision »), la méthode et les objectifs à atteindre (pourcentages, année de référence).

Le groupe des pays africains a appelé à un résultat équitable et à des négociations transparentes. À cet égard, il a désigné la CCNUCC comme la seule institution légitime et a dénoncé le risque de confiscation du pouvoir décisionnel par quelques grandes puissances. Sur ce point, il convient de mentionner leur coup d’éclat. En effet, lors de la séance plénière d’ouverture, ils ont refusé toute programmation d’autres réunions de groupes de contact avant l’achèvement des travaux sur les réductions des émissions de l’annexe I. Ils entendaient ainsi dénoncer les efforts insuffisants des pays industrialisés. Selon le délégué d’un pays en développement, « cela a donné davantage de visibilité à cette question cruciale. C’est évidemment une bonne chose. Mais à considérer le temps perdu, il n’est pas certain que cela en valait finalement la peine ».

La conclusion d’un nouvel accord, qui se substituerait au protocole de Kyoto et reverrait à la baisse ses dispositions, préoccupe un grand nombre de pays en développement et émergents. Ce risque paraît d’autant plus sensible que les États-Unis cherchent à brouiller la frontière entre les pays développés et les nouvelles puissances régionales. Au contraire, ces dernières réclament des progrès dans la détermination des objectifs individuels et globaux de limitation et de réduction des émissions (QELRO) ainsi que leur chiffrage. Pour sa part, le G-77/Chine a également souligné la nécessité de ressources financières, qui soient suffisantes et prévisibles. Par ailleurs, il a recommandé la mise au point et le transfert de technologies, ainsi qu’un renforcement des capacités des pays en développement.

Au nom de l’Union européenne (UE), la Suède a appelé à un accord contraignant, intégrant les éléments essentiels du protocole de Kyoto. En l’espèce, son délégué a mis en relief l’objectif de l’UE consistant, dans le cadre d’un accord global, à réduire d’ici 2020 ses émissions de 30% par rapport à 1990 – à condition toutefois que d’autres pays prennent des engagements comparables – et de 80 à 95% en 2050.

Lors de la clôture des débats, aucune conclusion majeure n’a été adoptée. Ceci confirme combien les résultats apparaissent, une nouvelle fois, en retrait des attentes initiales. Aucun dossier n’a fait consensus, notamment parce que les négociateurs ne disposaient pas de la légitimité nécessaire pour engager leur pays sur les points sensibles. C’est la raison pour laquelle de nombreux délégués estiment désormais qu’on s’oriente plutôt vers un accord politique qui n’induirait l’adoption rapide d’aucun instrument juridiquement contraignant.

À un mois jour pour jour du sommet de Copenhague, les tractations internationales se multiplient pourtant. Lors du Conseil européen des 29 et 30 octobre derniers, les membres de l’UE se sont ainsi mis d’accord sur le montant des aides nécessaires destinées aux pays pauvres – 100 milliards d’euros par an jusqu’en 2020 –, mais ont néanmoins refusé de chiffrer leur contribution. De même, et au-delà du problème de sa légitimité politique, le G20-Finances du 7 novembre n’a-t-il abouti à aucun résultat probant. Quoiqu’il arrive, les premiers engagements du Protocole de Kyoto expireront le 31 décembre 2012. Pour accélérer le processus, certains acteurs évoquent donc la construction d’une coalition composée de l’Union européenne et des pays en développement, afin d’isoler les États-Unis. Dans cette logique, les ONG ont lancé la campagne Tck tck tck* (Time for Climate Justice).

* Alliance mondiale d’organisations issues des sociétés civiles (organisations syndicales, groupes religieux), qui appellent à la signature d’un accord sur le changement climatique, qui soit substantiel, juste et contraignant.

Site de la CCNUCC http://unfccc.int/portal_francophone/items/3072.php

« Négociations climatiques : Copenhague ou l’heure de vérité », par Jean Tirole http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/02/negociations-climatiques-copenhague-ou-l-heure-de-verite-parjean- tirole_1261630_3232.html#ens_id=1234881

Une Histoire de l’humanitaire 27 octobre 2009

C’est devant plus d’une centaine de personnes que s’est tenue, mardi 27 octobre à la faculté de droit de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, la première table ronde du Mécano de la scène mondiale.

Autour de l’ouvrage de Philippe Ryfman, Une Histoire de l’humanitaire, et de son auteur, Chaos International a réuni la directrice du PAM (Programme Alimentaire Mondial) en France, Marina Catena, le fondateur et directeur Général de l’ONG Solidarités, Alain Boinet, le porte-parole du CICR (Comité International de la Croix Rouge) en France, Frédéric Joli et le président d’honneur d’ACF (Action Contre la Faim), Jacques Serba.

Synthèse de la première séance du cycle Le Mécano de la scène mondiale organisée autour de l’ouvrage de Philippe Ryfman. (suite…)

PAC 2 – L’autorité normative de la CPI L’examen préliminaire des crimes commis à Conakry

Par Josepha Laroche

Passage au crible n°2

Source : Pixabay

Le procureur de la CPI (Cour Pénale Internationale, basée à La Haye) a décidé le 14 octobre 2009 de procéder à « un examen préliminaire » de la situation qui s’est brutalement détériorée en Guinée.

Au lendemain du décès du président Lansana Conté qui était au pouvoir depuis 1984, les militaires ont perpétré un coup d’État sans violence le 24 décembre 2008. Ils ont ensuite promis de faire disparaître la corruption, le népotisme et le narcotrafic régnant dans le pays. Surtout, ils se sont engagés en faveur d’une transition démocratique au terme de laquelle, ils remettraient rapidement le pouvoir aux civils. Or, le chef de la junte – le capitaine Dadis Moussa Camara – a finalement décidé de garder le pouvoir en se présentant à l’élection présidentielle prévue pour janvier 2010. Une manifestation de l’opposition s’est donc tenue à Conakry le 28 septembre dernier au cours de laquelle l’armée a commis de graves violations des droits de l’Homme. Même si le bilan de la répression n’est actuellement pas clairement établi, nombre d’observateurs – diplomates étrangers, journalistes, organisations de défense des droits de l’Homme – font état d’au moins 150 morts et plus de 1200 blessés.

L’intervention de la CPI s’inscrit dans un contexte international dont les éléments les plus saillants se déclinent ainsi : 1) le Commissaire européen en charge du développement et de l’aide humanitaire, Karel de Gucht, a réclamé au nom de l’Union européenne « des poursuites pour crime contre l’humanité » contre les responsables au pouvoir. 2) La France a suspendu sa coopération militaire puis son aide bilatérale et invité ses ressortissants à quitter le pays. 3) Le président du Burkina-Faso a été nommé « facilitateur sur la crise guinéenne » par la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). 4) Les États-Unis, ont exigé la démission de la junte, la tenue d’élections libres et la mise en œuvre d’une enquête internationale sur les événements incriminés. 5) Le Secrétaire général des Nations Unies, ban Ki-moon a annoncé la création d’une commission d’enquête internationale chargée « de déterminer la responsabilité des personnes impliquées ».

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Dès 1872, Gustave Moynier – l’un des fondateurs de la Croix-Rouge – évoque la perspective d’une juridiction universelle. Après la Première Guerre mondiale, l’idée resurgit lorsqu’il est question de juger le Kaiser. Mais elle n’aboutira pas devant le refus des Pays-Bas de livrer Guillaume II. Enfin, en 1945, l’extermination de plusieurs millions de personnes par les nazis et les crimes de guerre commis par les Japonais, donneront lieu à l’instauration du Tribunal militaire international de Nuremberg et à celle du Tribunal de Tokyo en 1946. Cependant, ces juridictions disparaîtront dès leur objet atteint. Le projet sommeillera ensuite un demi-siècle, en raison de la Guerre froide, de l’incapacité des États à codifier les crimes et à s’entendre sur une définition commune de l’agression. Certes, dans les années quatre-vingt-dix, l’ONU a bien instauré des TIP (Tribunaux Internationaux Temporaires): 1) le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993, 2) le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) en 1994 et 3) le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL), en 2002. Mais ceux-ci détenaient et détiennent encore des compétences strictement limitées (rationae loci et rationae temporis) car il s’agit de simples instances ad hoc.

Autant dire que la CPI est la première juridiction internationale permanente à voir le jour. Elle est régie par le Statut de Rome, adopté le 17 juillet 1998 par 120 États. Ce document est entré en vigueur en 2002, lorsque les 60 ratifications requises ont été acquises. Institution indépendante du Conseil de sécurité de l’ONU et des États, elle bénéficie ainsi d’une légitimité renforcée.

Si dans un proche avenir la Cour peut enquêter en Guinée, voire incriminer, juger et sanctionner ses gouvernants, c’est parce que ce pays figure parmi les 110 États actuellement parties à la CPI. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait fallu que le Conseil de sécurité – dont les résolutions ont force obligatoire à l’égard de tous ses membres – défère la situation au procureur ou bien que Conakry accepte expressément la compétence de la cour.

Depuis sa création, la CPI a déjà ouvert une procédure de ce type, notamment, en Afghanistan, en Colombie, en Côte d’Ivoire, au Kenya et en Palestine. Cependant, une telle étape ne signifie pas pour autant qu’une enquête sera diligentée ultérieurement pour vérifier si le crime contre l’humanité – dont l’article 7 du Statut donne une définition très précise – est constitué. Certes, le procureur de la CPI dispose bien du pouvoir d’auto-saisine, mais encore faut-il que la justice de l’État concerné ait témoigné d’un refus manifeste d’agir contre les auteurs des crimes imputés ou bien qu’elle ait reconnu ne pas être en mesure de le faire. Remarquons sur ce point qu’en vertu du principe de complémentarité, la CPI a simplement vocation à compléter les systèmes nationaux de justice pénale et non à s’y substituer.

Cadrage théorique

Retenons deux lignes de force :

1. Une juridiction internationale aux pouvoirs supranationaux. L’autorité de la CPI tient à ses pouvoirs supranationaux. En vertu de ces derniers, ses décisions s’imposent aux États parties et restreignent leur souveraineté.
2. Judiciarisation des relations internationales. La création de la CPI traduit un lent et profond mouvement de judiciarisation. Celui-ci se manifeste par l’édiction de normes et la mise en place de mécanismes permettant de lutter contre l’impunité. En témoigne, la montée en puissance du droit international public dont la force contraignante ne cesse de croître.

Analyse

Bien que la CPI émane d’un accord interétatique, son émergence doit beaucoup en amont aux ONG humanitaires, organisées en coalition internationale. Ces dernières ont joué en effet un rôle absolument capital dans sa genèse, ne cessant d’œuvrer durant de nombreuses années face aux réticences, voire aux obstructions des États. Par ailleurs, elles ont fait preuve d’une large initiative rédactionnelle qui se retrouve pour l’essentiel entérinée dans le Statut. À cet égard, soulignons combien les principes fondamentaux défendus aujourd’hui activement par la CPI confirment un effritement de la Raison d’État. Pour autant, les ONG continuent de déployer leur capacité d’alerte et d’exercer avec une grande vigilance, une incessante veille normative. Ce faisant, elles interviennent aussi bien auprès des victimes, qu’auprès des opinions publiques ; leur objectif ultime restant de prévenir toute régression, inaction ou instrumentalisation de la CPI. S’agissant de la répression qui continue de se dérouler actuellement en Guinée, la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme) a par exemple lancé sa propre enquête sur le terrain et appelé la France et les États-Unis à « réagir fermement ». En fait, la lutte contre l’impunité passe désormais par une division du travail entre la CPI, les ONG et les États qui composent ainsi une configuration inédite. Mais pour l’heure, la CPI évalue et analyse les informations recueillies, afin de déterminer si les abus commis à Conakry relèvent de sa compétence. À terme, elle pourrait donc décider une fois de plus de mettre en accusation des dirigeants, voire un chef de l’État, comme ce fut le cas avec le président du Soudan, Omar el Béchir.

Références

Cassese Antonio, Violence et droit dans un monde divisé, Paris, PUF, 1990.
Delmas-Marty Mireille, Cassese Antonio (Éds.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002.
Delmas-Marty Mireille, Fronza Emanuela, Lambert Abdelgawad Elisabeth, Les Sources du droit international pénal : L’expérience des Tribunaux Pénaux Internationaux et le Statut de la Cour Pénale Internationale, paris, Société de Législation Comparée, 2005.
Garapon Antoine, Des Crimes qu’on ne peut ni punir, ni pardonner : pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, 2002.