PAC 38 – Le défi migratoire des révolutions arabes Les Accords de Schengen au cœur de la rencontre franco-italienne, 26 avril 2011

Par Catherine Wihtol de Wenden

Passage au crible n°38

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La rencontre du mardi 26 avril 2011 entre Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi porte sur la gestion des migrations consécutives aux révolutions arabes ; la France ayant annoncé la mise en œuvre d’une clause de sauvegarde prévue par Schengen contre les immigrants, arrivant par la frontière italo-française.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Les révolutions survenues sur la rive sud de la Méditerranée (Tunisie, Égypte, Libye,) ont suscité des discours alarmistes sur le risque migratoire qu’elles comporteraient pour l’Europe. Ainsi dans son discours du 27 février 2011, le Président Sarkozy a – tout en les saluant – fait état des dérives qu’elles impliqueraient en matière de migrations et d’islamisme. Il a indiqué qu’elles pourraient revêtir des conséquences majeures sur les « flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme », ajoutant que « c’est toute l’Europe qui serait en première ligne ». Depuis lors, les médias n’ont cessé de s’interroger sur le lien existant entre la révolution à l’intérieur de ces pays et les mouvements migratoires qui en résulteraient, bien qu’il soit rare de voir des révolutionnaires quitter leur pays sans en attendre les retombées de leur victoire en matière de libertés et d’égalité. Un mois plus tard, l’arrivée de quelque 28 000 Tunisiens et Libyens sur l’île italienne de Lampedusa a provoqué un contentieux entre le Président du conseil Silvio Berlusconi – qui a décidé de délivrer des titres de séjour de trois mois aux demandeurs d’asile en forme d’asile territorial – et la France se refusant à permettre aux migrants de franchir la frontière franco-italienne pourtant régie par les accords de Schengen (libre circulation à l’intérieur de la zone Schengen, soit 28 pays européens). Le 20 avril 2011, les autorités françaises ont annoncé qu’elles décidaient de suspendre de façon provisoire l’application de cette convention, d’appliquer la clause de sauvegarde prévue « en cas de menace pour la sécurité publique » et de s’en remettre au contrôle étatique des frontières.

Cadrage théorique

Retenons deux lignes de force :

1. Les accords bi et multilatéraux de contrôle des frontières, une nouvelle diplomatie des migrations. Signés entre un pays de l’Union européenne et un pays riverain de celle-ci, ou entre un pays extra-européen et l’Union européenne, ces accords ont souvent pour objet de limiter les flux migratoires par des politiques de contrôle au départ et de reconduction à la frontière des sans-papiers, en échange de politiques de développement, d’accords commerciaux ou de l’attribution de titres de séjour destinés aux élites. L’exemple le plus emblématique reste celui des accords de réadmission aux termes du Pacte européen sur l’immigration et d’asile de 2008, déjà mis en œuvre par de nombreux États, de façon bilatérale. Ainsi l’Italie et la Libye avaient-ils déjà signé plusieurs textes en ce sens, faisant de ce dernier pays le garde-frontière de l’Europe contre les sans-papiers et les demandeurs d’asile qu’il s’engageait à filtrer, sans être pour autant signataire de la Convention de Genève sur l’asile (1951). En échange, Tripoli a demandé à l’époque 5 milliards d’euros au gouvernement Berlusconi. De son côté, la Tunisie avait aussi signé au plan bilatéral avec l’Italie et avec la France des documents par lesquels elle s’engageait à contrôler ses frontières et à reprendre les sans-papiers reconduits.
2. Les politiques d’externalisation des frontières. La perte de contrôle des accords de réadmission liée à la fin des dictateurs qui en avaient été les protagonistes au sud pose la question de l’efficacité des autres instruments de contrôle européen des frontières. Il s’agit d’une part des accords de Schengen sur le contrôle des frontières externes de l’Europe, et d’autre part, des accords de Dublin sur le droit d’asile vers l’Europe ; enfin, Frontex pour la mise en commun des polices européennes au service du contrôle des frontières. Toutefois, face à la faible mise en œuvre des accords bilatéraux de réadmission et de contrôle des frontières signés avec la Libye et la Tunisie, on peut se demander de quel poids pèsent les instruments de contrôle des frontières externes de l’Europe, fer de lance de la politique européenne d’immigration et d’asile depuis le lancement du Pacte européen de 2008. Que fait Frontex ? Il va porter secours aux naufragés de la Méditerranée pour les amener sur les côtes européennes, tout en déplorant son manque de moyens, bien que son budget ait été porté en 2010 à 88 millions d’euros. Soulignons par ailleurs que le dispositif européen apparaît de peu d’effets lorsque les accords bilatéraux sont liés aux dictateurs signataires. En effet, la Tunisie, la Libye et l’Égypte ne disposent pas d’un accord multilatéral de réadmission avec l’Union européenne. Les accords bilatéraux de contrôle des frontières signés, voire marchandés entre chefs d’États se révèlent par conséquent moins efficaces car les régimes succédant aux dictateurs se considèrent peu tenus de les respecter. Enfin, les difficultés actuelles de gestion des flux migratoires tiennent également au fait que les pays européens ne se sont pas montrés solidaires pour « partager le fardeau » de l’Italie.

Analyse

Un aperçu des contextes migratoires de départ et d’accueil sur la rive sud de la Méditerranée conduit tout d’abord à identifier des situations migratoires très diversifiées. La Tunisie qui est un pays d’émigration dont 50% de la population a moins de 25 ans, est largement urbaine, scolarisée et frappée par le chômage. Néanmoins, en raison de sa proximité avec l’Europe, c’est aussi une terre de transit empruntée par des sub-sahariens. Autre terre de transit, la Libye qui abritait en 2009, 780 000 étrangers selon le rapport des Nations Unies sur la Population et représentait un pays d’immigration, compte tenu de ses ressources pétrolières. Ce pays attire une migration du sud (dite sud-sud) essentiellement venue des États voisins (Égypte, Niger, Tunisie, Maroc, Algérie). La plupart de ces migrants sont aujourd’hui repartis vers leurs pays d’origine qui ont parfois organisé le retour de leurs expatriés, comme le Maroc par exemple. D’autres sont retournés chez eux par tous moyens, inquiets du climat de violence. Quant à l’Égypte, c’est un pays de départ vers les pays du Golfe, l’Italie et la Libye et, à moindre degré, quelques autres pays européens (France, Espagne).

Ces États ont signé avec leurs voisins européens des accords bi et multilatéraux de réadmission par lesquels ils s’engagent à reprendre chez eux les sans-papiers reconduits à la frontière par les pays européens, qu’il s’agisse de leurs nationaux ou des migrants en transit sur leur territoire interpellés ensuite en Europe. Bien que ces conventions aient été signées d’État à État ou avec l’Union européenne, elles ont souvent été négociées directement entre les Présidents Berlusconi, Kadhafi et Ben Ali, en échange de prestations telles que l’obtention de cartes de séjour pour des candidats (très qualifiés) au départ, des mesures d’aide au développement ou des cadeaux, comme la construction d’une autoroute d’est en ouest de la Libye à l’Égypte. Mais la fin de ces régimes autoritaires entraîne-t-elle pour autant la fin de leur engagement de faire office de boucliers de l’Europe ?

En Tunisie, les candidats au départ dont le projet était bien antérieur à la révolution de jasmin ont profité de l’opportunité d’un contrôle policier plus relâché aux frontières. Ils ont alors tenté leur chance à partir de points de départ moins empruntés comme la région de Zarzis, près de l’île de Djerba. Le chômage, la pauvreté, l’absence d’espoir à brève échéance face aux retombées de la révolution en matière d’emploi et de niveau de vie les incitent à partir. Pour la plupart, ce ne sont pas des demandeurs d’asile, mais plutôt des migrants économiques qui rêvent de l’Europe en général et de la France en particulier. Une majorité d’entre eux s’est retrouvée sur l’île de Lampedusa. En revanche, les migrants en transit en Tunisie ont pris d’autres routes ou sont repartis en Afrique sub-saharienne. Quant aux migrants libyens, ils ont été souvent considérés comme demandeurs d’asile par l’État italien. Globalement, les migrants de travail sud-sud ont pris le chemin du retour vers leur pays d’origine, rapatriés parfois par ces derniers ou massés derrière les frontières des pays voisins de la Libye : 336 658 personnes ont ainsi fui la Libye, dont 165 000 vers la Tunisie. Cependant, l’ONU a invité ces États à maintenir leurs frontières ouvertes car pour William Swing, directeur général de l’OIM (Organisation Internationale des Migrations) « c’est l’une des plus importantes évacuations humanitaires de l’histoire ».

Références

Cassarino Jean-Pierre, Unbalanced Reciprocities: Cooperation on readmission in the Euro-Mediterranean Area, Middle East Institute, September 2010, 93 p.
Wihtol de Wenden Catherine, La Question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, Paris, Presses de sciences-Po, 2010

PAC 37 – Une victoire de la légalité onusienne La chute de Laurent Gbagbo, 11 avril 2011

Par Philippe Hugon

Passage au crible n°37

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L’ex président ivoirien Laurent Gbagbo a été arrêté le lundi 11 avril 2011 après plus de quatre mois de conflit et des combats qui ont plongé ces dernières semaines Abidjan dans le chaos. Le président élu, Alassane Ouattara, a accédé au pouvoir avec l’appui de forces des Nations Unies et de la France.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Depuis plus de dix ans la Côte d’Ivoire est enlisée dans une grave crise. En effet, après cinq ans de report, les élections présidentielles du 28 novembre 2010 n’ont pu débloquer la situation. Le 3 décembre, le Conseil constitutionnel a inversé les résultats de la commission électorale alors que le Secrétaire des Nations Unies, l’Union européenne, la France, les États Unis, la CEDEAO et l’Union africaine venaient de reconnaître Alassane Ouattara comme le vainqueur. Des sanctions juridiques (menaces de la CPI, gels des avoirs de la part de l’Union européenne), ou économiques (du FMI, de la Banque mondiale, de la BCEAO, et de l’UE) ont été appliquées contre Laurent Gbagbo. Ce dernier a alors été progressivement asphyxié sur le plan économique. Dans le même temps, les forces militaires d’Alassane Ouattara se sont renforcées et ont disposé du soutien de fait de l’ONUCI et de la Force française Licorne. Après l’échec du panel de cinq chefs d’Etat mandaté par l’Union africaine le 28 janvier 2011, les Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (FRCI) pro Ouattara ont lancé une vaste offensive qui a atteint Abidjan le 31 mars. Les forces des Nations Unies (ONUCI) et françaises (Licorne) sont intervenues le 4 avril après le vote de la résolution 1975 (30 mars) du Conseil de sécurité visant à « prévenir l’utilisation des armes lourdes menaçant les civils ».
Les racines de cette situation ivoirienne sont lointaines et des élections ne pouvaient à elles seules y mettre fin. En 2000, Laurent Gbagbo a été élu Président de la république dans des « conditions calamiteuses » selon ses propres termes, sans que Alassane Ouattara n’ait été autorisé à se présenter. En 2002, les Forces nouvelles du Nord dirigées par Guillaume Soro avaient été stoppées avant Abidjan et le pays coupé en deux. Après l’échec des accords de Marcoussis (janvier 2003), des affrontements ont eu lieu en novembre 2004 entre les forces de Laurent Gbagbo et les forces françaises. Cependant, les accords de Ouagadougou du 4 mars 2007 ont semblé représenter une avancée, malgré la partition de fait du pays. La présence des casques bleus (plus de 9000 hommes portés à 11 000 en mars 2011) et des soldats français de la Licorne (900 portés à 1650 en avril 2011) ayant rendu impossible un conflit généralisé, bien que le désarmement des Forces nouvelles et des milices n’aient pas eu lieu avant les élections. Finalement, Laurent Gbagbo a perdu les élections mais s’est maintenu au pouvoir en pratiquant une politique jusqu’au-boutiste.

Cadrage théorique

La crise ivoirienne révèle deux lignes de force :

1. Elle oppose deux conceptions des relations inter et transnationales : celle souverainiste, ethno-nationaliste et anti colonialiste sur laquelle jouait Laurent Gbagbo appuyé par certains pays africains comme l’Angola ou l’Afrique du Sud, des acteurs qui n’ont cessé de présenter les Nations Unies comme une force d’ingérence. La seconde approche, internationaliste et légaliste, celle des Nations Unies, des puissances occidentales et de la grande majorité des pays africains, soutiens d’Alassane Ouattara.
2. Elle souligne l’ambigüité et la relative impuissance des actions inter et transnationales. En effet, l’Union africaine atone a échoué diplomatiquement. Quant à la CEDEAO, elle n’a pu envoyer les troupes de l’ECOMOG pour appuyer les forces pro Ouattara. L’Union européenne a, pour sa part, été peu présente. Enfin, l’asphyxie économique et financière a été utilisée par la BCEAO, la France et les Etats-Unis tandis que les Nations Unies renforçaient tardivement le mandat de l’ONUCI. La France, qui a privilégié le multilatéralisme et est intervenue militairement sous mandat des Nations Unies, a préféré l’ingérence à la non-assistance au risque d’être perçue comme une ancienne puissance coloniale.

Analyse

La crise politique résulte de la faible légitimité des responsables politiques de l’après-Houphouët (mort en 1993), conjuguée à la création et à l’exacerbation ethno-nationaliste de l’ivoirité forgée par Konan Bédié. La crise économique s’explique par la fin du miracle ivoirien fondé sur la colonisation des terres, la redistribution territoriale de la rente cacaoyère, la création d’emplois et l’augmentation du revenu par tête. L’économie autrefois florissante – notamment grâce au cacao – ne s’est en effet toujours pas remise de la guerre civile de 2002-2003 et des années d’instabilité qui ont suivi. La baisse de moitié du revenu par tête entre 1990 et 2010, l’explosion démographique la plus élevée du monde et le taux élevé d’immigration ont ainsi constitué une configuration favorable à une ethnicisation du jeu politique.

La crise sociale renvoie à une opposition entre les laissés pour compte (sous prolétariat urbain, diplômés sans emplois) sensibles à un discours ethno nationaliste et les nantis plus en phase avec la posture technocratique d’un Ouattara. Cependant, le métissage est ancien et les élections ont montré que les déterminants des votes ne relevaient pas principalement de critères ethniques ou religieux. En revanche, si les référents identitaires ne sont pas à l’origine de la crise, les haines et les violences ont indéniablement été attisées par l’insécurité de l’emploi et des revenus.

Face au non respect des résultats électoraux, la légalité interne et la légitimité internationale se trouvaient du côté d’Alassane Ouattara. Quant à Laurent Gbagbo, il disposait de la mobilisation des jeunes patriotes, d’une importante puissance de feu (forces spéciales, mercenaires, responsables de l’armée) et d’une légitimité auprès d’une partie de la population du Sud. En effet, cette dernière est restée persuadée qu’il avait remporté l’élection présidentielle et que l’on assistait par conséquent à une ingérence, voire à une recolonisation de la Côte d’Ivoire.

Cette crise ivoirienne, qui rejaillit sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, témoigne de changements substantiels dans les rapports de force entre les acteurs ivoiriens, africains et internationaux. Si, officiellement, la France ne voulait plus exercer un rôle de gendarme en Afrique, son action militaire est restée toutefois déterminante dans la chute de Laurent Gbagbo. Rappelons à cet égard que son intérêt en Côte d’Ivoire – locomotive de l’UEMOA – reste immense car il s’agit pour Paris de maintenir la présence économique de grands groupes industriels et de nombreux Français, tout en assurant la défense de la francophonie. Certes, Laurent Gbagbo a bien reçu les soutiens de responsables africains tels Jacob Zuma ou Dos Santos se souvenant de sa posture antiapartheid à l’époque où il s’opposait à Houphouët-Boigny. En outre, de nombreux membres de l’Union Africaine – ayant eux-mêmes pris le pouvoir par les armes – n’étaient pas davantage prêts à reconnaître les résultats de cette élection. Enfin, des appuis extérieurs ont montré que certains pays – comme l’Afrique du Sud, la Chine ou la Russie – entendaient peser dans le jeu africain. Mais la légalité onusienne aura finalement triomphé.

Après la chute de Laurent Gbagbo, les défis à relever demeurent considérables. Un gouvernement d’union nationale et une commission de réconciliation, justice et pardon doivent être prochainement constitués. Il revient donc au président Alassane Ouattara d’accomplir l’essentiel : reconstruire une armée nationale, réaliser le désarmement de la population et opérer une relance économique, tout en encourageant une unification territoriale et un vouloir vivre collectif.

Références

Bouquet Christian, Géopolitique de la Côte d’Ivoire, Paris, A Colin, 2005.
Hugon Philippe, « La Côte d’Ivoire plusieurs lectures pour une crise annoncée » Afrique contemporaine, (206), été 2003.
International Crisis group, « Côte d’Ivoire ; faut il se résoudre à la guerre ? Synthèse et recommandations » Rapport (171), 3 mars 2011.
Tapinos Georges, Hugon Philippe, Patrice Vimard, La Côte d’Ivoire à l’aube du XXIe siècle, Paris, Karthala, 2002.

PAC 36 – La solidarité d’une Chine infra-étatique L’aide chinoise accordée au Japon après le tremblement de terre du 11 mars 2011

Par Jenna Rimasson

Passage au crible n°36

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Le 11 mars 2011, le Japon a connu un tremblement de terre d’une magnitude 9 sur l’échelle de Richter dont l’épicentre se situait dans l’océan pacifique. Ces secousses ont immédiatement déclenché un tsunami qui a ravagé la côte est de l’archipel, région où se concentrent les centrales atomiques du pays. À cette crise humanitaire s’ajoute donc une catastrophe nucléaire qui concerne le monde entier. L’État chinois, proche voisin du Japon, a rapidement réagi à la tragédie nippone. Il a envoyé des équipes de secouristes, du matériel d’urgence pour les rescapés et même du carburant, alors que s’organisaient des collectes de dons dans ses universités et sur certaines places publiques. Enfin, son gouvernement a évacué 3000 ressortissants des zones sinistrées. Mais cette situation conduit surtout la Chine à s’interroger sur sa propre gestion de l’énergie atomique.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

En 1281, le typhon Kamikaz (vent divin) a détruit la flotte mongole de Kubilai Khan qui tentait d’envahir l’archipel japonais. Cet élément naturel a garanti l’indépendance du pays à l’égard de l’Empire du milieu, situation préservée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

À l’inverse, la Chine a connu deux défaites majeures face au Japon, en 1895 et en 1931. La dernière s’est soldée par l’occupation nippone de la Mandchourie jusqu’en 1945, date à laquelle les bombes atomiques de Nagasaki et d’Hiroshima ont contraint Tokyo à capituler. Ces épisodes historiques suscitent toujours des tensions diplomatiques, comme en témoignent la visite du Premier ministre japonais Koizumi du sanctuaire shinto de Yasukini (Tokyo) ou encore les revendications territoriales de la Chine sur les îles Diaoyu. Néanmoins, le séisme qui est intervenu dans la province chinoise du Sichuan, le 12 mai 2008, a permis un rapprochement sino-japonais. En effet, Pékin a accepté l’aide humanitaire offerte par des équipes japonaises.
S’agissant du dossier nucléaire dans sa globalité, rappelons que la RPC fait partie des puissances nucléaires ; son premier essai ayant été réalisé le 16 octobre 1964 à Lop Nor, dans la province du Xinjiang. En 1984, elle est devenue membre de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) et le 9 mars 1992, après des années de refus, Pékin a finalement ratifié le TNP (Traité de Non Prolifération des armes nucléaires).

Cadrage théorique

1. Aide d’urgence. Lors de catastrophes naturelles, des États mais aussi des ONG – en particulier celles qui détiennent une dimension internationale – fournissent une aide financière et matérielle aux régions sinistrées. Outre le témoignage de compassion, cette assistance accroît la visibilité du donateur et lui permet de mettre en scène ses valeurs éthiques sur la scène mondiale.

2. Réappropriation de l’action diplomatique par des moyens informels. Les acteurs de la société civile contournent les institutions traditionnelles pour mettre en œuvre une politique étrangère qui se distingue de celle des États. Ce phénomène illustre la révolution des aptitudes, évoquée par le politiste américain, James Rosenau, lorsqu’il invite à réévaluer leur rôle et à prendre en considération le mixing micro-macro.

Analyse

Les relations sino-japonaises se trouvent actuellement dans une phase difficile, qu’il s’agisse des crispations militaires dans la Mer de Chine ou de la crise économique lourdement ressentie au Japon. Souvent paralysées, les institutions diplomatiques traditionnelles empêchent un réel dialogue entre Pékin et Tokyo. Or, le tremblement de terre du Sichuan et celui qui a largement ravagé l’île d’Honshu, ont été l’occasion d’une plus grande solidarité entre ces deux peuples. En effet, les Chinois se souviennent de l’aide offerte par leurs voisins et se mobilisent à présent pour venir à leur secours. Une interaction microsociale, à l’échelle individuelle, s’établit qui rend manifeste l’érosion du cadre stato-national. Dans ce contexte de crise et d’urgence, les administrations centrales de l’État et du PCC sont contournées au profit des échelons locaux – les villes jumelées avec des municipalités japonaises sont actuellement mises à contribution – ou encore de la société civile avec l’intervention d’associations et d’ONG nationales, comme la Croix Rouge chinoise par exemple. On voit donc que la nécessité d’une action rapide favorise une redistribution de l’autorité au profit des entités subnationales et transnationales. La dynamique coopérative qui s’instaure oblige les pouvoirs politiques à infléchir leur stratégie ; le jeu diplomatique de ces nouveaux acteurs les contraignant à modifier leurs positions initiales. Souvent critiquées pour leur manque d’autonomie, les ONG chinoises utilisent à présent leurs liens privilégiés avec le gouvernement pour infléchir les décisions de ce dernier. Ces organisations s’imposent aux institutions politiques, grâce à leur répertoire d’actions plus approprié et leur source de légitimité venue d’en bas. Au fil du temps, elles deviennent des interlocuteurs indispensables alors même que l’État chinois tente de maintenir ses monopoles malgré les contestations. Cette opération se révèle d’autant plus aisée que l’assistance offerte aux habitants de l’archipel s’accorde avec la conception chinoise des droits de l’Homme, orientée vers une dimension plus économique et sociale que politique. Soulignons par ailleurs que la crise affectant le Japon profite également aux relations sino-taiwanaises avec la mise en place d’une coopération accrue en matière de prévention des risques sanitaires et d’aide d’urgence.

L’impact sur les politiques pékinoises transparaît aussi à travers la mise en avant de l’Administration d’État pour la Sécurité Nucléaire et le rôle accru accordé au Ministère de l’Environnement. Maintenu auparavant au rang de simple agence, celui-ci détient désormais un budget plus important. Toutefois, le poids croissant des experts dans la prise de décision de Zhongnanhai constitue l’élément le plus notable car le savoir est devenu un outil légitimant susceptible de modifier la hiérarchie des priorités sur l’agenda gouvernemental. Pékin, qui gère actuellement la construction de 25 centrales atomiques alors que 13 sont déjà en activité, vient de geler la décision d’ériger de nouvelles infrastructures et de substantiellement renforcer les normes de sécurité, les systèmes d’alerte/mesure de la radioactivité.

Les éléments naturels et la technologie de l’atome pèsent autant sur les rapports sino-japonais que sur les questions de sécurité nationale et de santé publique. Ils imposent aux dirigeants chinois plus de transparence mais aussi une plus grande prise en compte de l’opinion publique. Néanmoins, les besoins énergétiques de la Chine rappellent au gouvernement des priorités d’un autre ordre. En effet, en 2007, Pékin a signé avec la firme française Areva le plus gros contrat jamais conclu dans le domaine nucléaire – d’une valeur de 8 milliards d’euros – afin d’accroître sa production énergétique et d’acquérir une nouvelle technologie : les fameux réacteurs de génération EPR. L’exploitation de l’énergie atomique demeure – comme dans de nombreux pays – soumise au secret défense et par conséquent difficile à livrer au débat démocratique. Cependant, les partenariats qui s’établissent entre les sphères publique et privée dans ce secteur stratégique révèlent un certain affaiblissement de l’État au profit des entités économiques.

Références

Areva, « Dossier de presse. Areva en Chine », nov. 2007.
Fossier Astrid, « Présentation générale de la société civile en Chine », Monde chinois, (19), aut. 2009, pp.9-14.
Niquet Valérie, « Du Tremblement de terre du Sichuan aux Jeux olympiques : la Chine face aux défis politique de l’année 2008 », Asie Vision, (8), sept. 2008, en ligne, www.ifri.org/downloads/Asie_Visions_8_Niquet.pdf, consulté le 10 juillet 2010.
Xinhuawang, « La Chine accorde avantage d’aide au Japon », 17 mars 2011, En ligne, http://french.news.cn/chine/ 2011-03/17/c_13782500.htm, consulté le 25 mars 2011.
Xinhuanet, « 山西省红十字会开展日本地震后寻人工作 », [La Croix Rouge de la province du Shanxi déploie ses activités de recherche des rescapés japonais après le séisme], le 17 mars 2011, En ligne, http://www.sx.xinhuanet.com/jryw/2011-03/17/content_22301497.htm, consulté le 25 mars 2011.
The Central People’s Government of the People’s Republic of China, « 日本发生特大地震后中国多部委表示向日 提供援助 » [Après le séisme, les différents ministères chinois offrent leur assistance au Japon], le 16 mars 2011, En ligne, http://www.gov.cn/jrzg/2011-03/16/content_1825560.htm, consulté le 25 mars 2011

Le 11e Forum Social Mondial de Dakar 6-11 février 2011*

 

Dix ans après sa création à Porto Alegre, l’événement a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes, jusqu’à 70 000 selon les chiffres officiels. Il faut cependant préciser que seuls 6 000 participants et 1 205 organisations auraient été enregistrés par le comité chargé des inscriptions. Ce rassemblement international des mouvements sociaux et citoyens s’est tenu au sein du campus de l’UCAD (Université Cheikh-Anta-Diop), l’une des principales structures universitaires d’Afrique francophone. Soulignons que ce continent a déjà accueilli le FSM en 2006 à Bamako dans le cadre de sommets polycentriques, et en janvier 2007 à Nairobi. Outre cette considération, mentionnons l’existence du Dakar étendu – permettant une participation à distance via Internet – et de rencontres parallèles – Dakar des banlieues – voire alternatives comme l’initiative Dakar, l’autre forum.

Dans un premier temps, il convient de revenir brièvement sur les différentes phases du rendez-vous mondial de l’altermondialisme placé sous le thème des Crises du système et des civilisations. En l’occurrence, le Forum a débuté le dimanche 6 février par une marche d’ouverture réunissant des milliers de manifestants provenant d’une centaine de pays. Ceux-ci ont défilé de la place de l’Obélisque – où se trouvent la Grande Mosquée et le siège de la RTS (Radiodiffusion Télévision Sénégalaise)– jusqu’à l’UCAD. Composé des principales coordinations et organisations de dimension internationale –ATTAC, Via Campesina, ActionAid, Enda-tm, CRID, etc. –, le cortège a également rassemblé nombre de petites associations établies au Sénégal ou dans des États voisins. En outre, plusieurs personnalités politiques de gauche ont accompagné la mobilisation. Citons Martine Aubry et Olivier Besancenot mais aussi le président bolivien Evo Morales, qui a prononcé un discours à la fin de la marche. Ensuite, les trois jours suivants – 7, 8 et 9 février – ont été consacrés à des centaines d’activités auto-organisées sous forme d’ateliers traitant de problématiques très diverses ; quant au lundi 7 février, il avait été dédié à l’Afrique et aux diasporas, en témoigne la cérémonie du souvenir animée par Aminata Traoré et Yayi Bayam Diouf à Thiaroye-sur-mer. Enfin, les deux dernières journées ont été le théâtre d’une trentaine d’assemblées thématiques et de convergence – dont l’Assemblée des Mouvements Sociaux qui a regroupé 2 000 personnes – en vue d’articuler les différents mouvements et actions.

Pour autant, ce programme a été fortement perturbé par un véritable chaos logistique, en particulier au début du Forum. Alors que le comité organisateur avait obtenu de nombreuses salles de l’université pour les 1 200 activités prévues, le nouveau Recteur Saliou Ndiaye aurait décidé de revenir sur cet arrangement. Par voie de conséquence, les cours et partiels n’ont pas été suspendus dans les facultés, occasionnant des annulations massives d’ateliers. Si bien que les tentes montées à la hâte n’ont pu accueillir qu’une partie restreinte des manifestations, tandis que de nombreux participants erraient sur le campus. De plus, les programmes quotidiens, édités le matin même – et fréquemment modifiés au cours de la journée –, ont été distribués de manière aléatoire. Il faut cependant noter que les délestages – ou coupures d’électricité –, récurrents à Dakar depuis quelques mois, n’ont revêtu finalement qu’un impact mineur sur le déroulement des rassemblements. Soulignons également que cette désorganisation a été amplifiée par l’irruption progressive de vendeurs ambulants à l’UCAD qui ont littéralement investi l’espace du Forum. Côtoyant les stands d’associations et d’ONG (Organisations Non Gouvernementales) proposant aussi des produits locaux, ces invités imprévus ont contribué à accentuer la marchandisation de l’événement. Certains acteurs ont alors dénoncé une foire internationale incompatible avec les objectifs de la rencontre.

Toutefois, ce désordre généralisé ne semble pas avoir frappé tous les acteurs de la même manière. En l’espèce, les grandes délégations ont pu réussir à s’approprier certains lieux pour y organiser leurs activités sans interférence extérieure. Citons les nombreux Brésiliens regroupés à l’Institut Goethe – situé non loin de l’UCAD mais en dehors du campus–, ou les membres du CRID (Centre de recherche et d’information sur le développement) installés dans l’hôtel Diarama à Ngor, au nord de Dakar. Dans la même logique, le FSM a constitué un espace privilégié de retrouvailles entre militants chevronnés, mais également de densification de réseaux individuels et collectifs. En l’occurrence, les personnalités fondatrices et emblématiques du mouvement altermondialiste ont occupé une place centrale, depuis Samir Amin jusqu’à Aminata Traoré en passant par Gustave Massiah, Chico Whitaker, Demba Moussa Dembelé ou Taoufik Ben Abdallah. Mais certains professionnels de la politique les ont concurrencés. Si l’on a déjà évoqué le discours d’Evo Morales, signalons les apparitions de Lula ou dirigeant de Guinée, Alpha Condé. Selon des commentateurs, les associations africaines – et asiatiques – n’auraient pas été assez présentes face à ces intervenants routiniers venant surtout d’Europe et d’Amérique latine. En effet, si les Sénégalais et les pays voisins – Mali, Mauritanie, Burkina-Faso – étaient relativement mobilisés, le coût du voyage a écarté de nombreux militants d’Afrique anglophone ou méridionale. Plusieurs caravanes ont cependant permis à des participants peu dotés en ressources de se rendre à Dakar.

S’agissant des problématiques abordées, un certain nombre de thèmes ont dominé les débats, à commencer par l’accaparement des terres – land grabbing – par les firmes multinationales. À cet égard, les mouvements paysans ont décrit l’accentuation du phénomène de rachat massif de zones arables par des compagnies qui y implanteraient des cultures industrielles d’exportation. Ce qui rejoint la défense de la souveraineté – voire la sécurité – alimentaire des États du Sud. Ensuite, la question des migrations a occupé une grande place dans l’agenda altermondialiste, avec de nombreuses initiatives comme la signature d’une Charte mondiale des migrants. Cette cérémonie s’est déroulée peu avant le début du FSM – les 2, 3 et 4 février 2011 – sur l’île de Gorée, lieu symbolique car étroitement associé à la traite négrière. Les revendications d’une citoyenneté universelle ont été doublées de manifestations comme celle du 10 février contre l’agence FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne). Des thématiques comme la dette – en particulier ses dimensions écologiques – ou le rôle de la femme africaine ont aussi connu un franc succès. Enfin, la conjoncture actuelle a considérablement alimenté les discussions, qu’il s’agisse des révolutions tunisienne et égyptienne ou du conflit en Côte d’Ivoire.

Autant dire que cet aspect proprement politique de l’événement, renforcé par l’intervention de chefs d’État, a suscité des controverses virulentes. D’une part, la querelle désormais ancienne sur la forme du FSM – manifestation engagée avec déclaration finale ou espace ouvert et citoyen – a été réactivée. Invoquant la Charte des principes de Porto Alegre, plusieurs critiques ont ciblé la présence d’acteurs politiques et syndicaux, et en premier lieu le discours d’Evo Morales. D’autre part, le financement du Forum, voire de certaines organisations par des gouvernements ou des firmes –ainsi, la compagnie Petrobras et la délégation brésilienne – a fait l’objet d’âpres débats. En outre, signalons le conflit entre le mouvement sahraoui et une partie des participants marocains – dont un groupe de policiers mandatés par le Ministère de l’Intérieur– qui a dégénéré en affrontement à de multiples reprises. Par ailleurs, des polémiques plus matérielles ont éclaté quant aux carences logistiques et aux conditions déplorables d’hébergement des caravaniers au Camp des jeunes. Enfin, le président sénégalais Abdoulaye Wade a également été dénoncé pour ses déclarations stigmatisant l’altermondialisme et son attitude ambiguë face au FSM. De manière générale, il importe en conclusion de souligner la faible implication des Dakarois, étudiants et marchands mis à part : des éléments qui nourriront les débats au sein du Conseil International dans les mois à venir, à commencer par le choix du lieu où se tiendra le prochain Forum.

* Un membre de Chaos International a participé à la onzième édition du FSM (Forum Social Mondial), qui s’est déroulée à Dakar du 6 au 11 février 2011et nous en rendons compte ici.