Oct 11, 2011 | Crise financière, Passage au crible, Union européenne
Par André Cartapanis
Passage au crible n°47
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La crise de la dette souveraine grecque est loin d’être terminée. Des incertitudes subsistent sur l’ampleur de la décote, désormais inévitable, que devront assumer ses détenteurs. L’approbation récente par le Bundestag du nouveau plan de soutien à la Grèce, avec la promesse d’un prêt de 109 milliards d’euros, laisse toutefois augurer la poursuite de l’ajustement des comptes publics sans défaut de l’État grec. Mais l’ampleur de l’ajustement budgétaire en cours – de l’ordre de 10% du PIB grec en deux ans – et la brutalité de la politique de déflation salariale ont provoqué une récession sans précédent depuis l’après-guerre : baisse du PIB de 4,4% en 2010 et de 5% en 2011.
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> Analyse
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Rappel historique
Peu après la victoire du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) aux élections d’octobre 2009, le nouveau ministre des finances grec annonce une révision des chiffres du déficit budgétaire. Contre les 3,7% prévus en début d’année, il s’attend à un déficit de 12,5% du PIB. Cette donnée sera révisée à plusieurs reprises avant d’atteindre le niveau record de 15,5% en 2009. C’est là le point de départ de la crise de l’endettement souverain de la Grèce. Depuis, les investisseurs internationaux craignent de ne pas obtenir le remboursement de leurs créances. Les marchés financiers exigent donc des primes de risques prohibitives pour continuer à acheter de la dette grecque, tandis que les agences de notation contribuent pour leur part à entretenir la panique en dégradant la note de la Grèce sur les marchés, mais aussi celles de l’Espagne et de l’Italie. À partir de l’automne 2009, les phases de crises intenses qui se sont succédées ont laissé craindre un défaut de paiement, notamment au printemps 2010 ou en août-septembre 2011. Elles ont été entrecoupées de périodes de rémission, rythmées par les atermoiements des divers pays européens. Parallèlement, dès la fin 2009, la reprise de la croissance mondiale – certes à un rythme modéré – a conduit les pays de la zone euro à privilégier la réduction des déficits publics, afin de ne pas s’exposer à la défiance des agences de notation et des marchés financiers. Il en résulte aujourd’hui un ralentissement qui laisse craindre une seconde récession et de nouvelles crises parmi les banques européennes, surtout pour celles détenant des portefeuilles importants de dette publique grecque, espagnole et italienne. Autant dire que la crise grecque relève de la dynamique macroéconomique qui a suivi la crise financière en Europe. Mais elle sanctionne également les effets de la création de l’euro dans la mesure où l’union monétaire a renforcé l’hétérogénéité de la zone euro et où les pays du Sud ont accumulé les déséquilibres commerciaux ou les déficits budgétaires tout au long des années 2000. Telle qu’elle apparaissait avant la crise, la Grèce représentait l’archétype de cette dérive, l’impéritie budgétaire et le mensonge statistique en plus.
Cadrage théorique
1. Les conséquences des crises bancaires. L’histoire des crises financières enseigne qu’au lendemain des crises bancaires, une contraction de l’activité économique apparaît quasi-inéluctablement. Or, celle-ci pèse considérablement sur les finances publiques par divers canaux : 1) une forte baisse des recettes fiscales ; 2) un accroissement mécanique des dépenses sociales qui s’ajoute au coût des sauvetages bancaires ; 3) une augmentation discrétionnaire du déficit budgétaire afin d’exercer un effet contracyclique sur l’activité économique ; 4) un alourdissement des charges d’intérêts.
2. La propagation des crises bancaires aux crises de l’endettement souverain. Dans leur dernier ouvrage consacré à l’histoire des crises financières depuis huit siècles, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff mettent clairement en relief cet engrenage. En moyenne, depuis l’après-guerre, la dette publique augmente de 86 % dans les trois années faisant suite à une grave crise bancaire. Mais certaines d’entre elles ont induit des effets plus importants. De ce point de vue, l’accroissement de la dette grecque entre 2007 et 2010, de l’ordre de 105% du PIB à 142%, correspond à une dégradation plus faible, seulement 35% environ. À titre d’exemple, la crise bancaire qui a frappé la Finlande en 1991 s’est traduite par une augmentation de la dette publique de près de 280%. Le solde budgétaire passe alors de + 1% en 1990 à – 10,8% en 1994. On observe le même phénomène pour la crise bancaire de la Suède en 1991 : soit le passage d’un excédent budgétaire de 3,8% l’année précédant la crise, à un déficit de 11,6%, en 1993. Cet héritage de la crise bancaire systémique est naturellement d’autant plus douloureux que l’endettement public était élevé avant la crise, ce qui était précisément le cas de la Grèce avec un déficit budgétaire de 10% en 2008 et de 15% en 2009. Il s’y est ajouté une gestion désastreuse de la crise par les pays-membres de la zone euro.
Analyse
Dès le déclenchement de la crise grecque, la spécificité d’une crise de la dette souveraine pour un pays appartenant à une union monétaire est apparue clairement à travers plusieurs marqueurs : 1) l’impossibilité, en théorie, de faire appel aux refinancements monétaires de la BCE ; 2) la difficulté d’envisager un recours au FMI, imposant des conditionnalités en matière de politique macroéconomique à l’un des membres de la zone euro ; 3) la profonde résistance des autres pays-membres à envisager un défaut souverain, à cause du risque de contagion parmi eux; 4) l’impossibilité absolue d’utiliser l’arme du taux de change et de la dépréciation pour alléger le coût de la rigueur budgétaire en donnant un coup de fouet aux exportations. Dès lors, il appartenait donc aux organes dirigeants de l’Union monétaire européenne de faire face. C’est ce qu’a fait la BCE – sous l’impulsion décisive de Jean-Claude Trichet – en adaptant de façon pragmatique sa doctrine et en rachetant massivement de la dette grecque. Cette politique a été retenue non seulement pour éviter un défaut, aussi pour prévenir l’effondrement de son prix, face à la spéculation internationale susceptible de provoquer une hausse insoutenable des taux d’intérêt sur la dette publique grecque. En revanche, du côté des gouvernements, on s’est enlisé dans les atermoiements ou les erreurs d’analyse. Principalement déterminés par des considérations de politique intérieure ou par des options doctrinales, certains pays – l’Allemagne au premier chef –, ont refusé, dans un premier temps, l’octroi de prêts d’urgence à la Grèce, en surestimant la capacité de cette économie à ajuster rapidement ses comptes publics, si massivement dégradés, au moyen d’une politique de rigueur budgétaire. De même, ils ont réclamé une restructuration de la dette grecque, impliquant les investisseurs privés : ils ont alors sous-estimé les effets induits sur la liquidité, voire la solvabilité, des banques européennes ou des institutions financières détenant des titres grecs. Ils ont pourtant dû s’y résoudre en acceptant de s’engager dans des plans de soutien et en avalisant la création du Fonds européen de stabilité financière. Ce tournant s’est cependant opéré au terme de tergiversations interminables qui expliquent la défiance des marchés, non plus seulement à l’égard des dettes grecque ou espagnole, mais envers l’euro et la solidité des banques en Europe. Parallèlement, les politiques budgétaires ont privilégié, dès la fin 2009, la réduction des déficits. Elles ont contribué ainsi à l’affaiblissement de la croissance, aussi bien au cœur de l’Europe qu’à la périphérie de la zone euro, en Espagne, en Italie et, surtout, en Grèce. La crise de la dette souveraine grecque s’est aggravée, de sorte que la récession a réduit plus encore les capacités de remboursement et la rue gronde à Athènes.
Références
Aglietta Michel, “La longue crise de l’Europe”, Le Monde, 18 mai 2010.
Cartapanis André, “L’intégration inachevée de l’UEM. La crise de la zone euro”, Chaos International, PAC, (25), 12 juin 2010.
Cohen Daniel, “La crise grecque. Leçons pour l’Europe”, Revue économique, 62 (3), mai 2011.
Reinhart Carmen et Kenneth Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folies financières, Paris, Pearson, 2010.
Juil 31, 2011 | Droits de l'homme, Justice internationale, ONU, Passage au crible
Par Yves Poirmeur
Passage au crible n°46
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Inculpé depuis 1995 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, par le TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie), le général Ratko Mladic a été arrêté le 26 mai 2011 par les autorités serbes. Colonel de l’armée Yougoslave à Knin en Croatie (1991), puis général commandant l’armée serbe de 1992 à 1995, il a été l’un des principaux artisans de l’édification militaire, sur les ruines de la Yougoslavie, d’une Grande Serbie qui aurait réuni les Serbes de Serbie, de Croatie, de Bosnie-Herzégovine et du Monténégro. Avec l’arrestation le 21 juillet 2011 de Goran Hadzic poursuivi pour son implication dans les meurtres de centaines de civils et la déportation de milliers de Croates pendant la guerre de Croatie (1991-1995) la Serbie a désormais remis au TPIY les 44 inculpés qu’il réclamait. Le TPIY va ainsi pouvoir disparaître dans les années à venir après avoir pleinement accompli sa mission puisque les 161 personnes qu’il avait inculpées lui ont bien été déférées.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
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Rappel historique
Pour redessiner les frontières, dans un pays multiethnique, Ratko Mladic n’a reculé devant aucun crime. Il a conduit une politique d’épuration ethnique – par assassinats, déportations, massacres des populations civiles non-serbes, bombardements de villes – afin de relier la Serbie et la Bosnie orientale aux Krajinas croate et bosniaque. En outre, il a joué un rôle central dans la guerre de Bosnie qui a fait plus de 100 000 morts et a été marquée par le siège dramatique de Sarajevo (1992-1993) ainsi que le terrible massacre d’environ 8000 musulmans Bosniaques à Srebrenica (juillet 1995). Après les arrestations de Slobodan Milosevic (2001) qui avait été au pouvoir en Serbie de 1989 à 2000, et de Radovan Karadzic (2008), le chef des Serbes de Bosnie de 1992 à 1995, R. Mladic restait le dernier grand responsable de ce nettoyage ethnique encore en liberté. Il aura donc fallu seize ans pour qu’il soit rattrapé par la justice internationale et livré au TPIY.
Institué le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité de l’ONU, le TPIY représente une juridiction ad hoc compétente pour juger les responsables des violations graves du droit international humanitaire commises dans l’ex-Yougoslavie depuis 1991. Première résurgence d’une justice internationale qui avait pour seuls précédents les tribunaux militaires ad hoc de Nuremberg (1945) et de Tokyo (1946), sa création – comme celle du TPIR en 1994 pour juger le génocide au Rwanda – a été rendue possible par la fin du conflit Est-Ouest. Dans cette nouvelle conjoncture internationale, le Conseil de sécurité a innové en interprétant largement la Charte des Nations Unies (Chapitre VII). En effet, il a décidé que la mise en place de juridictions pénales ad hoc pouvait participer du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Malgré les obstacles fonctionnels et surtout politiques, ces deux instances ad hoc n’ont pas seulement apporté une contribution fondamentale à la lutte contre l’impunité. En faisant la démonstration que des juridictions pénales internationales rendaient efficacement la justice, elles ont aussi validé le projet d’en établir une nouvelle qui serait à la fois permanente et compétente pour connaître des crimes internationaux les plus graves, en quelque endroit qu’ils aient été commis. La création de la Cour pénale internationale en 1998 et son entrée en vigueur en 2002 se situent par conséquent dans leur sillage. Mais si cette dernière traduit bien l’enracinement de la justice pénale au sein des institutions internationales et la rationalisation de son fonctionnement, elle laisse toutefois persister les difficultés structurelles rencontrées auparavant par les TPI dans leur lutte contre l’impunité. Ne disposant pas d’une police judiciaire, les juridictions pénales internationales doivent obtenir la collaboration des États pour mener leurs enquêtes, recueillir les preuves et obtenir l’arrestation des inculpés. Pour ce faire, il leur faut développer une véritable diplomatie judiciaire auprès de l’ensemble des acteurs politiques impliqués dans le conflit. Autrement dit, ses chances de succès dépendent d’un ensemble complexe de rapports de forces, comme le montre le parcours du général Mladic.
Cadrage théorique
1. Une diplomatie judiciaire en marche. Les juridictions pénales internationales consacrent une part substantielle de leurs travaux à nouer des relations avec les autorités nationales, locales et internationales afin qu’elles acceptent de mettre à leur service les moyens policiers dont elles disposent. L’avancée des procédures reste donc tributaire des intérêts de ces divers acteurs, que le procureur et le président doivent bien comprendre et analyser en vue d’une étroite coopération.
2. Le refus de l’impunité. En conditionnant une éventuelle adhésion de la Serbie au refus de toute impunité, l’Union européenne a montré que son soft power devenait efficace dès lors que les leaders serbes au pouvoir n’envisageaient pas l’avenir de leur pays hors de l’Europe.
Analyse
Constitué tandis que la guerre faisait rage, le TPIY a été constamment confronté aux contradictions des logiques judiciaires et politiques, l’arrestation des inculpés et la réalisation des enquêtes dépendant des gouvernants. C’est seulement lorsque le mandat des forces de l’OTAN (1997), sous la pression de la présidente du TPIY, a été étendu aux arrestations des personnes inculpées, que les chefs de guerre ont commencé à être remis au tribunal. Les forces internationales ont alors pris d’autant plus facilement le relais de la police locale défaillante que ces arrestations facilitaient l’application des accords de Dayton (1995). L’OTAN a ainsi opéré pendant son mandat (achevé fin 2004), 30 arrestations. Ayant su s’installer en Serbie, à l’abri des forces internationales, Mladic a profité, comme Karadzic, d’une inertie des grandes puissances liée, sans doute, aux circonstances du drame de Srebrenica. En effet, alors qu’ils avaient commencé à négocier secrètement pour parvenir à des accords de paix, les gouvernements américains, anglais, français et l’ONU avaient laissé se préparer le siège autour de la ville.
Pendant longtemps, Mladic a bénéficié de multiples complicités dans l’armée, l’appareil d’État et les milieux nationalistes. Cependant, le changement des rapports de forces politiques en Serbie qui s’est manifesté en 2008 par l’élection à la présidence du démocrate, Boris Tlalic, et l’intransigeance de l’Union européenne sur la question de l’impunité, ont permis sa capture. Le choix fondamental de la Serbie d’intégrer l’Union européenne aura finalement scellé son sort.
La lutte contre l’impunité demeure un combat permanent auquel le TPIY a apporté une contribution éminente. Loin d’empêcher l’établissement de la paix – comme certains le redoutaient – il a démontré qu’il pouvait au contraire en faciliter la réalisation, en permettant aux forces internationales de mettre hors d’état de nuire les inculpés qu’elles pouvaient arrêter. Il a plus encore conféré une véritable crédibilité à la justice pénale internationale en se montrant capable de juger des crimes extrêmement graves qui, sans lui, n’auraient sans doute pu l’être. En outre, à l’issue de procès équitables, il a condamné leurs auteurs à de lourdes peines. Ainsi, en faisant de l’arrestation des inculpés qu’il réclamait un enjeu permanent sur la scène internationale et en parvenant, contre toute attente, à ce qu’ils lui soient tous remis, le TPIY a-t-il inscrit la répression des crimes internationaux dans l’histoire, combattant par là même la culture de l’impunité.
Références
« Justice pénale et politique internationale », Confluences Méditerranée, (64), 2007-2008.
Gaboriau Simone, Pauliat Hélène (Éds.), La Justice pénale internationale, Limoges, PULIM, 2002.
Schoenfeld, Heather, Levi Ron, Hagan John, « Crises extrêmes et institutionnalisation du droit pénal international », Critique internationale, (36), 2007, p. 36-54.
Juin 27, 2011 | Développement, Nord-Sud, Passage au crible, Pauvreté
Par Clément Paule
Passage au crible n°45
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Annoncée comme une journée nationale de mobilisation, le 19 juin 2011 a représenté un nouveau succès pour le 15 M (Mouvement du 15 mai). En effet, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé dans toute l’Espagne, réaffirmant leur indignation face à la situation socio-économique du pays et dénonçant l’indifférence – voire la corruption – du champ politique. Cependant, si ce nouvel acteur de la contestation citoyenne paraît renforcé localement, force est de constater que d’autres initiatives, lancées dans plusieurs États européens, n’ont pas toujours connu la même ampleur.
> Rappel historique
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Rappel historique
En premier lieu, il importe d’évoquer l’impact de la crise de la finance mondiale qui, depuis l’automne 2008, a entraîné partout des répercussions considérables. En témoigne le nombre –fréquemment cité – de chômeurs en Espagne, estimé à plus de 20% de la population active et à près de la moitié des jeunes de moins de vingt-cinq ans. D’une manière plus générale, les conséquences sociales de ces désordres financiers se trouvent amplifiées par les plans d’austérité des différents gouvernements, sous l’impulsion des IFI (Institutions Financières Internationales). Ces mesures de rigueur, visant à réduire les déficits publics, ont suscité des critiques d’autant plus fortes qu’elles ont accompagné de substantiels plans de sauvetage du secteur banquier, accordés parfois sans grandes contreparties, ni obligations. Citons par exemple la forte mobilisation en Islande dès la fin de l’année 2008, qui a provoqué la chute du gouvernement cinq mois plus tard. Mentionnons aussi, les manifestations de la Geração à Rasca – ou génération fauchée – qui ont attiré au Portugal plusieurs centaines de milliers de personnes, début mars 2011. Cette opposition à des politiques publiques drastiques, vécues comme socialement injustes, s’est exprimée plus récemment au Royaume-Uni, lorsque la Marche pour une alternative a rassemblé à Londres le 26 mars 2011, entre 250 000 et 500 000 participants. Enfin, il convient d’évoquer la forte contestation en Grèce, qui a débuté avec la grève nationale de mai 2010.
Notons que cette vague transnationale a pu se nourrir du succès des révolutions tunisienne et égyptienne. En effet, ces dernières ont su abattre, par la pression populaire, des régimes autoritaires et répressifs. C’est dans ce contexte de luttes sociales et politiques qu’est apparu en Espagne le 15 M où indignados. En l’occurrence, le 15 mai 2011, les contestataires ont occupé une place historique de Madrid, la Puerta del Sol, alors que le pays se trouvait à quelques jours des élections municipales.
Cadrage théorique
En l’absence de données sociologiques sur la composition du 15 M et de ses partisans, une simple analyse idéologique s’avèrerait peu productive. En revanche, les modes d’organisation et d’action des protestataires paraissent des indicateurs plus pertinents.
1. Rationalisation d’un répertoire d’action innovant. Il s’agit ici d’évoquer les spécificités de la stratégie du 15 M, fondée dans un premier temps sur une conquête de l’espace public adossée à un refus total de coopérer avec le champ politique. À cet égard, il faut souligner la mise en place de procédés sophistiqués de démocratie directe, associés à des formes d’autogestion et à un rejet de tout leadership, rejet garanti par la rotation obligatoire des charges.
2. Circulation internationale de la contestation. Dans cette logique, il convient d’observer la diffusion, voire l’externalisation de ces luttes sociales vers d’autres États, à commencer par la Grèce, la France ou l’Italie. Néanmoins, leur ampleur, variable selon les pays, s’explique par la structure des opportunités politiques, propre à chacun.
Analyse
L’une des caractéristiques saillantes du mouvement réside dans son orientation résolument anti-partisane. En témoigne la mise à l’écart de Cayo Lara, coordinateur général de Izquierda Unida – une formation politique de gauche – lorsqu’il a tenté de s’afficher avec des membres du 15 M pendant un sit-in. Dès lors, il importe d’écarter un certain nombre de discours tenus sur le mouvement et véhiculant des préconstructions qui entravent sa compréhension. Ainsi, certains commentateurs ont-ils cru pouvoir mettre en évidence la proximité qui existerait entre l’apolitisme des manifestants – se traduisant concrètement par un refus de s’associer avec des partis politiques ou des organisations syndicales – et le populisme d’extrême-droite. Rappelons toutefois que ce type de stratégie de démarcation est couramment défendu à l’égard du personnel politique, à commencer par de nombreux altermondialistes. D’autant que la récupération perçue comme illégitime ne semble pas nécessairement associée au populisme. Enfin, cette posture revendiquée par les Indignés, de même que leur réticence devant toute organisation hiérarchique ou toute assignation identitaire – le mouvement se présente simplement comme citoyen –, se fonde sur la valorisation de la démocratie directe opposée au gouvernement représentatif. En d’autres termes, la rationalisation de son répertoire d’action tient tout d’abord à une pacification des modes d’action et notamment au refus des violences que les forces de l’ordre tentent d’imposer. En l’espèce, il s’agit donc bel et bien d’une transformation cognitive de mouvements sociaux, devenus acteurs réflexifs.
En fait, la transnationalisation de ce type de manifestations citoyennes ne constitue pas un phénomène récent, comme ont pu le montrer des études de cas portant sur la lutte en faveur de l’abolition de l’esclavage ou bien de la cause indigène. En revanche, le processus paraît désormais banalisé avec le rôle croissant joué par les acteurs non-étatiques – ONG, sociétés civiles, etc. – dans l’espace international, rôle bien documenté grâce aux travaux traitant de l’altermondialisme. Cependant, l’un des traits les plus remarquables du mouvement des indignés réside dans la circulation transnationale des idées, des pratiques, voire des acteurs eux-mêmes. Sur ce point, citons l’ouvrage de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, dont le titre a été aussitôt repris par les contestataires. Depuis sa publication en octobre 2010, ce pamphlet a rencontré un succès majeur. Traduit aujourd’hui en de nombreuses langues, ce court essai s’est rapidement vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde entier. En Espagne, il a été préfacé par l’intellectuel José Luis Sampedro, et s’est vendu, là encore, en très grand nombre.
Cet ensemble d’emprunts, d’importations mais également d’externalisation – stimulés par l’abaissement des coûts d’accès et de transmission des informations – révèle l’insertion progressive de ces mobilisations dans un espace transnational de plus en plus autonome. Désormais, l’indignation prend forme pas à pas et se diffuse de pays en pays. Elle prend une forme sociopolitique que les gouvernements des États ne pourront plus à présent ignorer en raison de sa dimension mondiale.
Références
Della Porta Donatella, Tarrow Sidney (Éds.), Transnational Protest and Global Activism, New York, Rowman & Littlefield, 2005.
Nez Héloïse, « « No es un botellón, es la revolutión ! » Le mouvement des indignés à Puerta del Sol, Madrid », Mouvements, 7 juin 2011, consulté sur le site de la revue :
http://www.mouvements.info [20 juin 2011]
Pina Fernández Adrián, « La prise de la Puerta del Sol à Madrid : chronique du mouvement social du 15 mai », consulté sur le site de Métropolitiques : http://www.metropolitiques.eu [21 juin 2011]
Site Internet du quotidien El Pais : http://www.elpais.com
Juin 14, 2011 | Industrie numérique, Mondialisation, Passage au crible
Par Jenna Rimasson
Passage au crible n°44
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Le 1er juin 2011, Google annonce le piratage de son réseau. Sont affectés par cette opération, de hauts responsables américains, des dissidents chinois ainsi que des membres de l’armée. Pékin réfute alors toute implication dans cette cyber-attaque prise très au sérieux par Washington.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Développé durant la guerre du Vietnam, Internet demeure une technologie intrinsèquement liée à l’idée de combat, aussi bien militaire que démocratique. Désormais, l’espionnage informatique figure parmi les menaces contre lesquelles États et firmes transnationales tentent de se prémunir. De l’ordre du virtuel, il soutient souvent une lutte engagée sur d’autres fronts. Ainsi, en avril 2001, après la mort d’un pilote chinois, au dessus de l’île de Hainan, causée par un avion espion américain, le site officiel du Pentagone a été victime d’une cyber-attaque. En 2004, le gouvernement sud-coréen a été à son tour ciblé. L’année suivante, des hackers chinois se sont introduits dans les réseaux des plus grandes firmes nippones – notamment Mitsubishi et Sony –, des ambassades et du ministère des Affaires étrangères du Japon. Notons que cette opération survient après la défaite de la RPC face au pays du Soleil levant, lors de la coupe asiatique de football, événement phare dans l’émergence en Chine d’un sentiment antijaponais. En 2006, le système du Navy War College, à Newport aux États-Unis, a été infiltré avant que ne soient piratés ceux des ministères de la Défense français et allemand. Démentant toute responsabilité de son gouvernement, le Premier Ministre Wen Jiabao a cependant présenté ses excuses à la Chancelière Angela Merkel, le 27 août 2007.
Cadrage théorique
La cybercriminalité. Il s’agit d’infractions pénales telles que des fraudes, des violations de la propriété intellectuelle et de la confidentialité, perpétrées au moyen d’outils informatiques, en particulier par le biais d’Internet. À travers ce concept, apparaissent aussi bien les enjeux posés par les nouvelles technologies que par la révolution des aptitudes citoyennes et par les mobilisations en réseau. La cybercriminalité laisse ainsi transparaître différentes contestations des monopoles étatiques, notamment celui de la maîtrise du territoire et de la sécurité. Au-delà de l’ordre public, les gouvernements sont parfois obligés de négocier avec des acteurs non-conventionnels, capables d’exercer un impact sur les structures des savoirs et de production. L’espionnage industriel accompli par des moyens informatiques figure, à ce titre, parmi les cyber-crimes.
Décloisonnement des sphères publiques et privées. Déjà mise en évidence par Norbert Elias, l’évolution des pratiques macrosociales ne semble pas sans liens avec celle des comportements microsociaux. L’accélération de la mondialisation, processus globalisant, consolide la circulation des conduites entre acteurs hétérogènes. Plus qu’une interaction entre ces deux sphères, on observe actuellement un remodelage de l’ordre international dominé auparavant par les États avec des entités capables de concurrencer, voire d’égaler, les autorités nationales.
Analyse
Souhaitant préserver ses monopoles régaliens, le gouvernement chinois tente d’encadrer le développement d’un activisme émergent, associé aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). À cette fin, il intègre dans son combat des citoyens compétents en la matière. L’APL (L’Armée Populaire de Libération) a investi dans ce domaine et consacre aujourd’hui tout un département au cyberespace. Des milliers d’ingénieurs sont ainsi recrutés comme soldats du Net. Les sphères civile et étatique s’imbriquent alors et – grâce à cette évolution technocratique – offrent à Pékin l’opportunité d’entreprendre une ouverture démocratique par le haut. Toutefois, troubler cette distinction fondamentale rend plus difficile – en cas de cybercriminalité – l’incrimination des autorités chinoises par d’autres pays ; l’État pouvant toujours arguer d’un vide juridique et prétexter de son impuissance face aux entités privées pour s’exonérer de toute responsabilité.
Le contrôle de ces flux immatériels et décentralisés ainsi que l’élaboration de mesures judiciaires se révèlent être aussi complexes à l’échelle internationale qu’au plan interne car les jeunes générations, aspirant à davantage de liberté, explorent les possibilités offertes par la toile et forcent le pouvoir à adopter un nouveau mode de régulation politique. Désormais, le gouvernement ne peut plus prétendre maîtriser totalement l’émission d’informations et se voit par exemple concurrencé par le journalisme citoyen. La réponse sécuritaire démontre, quant à elle, son inefficacité dans un monde globalisé ; la tentative des dirigeants chinois d’instaurer un logiciel de filtrage des sites Internet – le Barrage vert – sur les ordinateurs particuliers s’étant soldée par un échec. L’inadéquation de ces dispositifs se confirme bien davantage encore sur la scène transnationale. À présent, les collectifs formés sur le Web, qu’ils soient légaux ou illégaux, parviennent à faire entendre leurs revendications dans l’espace public et à accéder directement à l’arène mondiale. La distinction entre le local, le national et l’international apparaît désuète et laisse entrevoir un univers glocalisé.
Les opérations orchestrées sur le net requièrent de hautes compétences techniques mais restent peu coûteuses et dotées d’un fort impact médiatique. Elles sont loin d’être réservées aux acteurs de la société civile qui contestent les actions officielles ; les opérateurs économiques, les administrations publiques et même les organisations illicites y recourent aussi. Ces luttes en réseau s’instaurent entre des entités de nature et de capacités similaires tout autant qu’asymétriques. À cet égard, mentionnons l’exemple de Sony dont le réseau a été piraté une semaine après les courriers électroniques de Google. Le brouillage de la frontière entre les individus et l’État s’étend donc aux différents champs dans lesquels ce dernier avait réussi jusque-là à bâtir ses monopoles, abolissant le système hiérarchique dominé par les autorités publiques.
Si la cybercriminalité revêt certaines caractéristiques propres au terrorisme – attaque-surprise, cible symbolique, médiatisation et objectif politique –, les événements passés prouvent que les acteurs étatiques ne sont pas uniquement des cibles. Ils peuvent aussi reprendre à leur compte cet instrument de combat informel avec l’objectif d’acquérir des renseignements, de manipuler l’information ou de dégrader les systèmes de transmission de données. Or, le procédé utilisé et l’entité atteinte contiennent déjà en eux-mêmes un message. Dans le cas présent, la violation de la messagerie Gmail de dissidents chinois et de responsables américains n’est pas anodine. Rappelons en l’occurrence le différend commercial ayant déjà eu lieu en 2010 entre la Chine et Google. Cette firme, accusant les autorités chinoises d’opérer d’importantes censures, décida de transférer son réseau à Hong Kong. Par ailleurs, cette infraction et atteinte à la confidentialité s’inscrit dans un contexte de tensions financières entre Pékin et Washington. En effet, la RPC a annoncé au mois de mars la vente de 9,2 milliards de dollars de bons du Trésor américain. Indirectement, cette transaction traduit une contestation de l’hégémonie monétaire des États-Unis dont la crédibilité est d’ores et déjà atteinte par une dette publique colossale. Depuis les attentats du World Trade Center en septembre 2001, les autorités américaines ont adopté une attitude répressive et mènent une lutte active contre ce type d’actions. Cependant, l’hétérogénéité des acteurs impliqués et la fluidité de leur mobilisation questionnent l’adéquation du cadre étatique, voire interétatique, pour enrayer ces menaces. De plus, le refus des gouvernements a fait échouer l’instauration d’une cyber-police mondiale dès lors que la création de celle-ci supposait un abandon de pouvoirs au profit d’instances supraétatiques. Enfin, les cyber-attaques perpétrées par d’autres États que la Maison Blanche a tenu à vivement condamner, met en évidence la stigmatisation de procédés favorisant l’entrisme des acteurs non-étatiques, déstabilisateurs de l’ordre westphalien.
Références
Arquilla John, Ronfeldt David, Networks and Netwars. The Future of Terror, Crime and Militancy, Santa Monica, Rand Corporation Publishing, 2001. par la Maison Blanche
Douzet Frédérick, « Les Frontières chinoises de l’Internet », Hérodote, 125, (2), 2007, pp.127-142.
Mai 28, 2011 | Droits de l'homme, Humanitaire, Passage au crible
Par Philippe Ryfman
Passage au crible n°43
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Depuis mi-février 2011, les affrontements entre insurgés et forces loyales au colonel Kadhafi ont provoqué une crise humanitaire. Près de 750.000 personnes (Libyens et étrangers) ont fui le pays depuis la fin du mois de mai. Tout d’abord mobilisées par l’exode massif des travailleurs étrangers, les organisations humanitaires ont élargi ensuite leurs activités aux soins aux blessés, à l’assistance à la population civile dans les zones de combat et à la prise en charge des réfugiés.
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> Cadrage théorique
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Rappel historique
L’action humanitaire est particulièrement visible dans l’espace public à travers le prisme des catastrophes naturelles, comme en Haïti en 2010 par exemple. Mais rappelons qu’elle tient en premier lieu à la violence des guerres à laquelle elle reste indissolublement liée depuis son origine, au XIXe siècle. Dans un contexte conflictuel, elle s’articule autour de trois pôles : 1) Les soins médicaux aux victimes civiles et militaires ; 2) Les services essentiels (nourriture, eau, sanitaires) ; 3) Les déplacements de population. Les principales préoccupations humanitaires (autonomie des agences d’aide, accès, difficultés logistiques, insécurité, logiques d’instrumentalisation, droit humanitaire) demeurent récurrentes, mais évolutives.
Cadrage théorique
1. Durant un conflit armé, le rôle humanitaire des agences non gouvernementales et onusiennes spécialisées, s’avère essentiel. Tenues de respecter cinq principes de base – humanité, impartialité et non-discrimination, neutralité, indépendance, responsabilité – il se distingue du politique. Cependant, ces opérateurs ne détiennent aucun monopole face à d’autres acteurs – notamment étatiques – qui poursuivent, quant à eux, des objectifs ouvertement politiques.
2. La situation en Libye renvoie en droit international public à un CANI (conflit armé non international) avec les populations civiles pour victimes principales. Or, dans le champ humanitaire, la distinction entre civils et combattants relève d’une norme impérative. Enfin, la résolution 1973 du 26 février 2011 du Conseil de sécurité servant de fondement à la campagne militaire – sous commandement de l’OTAN – conduite depuis le 19 mars 2011, constitue la première application concrète d’un nouveau concept du DIH (Droit International Humanitaire), celui de la R2P (Responsabilité de Protéger).
Analyse
Jusqu’à la fin du mois de mars, le nombre de Libyens quittant le pays est resté faible. L’économie de la rente pétrolière fonctionnant en Libye et reposant sur de nombreux travailleurs étrangers a engendré des conséquences humanitaires imprévues. Les flux d’Égyptiens, de Chinois et de Philippins ont été rapidement résorbés grâce à l’intervention de leurs gouvernements, de pays européens et de l’OIM (Organisation Internationale des Migrations). En revanche, le sort de nombreux ressortissants sub-sahariens ou originaires de la Corne de l’Afrique est resté précaire. Certains ont pu regagner leur pays, mais beaucoup ne le peuvent ou ne le souhaitent pas. L’UE (Union Européenne), qui redoute un afflux migratoire, s’efforce d’empêcher toute entrée dans l’espace Schengen, spécialement par mer. Cette situation humanitaire apparaît inédite, tant par l’ampleur des flux de populations qu’en raison de l’absence de tout statut protecteur. Environ 55.000 Libyens se sont réfugiés en Tunisie, tandis que 15.000 auraient réussi à gagner l’Italie. Toutefois, les deux camps ouverts par le HCR à Dehiba et Ramada ainsi que celui mis en place par le Quatar à Tataouine sont quasiment vides et n’abritent que quelques centaines de personnes. Tous les autres réfugiés sont hébergés par des parents, des particuliers ou des associations caritatives locales. Souvent dépouillés et victimes de violences sur la route de l’exil, beaucoup – évalué à plus d’un millier – sont aussi morts en tentant la traversée vers l’Italie sur des esquifs de fortune. Des milliers d’Érythréens, Somaliens et Soudanais continuent de s’entasser en Tunisie dans les camps de Choucha et de Ras Jdir, tandis que du côté égyptien, à Saloum, ils s’abritent dans des gites de fortune, les autorités s’opposant résolument à l’installation de camps. Pour l’heure, ACF, Solidarités, CARE, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge pourvoient aux besoins sanitaires, en eau et en nourriture. Considérés comme des migrants et non des réfugiés – ce qui explique d’ailleurs que l’OIM soit présente aux côtés du HCR – leur sort continue d’être incertain. Certes, l’OIM a rapatrié depuis l’Égypte 35.000 personnes en trois mois, mais des milliers restent encore bloqués. Dans le même temps, des Somaliens, Érythréens, Darfouris ont demandé à être reconnus comme réfugiés. Néanmoins, seuls l’Australie, les États-Unis et la Suède ont accepté pour l’instant d’étudier des dossiers de réinstallation.
À l’intérieur, la situation humanitaire semble très contrastée. Ainsi, dans la partie orientale placée sous le contrôle du CNT (Conseil National de Transition), les besoins sont aujourd’hui limités et à peu près couverts, soit par une aide locale soit par une aide internationale. Quant à la ligne de front autour des villes de Brega et d’Ajdabya, les agences spécialisées dans la chirurgie de guerre et les soins aux blessés (ONG médicales et CICR) y effectuent des interventions ponctuelles. Notons à cet égard que le système sanitaire, mis en place par le régime – plutôt de bonne qualité – ne s’est pas effondré et continue de fonctionner. En revanche, les humanitaires sont préoccupés par le sort des civils vivant dans les villes rebelles assiégées par les troupes gouvernementales et aveuglément bombardées, particulièrement Misrata et Zinten. L’utilisation de l’artillerie lourde et de missiles Grad s’est en effet révélée très meurtrière et destructrice. Misrata, entre mi-mars et début mai, a par conséquent connu une situation d’urgence humanitaire ; les structures de santé étant débordées par l’afflux des blessés, combattants et surtout civils. L’accès à la nourriture, à l’eau potable, aux médicaments était limité et étroitement dépendant du ravitaillement par mer. Des milliers d’étrangers s’entassaient dans des abris précaires sur les quais du port, tandis que le CICR et MSF assuraient l’essentiel de la réponse humanitaire. Les conditions se sont désormais améliorées, les forces rebelles ayant réussi à desserrer l’étau des troupes gouvernementales. Mais celles-ci continuent de pilonner encore plusieurs quartiers. Dans la zone montagneuse, peuplée de tribus berbères, située au sud-ouest de Tripoli et vers la frontière tunisienne, les agences humanitaires n’ont cependant quasiment pas d’accès. Les besoins en aide sont probablement considérables, bien que toute évaluation reste actuellement impossible.
Il convient de souligner que l’absence de distinction entre civils et combattants, revendiquée par le régime, constitue une violation caractérisée du DIH (Droit International Humanitaire). À ce titre, elle devrait provoquer l’engagement de poursuites devant la CPI (Cour Pénale Internationale).
Références
Barnett Michael , Weiss Thomas. (Eds.), Humanitarianism in Question: Politics, Power, Ethics, New-York, Cornell University Press, 2008.
Holzgrefe J.-L., Keohane Robert O., Humanitarian Intervention, Ethical, Legal and political dilemmas, Cambridge, CUP, 2003.
Ryfman Philippe, Une histoire de l’humanitaire, Paris, La Découverte, Collection Repères, 2008.
Société Française de Droit International, La Responsabilité de protéger, Paris, Pedone, 2008.