Révolutions arabes et migrations

Par Catherine Wihtol de Wenden

Extrait

Les révolutions survenues sur la rive sud de la Méditerranée (Tunisie, Libye, Égypte) n’ont pas manqué de susciter des discours alarmistes sur le risque migratoire qu’elles comportaient pour l’Europe. Dans son discours télévisuel du 27 février 2011, le président Sarkozy, tout en saluant ces révolutions arabes, a fait état des éventuelles dérives qu’elles comportaient en matière de migrations et d’islamisme. Il a indiqué que ces révolutions pourraient avoir des conséquences majeures sur « les flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme », ajoutant que « C’est toute l’Europe qui serait en première ligne ». Depuis lors, les médias n’ont cessé de s’interroger sur le lien existant entre la révolution à l’intérieur de ces pays et les mouvements migratoires qui pouvaient en résulter, bien qu’il soit rare de voir des révolutionnaires quitter leur pays sans en attendre les retombées en matière de libertés et d’égalité.

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PAC 96 – L’infiltration de la criminalité dans la production des médicaments Le rapport de l’IRACM (Institut de Recherche Anti-Contrefaçon des Médicaments)

Par Michaël Cousin

Passage au crible N°96

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Le 25 septembre 2013, l’IRACM (Institut de Recherche Anti-Contrefaçon des Médicaments) a présenté un rapport sur le crime organisé relatif aux médicaments contrefaits. Cette étude se propose de mieux faire connaître ce phénomène, mais aussi de susciter des réflexions et fournir des outils pour mieux s’en protéger.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Pendant longtemps, les médicaments auront été épargnés par la contrefaçon malgré la mondialisation des économies nationales et l’expansion des techniques de communication. Pourtant, selon le rapport de l’IRACM, la fraude mondiale aurait débuté dans ce secteur dès la chute de l’URSS. Elle se serait ensuite accentuée lorsque la Chine est devenue membre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). La distribution des médicaments contrefaits serait devenue si importante qu’elle aurait, entre 2005 et 2010, dépassée de 20% la vente des produits légaux. Même si ce phénomène apparaît global, il concernerait davantage les pays en développement. Selon ce document, 10% des médicaments vendus y seraient contrefaits, contre seulement 1% dans les pays développés.

Ces substances frauduleuses revêtent plusieurs caractéristiques. Il s’agit généralement de copies de produits légaux, sans être pour autant des génériques. La plupart d’entre elles s’avèrent souvent mal dosées ou mal conditionnées. Certaines ne présentent aucun principe actif, tandis que d’autres peuvent aller jusqu’à contenir des substances toxiques. Par ailleurs, tous les types de médicaments sont concernés : des antiseptiques, aux antidouleurs ou aux anti-inflammatoires, mais aussi des produits vitaux comme les antirétroviraux (VIH, Hépatite C, etc.). À titre d’exemple, l’analyse révèle que dans les 90 États recevant de faux traitements pour le paludisme et la tuberculose, on déplore chaque année 700 000 morts.

Dans la plupart des cas, les clients se rendent complices des contrefacteurs. Pourtant, dans le trafic des faux médicaments, l’acheteur opère souvent pour son propre compte, mettant ainsi sa vie en jeu. C’est pourquoi l’IRACM qualifie cette contrefaçon de crime organisé. En effet, elle se structure autour de multiples acteurs – du particulier au grand banditisme – et à différentes échelles, du petit groupe aux organisations transnationales. Par ailleurs, grâce à la libéralisation des marchés et à l’accroissement des moyens de communication, les trafiquants disposent de nombre de moyens d’infiltration, dont la cybercriminalité. Mais certains contrefacteurs se servent aussi des réseaux de distributions officiels au point que les professionnels de santé – notamment les pharmaciens – sont tout aussi trompés que les patients.

Cadrage théorique

1. Les déterminants sociaux de la santé. La santé des individus est conditionnée par plusieurs déterminants tels que le milieu dans lequel ils évoluent de leur naissance à leur vieillesse, leurs conditions de vie et de travail ainsi que la qualité des systèmes de santé mis à leur disposition. En l’occurrence, les politiques publiques jouent un rôle prédominant sur ce terrain car elles sont elles-mêmes conditionnées par des rapports d’argent, de pouvoir et les ressources disponibles sur le plan local, national et mondial.
2. La marchandisation de la santé au profit de la criminalité organisée. Dans un contexte économique néo-libéral, la privatisation des médicaments à l’échelle mondiale – aussi bien de leur création que de leur distribution –permet une maximisation des profits. Les organisations criminelles, comme les particuliers, profitent alors de la compétition entre les traitements médicaux que se livrent les firmes pour en proposer des contrefaits plus concurrentiels en termes de prix, mais moins performants. Ce qui a pour effet, de leur garantir une forte rentabilité.

Analyse

Les entreprises illicites se présentent comme les affaires légales. Elles cherchent, elles aussi, à vendre des produits et à en tirer le plus de bénéfices possible. Pour ce faire, elles ont recours à des techniques de management aussi rodées que performantes. Enfin, elles emploient du personnel compétent en prenant soin dans le même temps de refinancer leur trésorerie et de la recycler. En l’espèce, la contrefaçon des médicaments s’avère plus rentable que la production légale car elle se dispense de tout investissement en recherche et développement. En outre, leur fabrication ne répond à aucun standard de qualité (mauvais conditionnements, emballages défaillants, aucun principe actif, etc.) et reste clandestine.

À cet égard, le thriller britannique de Carol Reed, Le troisième homme, demeure paradigmatique. L’on y voit en effet dans la Vienne de l’après-guerre des trafiquants profiter d’une pénurie de pénicilline pour la revendre diluée. À l’instar de ces derniers, les contrefacteurs d’aujourd’hui prospèrent également sur la pauvreté ou l’appauvrissement des populations attirées par des soins à moindre prix. Comme eux, ils bénéficient aussi du manque d’information des consommateurs et de la faiblesse des contrôles douaniers.

Faute de disposer de systèmes efficaces de contrôle physique ou immatériel, les États pâtissent de l’ouverture actuelle des frontières qui facilite incontestablement le travail des organisations criminelles. Celles-ci tirent profit de la dérégulation des économies nationales et virtuelles (financiarisation des marchés) pour distribuer leur production sur l’ensemble du globe. Cette démultiplication des étapes dans la confection des fausses substances thérapeutiques rend difficile la lutte contre la diffusion de ces dernières. À ceci s’ajoute le recours aux paradis fiscaux pour procéder au blanchiment des bénéfices résultant de ce commerce interdit.

La différence entre ces criminels et les entreprises pharmaceutiques repose sur les méthodes pour arriver à leur fin. Certes, la corruption est utilisée par les deux entités, mais les industries licites n’emploient pas la violence pour s’insérer dans les marchés. Cependant, ces négociations ne se construisent pas uniquement par une domination sur tous les acteurs, elles peuvent se développer grâce à la complicité de personnes recherchant des avantages. Rappelons à cet égard que des particuliers vendent parfois, par l’intermédiaire d’officines virtuelles, des produits sans toujours connaître leur qualité et leur origine. Quant aux politiciens locaux ou aux fonctionnaires, il est déjà arrivé que certains d’entre eux facilitent la circulation de faux médicaments au sein des systèmes de distribution officiels (hôpitaux, pharmacies, visiteurs médicaux, etc.) avec l’objectif avéré de recevoir en échange des services occultes ou de meilleurs revenus.

Ces transgressions ne sont pas le seul problème que les États doivent affronter. Les difficultés financières des pays, surtout ceux en développement, altèrent aussi le bon fonctionnement de leur système de santé. D’une part, la protection industrielle freine l’accession à des médications plus abordables, tels que les génériques. D’autre part, leurs gouvernements ne peuvent s’engager substantiellement dans la prévention de cette criminalité transnationale. Il est vrai que la Convention de Palerme, adoptée dans le cadre des Nations unies en décembre 2000, fournit un cadre pour renforcer la coopération policière et judiciaire sur le plan international. Cependant, aucun des protocoles annexés (la traite des personnes, le trafic illicite des migrants et celui des armes à feu) n’est exclusivement dédié à ce nouveau désastre humain.

Références

Institut de Recherche Anti-Contrefaçon des Médicaments, « Contrefaçon de médicaments et organisations criminelles », 2013, lien : http://www.iracm.com/2013/09/liracm-presente-un-rapport-detude-inedit-contrefacon-de-medicaments-et-organisations-criminelles/
Organisation Mondiale de la Santé, « Déterminants sociaux de la santé », lien : http://www.who.int/social_determinants/fr/
Briquet Jean-Louis, Favarel-Garrigues Gilles (Éds.), Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008, Coll. Recherches Internationales.
Pouvoirs, « Le crime organisé », (132), janv. 2010, pp. 5-137.

La Microfinance Entre utilité sociale et rentabilité financière

La Microfinance
Florent Bédécarrats

Préface de Philippe Lavigne Delville

Conçue comme un outil de développement, la microfinance reste ancrée dans le secteur marchand, ce qui brouille les distinctions traditionnellement établies entre le politique et l’économique, le public et le privé, le commercial et le social. Cette ambivalence lui confère un statut atypique car elle bénéficie ainsi de soutiens fiscaux, financiers et réglementaires, tout en gardant une autonomie relative à l’égard des États et des bailleurs de fonds. Les normes mises en oeuvre dans ce domaine participent à sa gouvernance sur le plan transnational. Mais depuis ces dernières années, la microfinance se trouve principalement déterminée par des référentiels financiers. Cependant, face aux critiques, on voit aujourd’hui se multiplier des règles visant à encadrer davantage la dimension sociale du secteur.

Florent Bedécarrats est docteur en science politique, diplômé de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est actuellement chargé du suivi des évaluations d’impact à l’AFD (Agence française du développement). De 2007 à 2013, il a été chargé de recherche et développement pour CERISE.

Fondée en 1998, CERISE est une association qui promeut une finance éthique et responsable contribuant au développement socio-économique des pays du Sud.

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Viols en temps de guerre Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili (Éds.)

branche_virgili_viols_temps_guerreCet ouvrage collectif adopte le parti de l’interdisciplinarité et réunit des contributions d’anthropologues, d’historiens, de juristes, de politistes et de sociologues. Les cas de viol analysés renvoient à nombre de pays comme le Bangladesh, la Colombie ou le Congo, par exemple. Il traite également de nombre de conflits : les deux guerres mondiales aussi bien que des affrontements infraétatiques, tels que la guerre civile en Grèce ou encore celui qui a opposé des milices privées à la guérilla maoïste, au Bihar.

Cette recherche collective met en relief un objet trop longtemps négligé par les sciences sociales. En effet, il est resté longtemps aussi marginalisé sur le plan académique qu’il l’était sur les champs de bataille. Pourtant, il constitue une arme de terreur de masse auprès des populations civiles. Il s’agit d’un crime qui occupe une place centrale dans les guerres, bien qu’il soit explicitement proscrit dans l’ensemble des codes pénaux civils et militaires depuis l’époque moderne.

Raphaëlle Branche, Fabrice Virgili (Éds.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2013, 359 p.

PAC 95 – La dangereuse politique de contrôle de l’immigration Les naufragés de Lampedusa

Par Catherine Wihtol de Wenden

Passage au crible n°95

 

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Le drame de Lampedusa, suivi de nouvelles arrivées entre Malte et Lampedusa, a conduit depuis le début d’octobre 2013, à de nouvelles négociations internationales sur la politique migratoire, tant européenne que mondiale. Rappelons que 366 personnes sont mortes à Lampedusa dans la nuit du 3 au 4 octobre 2013, au moment précis où se tenait à New York le second Dialogue de Haut Niveau sur les migrations et le développement. Lancé par Kofi Annan en 2006 pour évaluer les progrès du multilatéralisme dans la gouvernance des migrations, ce sommet a réuni sous l’égide des Nations unies, de nombreuses OIG et ONG, les pays de départ et d’accueil, des experts ainsi que des membres de la société civile ayant un lien avec la question migratoire. En réponse à cette tragédie, Bruxelles a renforcé les pouvoirs de l’agence Frontex en lui conférant davantage de moyens. Dans le même temps, un sommet européen (24-25 octobre) consacré au contrôle de la politique migratoire, rappelait la nécessité de partager le fardeau entre pays européens, fardeau dû à l’arrivée des migrants irréguliers et demandeurs d’asile.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Ce n’est pas la première fois que l’on parle de Lampedusa. Dans son film Le Guépard, Lucchino Visconti a évoqué cette ancienne possession des princes de Lampedusa et les vicissitudes de la Sicile passant, lors du Risorgimento, des Bourbons d’Espagne au royaume d’Italie. Mais aujourd’hui, l’île connaît bien d’autres drames. En effet, on compte, en vingt ans quelque vingt mille morts en méditerranée, dont Lampedusa a été l’un des principaux cimetières car elle se trouve placée au sud, entre le cap Bon tunisien et la Sicile, ce qui la rend particulièrement accessible. Ses habitants sont partagés entre le sauvetage en mer des naufragés au nom du droit de la mer – qui les met en infraction avec la législation italienne sanctionnant l’aide au séjour clandestin – et la nécessité d’accueillir à bras ouverts les touristes du Nord qui rapportent aujourd’hui davantage de revenus que la pêche. Ce dilemme a été récemment illustré par le film d’Emmanuele Crialese, Terra ferma. Rappelons parmi les situations les plus extrêmes, le cas de ces Sénégalais naufragés au milieu de la méditerranée, agrippés aux grillages d’élevage de poissons, qui ont été sauvés par des pêcheurs tunisiens condamnés en 2008 pour aide au séjour irrégulier en Italie. Après avoir été un point d’arrivée des demandeurs d’asile et des sans-papiers jusqu’au milieu des années 2000, l’île de Lampedusa avait été moins utilisée pour les arrivées, convoyées directement sur le sol italien. C’est avec les révolutions arabes de 2011 que Lampedusa a été de nouveau la cible des passeurs et des bateaux de fortune, le printemps arabe ayant vu déferler des dizaines de milliers de Tunisiens et de Libyens. La période estivale – et donc celle des passages – explique aussi cette importante affluence, puisque d’autres embarcations sont arrivées au large de Malte et de Lampedusa après la catastrophe. Les occupants provenaient alors de la Corne de l’Afrique (Erythrée, Somalie), et de Syrie. Ils avaient voyagé pendant parfois plusieurs mois, avaient été emprisonnés, puis avaient payé des passeurs pour arriver vers ce qu’ils considéraient comme l’Eldorado européen, dans l’espoir de trouver asile et d’entrer sur le marché du travail. Des enfants les accompagnaient. Cette situation n’est toutefois pas isolée, car il y a eu d’autres Lampedusa et il y aura encore de nouvelles affaires, si la seule réponse européenne aux migrations en méditerranée reste le contrôle renforcé des frontières. En outre, Frontex, qui patrouille dans la région, est considérée par Bruxelles comme disposant de moyens trop faibles (87 millions d’euros). Le droit d’asile n’est pas adapté à la situation de ces flux mixtes dont le traitement paraît souvent trop lent, comme on l’a vu par exemple avec l’affaire Leonarda, survenue après quatre ans de procédure. Dans ce contexte humainement délicat, le sommet onusien de New York a tenu un discours favorable à la mobilité, source de développement humain. Il a également recommandé de sécuriser les parcours des migrants dans le respect des droits de l’Homme. De même, a-t-il préconisé d’adapter la main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée aux marchés du travail qui en ont besoin. Enfin, il a souligné les déséquilibres démographiques existant entre le Nord et le Sud. On peut par conséquent, s’étonner que la réponse finale ait été aussi sécuritaire et de court terme.

Communautarisée depuis 2004, la politique européenne de l’immigration est définie par les États européens en proie à la montée des sentiments sécuritaires attestés par les sondages. C’est ainsi que le partage du fardeau entre pays européens quant à l’accueil qui s’est soldé par les accords de Dublin II sur l’asile1 se résout souvent par une absence de solidarité des pays du nord de l’Europe à l’égard des pays du sud, face à l’essentiel des arrivées irrégulières arrivant au sud de l’Europe. Notons au passage que la plupart des sans-papiers ne sont pas entrés en Europe de cette façon : ils sont venus régulièrement et ont ensuite prolongé leur séjour. Enfin, la politique européenne invite à déléguer aux pays situés aux frontières externes de l’Europe, notamment sur la rive sud de la méditerranée, le soin de contrôler leurs frontières et de filtrer les irréguliers. Or, cette fonction paraît moins assidûment assumée par la Tunisie et la Libye actuelles que sous la période Ben Ali et Kadhafi. Comment peut-on alors concilier le discours international sur les migrations – tel qu’il ressort des rapports d’experts, des organisations internationales, des textes de droit – et les réponses européennes ? Pour les États de l’Union qui se contentent d’une approche sécuritaire et d’une militarisation des contrôles, ce décalage témoigne de l’incapacité à faire accepter une position de moyen et long terme.

Cadrage théorique

1. Une gouvernance multilatérale des migrations. On ne parle des migrations ni au G8, ni au G20 car la question «dérange», dit-on. Il est vrai qu’aucune conférence mondiale ne s’est tenue sur les migrations internationales, comme ce fut le cas dès 1994 au Caire (sur la population), puis à Pékin (sur les femmes), et à Durban (la lutte contre les discriminations). Le thème a été néanmoins retiré des accords de Barcelone sur l’euroméditerranée (1995-2005) et de l’Union pour la méditerranée. Pourtant, un discours international sur les migrations existe bel et bien qui cherche à concilier trois objectifs : 1) sécuriser les frontières, 2) respecter les droits de l’Homme et 3) fluidifier la main-d’œuvre nécessaire au marché du travail. Mais l’interdépendance du monde est peu prise en compte dans ces analyses, car des facteurs externes aux migrations (la gestion de crises régionales, la fixation du prix des matières premières ou la définition de politiques de développement peuvent exercer un impact sur l’entrée en mobilité des populations. Enfin, la crise actuelle de gouvernance régionale des migrations est soulignée par la frilosité de la politique européenne en réponse au drame de Lampedusa. Au lieu de favoriser la circulation pour lutter contre l’économie du passage, la seule réponse demeure celle du renforcement des contrôles. Il est clair que l’européanisation des politiques migratoires peine à s’affirmer dans un contexte de montée des néo-souverainismes et d’impératif sécuritaire. La gouvernance affichée se trouve ainsi en contradiction avec la définition des objectifs mondiaux affirmés à New York.
2. La réaffirmation du principe de souveraineté. Dans sa dimension mondialisée, la question migratoire met les États nations au défi d’affirmer leur souveraineté car les frontières physiques de la planète ne correspondent plus aux frontières politiques des États. L’absence de gouvernance mondiale des migrations et l’absence de définition du droit à la mobilité comme droit de l’Homme soulignent la prééminence de l’État nation dans la gestion des flux. En fait, les gouvernements refusent la mobilité comme figure de la mondialisation car ils se sentent les grands perdants d’un ordre international qui leur échappent toujours plus. Notons néanmoins qu’aucune politique de dissuasion ni aucune politique de retour, ni même la perspective d’un meilleur développement, n’ont, depuis trente ans, montré une quelconque efficacité à maîtriser les frontières.

Analyse

On compte 25 espaces de libre circulation des personnes dans le monde, mais peu d’entre eux fonctionnent de façon satisfaisante en raison des conflits politiques qui opposent les États membres. Cependant, dans un monde interdépendant, la migration internationale apparaît comme le facteur le moins fluide de la mondialisation. Il s’agit d’un phénomène structurel, lié paradoxalement au développement des pays du Sud, plus urbanisés, où la population plus scolarisée aspire à un mieux-être qu’elle conquiert surtout grâce à la migration. Les pays de départ encouragent cette mobilité, pour exporter la contestation sociale – la moitié de la population a moins de 25 ans – et en raison des transferts de fonds (400 milliards de dollars en 2012 envoyés par les migrants dans leurs pays d’origine). Tous les travaux de recherche ont montré que le taux d’émigration tend à croître avec le niveau économique des pays de départ car les aspirations de la population y sont plus grandes et parce que les flux de migrants comptent des taux de qualification plus élevés que ceux des natifs. En bref, l’émigration montre aussi que plus les frontières sont ouvertes, plus les gens circulent et moins ils se sédentarisent ; au point que la mobilité devient finalement un mode de vie. C’est ce que l’on a constaté à l’est de l’Europe depuis l’ouverture du Rideau de fer. Au sud de la méditerranée, l’ouverture des migrations à un nombre plus élevé de catégories de migrants (contrats de travail pour les moins qualifiés, touristes, étudiants, entrepreneurs transnationaux) permettrait un développement des deux rives car beaucoup de ces acteurs sont entravés par les difficultés liées aux visas. Désormais, il est clair que l’on n’arrêtera pas les flux migratoires par des barrières étanches, on enrichira simplement davantage les passeurs.

1 : Il convient de rappeler que c’est dans le premier pays européen où l’on est parvenu que la demande d’asile doit être examinée.

Références

Wihtol de Wenden Catherine, Le Droit d’émigrer, Paris, CNRS Editions 2013.
Wihtol de Wenden Catherine, Pour accompagner les migrations en méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2013.