Déc 18, 2013 | Diffusion de la recherche, Théorie En Marche
Les responsables à l’origine de cette magistrale publication ont réuni près de soixante contributeurs pour pallier une absence criante. En effet, il n’existait jusqu’ici dans le monde francophone, aucune somme de qualité traitant des relations internationales. Désormais, c’est chose faite avec cet ouvrage aussi ambitieux qu’exhaustif.
Refusant à juste titre d’abandonner cette discipline académique au monde anglo-saxon qui la domine depuis plus d’un siècle, les auteurs dressent, sans exclusive, un panorama complet de l’état des savoirs. Conciliant érudition et simplicité, les auteurs mettent en relief des axes de recherche, analysent les différents champs constitutifs des RI, et envisagent la diffusion des connaissances avec l’enjeu de l’expertise et celle de la pédagogie.
D’ores et déjà, cet opus apparaît comme l’outil incontournable pour un large lectorat d’étudiants, de chercheurs, de politiciens et de diplomates, sans oublier l’honnête homme qui trouve là matière à penser le monde.
Thierry Balzacq, Frédéric Ramel (Éds.) Traité de relations internationales, Paris, Presses de Sc. Po, 2013, 1228 p. Outre, les articles, l’ouvrage comprend également des cartes, des encadrés, des graphiques et des tableaux et un index.
Déc 13, 2013 | Défense, Passage au crible, Sécurité
Par Josepha Laroche
Passage au crible n°100
Source : Wikipedia
Après dix années d’échecs successifs, un accord intérimaire portant sur le nucléaire iranien a été signé à Genève, le 24 novembre 2013, entre l’Iran – en la personne de Mohammad Javad Zarif – et les représentants du groupe des 5+1, à savoir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) et l’Allemagne. Ce document prévoit une période de six mois renouvelable avant que ne s’engage une négociation définitive. Pour l’heure, les parties se sont entendues sur un ralentissement substantiel du programme nucléaire de l’Iran. Il est ainsi établi que son enrichissement d’uranium ne pourra excéder 5%, et ce, afin d’éloigner le spectre du nucléaire militaire. Quant au stock existant et déjà enrichi à 20% – proche du niveau militaire – il faudra qu’il soit neutralisé. Enfin, les nouvelles centrifugeuses prévues ne devront pas être mises en service. De même, il conviendra de stopper les travaux en cours, relatifs à un réacteur à eau lourde. En contrepartie de cette batterie d’obligations, l’Iran obtient une levée partielle des sanctions qui la frappaient jusque-là. Le pays va pouvoir par exemple accéder à des fonds auparavant inaccessibles, à hauteur de 4 milliards de dollars. Cependant, l’essentiel du dispositif d’embargo reste en place, en particulier les mesures concernant l’exportation du pétrole et les transferts financiers de l’Iran. Certes, cette convention constitue un premier pas vers un apaisement des tensions, mais elle reste entièrement réversible.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) qui a été signé le 1er juillet 1968, est entré en vigueur le 5 mars 1970 après la ratification des États dépositaires (États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni, URSS et de quarante autres signataires, dont l’Iran qui a signé et ratifié ce traité dès 1970. Il reposait sur la discrimination établie entre les EDAN (États dotés de l’arme nucléaire ayant fait exploser un engin nucléaire avant le 1er janvier 1967), et les ENDAN (États non dotés de l’arme nucléaire). Il a établi que les premiers (États-Unis, URSS, Royaume-Uni) s’engageaient en le signant à ne pas aider un autre pays à acquérir des armes nucléaires. Quant aux ENDAN, ils renonçaient à les fabriquer et à essayer de s’en procurer. En contrepartie, les EDAN (dit le « le club nucléaire ») leur garantissaient une facilité d’accès au nucléaire civil, sur une base non discriminatoire (articles IV et V). Autrement dit, ces dispositions toujours en vigueur, visaient principalement à réduire, voire à endiguer, la prolifération horizontale, c’est-à-dire, l’extension de l’armement nucléaire dans le monde.
Depuis, en vertu de l’article III du TNP, l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) a pour mission de contrôler l’usage pacifique des matières nucléaires par les ENDAN, parties. Pour ce faire, elle a signé des accords de garantie avec chacun d’eux afin qu’elle puisse vérifier le respect de leurs engagements. Un programme de renforcement des garanties de l’AIEA, dit « 93 + 2 », a été ensuite mis en place pour accroître l’étendue et la précision de ses contrôles. L’objectif étant de garantir une meilleure efficacité du régime de non-prolifération.
Toujours partie au TNP, l’Iran doit donc aujourd’hui se soumettre à toutes les exigences de vérification de cette instance. Or, depuis une dizaine d’années, elle soupçonne ce pays de se livrer à des opérations clandestines afin de se doter d’un armement nucléaire. Dès lors, les négociations se sont multipliées, bientôt suivies d’une cascade de sanctions auxquelles il s’agirait à présent de mettre fin.
Cadrage théorique
1. La portée civilisationnelle des sanctions. Éléments constitutifs du droit international public, elles appartiennent à l’arsenal répressif mis en œuvre par les États au cours de ces derniers siècles. Elles ont pour objet d’éviter les guerres, en condamnant à résipiscence tout acteur transgressif qui violerait les règles internationales. Ainsi, en opérant avec efficacité un cadrage diplomatique de la violence guerrière, les acteurs étatiques s’emploient-ils à civiliser leurs interventions.
2. Les limites dissuasives de la diplomatie coercitive. Plus indéterminée que la stratégie militaire, cette diplomatie coercitive demeure toutefois d’un maniement très délicat. Certes, elle vise à infléchir les négociations dans le sens requis, tout en évitant le coût humain et matériel d’un conflit classique. Mais elle implique nécessairement l’acceptation d’une zone d’incertitude, inhérente aux jeux d’interactions stratégiques des acteurs en présence. Or, cet espace laissé à l’aléa est dénoncé et refusé par Israël pour qui l’Iran instrumentaliserait simplement ce dispositif.
Analyse
En 2003, l’AIEA a annoncé que le site iranien de Natanz indiquait des taux d’uranium enrichi, supérieurs aux normes civiles. En conséquence, l’Agence a demandé à l’Iran de prouver qu’il ne développait pas une arme nucléaire. Depuis lors, un bras de fer de plus en plus dur s’est engagé entre Téhéran et les États soucieux de faire respecter le TNP. Faute d’avancées, l’AIEA a transmis en 2006 le dossier du nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier a sanctionné l’Iran en votant la résolution 1737 qui interdit la vente de tout matériel ou technologie pouvant contribuer aux activités de ce pays dans les domaines nucléaires et balistiques. Ce texte lui a en outre imposé un ultimatum. En 2007, le Conseil a adopté de nouvelles mesures économiques (résolution 1747) visant à frapper le programme d’enrichissement d’uranium de Natanz. Quant aux États-Unis, ils ont pris des dispositions répressives, dirigées contre les 3 principales banques iraniennes. Enfin, en 2008, de nouvelles restrictions économiques et commerciales ont été adoptées par l’ONU. A partir de 2009, l’AIEA a multiplié les rapports alarmistes, tandis que l’Iran inaugurait à Ispahan la première usine de fabrication de combustible nucléaire, annonçant même avoir installé 7000 centrifugeuses. Le pays reconnaît par ailleurs disposer d’une usine d’enrichissement d’uranium près de Qom. En 2010, tandis qu’une 4e vague coercitive est votée, l’AIEA évoque « de sérieuses inquiétudes concernant une possible dimension militaire du programme nucléaire », ce qui conduit les Etats-Unis et l’Union européenne à asphyxier d’autant le secteur bancaire de l’Iran. Les décisions prises à son encontre concernent le secteur énergétique, les avoirs à l’étranger, l’automobile, les transports et le commerce en général. En outre, les Occidentaux interdisent à plus de 3000 Iraniens de voyager à l’étranger. Pour faire respecter le TNP, tout en évitant une conflagration qui pourrait embraser toute la région, cet embargo a donc édifié, au fil du temps, un carcan économique qui obère lourdement le développement du pays, sans pour autant régler le contentieux. Dans ces conditions, beaucoup d’observateurs considèrent que la signature du 24 novembre 2013 contribue à apaiser les tensions et renforcer la sécurité mondiale.
Pour Israël, en revanche « c’est une erreur historique » déclare son Premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Cette convention ne serait pas crédible et correspondrait simplement à une habile politique de procrastination aux termes de laquelle l’Iran continuerait de procéder plus ou moins clandestinement à l’enrichissement de l’uranium à des fins militaires. En conséquence, les responsables israéliens fustigent l’assouplissement des sanctions, se réservant toujours le droit « de se défendre […] contre toute menace ». Jérusalem qui n’est pas lié par cette concession, entend maintenir ouverte l’option des frappes militaires. S’il s’avère caduc dans l’immédiat, ce scénario pourrait toutefois être de nouveau à l’ordre du jour dans six mois. En effet, si un accord définitif n’était pas conclu, le principe d’incertitude réunirait alors toutes les parties prenantes de ce dossier attentatoire à la paix du monde.
Références
Davis Jacquelyn K., Pfaltzgraff Robert L., Anticipating a Nuclear Iran: Challenges for U.S. Security, New York, Columbia University Press, 2013.
Elias Norbert, La Civilisation des mœurs, [1939], trad., Paris, Calmann-Lévy, 1973.
Elias Norbert, La Dynamique de l’Occident, trad., Paris, 1975.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Lindemann Thomas, Sauver la face, sauver la paix, sociologie constructiviste des crises internationales, Paris, L’Harmattan, 2010. Coll. Chaos International.
Tertrais Bruno, Iran : la prochaine guerre, Paris, Le Cherche-midi, 2012.
Déc 9, 2013 | Afrique, ONU, Passage au crible, Sécurité
Par Philippe Hugon
Passage au crible n°99
Pixabay
Le 5 décembre 2013, dans le cadre du Chapitre VII de la charte, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l’unanimité une résolution autorisant une intervention française en Centrafrique pour y rétablir l’ordre, sécuriser les axes routiers, permettre un accès humanitaire et faciliter le retour des populations civiles dans leurs villages. Par ailleurs, le texte officialise la présence de la MISCA (mission internationale de soutien en Centrafrique) déjà sur place avec 2500 hommes. Cette force devrait très vite augmenter ses effectifs jusqu’à 3600 hommes. D’une durée de 12 mois, le mandat prévoit la possibilité d’envoyer de 6000 à 9000 casques bleus. À terme, l’objectif déclaré consiste à restaurer l’ordre constitutionnel et à permettre des élections avant février 2015. Naturellement, cette finalité implique au préalable le désarmement, le cantonnement et le démantèlement des troupes armées.
Après l’opération Serval entreprise l’an dernier au Mali, la France se retrouve ainsi en première ligne et en situation de gendarme de l’Afrique avec l’opération Sangaris qui va porter ses effectifs de 400 à 1200 hommes.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
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Rappel historique
Avec un territoire équivalent à celui de la France, mais peuplé par moins de 5 millions d’habitants, la Centrafrique figure depuis son indépendance parmi les pays les plus pauvres du monde, par ailleurs constamment ravagé par des crises et des coups d’État. Rappelons en effet que sur les 8 chefs de l’État qui se sont succédé, seul Patassé est parvenu au pouvoir par les urnes, en 1993. La faillite de l’instance étatique a facilité la montée en puissance de référents ethno-régionaux qui se sont substitué à la construction d’un vouloir vivre national. Les richesses du sous-sol (diamant, uranium, pétrole, or) et du sol (coton, bois) alimentent la contrebande à partir de frontières poreuses et constituent – notamment pour le diamant – des moyens de financement pour les divers groupes rebelles.
La Seleka s’est formée en août 2012. Elle se présente comme une coalition de plusieurs partis politiques et de forces rebelles, opposés au président François Bozizé, venant du nord et composés essentiellement de musulmans. En décembre dernier, elle était descendue jusqu’aux portes de Bangui et avait participé aux accords de Libreville de janvier 2013. Le 23 mars 2013, François Bozizé a été chassé par la force de la Seleka et par Michel Djotodia, l’un des chefs rebelle qui s’est autoproclamé chef de l’État, le 25 mars, tout en maintenant en place le Premier ministre, Nicolas Tiangaye. Seule, l’Afrique du Sud a soutenu alors le président Bozizé. Le Tchad et le Soudan ont en revanche favorisé l’arrivée au pouvoir de Djotodia. Quant à la France, elle a considéré que le conflit relevait de la politique intérieure de la Centrafrique, elle ne devait par conséquent pas intervenir, sauf pour protéger les 1500 ressortissants français, assurer la sécurité de Bangui et contrôler l’aéroport, vital à l’économie du pays.
Depuis la prise du pouvoir par les armes, non seulement la moitié de la population se trouve en forte insécurité alimentaire, mais on dénombre plus de 400 000 déplacés et 70 000 réfugiés. En outre, on constate de nombreuses violations des droits de l’homme comme le recrutement d’enfants-soldats, des viols et des meurtres. Les affrontements ont pris une dimension ethno régionale et religieuse, malgré le rôle pacificateur joué par différents responsables religieux. Ainsi par exemple, les exactions commises par les rebelles de l’ancienne Seleka ont conduit à la création de groupes chrétiens d’autodéfense (anti-balaka). Les éléments constitutifs d’une guerre civile, voire d’une situation génocidaire, seraient réunis, selon le ministre des Affaires Étrangères de la France, Laurent Fabius. Autant de sources de préoccupation qui étaient déjà mentionnées dans le rapport publié par l’International Crisis Group, en juin 2013.
Cadrage théorique
1. Un État failli dépassé par des forces infraétatiques. État enclavé, la Centrafrique est entourée par huit pays en situation de forte instabilité. Les conflits qu’elle connaît, renvoient à la criminalité, à l’extrême pauvreté et à la marginalisation des populations du nord. Les rivalités entre groupes infraétatiques visent le contrôle de ressources telles que le coton et le bois, mais bien plus encore le diamant, l’uranium, le pétrole et l’or.
2. L’incapacité des forces régionales. Devant la faillite totale de l’État centrafricain, incapable d’assurer ses fonctions régaliennes, les forces africaines apparaissent mal équipées, mal entraînées et peu mobilisées. De fait, elles se trouvent dans l’impossibilité d’assurer l’ordre et d’éviter le chaos. En l’absence de l’Europe, et compte tenu du retrait américain dans cette zone, la France, ancienne puissance coloniale, est contrainte d’intervenir en termes de maintien de l’ordre, sans pour autant soutenir le régime en place.
Analyse
La défaillance de l’État centrafricain, la criminalité et l’extrême pauvreté de la population sont directement liés à l’enjeu que représentent les ressources naturelles, notamment le diamant qui est extrait par 80 à 100 000 mineurs. Cette pierre précieuse, qui est contrôlée par des forces politiques et des milices, fait en effet l’objet de trafics de contrebande considérables, facilités par la porosité des frontières. La Centrafrique illustre en outre la dimension régionale des conflits africains. Sur un territoire de plus de 600000 km2 non contrôlés, on peut noter les conséquences du conflit du Darfour et du Sud Soudan, la sanctuarisation des opposants au Tchad et la présence de l’Armée de résistance du Seigneur de Konny venant d’Ouganda. On constate également l’impact des contentieux propres à la RDC. Selon l’International Crisis Group, il existerait aussi une infiltration de membres de Boko Haram venant du Nigeria.
Par ailleurs, la Centrafrique révèle la faiblesse des armées africaines régionales (logistique, financement, implication, clarté du mandat). Comme les conflits revêtent tous une dimension régionale, il suffit d’un événement localisé pour embraser rapidement toute une région. On comprend dès lors combien tous ces obstacles interdisent l’instauration d’une pax africana.
Ce pays met bien en exergue bien les contradictions dans lesquelles se trouve la France, contrainte d’intervenir malgré elle, tout en étant confrontée aux difficultés de gagner durablement la paix et de permettre aux acteurs africains de construire une sécurité durable. Certes, l’État français intervient avec le soutien du conseil de sécurité des Nations unies. Certes, il exerce des fonctions régaliennes – monnaie, armée – et se substitue ainsi à certains États défaillants, jadis ses anciennes colonies. Mais les coûts de tels engagements apparaissent très élevés, alors même que ses intérêts économiques se trouvent désormais pour l’essentiel dans les pays anglophones, voire lusophones. Enfin, La situation actuelle en Centrafrique souligne à nouveau l’absence de l’Europe, même si celle-ci participe au financement des opérations. Paris se retrouve donc une fois de plus isolée face à une Europe qui proclame son attachement aux droits de l’homme, sans pour autant s’impliquer dans ce qu’elle considère souvent comme le « bourbier africain ».
Références
Hugon Philippe, « Le rôle des matières premières dans les conflits africains », in : Vettoglia Jean-Pierre (Éd.), Les Déterminants des conflits, Bruxelles, Bruyland, 2013, pp 213-224
Hugon Philippe, Géopolitique de l’Afrique, 3e ed., Paris, A Colin, 2012.
International Crisis Group, « Rapport sur la crise de la Centrafrique », juin 2013.
Déc 2, 2013 | Biens Publics Mondiaux, Environnement, Passage au crible, Sécurité
Par Clément Paule
Passage au crible n°98
Source : Wikipedia
Un immense chantier, qui devrait durer près d’un an, a débuté le 18 novembre 2013 : il s’agit de l’extraction de plus de 1500 barres de combustible nucléaire immergées dans la piscine du réacteur 4 de la centrale endommagée de Fukushima-Daiichi. En charge de cette opération urgente, les dirigeants de TEPCO (Tokyo Electric Power Company) ont évoqué une étape majeure dans le processus de démantèlement des infrastructures sinistrées depuis le 11 mars 2011. Soulignons toutefois le caractère extrêmement risqué de cette intervention, alors qu’un séisme de magnitude 7,1 survenu le 26 octobre 2013 dans l’océan Pacifique avait entraîné l’évacuation immédiate du personnel travaillant sur le site accidenté. En outre, les multiples faillites du système de traitement des eaux radioactives – à l’instar des fuites récurrentes dans les réservoirs de stockage – ont montré les limites de la gestion du désastre par la firme nippone nationalisée en juillet 2012. Cet état de crise permanente, qui perdure désormais depuis deux ans et demi, demeure ainsi structuré par l’incertitude, à commencer par l’avenir des installations de Fukushima-Daiichi dont la fermeture définitive devrait s’étaler sur plusieurs décennies. Pourtant, le gouvernement japonais a développé au cours des derniers mois un discours rassurant qui témoigne d’une volonté de reprendre le contrôle – au moins symbolique – d’une situation complexe qui paraît loin d’être stabilisée.
> Rappel historique
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Rappel historique
Mentionnons dans un premier temps quelques données sur la pollution consécutive aux événements de mars 2011. En juillet 2013, l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) déclarait que les rejets dans l’atmosphère et l’océan étaient estimés respectivement à 60 et 27 pétabecquerels (millions de milliards de becquerels). Si le niveau global de contamination semble décroître, l’impact à long terme sur la nappe phréatique et les rivières pourrait s’avérer plus important qu’escompté. Notons qu’en juillet 2013, TEPCO a finalement avoué que 300 tonnes d’eau radioactive se déversaient quotidiennement dans le Pacifique. Ces chiffres ne permettent néanmoins pas encore de mesurer précisément les conséquences sanitaires sur les populations sinistrées qui font l’objet d’appréciations concurrentes et controversées.
Confrontées à l’incertitude de la crise post-accidentelle, les autorités japonaises avaient rapidement organisé une série d’évacuations dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres, entraînant l’exil pérenne de plus de 150 000 personnes. À ce titre, un système de zones d’accès restreint a été établi à partir d’un seuil d’inacceptabilité fixé à une dose de 20 mSv (millisieverts) par an. La définition d’un périmètre d’exclusion s’est alors accompagnée d’une politique de décontamination des régions irradiées. Ces démarcations ont cependant été allégées depuis 2012, le gouvernement s’efforçant d’encourager le retour des déplacés en modifiant les normes d’évaluation de la radioactivité.
Cadrage théorique
1. Liquider symboliquement le désastre. Depuis l’élection fin 2012 du Premier ministre Shinzo Abe, la nouvelle équipe dirigeante tente de reprendre la main par des discours de relance qui tendent à minimiser les conséquences de l’accident au nom du relèvement national.
2. Les insuffisances du dispositif de protection. Pourtant, les mesures mises en œuvre pour protéger la population font l’objet de polémiques récurrentes. À telle enseigne que l’administration de la catastrophe se distingue par son opacité et ses contradictions qui rentrent en conflit avec la rhétorique du pouvoir.
Analyse
Deux ans et demi après le début de la crise, force est de constater que si les mobilisations antinucléaires ont faibli en intensité, elles n’en demeurent pas moins présentes sur le terrain de la contre-expertise. Installé depuis le 11 septembre 2011 en face du METI (Ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie), le campement permanent baptisé Tento hiroba – place des tentes – maintient ses activités protestataires malgré les poursuites judiciaires intentées par les autorités à son encontre. Pour l’heure, des manifestations périodiques relayées par des pétitions nationales réclament l’arrêt définitif du nucléaire, tout en contestant les estimations officielles qui minimiseraient les risques sanitaires et environnementaux. Signalons que la controverse s’est récemment étendue au rapport de l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) remis à l’Assemblée Générale des Nations unies le 25 octobre 2013. Les conclusions des quatre-vingt scientifiques ayant contribué à cette évaluation ont été rejetées par de nombreuses ONG (Organisations non gouvernementales) et associations nippones, ainsi que par le Rapporteur spécial pour le droit à la santé. Nommé par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, cet expert indépendant a dressé dès mai 2013 un bilan à charge du dispositif de protection mis en place en ciblant notamment la définition du seuil d’inacceptabilité en matière d’exposition radioactive.
Or, ce document a fait l’objet d’une réponse rapide et détaillée de la part du gouvernement japonais dès le 27 mai 2013, réfutation qui s’inscrit dans le cadre d’une contre-offensive à grande échelle menée par l’équipe du Premier ministre Shinzo Abe. Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012, ce dernier s’est employé à mettre en scène le relèvement du Japon sur le plan économique – avec les Abenomics, ensemble de mesures s’appuyant sur la dépréciation du yen pour augmenter la masse monétaire, la stimulation fiscale et l’annonce de réformes structurelles – mais également diplomatique. L’État nippon tente dans cette logique de s’imposer comme un acteur majeur de la sécurité régionale en Asie-Pacifique – citons le déploiement militaro-humanitaire des FAD (Forces japonaises d’autodéfense) aux Philippines après le passage meurtrier du typhon Haiyan – tout en adoptant une position de fermeté sur ses différends territoriaux et mémoriels avec la Chine et la Corée du Sud. À cet égard, la désignation de Tokyo pour accueillir les Jeux Olympiques de 2020 intervient comme une consécration de cette rhétorique de réassurance. Rappelons que le Premier ministre avait affirmé, lors de son audition à Buenos Aires devant le CIO (Comité International Olympique) le 7 septembre 2013, que la « situation [à Fukushima était] sous contrôle ». Cette déclaration a été fortement critiquée dans les médias nationaux et qualifiée de mensonge d’État par les activistes, d’autant qu’un haut responsable de TEPCO l’a contredite dès la semaine suivante.
Cette fissure dans la communication officielle paraît loin d’être isolée, dans la mesure où la classe politique japonaise ne semble pas adhérer unanimement à ce discours de liquidation mettant au second plan la gestion inachevée du désastre. L’ancien Premier ministre Junichiro Koizumi, mentor de Shinzo Abe, s’est récemment exprimé en faveur de l’abandon de l’atome, stigmatisant la fin du mythe de la sûreté. Ce qui constitue un désaveu flagrant pour son ex-protégé qui soutient le redémarrage des centrales et l’exportation de la technologie nippone, allant même jusqu’à s’appuyer sur l’expérience capitalisée à Fukushima. Plus encore, des membres du gouvernement de Naoto Kan ont révélé que TEPCO avait pendant deux ans dissimulé délibérément des informations sur les fuites d’eau contaminée afin de ne pas affaiblir sa position sur les marchés internationaux. À ces éléments dissonants s’ajoute le témoignage de Tetsuya Hayashi, ex-travailleur sur le site de l’accident et lanceur d’alarme – whistleblower – qui a dénoncé le système trouble de sous-traitance et d’exploitation des liquidateurs impliquant des organisations criminelles yakuza. Ces contradictions au sein même de l’administration de la catastrophe pourraient amener l’acteur étatique à assumer le contrôle direct et exclusif des opérations de décontamination, selon les recommandations récentes d’un comité du PLD (Parti Libéral-démocrate) au pouvoir. Mais au-delà de cette éventuelle prise en charge publique, les enjeux de transparence et de responsabilité semblent demeurer en retrait dans l’après-Fukushima. Après le rejet des plaintes déposées contre les décideurs gouvernementaux et industriels par le Parquet de Tokyo en septembre 2013, la Chambre des représentants japonais vient d’adopter une loi pénalisant lourdement les fuites d’information à la presse. Dans ces conditions, le retour de l’État apparaît davantage comme un facteur de risque susceptible de pérenniser l’instabilité et l’opacité d’un péril mondial.
Références
Grover Anand, Report of the Special Rapporteur on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health, Mission to Japan (15-26 November 2012) – Advance Unedited Version, 2 mai 2013, consulté sur le site de l’OHCHR (Office of the High Commissioner for Human Rights) : http://www.ohchr.org [25 novembre 2013].
Ribault Nadine, Ribault Thierry, Les Sanctuaires de l’abîme. Chronique du désastre de Fukushima, L’Encyclopédie des nuisances, Paris, 2012.
Site de l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) consacré à Fukushima : http://www.unscear.org/unscear/en/fukushima.html [22 novembre 2013].
Nov 24, 2013 | Diplomatie non-étatique, Industrie numérique, Passage au crible
Par Adrien Cherqui
Passage au crible n°97
Source: Wikimedia
i24News vient d’être créée. Cette nouvelle chaîne d’information internationale est basée à Tel Aviv. Elle émet en français, anglais et arabe depuis le 17 juillet 2013 à destination de l’Europe, du Moyen-Orient, de l’Afrique et de la Chine. Elle projette d’atteindre progressivement le marché américain dès 2014.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Les médias globaux représentent des acteurs clefs de la mondialisation. Parmi eux, on distingue un oligopole de chaînes dont les plus connues sont la BBC (British Broadcasting Corporation) fondée en 1922, CNN (Cable News Network) créée en 1980 par Ted Turner et enfin Al Jazeera fondée en 1996 par l’Émir du Qatar, le Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani. Véritables institutions, elles forment une configuration d’acteurs qui ont su imposer mondialement leurs contenus. France 24 a, quant à elle, été lancée sous l’impulsion du gouvernement français en décembre 2006.
Les chaînes d’information en continu sont apparues dans les années quatre-vingt et i24News s’inscrit pleinement dans cette logique. En effet, elle aspire à restituer l’actualité en provenance d’Israël et « porter la voix de la diversité dans ce pays » selon son Président Frank Melloul, ancien directeur de la stratégie de l’audiovisuel extérieur de la France – regroupant RFI, TV5 et France 24 – et ancien conseiller pour la communication du Premier ministre français, Dominique de Villepin. Ce dirigeant s’est associé à Patrick Drahi, directeur de plusieurs opérateurs câblés dans le monde, principal actionnaire de Numéricable en France, détenteur de Hot en Israël et propriétaire de l’ancienne chaîne télévisée Guysen TV, dédiée à ce pays. Le premier préside i24News, tandis que le second la finance en grande partie. Ce média enregistré au Luxembourg – et qui n’est pas rattaché aux institutions israéliennes – entend proposer une vision alternative et indépendante de l’international. Née d’une volonté d’autonomie audiovisuelle, cette chaîne fournit ainsi un outil médiatique au profit d’Israël.
Cadrage théorique
1. La construction d’un espace public à caractère transnational. Parties prenantes du processus de mondialisation, les médias globaux participent à l’émergence d’un espace public et à l’avènement du village planétaire en intensifiant les rapports sociaux et les interactions entre entités sociales. Par la diffusion et le partage d’informations, ils œuvrent à une reconfiguration des identités politiques et des perceptions que les individus se font du monde.
2. Un renforcement non-étatique du Soft Power des États. Les diffuseurs d’information exercent une emprise plus subtile que ne le permettent de simples produits culturels. En mesure d’opérer une diffusion douce de valeurs et de symboliques, ils contribuent de la sorte au pouvoir d’attraction des États.
Analyse
À l’inverse de France 24, de Russia Today et de CCTV pour la Chine, l’entreprise i24News ne répond pas à une logique de rationalisation de l’audiovisuel extérieur. Ce nouveau média global s’inscrit plutôt dans un marché de l’information hautement compétitif et en constante densification, compétition en termes d’audience, mais également de production de contenus audiovisuels et d’images. i24News prétend forger une identité propre qui la distinguerait de ses homologues et concurrents tels qu’Al Jazeera fortement présente au Moyen-Orient. Par conséquent i24News prend part à la multiplication de diffuseurs internationaux qui caractérisent ces dernières années l’avènement d’une diversité médiatique. C’est dans cette nouvelle configuration que les États tentent – comme producteurs de matrices culturelles – de peser sur la mondialisation des informations.
Selon un sondage réalisé en mai 2013 par les services de BBC World sur l’influence positive qui serait exercée dans le monde par seize pays et l’Union européenne, un panel de 26 000 personnes a classé Israël en quatorzième position, juste devant la Corée du Nord, le Pakistan et l’Iran. Force est donc de constater que ce pays ne bénéficie pas d’une bonne image. L’ambition d’i24News est par conséquent « de connecter Israël au monde, mais aussi de connecter le monde à la société israélienne » afin d’en montrer toute la complexité. Appuyée sur un multilinguisme fondé sur le français, l’anglais et l’arabe, ce nouveau média a fait le choix de l’anglosphere, choix adopté par une écrasante majorité de ses homologues qui lui permet de conquérir une large audience, tant l’anglais a été institué en véritable lingua franca de la mondialisation. La diffusion en arabe correspond, quant à elle, au désir de communiquer des informations alternatives aux voisins d’Israël et de concurrencer Al Jazeera, acteur médiatique dominant dans la région. i24News, qui participe à un espace public au sein duquel se conjuguent schèmes de perception, références et cadres cognitifs, est ainsi en mesure de dispenser une approche spécifique sur le plan mondial. Cette dernière promeut la société israélienne et concourt de facto au rayonnement mondial de l’État hébreu.
i24News participe au développement du soft power d’Israël et contribue d’ores et déjà au prestige du pays. En effet, bien que les autorités israéliennes tardent à autoriser la diffusion de cette chaîne sur leur propre territoire, cette initiative privée s’agrège à la diplomatie israélienne. Cependant, elle constitue un instrument de diplomatie publique sans former, pour autant, un simple prolongement de celle-ci. En fait, cette entreprise comble plutôt le déficit israélien en matière d’audiovisuel mondial. À ce titre, elle apparaît comme une riposte visant à endiguer l’érosion de la puissance étatique dans la mondialisation.
Références
Blet Cyril, Une Voix mondiale pour un État. France 24, Paris, L’Harmattan, 2008. Coll. Chaos International.
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