La pérennisation d’une solution provisoire La gestion des déplacés internes en Haïti après le séisme du 12 janvier 2010

Par Clément Paule

Extrait

Ce travail d’étape a été réalisé dans le cadre d’une thèse portant sur la gestion transnationale des catastrophes naturelles. Il s’appuie sur un terrain effectué à Port-au- Prince pendant les mois de juillet et août 2011.

Le 12 janvier 2010, à 16h53 heure locale, Haïti a connu la pire catastrophe naturelle de son histoire, en l’occurrence un séisme – de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter – dont l’épicentre était situé à 17 kilomètres au Sud-ouest de la capitale Port-au-Prince1. D’après les données officielles, le bilan humain du désastre s’est stabilisé autour de 230 000 morts et plus de 300 000 blessés, tandis que le coût de la reconstruction dépasserait les 6 milliards d’euros. Plus encore, les dégâts matériels s’élèveraient à 120% du PIB (Produit Intérieur Brut) du pays, évalué à 6,8 milliards de dollars pour l’année 20102. Face à l’ampleur des dommages, une réponse humanitaire d’urgence s’est rapidement déployée depuis l’international, impliquant aussi bien le SNU (Système des Nations unies), le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ou les ONGI (Organisations Non Gouvernementales Internationales) que l’armée américaine. Cette intervention d’acteurs externes s’est en outre prolongée dans le cadre du processus de reconstruction dont la conférence des donateurs pour Haïti, qui s’est tenue à New York fin mars 2010, a dessiné les grandes lignes. Signalons qu’à cette occasion près de 10 milliards de dollars ont été promis par les bailleurs. Selon l’expression de l’ex-Président des États-Unis Bill Clinton, alors représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU (Organisation des Nations unies) dans le pays depuis 2009, il s’agit désormais de « reconstruire en mieux » (building back better).

1. Précisons d’emblée que les termes de catastrophe naturelle ou de désastre d’origine naturelle, employés ici indifféremment, posent de nombreuses difficultés que l’on n’abordera pas dans cette contribution.
2. Ces chiffres proviennent du Centre de Recherche sur l’Épidémiologie des Désastres (CRED), institut de recherche établi à l’Université Catholique de Louvain depuis 1973, qui a mis en place plusieurs bases de données concernant les catastrophes naturelles, dont EM-DAT (Emergency Events Database) et CE-DAT (Complex Emergency Database), consultables sur le site internet : http://www.cred.be.

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Nouvelles gauches et inclusion financière La microfinance contestée en Bolivie, en Équateur et au Nicaragua

par Florent Bédécarrats, Johan Bastiaensen et François Doligez

Extrait

La place de la microfinance dans les processus de développement fait débat. Consacrée par le lancement de l’année internationale du microcrédit par les Nations unies en 2005 et par l’attribution en 2006 du prix Nobel de la Paix à Muhammad Yunus, créateur de la Grameen Bank au Bangladesh, elle est aujourd’hui remise en cause par les nouvelles gauches de certains États latino-américains, où, paradoxalement, elle a connu un essor des plus remarqués. Les gouvernements issus des alternances adoptent en effet des postures contrastées à l’égard des acteurs nationaux de la microfinance et, plus généralement, face au paradigme qui s’est mondialement imposé depuis deux décennies en matière d’inclusion financière.

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PAC 103 – La subversion transnationale des lanceurs d’alerte Les loyautés d’Edward Snowden, un cas paradigmatique

Par Adrien Cherqui

Passage au crible n°103

SnowdenSource: Flickr

D’après les fichiers de la NSA (National Security Agency) dévoilés par Edward Snowden en juillet 2013, plus de deux milliards de courriels et d’appels téléphoniques en provenance du Brésil, auraient été interceptés par les États-Unis pendant près de dix ans. En fait, ce pays serait l’une des cibles principales du programme PRISM (Planning Tool for Resource Integration, Synchronization, and Management) aux côtés de la Russie, de la Chine, de l’Iran et du Pakistan.

Le 17 décembre 2013, le Whistleblower (lanceur d’alerte), Edward Snowden a publié une lettre ouverte dans le journal Folha de S.Paulo. S’adressant au « peuple brésilien », il se déclare être prêt à « contribuer » aux enquêtes du Sénat. Mais réfugié en Russie depuis le 31 juillet 2013, il souligne que « jusqu’à ce qu’un pays [lui] octroie l’asile politique permanent, le gouvernement américain va interférer dans [sa] capacité à s’exprimer ».

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Les Whistleblowers bénéficient d’une couverture médiatique sans précédent depuis les divulgations du site internet WikiLeaks. S’inspirant de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 19) et prônant une protection de la liberté d’expression, cette association a dévoilé d’innombrables informations. En 2010, l’organisation a mis en ligne près de 400 000 documents secrets relatifs à la guerre en Irak, plus de 90 000 War Logs, c’est-à-dire, des rapports confidentiels de l’armée américaine sur les opérations de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) en Afghanistan. Enfin, elle a rendu public 250 000 câbles diplomatiques provenant du Département d’État. À l’origine de ces fuites, le soldat américain Bradley E. Manning a alors été condamné à trente-cinq ans de prison.

L’année 2013 marque également un tournant décisif pour l’administration américaine. En effet, l’ancien analyste de la NSA, Edward Snowden, a mis au jour plusieurs programmes de surveillance de masse pilotés par cette agence comme XKeyscore ou PRISM qui rendait possible la collecte de diverses données. À la suite de ces révélations, Martin Schulz, le président du Parlement européen, a estimé que « cela nuirait considérablement aux relations entre l’Union européenne et les États-Unis ». Plusieurs pays partenaires de la puissance américaine comme la France, l’Allemagne et la Chine auraient été surveillés par la NSA, l’organisme responsable du renseignement d’origine électromagnétique. Rappelons par exemple que les appels téléphoniques d’Angela Merkel, l’actuelle Chancelière allemande, ont fait l’objet de cet espionnage.

Face aux nombreuses condamnations de ces agissements, un rapport d’experts mandatés par la Maison Blanche, remis le 13 décembre 2013, estime que la NSA doit changer ses pratiques en matière de surveillance. Parmi les 46 recommandations figurant dans ce document, les spécialistes préconisent une meilleure coopération entre les États-Unis et leurs « alliés proches » avant de poursuivre que « certaines des autorités qui ont été créées ou développées dans la foulée du 11 Septembre sacrifient indûment les intérêts fondamentaux de libertés individuelles, de vie privée et de gouvernance démocratique ».

Cadrage théorique

1. La rupture du secret comme répertoire d’action. Structurant les interactions entre différentes unités politiques, le secret demeure au cœur des relations interétatiques. C’est la dissimulation de l’information qui lui confère toute son importance. En portant atteinte au monopole de l’État sur ces renseignements et en les faisant transiter librement par Internet, via de nombreux médias, les Whistleblowers ont désormais forgé un répertoire d’action puissant et innovant qui inscrit de manière significative leur contestation au sein de l’espace public.
2. La transparence, élément constitutif d’une nouvelle loyauté. L’action symbolique de ces pourvoyeurs de données confidentielles est fondée sur l’exigence d’absolue transparence dans la conduite diplomatique et gouvernementale des démocraties. Mais cet impératif, au fondement de leur idéologie, conduit à une disqualification des systèmes de loyauté dominants.

Analyse

Les révélations mondiales du lanceur d’alerte Edward Snowden pourraient hâtivement passer pour un simple épiphénomène. Or, elles correspondent bien au contraire à un mouvement profond et irréversible. En effet, les individus s’ingèrent dorénavant dans les affaires internationales et entrent parfois en compétition frontale avec les États. Depuis l’affaire WikiLeaks, ces nouveaux intervenants se sont illustrés en divulguant de nombreuses informations. En mettant en œuvre une nouvelle forme de contestation, le leak, Julian Assange, Bradley Manning et Edward Snowden sont par exemple devenus les parangons de la liberté d’expression.

En violant le monopole des États-Unis sur leurs données classifiées, le répertoire d’action des lanceurs d’alerte désacralise l’autorité étatique. Leurs renseignements donnent à voir un monde en proie à des turbulences dans lequel les États sont aux prises avec des réseaux d’individus, véritables forces sous-jacentes constituant un nouveau pouvoir construit sur le savoir et la maîtrise de l’information. Ce phénomène correspond à ce que Joseph Nye qualifiait de cyberpower. Autrement dit, il renvoie à la capacité pour certains de mobiliser le cyberespace, et au-delà d’être en mesure de recourir à ses outils spécifiques. Ces skillful individuals se constituent alors en contre-pouvoir et interférent dans les relations interétatiques. Rappelons à titre d’illustration que le processus de négociations sur l’accord de libre-échange transatlantique s’en est trouvé menacé. De même, après les divulgations d’Edward Snowden, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, a suspendu une visite officielle à Washington et condamné cet espionnage américain devant l’Assemblée générale de l’ONU.

Mais traiter du secret suppose de l’associer nécessairement au concept de loyauté. À cet égard, soulignons le point commun qui réunit Bradley Manning et Edward Snowden : le premier était un analyste militaire, tandis que le second a opéré successivement pour la CIA et la NSA. Tous deux travaillaient donc pour l’administration américaine. Or, s’ils n’ont pas respecté leurs engagements de réserve et de confidentialité envers leurs institutions respectives, ils sont en revanche restés fidèles à leur cause et à leur ethos fondés sur la transparence. Cette désobéissance civile répond à un système référentiel rendant inopérant la seule loyauté qu’ils manifestaient jusque-là envers leur État. Cette forme de contestation met en exergue le fait qu’ils sont bel et bien devenus des « acteurs hors souveraineté », capables de désacraliser la puissance publique. En d’autres termes, nous avons davantage affaire à la hiérarchisation de plusieurs loyautés plutôt qu’à leur absence. Nous avons bel et bien affaire à un conflit de loyautés. Bien qu’ils se défaussent de leurs fonctions premières d’analystes au service des agences gouvernementales et de l’armée et bien qu’ils aient fait défection, l’action de ces Whistleblowers demeure en fait conforme à leurs valeurs. De la sorte, les systèmes de loyauté envers l’instance étatique se trouvent-ils disqualifiés par le refus d’accorder la moindre opacité et la moindre impunité aux gouvernements. Ceci nous montre combien les lanceurs d’alerte dépassent et contredisent à présent le simple cadre étatique. Avant tout, ils inscrivent leurs interventions dans le cadre d’une société civile mondiale au cœur de laquelle s’est organisé ce modèle de mouvement protestataire transnational. En son sein, se sont structurées de nouvelles configurations d’acteurs défendant les droits de l’Homme, les libertés publiques et un Internet libre ; ce qui les incite dans le même temps à stigmatiser toutes les dérives autoritaires des régimes démocratiques. Il va de soi que les Whistleblowers prennent part à cette dynamique. C’est ainsi que l’on constate aujourd’hui, une forte interdépendance entre ces activistes et des médias tels que The Guardian, le New York Times, Le Monde, Der Spiegel, El País ou encore le journaliste Glenn Greenwald, autant d’intervenants qui disposent des ressources nécessaires à l’analyse, à l’organisation et à la diffusion de ces fuites.

Références

Alastdair Roberts, « WikiLeaks : L’illusion de transparence », Revue Internationale des Sciences Administratives, 78 (1), 2012, p. 123-140.
Dewerpe Alain, Espion : Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Gallimard, 1994. Coll. Bibliothèques des Histoires.
Gomart Thomas, « Écrire l’histoire des relations internationales après WikiLeaks », Revue des deux mondes, mai 2011, p. 83-94.
Hayes Graeme, Ollitrault Sylvie, La désobéissance civile, Paris, Presses de Sciences Po, 2013. Coll. Contester.
Laroche Josepha (Éd.), La Loyauté dans les relations internationales, 2e éd., Paris, L’Harmattan, 2011. Coll. Chaos International.
Laroche Josepha, « La désacralisation du monopole diplomatique des États », in : Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible de la scène mondiale 2011, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 35-38.
Rosenau James N., Turbulence in World Politics: a Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.
Simmel Georg, Secret et sociétés secrètes, [1908], trad., Paris, Circé, 1998.

PAC 102 – Le boycott des ONG, une diplomatie offensive La conférence de Varsovie sur le réchauffement climatique

Par Weiting Chao

Passage au crible n°102

COP19Source: Chaos International

Du 11 novembre au 23 novembre 2013 s’est tenue à Varsovie la 19e session de la Conférence des Parties (COP 19) à la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) et la 9e session de la Conférence des Parties siégeant comme Réunion des Parties au Protocole de Kyoto (CMP9). Pour la première fois dans l’histoire, et à la veille de sa clôture officielle, les ONG environnementales ont boycotté la conférence sur le climat.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

La CCNUCC a été créée par 153 pays, après le Sommet mondial de Rio qui s’est tenu en 1992. Elle a alors posé le principe de responsabilité commune et différencié, dans un respect d’équité. Pendant toute la préparation du Sommet, on nota l’activité intense des ONG. Un grand nombre d’entre elles ont cherché à infléchir directement les décisions gouvernementales. En 1997, les États signèrent le Protocole de Kyoto fondé sur les travaux de la CCNUCC. Ce document représente à ce jour le seul accord mondial imposant des obligations contraignantes aux pays industrialisés. Or, en 2001, invoquant une atteinte au développement de l’économie américaine, les États-Unis ont refusé de le ratifier. Après la signature de la Russie, ce traité est cependant entré en vigueur en 2005 et il est parvenu à échéance le 31 décembre 2012. La période post-Kyoto a été évoquée dès 2005 ; et durant la Conférence de Bali (COP 13, 2007), les États signataires ont adopté une feuille de route qu’ils auraient dû finaliser à Copenhague en 2009. Cependant, aucun progrès significatif n’a été constaté. Lors de la Conférence de Durban en 2010, un organe subsidiaire a été établi : le Groupe de travail ad hoc, partie intégrante de la Plateforme de Durban pour une action renforcée ; cette instance ayant pour mission d’élaborer un autre document. Durant la même période, un mécanisme financier le Fonds vert pour le climat a été lancé. Il doit réaliser le transfert de ressources des pays les plus avancés vers les plus vulnérables. L’adoption d’un accord universel sur cette question a été reportée à l’année 2015, avec une entrée en vigueur prévue pour 2020. Néanmoins, en 2012, les négociations n’ont abouti à Doha qu’à une simple prolongation du Protocole de Kyoto jusqu’à l’année 2020.

En 2013, peu avant la tenue de la conférence, les pays industrialisés ont réaffirmé qu’ils ne participeraient pas à une seconde vague de réduction d’émissions de CO2, dans le cadre d’un nouveau protocole de Kyoto. Suivant cette logique, l’Australie doit par exemple abandonner son système de taxation du carbone. Quant au Japon, il a annoncé qu’en raison de l’accident de Fukushima, ses émissions de CO2 allaient augmenter de 3,8 % d’ici à 2020, bien qu’il se soit engagé auparavant à les réduire de 25 %. Pendant les négociations, les États-Unis, l’Australie et le Canada ont tenté de modifier le principe de responsabilité commune, en changeant les obligations des États dans le respect de l’équité et le cadre du traité. Par ailleurs, ils se sont fortement opposés à la mise en place d’un mécanisme portant sur les pertes et les dommages. Cette posture a toutefois conduit les pays du groupe des 77 (G77), dont la Chine, a quitté les négociations. Finalement, ces dernières s’étant avérées stériles et improductives, des ONG comme Oxfam international, Greenpeace ou encore le Fonds mondial pour la nature (WWF), ont décidé de quitter la conférence sur le climat, le jeudi le 21 novembre, autrement dit, à la veille de sa clôture officielle.

Cadrage théorique

1. Les États dominés par la logique marchande. La confrontation entre les pays développés et les PED (pays en développement) s’est aggravée en raison de la modification du principe de responsabilité commune et du manque globale de ressources financières. À présent, les États apparaissent dominés par une logique de structure – celle du marché – qui s’impose à eux, les divise et ruine par voie de conséquence toute perspective de conclure un accord ambitieux sur le réchauffement climatique.

2. Un lobbying collectif des ONG. Le boycott relève d’une forme de diplomatie non étatique. Il fait partie intégrante du répertoire d’action collective des ONG. En l’occurrence, il s’agit de faire pression sur le processus décisionnel des États, sans pour autant céder quoi que ce soit sur les objectifs ultimes. Il s’agit d’une stratégie qui s’apparente à un jeu à somme nulle (Schelling).

Analyse

Le conflit entre les pays développés et les PED demeure fondamental et montre clairement les difficultés de la coopération interétatique. Il convient notamment de souligner que la défiance entre les États est due au financement inefficace du Fonds vert pour le climat. À Copenhague, bien que les PED se soient vus promettre 100 milliards de dollars (73,8 milliards d’euros) par an d’ici à 2020, des progrès restent à réaliser quant à l’aide financière promise par les pays industrialisés aux pays du Sud afin qu’ils puissent faire face aux catastrophes climatiques. Entre 2010 et 2012, 30 milliards de dollars environ ont été versés, mais depuis, les PED ne disposent plus d’aucune assurance pour les années à venir. En d’autres termes, faute de capital, il n’existe plus de réelle coopération entre les acteurs étatiques, ce qui érode d’autant les négociations. Par ailleurs, les États ne contrôlent plus guère le processus de production et ils orientent désormais assez peu les échanges. En effet, les gouvernements des pays industrialisés se sont laissé diriger presque exclusivement par les intérêts de grandes entreprises d’énergie fossile ou ceux des compagnies d’assurance. Ainsi, les mécanismes du marché tels que la Bourse du carbone et le MDP (Mécanisme de Développement Propre), inspirent-ils les prochaines réglementations majeures destinées à réduire les émissions de carbone. Ironie du sort, ce sont donc les investissements élevés et les intérêts commerciaux qui ont permis la continuité des négociations.

Pour avoir su se développer dans un domaine particulier, les ONG environnementales ont acquis une expertise et détiennent un rôle essentiel dans les travaux portant sur le changement climatique. Elles ont émis des suggestions et des conseils techniques à la CCNUCC, et certaines de leurs propositions ont fortement marqué le Protocole de Kyoto. En effet, elles ont mobilisé leur capacité à produire des études savantes qui font autorité dans le domaine. De la même façon, elles ont bénéficié d’une expérience de terrain, ancienne et approfondie afin d’orienter les textes. Enfin, elles ont réussi à participer à des coalitions mondiales comprenant aussi bien des gouvernements que des entreprises et les organisations du secteur concerné ; cherchant à infléchir de la sorte, le processus global. Par voie de conséquence, le volume d’aide au développement technologique apporté par les ONG aux PMA (pays les moins avancés) ou aux petits États insulaires en développement a augmenté progressivement depuis 1997. Dans certains cas, leur pouvoir de mobilisation protestataire, qui leur confère un rôle important, est considéré comme un détecteur de mécontentement ou d’insatisfactions.

Ce boycott représente une pression diplomatique qui compense leur statut d’opérateurs non-étatiques. Ce faisant, il accentue la pression sur les Nations unies, qui craignent de perdre leur crédibilité, mais aussi sur la Pologne, le pays hôte. D’autre part, les ONG s’inquiètent du déficit de gouvernance en matière climatique. Leur refus d’assister à la conférence constitue un symbole très lourd : en se retirant des négociations qui n’ont pas fait prévaloir l’intérêt des citoyens du monde sur celui des grandes entreprises, elles ont mené un combat symbolique sur le plan mondial. Considérant que la pression écologiste augmente, les délégués gouvernementaux devront –lors de leur prochaine réunion – conférer davantage d’envergure à leurs propositions, s’ils veulent obtenir un accord substantiel pour 2020.

Références

Corell Elisabeth, Michele M. Betsill, « A comparative look at NGO Influence in International Environmental Negotiations: Desertification and Climate Change », Global enviromental Policy, MIT press, Nov 2001(4), pp. 86-107.
Chao Weiting, « Le triomphe dommageable des passager clandestins. La conférence de Doha », in : Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible, l’actualité internationale 2012, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 111-115.
Esteves Olivier, Une Histoire populaire du boycott (1880-2005), Paris, L’Harmattan, 2006.
Schelling Thomas, The Strategy of Conflict, Harvard University Press, Cambridge, 1960. York, 1963.
Strange Susan, Le retrait de l’État. La dispersion du pouvoir dans l’économie mondiale, trad., Paris, Temps present, 1996.

PAC 101 – L’Afghanistan aux prises avec le trafic transnational des opiacés L’analyse alarmante de l’UNODC

Par Michaël Cousin

Passage au crible n°101

Pixabay

Le 13 novembre 2013, le Bureau des Nations unies contre les drogues et le crime (UNDOC) a publié son dernier rapport et produit une analyse inquiétante concernant l’Afghanistan, premier producteur de pavot au monde. Certes, cette plante aux vertus tranquillisantes sert de thérapeutique lorsqu’elle est transformée en morphine, mais elle devient redoutable sous la forme de l’opium ou pire, de l’héroïne. Or 90% de la vente de ce coquelicot psychotrope provient de ce pays en guerre.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Depuis plusieurs années, l’agence onusienne alerte internationalement sur les dangers que la culture du pavot implique pour cet État. Lors de l’arrivée des troupes occidentales en 2001, l’exploitation des terres avait fortement chuté, passant de 82 000 à 8 000 hectares. Cependant, les surfaces cultivées n’ont cessé ensuite de s’accroître au point d’atteindre près de 209 000 hectares en 2013, alors que la moyenne entre 1994 et l’an 2000 se situait autour de 68 150 hectares.

L’UNDOC explique ce développement par plusieurs facteurs. Ceci tiendrait tout d’abord à la croissance de la demande mondiale pour ces opiacés, mais aussi à l’attractivité des prix d’achat. Les paysans afghans perçoivent environ 160 à 203 dollars par kilo d’opium, suivant son conditionnement – frais ou séché – alors que le prix du blé ne dépasse pas 0,41 dollars le kilo. Outre, cet apport pécuniaire, les trafiquants de drogues assurent une certaine sécurité financière aux cultivateurs ; ces derniers étant, en effet, rémunérés sur leur récolte avant même qu’elle n’ait eu lieu.

En fait, les seigneurs de guerre ne recevraient qu’entre 10 et 15% des recettes de la drogue et ne paraissent donc pas les seuls acteurs de ce trafic. Même si l’État afghan a mis en place des politiques de lutte contre la culture du pavot – destruction des terres et des produits –, il semblerait que 60% des élus restent plus ou moins associés à ce marché. Le bureau onusien insiste aussi sur la pluralité des ethnies concernées : les Hazaras, les Tadjiks et les Pachtounes demeurent par exemple impliqués.

Par ailleurs, l’Afghanistan s’avère désormais l’un des plus importants consommateurs d’opium et d’héroïne. En 2009, environ 1,6 million d’Afghans ont acheté ces substances (sur 35 millions d’habitants) dont quelque 120 000 usagers d’héroïne par intraveineuse. Toutefois, dans le contexte actuel, les conditions politiques et sanitaires ne permettent pas aux héroïnomanes de recevoir une information fiable et un matériel stérilisé. Or, ces injections constituent pourtant un vecteur grave de la transmission du VIH – sans compter les hépatites virales – où la pandémie de ce virus trentenaire sévit déjà fortement et où le nombre d’usagers augmente de façon exponentielle chaque année.

Cadrage théorique

1. Shadow State. S’inspirant du concept de politique du ventre, William Reno a montré avec celui de Shadow State (État fantôme) que les marchés illégaux se développent lorsque l’autorité étatique fait défaut. Par manque d’autonomie financière, les élites politiques cherchent alors, dans un espace devenu mondialisé, de nouvelles opportunités. Elles s’efforcent de contrôler certaines ressources très convoitées et de diriger des secteurs illicites (diamants, bois, armes, ivoire et drogues) leur permettant de maintenir leur pouvoir sur le pays.
2. L’ordre institutionnel. Appréhendons l’UNDOC à partir de son ordre institutionnel. En l’occurrence, centrons-nous sur son système de valeurs et de conduites, celui que ses membres doivent intérioriser et auquel ils doivent se conformer, tout en s’efforçant d’atteindre les objectifs définis par leurs dirigeants.

Analyse

Après la destitution du Mollah Omar et la perte de ses fonctions régaliennes, le gouvernement de George W. Bush et ses alliés occidentaux ont formé en Afghanistan une république islamique et démocratique. Toutefois, ce nouvel État importé ne fonctionne pas comme l’administration américaine le souhaiterait. D’une part, l’élection présidentielle de 2009 a été entachée de nombreuses difficultés comme des violences, un faible taux de participation ou bien encore de nombreuses fraudes électorales. D’autre part, le système socioéconomique des Afghans demeure déstructuré et la sécurité nationale n’est toujours pas assurée.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement Obama – alors qu’il a quitté l’Irak en 2011 – maintient encore une présence en Afghanistan. En ce moment même, Kaboul négocie avec Washington pour que le Pentagone assure un an de plus sa sécurité. Cependant, sans une économie viable, le gouvernement afghan restera en 2015 sans moyens pour financer ses forces de l’ordre. À l’exception de grands projets comme la New Silk Road (nouvelle route de la soie) ou les oléoducs, la Maison-Blanche entend se désengager sans proposer pour autant de solutions locales plus attractives que le commerce du pavot.

Le rapport du bureau onusien souligne cette carence, tout comme certaines ONG et des associations afghanes. Ces différentes organisations partagent certes la même analyse économique, en revanche, elles n’envisagent pas de la même façon, la prise en charge médicale des dommages sanitaires causés par les stupéfiants. Ainsi, la ligne de conduite ou norme de l’UNODC repose-t-elle sur la mise en place de soins destinés aux toxicomanes à partir de traitements prouvés scientifiquement. Or, si l’on considère les médications proposées par cette agence aux héroïnomanes, toutes revêtent une efficacité limitée. A contrario, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), des ONG et des associations nationales recommandent la thérapie fondée sur la méthadone. Classifiée comme un opiacé, cette dernière n’est toutefois pas produite à partir de la plante somnifère. Cette molécule est en réalité issue d’une synthèse chimique et s’ingère par voie orale – en solution liquide ou en gélule – ou bien anale – en suppositoire –. Ce faisant, elle évite tout risque de contamination par le sang. De plus, elle possède une action pharmacologique plus longue que l’héroïne, ce qui stabilise le sevrage du consommateur plus aisément.

Si les scientifiques reconnaissent bien ses vertus de la méthadone, ils divergent quant à l’évaluation de sa qualité thérapeutique, alors que les États occidentaux qui y ont recours affichent pourtant des résultats prometteurs. Autrement dit, ce produit de substitution ne détient pas encore la preuve scientifique de son efficacité. Contrainte par ses propres normes, l’UNODC doute actuellement de la position à adopter. Mais cette indécision s’avère préjudiciable à la santé des Afghans.

Références

UNODC, « Afghanistan : Opium Survey 2013, Summary findings », 2013, http://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/Afghan_report_Summary_Findings_2013.pdf
Médecins du Monde, « Guerre à la drogue ou guerre aux drogués : le quotidien des usagers de drogues afghans », 2013, http://www.medecinsdumonde.org/A-l-international/Afghanistan
Briquet Jean-Louis, Favarel-Garrigues (Éds.), Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008, Coll. Recherches Internationales.
Lagroye Jacques, Offerlé Michel (Éds.), Sociologie de l’institution, Paris, Belin, 2010.