Par Michaël Cousin
Passage au crible n°105
Depuis 1988, le 1er décembre célèbre la Journée mondiale contre le SIDA. À l’occasion de cet événement, les acteurs publics comme privés publient, informent et médiatisent les dernières évolutions et les nouvelles décisions relatives à cette pandémie.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
En 2011, « l’Objectif zéro » devient le mot d’ordre à suivre. Lancé par le comité, le projet ambitieux de la Campagne Mondiale contre le SIDA, conduit les bailleurs de fonds à envisager pour l’année 2015 « zéro nouvelle infection à VIH, zéro discrimination [et] zéro décès lié au SIDA ». Théoriquement, les conditions pour y parvenir existent. En effet, les scientifiques ne cessent de repenser les thérapeutiques et les techniques de prévention comme avec le gel antirétroviral et le traitement post-exposition. Enfin, les coûts des trithérapies diminuent, soit en raison de l’expiration des brevets portant sur les premiers médicaments, soit grâce à la mise en place de financements innovants comme la taxe UNITAID fixée entre 1 et 40 dollars de prélèvement par billet d’avion.
Néanmoins, il ne reste plus que quelques mois pour atteindre ces résultats. Parmi ceux-ci, la mise à plat des discriminations semble difficile à réaliser. En l’occurrence, selon les zones géographiques ou les pays, la coopération internationale aborde plus ou moins sérieusement les inégalités entre les sexes, et effleure – voire évite – les problèmes rencontrés par les minorités sexuelles, les prostitués et les usagers de drogues. Toutefois, face à ces difficultés, les organisations interétatiques ne désarment pas lorsqu’il s’agit de rechercher des financements.
Dans cet état d’esprit, ONUSIDA – Programme commun et coparrainé des Nations Unies et de la Banque Mondiale sur le VIH/SIDA – annonce la création dès 2014 d’une nouvelle Journée mondiale contre les discriminations le 1er mars, tandis que d’autres institutions ciblent plutôt la jeunesse (entre 10 et 19 ans). L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) souhaite, par exemple, améliorer l’an prochain la prévention, les traitements et les soins chez les adolescents. Pour sa part, l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) s’engage à sensibiliser au minimum 95% des jeunes à la santé sexuelle, notamment à ce virus trentenaire, comme le recommandent les Nations unies. Pour autant, chaque année les dotations internationales s’effritent alors qu’elles augmentent sur le plan national.
1. L’efficacité de l’aide publique au développement. Elle s’analyse de plus en plus à partir d’indicateurs de performance. Cette orientation conduit majoritairement les financeurs à privilégier une gestion orientée vers les résultats (results-based management). Pourtant, cette méthode favorise davantage la résolution d’un programme – les solutions prévues seront-elle atteintes ? – qu’elle ne privilégie sa nécessité pour les bénéficiaires.
2. L’érosion de l’aide. L’inefficacité des politiques de coopération provoque également une baisse des investissements. Malgré plusieurs décennies d’apports financiers, la persistance des difficultés au sein des pays en développement, induit en effet une certaine lassitude chez les bailleurs, ce qui se traduit par une dégradation des allocations.
Depuis les années quatre-vingt-dix, les organisations interétatiques multiplient les programmes orientés vers des objectifs spécifiques. À titre d’exemple, la Banque mondiale a lancé au début des années deux mille le « Combat contre la pauvreté » pour s’aligner finalement sur le premier des huit ODMs (Objectifs de Développement pour le Millénaire) des Nations unies. Quant au septième, il envisage l’enrayement de la propagation du VIH. La mobilisation « Objectifs zéro » alimente d’ailleurs ce point par deux autres ambitions : briser les discriminations et supprimer les décès.
Outre le fait que ces campagnes mondiales orientent les institutions internes et internationales, les compétences de chacune de ces dernières singularisent leurs politiques d’aide publique. Toutefois, cela ne détermine pas la façon dont elles seront menées ensuite car ces instances sélectionnent et attribuent différemment leurs flux financiers selon les pays. Ainsi, certains jeunes homosexuels d’Afrique subsaharienne ne bénéficieront-ils pas des dispositifs de prévention VIH/SIDA de l’UNESCO, pourtant spécifiquement destinés à ces catégories.
La gestion orientée vers les résultats produit des effets encore plus pernicieux. En l’occurrence, l’obtention d’un prêt peut simplement dépendre d’un lexique dominant, devenu à la mode, comme la discrimination envers les femmes, la bonne gouvernance ou encore la séroconversion materno-fœtale. Cette logique affecte autant les responsables de projets et leurs collaborateurs que les bénéficiaires. Dans le cas des receveurs, il s’agit souvent de représentants cherchant à détourner les fonds au profit d’autres actions qu’ils estiment plus nécessaires, voire à assurer leur enrichissement personnel.
Malgré les tentatives de sélectivité, l’inefficacité de l’aide démotive les investisseurs. La réactivation de leurs intérêts supposerait donc un renouvellement des discours. Pourtant, l’ONU ambitionne encore d’atteindre ses ODMs – qui vont vraisemblablement échouer. Elle organise, pour ce faire, les « 1000 jours d’action », c’est-à-dire le temps restant pour « agir et assurer » l’accomplissement des huit objectifs. Par ailleurs, elle entend également renouveler ce plan après 2015 en se concentrant cette fois-ci sur les inégalités.
Dans une même démarche, la multiplication des Journées mondiales change radicalement leur fonction. Il ne convient plus d’aménager un jour dans l’intention d’apporter au public des connaissances sur un problème d’importance transnationale – le SIDA, les femmes, etc. – mais de créer plutôt un événement symbolique qui ciblerait et mobiliserait certains acteurs. On peut, effectivement, s’interroger sur l’opportunité de transformer ce 1er décembre en journée dédiée par ONUSIDA aux discriminations, alors même que plusieurs dates existent déjà, centrées sur l’homophobie et la transphobie, les personnes handicapées ou bien encore le racisme. Mais ces modalités de renouvellement ne suffisent néanmoins pas à lutter contre le désinvestissement des commanditaires ; d’autant plus que les victoires récentes remportées sur cette épidémie demeurent encore fragiles et ne peuvent subir une érosion des prêts. En effet, même si ces contributions permettent avant tout l’accessibilité aux soins, de telles réductions affecteraient la recherche car ces traitements restant majoritairement destinés à une population peu solvable, les industries pharmaceutiques connaîtraient un manque à gagner.
Certes, la courbe des nouvelles infections s’est stabilisée depuis 2010. Cependant, en 2009, les sommes allouées à cette pandémie ont chuté de 8,7 milliards de dollars et en 2010 de 7,6 milliards de dollars ; autant dire que la situation apparaît très préoccupante.
ONU, « Lancement de la campagne “Zéro discrimination” à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, 1er décembre 2013 », http://www.un.org/fr/events/aidsday/2013/zerodiscrimination.shtml.
OMS, « Campagnes mondiales de santé publique de l’OMS : Journée mondiale du sida », http://www.who.int/campaigns/aids-day/2013/event/fr/index.html.
UNESCO, « Journée mondiale de lutte contre le SIDA : Objectif zéro », http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/.
Charnoz Olivier, Severino Jean-Michel, L’Aide publique au développement, Paris, La Découverte, 2007. Coll. Repères.
Bourguignon François, Sundberg Mark, « Aid Effectiveness », The American Economic Review, 97 (2), 2007, pp. 316-321.
Gabas Jean-Jacques, Sindzingre Alice, « Les Enjeux de l’aide dans un contexte de mondialisation », Les Cahiers du GEMDEV, 25, 1997, pp. 37-71.