Par Elsa Tulmets
Passage au crible n°16
Après l’échec de la conférence de Copenhague sur le climat de décembre 2009, le nouveau président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a convoqué le 11 février 2010 les représentants des États membres de l’UE (Union européenne) pour un sommet extraordinaire consacré à la relance économique. En l’occurrence, il s’agissait du premier événement médiatisé d’une union désormais régie par le traité de Lisbonne. Mais malgré quelques innovations, les relations extérieures n’ont pas retenu l’attention. À peine sacralisée par les traités, la politique étrangère de l’Union semble donc vouée à rester au second plan.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Depuis la fin de la Guerre froide, l’UE doit constamment redéfinir son rôle dans un monde multipolaire où elle se montre incapable de répondre aux crises, y compris dans son voisinage proche (Balkans). En 2002, la Convention sur l’Avenir de l’Europe, qui devait simplifier les traités et lui conférer la qualité de sujet de droit international, a proposé des avancées en matière de politique étrangère. Après le rejet du traité constitutionnel de 2005, une version aménagée – adoptée le 13 décembre 2007 à Lisbonne – est finalement entrée en vigueur le 1er décembre 2009. Or, ce premier sommet européen a totalement occulté les questions internationales en choisissant de se concentrer sur l’aide à la Grèce et sur le plan de relance – Europe 2020 – pour la croissance et l’emploi.
L’acte d’affirmation d’une autorité nouvelle – celle du président de l’UE – révèle en filigrane les faiblesses du soft power et les limites du spill over de l’Union.
1. Soft power. En forgeant ce concept, Joseph Nye entendait caractériser le pouvoir d’attraction dont les États-Unis bénéficient à l’étranger. Il voulait également désigner par là leur capacité d’influer sur leurs partenaires par d’autres moyens que la coercition. Fondé sur l’économie, les ressources sociales et culturelles, il est conçu par opposition au hard power, de nature militaire.
Pour sa part, l’UE joue beaucoup sur la projection de ses politiques les plus intégrées (marché intérieur) et sur l’attirance exercée par la zone euro pour s’imposer sur la scène internationale. Ainsi, le terme même de soft power a-t-il été utilisé dans les discours politiques récents de l’UE pour légitimer la stratégie d’élargissement à l’Est. En l’espèce, les négociations d’adhésion en cours réitèrent cette approche qui a été de surcroît adaptée à la PEV (Politique Européenne de Voisinage) destinée, depuis 2004, aux pays situés au Sud et à l’Est de l’UE élargie.
2. Spill over. Cette expression conceptualisée par David Mitrany a été reprise par les théoriciens de l’intégration européenne. En l’occurrence, elle renvoie à la coopération étroite existant dans des secteurs d’intérêt commun apparemment non politiques, comme l’agriculture où les transports. Puis, elle traduit en second lieu, un processus de diffusion vers des domaines plus ouvertement politiques. Dans cette logique, la création d’une monnaie unique – l’euro – tient au renoncement des États à l’une de leurs prérogatives exclusives, symbole par excellence de leur souveraineté. Le spill over d’un secteur vers l’autre conduit aussi à une meilleure intégration dans le domaine de la politique extérieure. La politique commerciale commune a par exemple été créée grâce à l’intégration du marché intérieur. Quant aux moyens mobilisés pour la prévention des crises, ils sont issus, en partie, de l’espace Schengen. Certes, le sommet européen du 11 février, porte témoignage des liens étroits tissés entre ces diverses actions de l’UE, mais il révèle également un manque de cohérence.
1. Sauvegarder le soft power européen. En période de crise, l’UE entend conserver sa crédibilité internationale et protéger l’essentiel de son soft power, par la mise en valeur de ses acquis institutionnels et économiques. Le traité de Lisbonne a fait le pari d’attribuer à l’UE un numéro de téléphone, pour répondre au fameux défi lancé par l’ancien Secrétaire d’État américain, Henry Kissinger. Et c’est en vertu de ce Traité que le président du Conseil européen – Herman Van Rompuy, titulaire du nouveau poste créé en sus des présidences tournantes –, a pu organiser ce sommet : « si un développement international l’exige, le président du Conseil européen peut convoquer une réunion extraordinaire du Conseil européen afin de définir les lignes stratégiques de la politique de l’Union face à ce développement » (art. 26 de la version consolidée du Traité sur l’Union européenne). Mais si cet accord a bien doté l’Union de certaines fonctions essentielles, il ne prévoit pas pour autant une répartition fonctionnelle susceptible d’améliorer sa visibilité. À cet égard, le nouveau président doit composer (art. 15) avec le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité – poste détenu par Catherine Ashton, très critiquée à l’étranger – tandis que le service diplomatique, qui vient d’être institué, représente une structure encore peu opérationnelle. Les chefs d’État et de gouvernement conservent en outre un pouvoir significatif car le Conseil européen « identifie les intérêts stratégiques de l’Union, fixe les objectifs, définit et met en œuvre les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune » (art. 15).
Devenue mondiale depuis 2008, la crise financière met par ailleurs à jour les failles du soft power économique de l’UE. Ainsi, la priorité accordée à la zone euro et au marché de l’emploi exprime-t-elle l’incapacité des États européens à affronter, seuls, les forces d’un marché mondialisé et non régulé. Mais si l’eurozone faiblit, un spill over négatif risque de déstabiliser le marché intérieur et la capacité d’action extérieure de l’UE. Cette dernière doit par conséquent affronter les défis de son fonctionnement interne avant de pouvoir s’exprimer en tant qu’acteur unique.
2. La France et l’Allemagne, moteur révolu du spill over européen. Dans le processus de construction européenne, le tandem franco-allemand a longtemps offert l’ultime moyen d’élaborer un consensus politique. Mais le sommet du 11 février a toutefois souligné l’incapacité de ces deux pays fondateurs à dégager désormais des compromis européens. S’agissant de la croissance et de l’emploi par exemple, les dispositifs à mettre en œuvre n’ont pas fait l’unanimité parmi les vingt-sept pays membres. De la même façon, bien que la France et l’Allemagne aient appelé à la création d’un gouvernement économique de l’UE, l’idée n’a pas été retenue. Enfin, l´importance qu’ils ont tous deux accordée à l´action extérieure a peu affecté l´agenda européen.
La coopération franco-allemande se montre dorénavant impuissante à relancer l’intégration politique pour affirmer l’UE sur la scène internationale. Incontestablement, ceci tient aux lignes de division qui ont changé depuis la fin de la Guerre froide et l’élargissement à l’Est. Ces dernières se sont en effet déplacées et installées, non pas entre l’« ancienne » et la « nouvelle Europe » – comme le pensent certains Conservateurs américains – mais sur des clivages politiques. Aujourd’hui, constatons qu’aux dissensions sur la mécanique institutionnelle de la construction européenne – dimension interétatique ou fédérale – s’ajoutent également de profonds désaccords portant sur les relations à établir entre l’économique et le politique.
Laïdi Zaki, La Norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
Mitrany David, A Working Peace System, Londres, Royal Institute of International Affairs, 1943.
Nye Joseph, “Soft Power and American Foreign Policy”, Political Science Quarterly, 119 (2), 2004, pp. 255-270.
Tulmets Elsa, “A ‘Soft Power’ with Civilian Means: Can the EU Bridge its Capability-Expectations Gap in the ENP?”, in : Delcour Laure, Tulmets Elsa (Eds.), Pioneer Europe? Testing European Foreign Policy in the Neighbourhood, Baden-Baden, Nomos, 2008, pp. 133-158.