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PAC 24 – Le traitement techniciste d’un fléau mondial La troisième Journée mondiale du paludisme, 25 avril 2010

Par Clément Paule

Passage au crible n°24

Source : Pixabay

Instaurée en mai 2007 par l’AMS (Assemblée Mondiale de la Santé), la Journée mondiale du paludisme a été célébrée le 25 avril 2010. Cet événement réunit l’ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre cette maladie parasitaire qui infecte plus de 250 millions de personnes et en tue un million chaque année. Appelé également malaria, ce fléau demeure endémique dans une centaine de pays, principalement en Afrique subsaharienne – où se concentrent 85% de s décès – et dans de nombreuses régions d’Asie et d’Amérique latine. Toutefois, les dernières statistiques de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) montrent un repli des cas notifiés dans 27 États, parmi lesquels la Zambie, le Rwanda ou l’Érythrée. De plus, les financements internationaux des traitements ont presque sextuplé depuis 2003, pour atteindre 1,7 milliard de dollars en 2009. Une conjoncture si encourageante ne pouvait que raviver l’espoir d’éradication de cette zoonose meurtrière.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Le parasite à l’origine de la maladie – Plasmodium – et son mode de transmission – les moustiques anophèles – ont été découverts dès la fin du XIXème siècle. Mais la coopération interétatique face au paludisme est restée limitée à une commission créée en 1924 au sein de la SDN (Société des Nations). Pendant la première partie du XXe siècle, de nombreuses initiatives menées au plan international contre cette parasitose proviennent du secteur philanthropique. La Fondation Rockefeller a par exemple mis en place un programme de recherche spécifique dans les années trente, contribuant ainsi à l’élimination des vecteurs paludiques sur le continent américain et en Europe. Aussi, la malaria a-t-elle disparu de la plupart des pays occidentaux dès 1946, date de la création de l’OMS qui a pris en charge l’éradication mondiale du fléau. Dans cette optique, la 8ème AMS a lancé en 1955 le PEP (Programme d’Éradication du Paludisme) fondé sur la combinaison de deux outils : la chloroquinine – premier antipaludique de synthèse – et le pesticide DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane). Cependant, l’orientation technologique et le pilotage vertical de cette campagne ont négligé les réalités locales. Enfin, les résistances croissantes développées par le Plasmodium et les moustiques ont aggravé les difficultés financières et organisationnelles du PEP qui a connu un échec flagrant, sanctionné publiquement par l’AMS en 1969.

Dès lors, la maladie semble disparaître de l’agenda international jusqu’aux années quatre-vingt-dix, avant qu’une succession d’initiatives ne permette le redéploiement de l’action antipaludéenne. Citons à cet égard, la conférence d’Amsterdam organisée par l’OMS en 1992 ou l’élimination de la parasitose inscrite dans les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). En outre, la déclaration d’Abuja engage en 2000 les chefs d’État et de gouvernement africains à faire reculer de moitié dans les dix ans à venir, la mortalité due à la malaria. Parallèlement, un nouveau système de coopération est établi, au sein duquel certains acteurs privés – comme la Fondation Gates – occupent une place charnière. Cette configuration favorise le rapprochement avec les firmes transnationales, en particulier les laboratoires pharmaceutiques. En l’espèce, cet ensemble hétérogène s’organise sur le mode de partenariats public-privé, avec RBM (Roll Back Malaria Partnership), MMV (Medicines for Malaria Venture) ou encore MVI (Malaria Vaccine Initiative) qui voient le jour entre 1997 et 1999. Cette évolution concerne également les modalités du financement – avec la création du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme en janvier 2002 – dont le volume s’est accru considérablement. Les efforts conjugués de la Fondation Gates, du Malaria Booster Program de la Banque mondiale et du PMI (United States President’s Malaria Initiative) pourraient bientôt atteindre l’objectif de 5 milliards de dollars par an. Désormais, le Plan d’action mondial contre le paludisme, proposé par RBM en 2008, sert de feuille de route à la plupart des intervenants.

Cadrage théorique

1. Fenêtre d’opportunité (policy window). Élaboré par John Kingdon, ce concept rend compte de l’inscription d’un problème sur l’agenda des décideurs. À ce titre, la Journée mondiale du paludisme concourt à entretenir l’action internationale menée contre cette parasitose.
2. Technicisation des instruments. Les stratégies antipaludéennes sont façonnées par une orientation technologique, rationalisant leurs outils au nom de leur rentabilité et de leur efficacité. Pour autant, cette logique économique néglige les usages sociaux de ces dispositifs et risque de les ériger en solutions miracles à court terme.

Analyse

Les manifestations du 25 avril 2010 participent tout d’abord à l’intensification d’une mobilisation enclenchée depuis la fin des années quatre-vingt-dix. En l’occurrence, l’événement revêt une dimension symbolique, puisque la Décennie mondiale de la lutte contre le paludisme – instituée par la résolution 55/284 de l’Assemblée Générale des Nations Unies – vient de s’achever. Outre cette considération, une conférence des bailleurs du Fonds mondial aura lieu en octobre 2010 à New York afin de déterminer leurs engagements jusqu’à 2013. Cette Journée – pendant laquelle se multiplient réunions scientifiques, rassemblements sportifs et commémorations dans le monde entier – représente par conséquent une fenêtre d’opportunité pour les acteurs luttant contre ce fléau. Pourtant, cette troisième édition se distingue par son slogan Counting Malaria Out (Vaincre le paludisme) qui évoque explicitement l’idéal d’éradication ranimé par Bill Gates en 2007. Or, cet objectif – écarté par l’OMS depuis le fiasco de 1969 – marque une rupture symbolique avec les échecs passés et semble poser les bases d’un consensus renouvelé autour de l’efficacité des nouveaux modes d’action.

Cependant, si le bilan statistique paraît encourageant, des voix discordantes dénoncent un optimisme injustifié. Le parasite résisterait dorénavant à l’artémisinine – médicament antipaludique mis au point dans les années soixante-dix – et à des insecticides comme les pyréthrinoïdes. Par ailleurs, des recherches récentes démontrent la présence du pathogène chez plusieurs singes, ce qui remettrait en question le postulat d’un système fermé entre humains et moustiques. La campagne mondiale contre la malaria se verrait donc condamnée à moyen terme. À ces objections techniques s’ajoutent la critique des politiques internationales de santé n’impliquant pas les acteurs locaux. Dans cette perspective, l’objectif d’éradication relèverait de l’effet d’annonce, voire d’une temporalité courte, et ne présupposerait aucun engagement durable. Plus encore, la Fondation Gates est accusée de reproduire le biais technologique du PEP, en soutenant des solutions jugées rentables et efficaces, comme l’immunisation généralisée. Or, le succès scientifique que constituerait la mise au point d’un vaccin antipaludique ne garantit pas pour autant son efficacité sociale, c’est-à-dire son usage effectif par l’ensemble d’une population. En témoigne l’exemple de la grippe A/H1N1, qui conduit à nuancer l’idée suivant laquelle seule la complexité du Plasmodium entraverait la recherche depuis plus de vingt ans.

Réduire les instruments de la lutte contre le paludisme à de simples outils techniques occulte le clivage Nord/Sud qui demeure omniprésent. En effet, la malaria tue surtout des enfants et des femmes enceintes d’Afrique subsaharienne. Autrement dit, les firmes pharmaceutiques ne peuvent attendre de retour sur investissement substantiel alors que les coûts liés à l’innovation sont toujours plus élevés. Néanmoins, certaines initiatives ont été mises en œuvre, comme l’African Malaria Partnership de GSK (GlaxoSmithKline) –qui teste actuellement le vaccin RTS,S – ou le projet Impact Malaria de Sanofi-Aventis. Mais si les partenariats public-privé ont permis de mobiliser une partie du secteur privé face à la maladie, ce rapprochement n’est pas sans ambiguïtés. L’OMS a ainsi condamné à plusieurs reprises 37 laboratoires qui persistaient à commercialiser des monothérapies à l’artémisinine, alors même que leur utilisation entraînait le développement de résistances parasitaires. La victoire contre le paludisme semble dès lors se jouer autant dans les avancées scientifiques que dans la prise en compte de la dimension sociale de la santé publique mondiale.

Références

« Malaria 2010: More Ambition and Accountability Please », The Lancet, 375 (9724), 24 avril 2010, p. 1407.
Guilbaud Auriane, Le Paludisme. La lutte mondiale contre un parasite résistant, Paris, L’Harmattan, 2008. Coll. Chaos International.
Kingdon John W., Agendas, Alternatives and Public Policies, 2e éd., New York, Harper Collins, 1995.
Shah Sonia, « Une autre approche contre le paludisme », Le Monde diplomatique (674), mai 2010, p. 10.
Site de la Journée mondiale du Paludisme : http://www.worldmalariaday.org [24 mai 2010].
WHO (World Health Organization), World Malaria Report 2009, 2009, disponible sur le site de l’OMS : http://www.who.int [24 mai 2010].