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PAC 25 – L’intégration inachevée de l’UEM La crise de la zone euro

Par André Cartapanis

Passage au crible n°25

Source : Pixabay

Depuis le déclenchement de la crise des finances publiques de la Grèce, les controverses se multiplient en Europe. Fallait-il mettre en œuvre une politique de solidarité financière au profit des mauvais élèves de l’Union, sous la forme d’un plan de sauvetage de l’ordre de 750 milliards d’euros ; disposition couplée à une politique d’ajustement d’une ampleur considérable, en Grèce, mais aussi à l’échelle de la zone euro dans son ensemble ? Doit-on désormais introduire des règles budgétaires beaucoup plus draconiennes pour éviter la répétition d’un tel scénario-catastrophe, ou au contraire doit-on engager la dissolution de l’Union monétaire ?

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

En 1999, la création de la monnaie unique avait tout d’abord pour ambition de mettre fin aux crises à répétition qui frappaient l’économie européenne et entravaient sa croissance. Dès lors que la libéralisation des mouvements de capitaux était intervenue au sein de l’Union européenne et que des taux de change fixes devaient régir le marché unique, la multiplicité des politiques monétaires était devenue impossible, sauf à susciter des crises de change à répétition. La création de l’euro devait donc garantir une plus grande efficacité de la politique monétaire en matière de lutte contre l’inflation, grâce à la crédibilité d’une BCE (Banque Centrale Européenne) indépendante. Cette dernière institution était chargée de la stabilité des prix et du respect du Pacte de stabilité et de croissance dans le domaine des déficits budgétaires ou de l’endettement public. Par ailleurs, l’euro devait donner des marges de liberté accrues en supprimant les contraintes de balances de paiements et des distorsions de change à l’intérieur de la zone. Cette nouvelle devise devait également réduire la sensibilité aux fluctuations de taux de change par rapport aux autres monnaies, le dollar en particulier. Cependant, on a alors considérablement sous-estimé les difficultés de pilotage macroéconomique que la monnaie unique pouvait induire au sein d’un espace européen excessivement hétérogène, dès lors que l’UEM (Union Économique et Monétaire) ne constituait pas une zone monétaire optimale.

Cadrage théorique

1. Zone monétaire optimale : En théorie, une union monétaire doit pour fonctionner correctement répondre à toute une série de critères macroéconomiques – mobilité parfaite des facteurs, du travail en particulier, fédéralisme budgétaire, convergences nominales – afin de pouvoir supporter des chocs asymétriques, c’est-à-dire propres à tel ou tel membre de l’Union, compte tenu de la politique monétaire unique et de l’impossibilité de recourir aux ajustements intra-européens de taux de change. Face aux inquiétudes formulées par les tenants du strict respect des critères ex ante d’appartenance à une zone monétaire optimale, certains avaient mis l’accent sur l’effet en retour que pourrait exercer l’appartenance à une zone euro sur les caractéristiques de chaque pays-membre, facilitant ainsi, ex post, le fonctionnement macroéconomique de la zone.
Le développement du commerce intra-européen et l’intégration financière adossée à l’intégration monétaire devaient conduire à une synchronisation accrue des cycles et à un lissage des niveaux de consommation par le jeu d’un renforcement de l’allocation intra-européenne de l’épargne. Mais ce scénario apparaît à présent trop optimiste. Au contraire, la décennie 2000 s’est caractérisée par une très nette différenciation des trajectoires de croissance suivies par plusieurs économies de la zone euro, alors même que l’hétérogénéité était déjà élevée, dès la création de l’euro.
2. Hétérogénéité de la zone euro : La permanence de tout un ensemble d’hétérogénéités au sein de la zone euro – régimes de croissance plus ou moins liés à l’endettement des ménages ou des États, distorsions fiscales, différenciation des systèmes sociaux, types de spécialisations internationales –, ne représente pas, en tant que telle, un obstacle à un fonctionnement efficace de l’UEM. Le fait que subsistent des écarts de coûts salariaux ou des différences quant au mode de spécialisation semble, au contraire, de nature à induire une plus grande efficience dans l’allocation des facteurs. Toutefois, cela suppose que ces différenciations ne s’accompagnent pas de déséquilibres macroéconomiques durables –en matière de croissance, de chômage et d’endettement – qui rendent cette configuration insoutenable. Or, depuis dix ans, la politique monétaire de la BCE et la coordination par le bas des politiques budgétaires, imposée par le Pacte de stabilité, n’ont pas su répondre aux trajectoires spécifiques des économies de la zone euro. En outre, elles ont été sanctionnées par les déséquilibres macro-économiques récurrents des pays-membres. Enfin, elles ont été fragilisées par une médiocrité des performances globales, en termes de croissance ou de chômage. Naturellement, la crise mondiale a aggravé un tel processus.

Analyse

Depuis le milieu des années 2000, l’hétérogénéité de la zone euro se manifeste dans des performances à l’exportation fortement divergentes, y compris sur le marché intérieur de l’Union. Elle se traduit tout autant dans l’évolution des coûts salariaux unitaires et du taux d’endettement des ménages comme de celui des États. Couplés aux hétérogénéités préexistantes, ces chocs d’offre ou de demande ont accentué les distorsions internes, sans que des politiques d’ajustement puissent être menées à l’échelle de l’UE. Les règles et les institutions de gouvernance économique de la zone euro, sans doute adaptées à des chocs cycliques de faible ampleur, n’ont par conséquent pas pu répondre de façon efficace à des dynamiques macroéconomiques et structurelles divergentes, surtout face à la politique allemande de restriction salariale.
Avec les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, les gouvernements européens sont restés à la croisée des chemins en matière monétaire. En effet, soit ils sont allés trop loin, en créant une monnaie unique au sein d’un espace économique se prêtant mal à une politique monétaire dédiée quasi-exclusivement à un objectif de stabilité monétaire, soit, ils ne sont pas allés assez loin sur la voie de l’intégration des politiques économiques à l’échelle européenne.
Il faut bien comprendre que l’union monétaire ne peut pas se limiter à une simple technique qui optimiserait l’usage des instruments de politique économique et réduirait les dysfonctionnements issus de l’instabilité des taux de change. Pour beaucoup – pensons à Jacques Delors – l’UEM représentait un projet politique permettant de conduire à un approfondissement de l’intégration économique et politique en Europe. Or, la crise de la zone euro comme les défis de la globalisation et de la nouvelle croissance de l’après crise en font désormais un impératif. Il s’avère donc urgent de construire un nouveau modèle d’union monétaire européenne.

Références

Beetsma Roel, Massimo Giuliodori, “The Macroeconomic Costs and Benefits of the EMU and other Monetary Unions: An Overview of Recent Research”, Journal of Economic Literature, 2010, (forthcoming).
Cartapanis André (Éd.), “Les enseignements d’une décennie d’euro”, Numéro spécial de la Revue d’Économie Politique, 120 (2), mars-avril 2010.
European Commission, “EMU@10: Successes and Challenges after 10 Years of Economic and Monetary Union”, European Economy, (2), 2008.
Mackowiak Bartosz, Francesco Paolo Mongelli, Gilles Noblet, Frank Smets, (Ed.), The Euro at Ten – Lessons and Challenges, European Central Bank, Frankfurt, 2009.