Par Weiting Chao
Passage au crible n°119
Source: Wikimedia
Le 21 septembre 2014, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans les grandes villes du monde entier en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Dirigé principalement par l’ONG Avaaz-Le Monde en Action, le rassemblement s’est structuré dans 158 pays autour de plus de 2700 événements. Par ailleurs, il a mobilisé de nombreux politiciens, experts et célébrités tels que le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, l’ancien vice-président américain Al Gore, le maire de New York Bill de Blasio, l’anthropologue Jane Goodall, le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, la ministre française de l’Ecologie Ségolène Royal, et l’acteur américain Leonardo DiCaprio.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Les discussions sur le thème de la gouvernance climatique ont débuté à la fin des années quatre-vingt afin de répondre aux données scientifiques sur le changement de la composition atmosphérique. La Convention-cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) – qui visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) – a été signée à l’issue du Sommet mondial de Rio de 1992. Se fondant sur la CCNUCC, le Protocole de Kyoto a été adopté en 1997 et est entré en vigueur en février 2005. Ce dernier représente le seul accord mondial imposant des obligations contraignantes aux pays industrialisés. Cependant, la décision des États-Unis de refuser de le ratifier en 2001 s’est avérée préjudiciable pour sa mise en œuvre. C’est pourquoi, la signature de tout nouveau traité dans la phase post-Kyoto s’avère toujours aussi difficile. Selon la feuille de route signée en 2007 à Bali, les États auraient dû finaliser un nouvel accord à Copenhague en 2009 (Conference of the Parties, COP 15). Or, malgré des attentes et des pressions élevées, notamment des sociétés civiles, aucun progrès significatif n’a été constaté lors de ce sommet. En décembre 2012, lors de la conférence tenue à Doha (COP 18), le Protocole de Kyoto a été prolongé jusqu’en 2020, tandis que l’adoption d’un nouvel accord universel a été reportée à l’année 2015. Pendant la COP 19 qui s’est réunie à Varsovie en 2013, les ONG environnementales ont pour la première fois boycotté la conférence pour dénoncer l’immobilité du processus et la suprématie des grandes entreprises dans le cours des négociations.
Le 23 septembre 2014, plus de 120 chefs d’État et de gouvernement se sont réunis à l’occasion d’un sommet de l’ONU à New York en vue de relancer le projet d’un véritable accord pour une entrée en vigueur en 2020. À deux jours du sommet, des contestations se sont organisées à travers le monde, comme à Londres, Berlin, Paris, Stockholm, Rome, New Delhi, Melbourne ou encore Rio de Janeiro. Des milliers de citoyens ont défilé avec les ONG. À New York, la plus grande marche jamais organisée a réuni plus de 300 000 participants, répartis en six grands groupes revendiquant chacun des thèmes distincts. En première ligne figuraient les représentants des populations les plus vulnérables et les plus frappées par le changement climatique.
Les dynamiques individuelles. Il s’agit de réseaux d’individus ordinaires, mobilisés à travers leur collectif d’appartenance. Selon James Rosenau, si l’on examine le paramètre individuel, on note que le sentiment de soumission et de loyauté des individus et des groupes à l’égard des autorités étatiques s’affaiblit. En revanche, on constate que dans le même temps, leur capacité à s’émouvoir et à se sentir concernés par un problème international s’accroît. Aujourd’hui, force est donc de souligner que le système interétatique coexiste avec un fonctionnement multi-centré. Nous sommes entrés dans une période de « turbulences mondiales » où les citoyens qui occupent parfois une place déterminante sur la scène mondiale. Ces phénomènes illustrent une révolution des aptitudes à s’engager. En conséquence, ces dernières nous invitent à réévaluer le rôle de chacun en prenant en considération ce que Rosenau qualifie de mixing micro-macro.
La notoriété internationale. Elle renvoie à des personnes qui, en raison de leurs qualités personnelles ou de leurs compétences, utilisent leur prestige et leur notoriété pour s’impliquer dans des questions internationales, parfois au point de concurrencer les États. Ce concept proche du citoyen altruiste, est évoqué également par Rosenau.
Malgré les difficultés de mise en place de nouvelles mesures pour traiter du réchauffement climatique, le niveau de prise de conscience a considérablement augmenté depuis les années quatre-vingt-dix. Grâce à l’initiative d’ONG, d’experts internationaux et de medias, les citoyens s’engagent davantage en matière de politique environnementale. Souvent, lors des conférences, des manifestations et des activités citoyennes ont réussi à accélérer les processus de négociation. Rappelons que déjà pendant la COP15 à Copenhague en 2009, environ 3000 personnes se sont rassemblées à l’extérieur du Bella Center où se déroulait la rencontre, afin de tenir une « Assemblée du peuple » avec les ONG et d’autres représentants. Incontestablement, l’impact de ce paramètre individuel s’est accentué ces dernières décennies avec Internet. En effet, cette technologie permet à des millions de personnes, partageant les mêmes opinions de s’unir rapidement au point de former une puissante dynamique collective. Ainsi, Avaaz n’est par exemple pas une ONG environnementale, mais une plateforme mondiale de réseaux individuels présentant les caractéristiques d’un mouvement faiblement institutionnalisé et sans autorité hiérarchique. Sa force vient en fait bien plutôt de son potentiel de regroupement qui permet de mutualiser et mettre en synergie le combat de nombreuses ONG, de communautés et d’individus en réseaux. Cette union collective constitue alors la meilleure garantie d’efficacité pour se faire entendre d’États condamnés de plus en plus souvent à rechercher le dialogue avec leurs citoyens. Ce nouveau type de coopération est traité comme une stratégie spécifique visant à optimiser les projets de réduction des émissions de CO2 et d’adaptation au changement climatique.
Parmi les manifestants, les personnes se distinguant par leur renommée et leurs savoirs ne constituent pas pour autant des spécialistes du changement climatique, mais une élite internationale bénéficiant d’une forte visibilité médiatique. Au point que dans certains cas, elles exercent même une autorité plus puissante que bien des gouvernants. Ces individus – tels que le Secrétaire général des Nations unies, le maire de New York ou encore telle ou telle star du cinéma hollywoodien – sont en mesure de mobiliser leur capital symbolique sur la scène internationale. Ils tirent leur légitimité non seulement d’eux-mêmes, mais aussi de l’institution qu’ils incarnent. Leur engagement auprès du mouvement international Avaaz témoigne de leur capacité d’action en faveur de la lutte contre le changement climatique. Ainsi, l’acteur Leonardo DiCaprio, désigné « messager de la paix« , s’est-il vu conférer par l’ONU un crédit symbolique et institutionnel lui permettant d’interpeller les peuples. De même, en marchant avec les citoyens frappés par les aléas climatiques, ces célébrités ont diffusé au monde un message d’urgence à agir face à cette menace planétaire.
Cette récente mobilisation sans précédent des sociétés civiles vise à rappeler aux chefs d’État qu’ils doivent s’attaquer de manière significative au changement climatique. Désormais, des millions d’individus capables d’agréger leurs actions peuvent exercer des effets parfois majeurs sur des États de plus en plus contestés et affaiblis. Lors de la réunion qui se tiendra à Lima en décembre 2014, la première ébauche d’un accord mondial devra être élaborée afin d’être approuvée à Paris par tous les pays, lors du sommet de 2015.
Chao Weiting, « Le triomphe dommageable des passagers clandestins. La conférence de Doha », in: Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible, l’actualité internationale 2012, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 111-115.
Weiting Chao, « Le boycott des ONG, une diplomatie offensive. La conférence de Varsovie sur le réchauffement climatique », in: Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible, l’actualité internationale 2013, Paris, L’Harmattan, 2014, pp. 143-147.
Le Monde, « New York fait ville pleine contre le réchauffement climatique », 22 sept. 2014.
Laroche Josepha, Politique Internationale, 2e éd.,Paris, L.G.D.J Montchrestien, 2000, pp.176-201.
Rosenau James, Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.
Ford Lucy, « Challenging Global Environmental Governance: Social Movement Agency and Global Civil Society », Global Environmental Politics, 3 (2), 2003, pp.120-134.