Par Clément Paule
Passage au crible n°73
Source : Wikipedia
Du 22 au 27 juillet 2012, près de 24 000 personnes provenant de 183 pays ont participé à la 19e Conférence internationale sur le SIDA (Syndrome d’Immunodéficience Acquise) organisée à Washington par l’IAS (International AIDS Society). Ce colloque, qui se tient tous les deux ans depuis 1994, a accueilli de nombreuses activités, qu’il s’agisse d’ateliers scientifiques, d’interventions de décideurs ou de manifestations artistiques visant à sensibiliser l’opinion publique sur la pandémie de VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine)/SIDA. Si la maladie a provoqué 30 millions de décès en trois décennies, ce sommet a été considéré comme un succès dans la mesure où la possibilité de mettre fin au fléau dans un futur proche a été sérieusement évoquée. Il paraît clair que ces perspectives relativement optimistes – affirmées explicitement par le slogan « ensemble, renverser la tendance » (turning the tide together) – s’appuient sur des avancées décisives sur le plan technique, alors que la crise financière incite les donateurs au désengagement. Depuis lors, les appels à la mobilisation se sont succédés afin d’élargir l’accès aux traitements pour les 97% de malades vivant dans des pays à revenus faible ou intermédiaire, tout en intensifiant les efforts de la recherche médicale.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Après l’identification et l’isolement du virus au début des années quatre-vingt, de nombreux États ont mis en place des programmes d’action publique visant à maîtriser l’épidémie. Souvent décriés pour leur caractère excluant, voire stigmatisant – ainsi, les procédures de mise en quarantaine –, ces initiatives locales se sont révélées inefficaces pour contenir le VIH/SIDA qui se transforme en pandémie dans les décennies qui vont suivre. À terme, la lutte contre ce désastre sanitaire prend forme à l’échelle mondiale, ce qu’illustre la création de dispositifs institutionnels à l’instar d’ONUSIDA (Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA) en 1995. Parallèlement, soulignons la multiplication des mouvements associatifs – comme Sidaction ou AIDES en France – dont certains parviennent à s’internationaliser, à l’image d’ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power). Pour leur part, les États ne demeurent pas en reste et instaurent divers mécanismes de coopération afin de réduire la mortalité dans les régions gravement touchées, surtout en Afrique subsaharienne. À ce titre, le Pepfar (President’s Emergency Fund for Aid Relief) créé par George W. Bush en 2003 et doté de plusieurs milliards de dollars, apparaît comme la plus grande intervention étatique en matière de santé mondiale. Dans cette logique, UNITAID est lancé en 2006 dans le but de faciliter les achats de traitements pour les PED (Pays en développement), à partir d’une taxe de solidarité sur les billets d’avion appliquée par une trentaine de pays. Notons enfin l’apparition de structures publiques-privées, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme dès 2002, cet instrument financier étant chargé de centraliser et de distribuer les financements dédiés aux activités anti-VIH/SIDA.
Au sein de cette architecture complexe, l’IAS – fondée en 1988 – rassemble désormais 16 000 membres, parmi lesquels de nombreux chercheurs et professionnels de santé spécialistes du virus. Cette association à but non lucratif s’est imposée en tant que détentrice d’une expertise multiforme de premier plan : en témoigne la nomination récente de Françoise Barré-Sinoussi – prix Nobel de médecine en 2008 – à la présidence de l’organisation. À ce titre, les IAC (International AIDS Conference) jouent un rôle primordial dans la mesure où ces manifestations permettent de rendre publiques les dernières découvertes scientifiques sur la maladie, tout en relançant la mobilisation internationale et en sollicitant les bailleurs de fonds. Aussi, le choix de cette arène pour annoncer la possibilité d’enrayer la pandémie s’avère très significative sur le plan symbolique, d’autant que cette position s’appuie sur des avancées techniques considérables. Citons le patient de Berlin qui a été présenté comme le premier cas de guérison du SIDA après une greffe de moelle osseuse en 2007. Il convient enfin de rappeler que 34 millions de personnes vivraient aujourd’hui avec le VIH, et que seuls 54% des 15 millions de malades – soit environ 8 millions d’individus – bénéficieraient de traitements antirétroviraux. De plus, les estimations des Nations unies indiquent que 2,7 millions de nouvelles infections se seraient produites en 2010 – en baisse de 20% depuis 2001 – tandis que le nombre de décès liés au virus s’élèverait à 1,8 million pout la même période.
1. La gouvernance mondiale de la santé en action. Cette conférence laisse entrevoir un ensemble de partenariats réunis autour d’un problème public mondial donné, en l’occurrence la pandémie de VIH/SIDA. Il importe cependant d’explorer les lignes de tension de cet espace qui rassemble des acteurs aux statuts et capitaux hétérogènes, ce qui n’est pas sans incidences sur la gestion internationale du fléau.
2. Avancées scientifiques vs logiques socio-économiques. Si les progrès de la recherche sur le virus permettent désormais d’envisager sa disparition, la plupart des participants conviennent qu’une approche strictement technique s’avère insuffisante. En effet, la maladie est profondément encastrée dans des rapports sociaux à différentes échelles, allant du clivage Nord/Sud aux stigmatisations moralisantes.
En premier lieu, soulignons la diversité des contributeurs à l’événement : aux côtés des personnalités politiques – la Secrétaire d’État Hillary Clinton, l’ex-Président Bill Clinton ou le vice-Président sud-africain Kgalema Motlanthe – figuraient des artistes – Elton John –, des fonctionnaires internationaux – le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim, le directeur exécutif d’ONUSIDA Michel Sidibé –, des hommes d’affaires – Bill Gates – ou encore des scientifiques de renom. Cette mobilisation multisectorielle illustre la coexistence graduelle des acteurs étatiques et interétatiques avec la montée en puissance d’intervenants non-gouvernementaux, notamment les multinationales ou les fondations privées. Mentionnons à cet égard la multipositionnalité d’individus comme l’ex-Président Bill Clinton qui a négocié avec les firmes pharmaceutiques la réduction du prix de certains traitements. Cependant, le rôle croissant des philanthrocapitalistes – à l’instar de la Fondation Gates qui a investi au total 2,5 milliards de dollars contre le VIH – et de plusieurs États du Sud ne suffit pas pour combler le désengagement des pays donateurs dans un contexte d’austérité : l’ONUSIDA estime ce manque à 7 milliards de dollars pour des objectifs trois fois supérieurs à l’horizon 2015. D’autant que Barack Obama, par ailleurs absent à la conférence, a annoncé des coupes budgétaires concernant le Pepfar dès 2013.
En dépit de ces difficultés, les résultats de la recherche s’avèrent prometteurs selon l’initiative Towards an HIV Cure lancée par l’IAS, alors que les indicateurs sanitaires semblent s’améliorer. Si la découverte d’un vaccin ne paraît pas encore à l’ordre du jour, de nouvelles perspectives ont été envisagées pour perfectionner les thérapies existantes dont les coûts ont été abaissés. Citons le cas du Truvada, traitement prophylactique réduisant le danger de transmission – de près de 90% en cas de prise quotidienne selon des études cliniques – lors d’un rapport sexuel à risque, qui a été approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) à la veille de l’IAC. Pour autant, cette dernière innovation a suscité l’inquiétude d’associations comme ACT-UP qui a évoqué les potentiels effets pervers du produit en matière de prévention. Plus généralement, l’implémentation de ces techniques reste au cœur des controverses, tant les logiques sociales dans lesquelles s’inscrit la pandémie demeurent complexes.
Ainsi, malgré les dénonciations répétées de la stigmatisation dont sont victimes les personnes infectées par le virus, de nombreux militants du Sud n’ont pu obtenir de visa pour se rendre à Washington. L’administration américaine a en effet rejeté les demandes des travailleurs-ses du sexe – sex workers – qui ont choisi d’organiser simultanément un contre-sommet à Kolkata en Inde. Rassemblant un millier de manifestants, cet événement parallèle – nommé Sex Workers Freedom Festival – s’est donné pour objectif de réclamer l’inclusion et la participation de ces populations particulièrement vulnérables à la prise de décision dans la lutte contre le VIH/SIDA. Cette initiative a été soutenue par le directeur exécutif d’ONUSIDA, qui a rappelé que moins de 1% des financements internationaux était consacré aux sex workers alors que ces derniers constituaient l’un des groupes les plus touchés par la maladie. En outre, les protestataires ont dénoncé les conditionnalités liées aux fonds distribués par le Pepfar qui requiert la signature d’une clause anti-prostitution par les organisations qu’il subventionne. Cet exemple montre, au-delà de la technicisation des réponses, la difficulté d’en finir avec une pandémie dont la dimension politique se révèle omniprésente.
Dixneuf Marc, « La santé publique comme observatoire de la mondialisation », in : Josepha Laroche (Éd.), Mondialisation et gouvernance mondiale, Paris, PUF, 2003, pp. 213-225.
Site de la 19e Conférence Internationale sur le sida : http://www.aids2012.org [20 août 2012].
UNAIDS, UNAIDS Guidance Note on HIV and Sex Work, avril 2012, consultable à l’adresse: http://www.unaids.org [21 août 2012].
UNAIDS, Together We Will End AIDS, 18 juillet 2012, consultable à l’adresse : http://www.unaids.org {25 août 2012].