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PAC 9 – Vers une gouvernance infra-étatique des Biens Publics Mondiaux Les régions dans les négociations internationales sur le changement climatique

Par Simon Uzenat

Passage au crible n°9

Source : Pixabay

Du 7 au 19 décembre 2009 s’est tenue à Copenhague la 15ème CdP (Conférence des Parties) sous l’égide de la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques). Il s’agissait de parvenir à l’adoption d’un instrument juridique contraignant sur le plan international afin 1) de réduire la production mondiale de gaz à effet de serre (GES) et 2) d’adapter les modèles de développement aux conséquences prévisibles du changement climatique. L’échec de ce sommet ne doit cependant pas occulter l’émergence de structures originales de gouvernance des Biens Publics Mondiaux.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

La réponse internationale aux changements climatiques a pris forme avec l’adoption en 1992 de la CCNUCC. Cette dernière a établi le cadre institutionnel visant à stabiliser les concentrations atmosphériques des GES. En décembre 1997, les délégués à la troisième CdP se sont ensuite accordés à Kyoto sur un protocole qui engageait les pays industrialisés – mentionnés dans l’Annexe I – à réduire d’ici 2012 leurs émissions globales de GES d’une moyenne de 5,2%, en deçà de leurs niveaux de 1990. Le Protocole de Kyoto est entré en vigueur le 16 février 2005 et arrivera à échéance le 31 décembre 2012, sans être pour l’heure ratifié par la première puissance émettrice de GES par habitant, les États-Unis.

En décembre 2008 à Poznań, lors de la 14e CdP, le Secrétaire exécutif de la CCNUCC, a déclaré que « 50 à 80% des actions concrètes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et quasiment 100% des mesures d’adaptation aux conséquences du changement climatique sont conduites à un niveau infra-étatique ». En septembre 2009, pendant la semaine du climat, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a tenu à souligner le rôle des entités subnationales. Pour leur part, les animateurs du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat) insistent sur les disparités territoriales qu’entraîne le changement climatique. Selon leurs travaux, les régions littorales, les petites îles et, plus généralement, les PMA (Pays les Moins Avancés) subiront 80% des dommages dont les pays riches assument pourtant 80% de la responsabilité.
Comme les autres acteurs périphériques des négociations, les régions se sont regroupées au sein de réseaux transnationaux plus ou moins spécialisés. Le premier d’entre eux, nrg4SD (Network of Regional Governments for Sustainable Development), a vu le jour lors du sommet du millénaire, à Johannesburg, en 2002 et calque l’organisation de ses événements sur le calendrier de la CCNUCC. Il a ainsi adopté une première déclaration sur le changement climatique en 2005 à Montréal et s’est ensuite fortement impliqué dans la CdP 14 de Poznań. Dans la même logique, on a créé en 2007 à Marseille, le FOGAR (FOrum Global des Associations de Régions).

À la différence des autres acteurs non-étatiques, les régions bénéficient d’un statut particulier. En effet, dans les conférences internationales, les provinces belges, les Länder allemands ou, dans une moindre mesure, les provinces espagnoles et canadiennes, siègent au sein même de leur délégation nationale. Elles peuvent alors déposer des soumissions (amendements) directement auprès du Secrétariat de la CCNUCC et contribuer, de ce fait, aux différentes étapes des négociations. À cet égard, les réseaux de régions – considérés comme des ONG par l’ONU et disposant à ce titre du statut d’observateur – bénéficient indirectement et partiellement du pouvoir relationnel de certains de leurs membres.

Cadrage théorique

L’implication des régions dans les négociations internationales sur le changement climatique met en jeu deux problématiques au cœur du processus de mondialisation.

1. Les diplomaties non-étatiques. De très nombreuses politiques définies et mises en œuvre au plan régional – quelle que soit la nature des relations entre l’État central et les collectivités locales – demeurent étroitement liées à la question du changement climatique (transports, habitat, énergie…). Ce faisant, elles contribuent à transformer la nature des rapports entre les deux niveaux de gouvernance, notamment au regard de la participation de l’échelon local aux négociations internationales. En l’espèce, soulignons ici le rôle central joué par l’Union européenne dans la reconnaissance du droit à agir des autorités locales sur la scène internationale, en particulier grâce aux fonds spécifiques qu’elle déploie. Cette diplomatie non-étatique revêt par ailleurs une forme syncrétique qui combine les répertoires d’action propres aux ONG, aux firmes transnationales et aux États.
2. Les biens publics mondiaux. En tant que Bien Public Mondial pur, le climat représente l’un des enjeux majeurs d’une gouvernance mondiale actuellement en chantier. Les problèmes globaux, tels qu’ils sont perçus aujourd’hui, ne peuvent en effet plus être réglés par la seule voie de la coopération interétatique. Ils appellent au contraire la coordination d’actions décentralisées et majoritairement non-étatiques. Cette approche permet, paradoxalement, de relégitimer l’intervention publique à l’échelle internationale, tout en démontrant la nécessité de dépasser le cadre intergouvernemental.

Analyse

L’élaboration, la définition et la mise en œuvre de politiques publiques de l’environnement engagent désormais tous les échelons infra-étatiques, au premier rang desquels figure le niveau régional. Dans un article consacré à la diffusion de l’autorité de l’État, Susan Strange appelait, dès 1995, à se pencher sur la question de la diffusion du pouvoir de l’État central vers les entités sub-étatiques. Dans le même temps, le retrait de la puissance étatique, de ses moyens de régulation et d’intervention se sont accélérés. En fait, ils précèdent souvent la recomposition de la scène gouvernementale en abaissant les coûts d’entrée d’acteurs jusque-là marginalisés. Dans une logique wébérienne, l’État est alors conduit à décentraliser et externaliser certaines de ses politiques opérationnelles, tout en organisant une recentralisation de la décision. Mais par voie de conséquence, ces dynamiques contribuent à autonomiser et affaiblir les organisations internationales. En effet, l’intrusion de nouveaux joueurs constitue pour celles-ci l’opportunité de diversifier leurs relais d’intermédiation. Cependant, cela menace aussi leur prétention à incarner une gouvernance mondiale.
Le fonctionnement des réseaux internationaux de collectivités locales demeure néanmoins fragilisé par les inégalités et les différentiels de développement qui caractérisent la mondialisation. Ce constat se vérifie plus encore à mesure qu’ils sont rejoints par davantage de régions du Sud, très faiblement dotées et souvent marginalisées au sein de pays eux-mêmes dominés.

La principale ressource de ces entités infra-étatiques consiste à s’adapter aux propriétés et aux contraintes de la mondialisation, semblable en cela aux firmes transnationales. Ceci peut prendre par exemple la forme d’une recherche d’économies d’échelle, d’une multiplication de partenariats public-privé ou bien encore de plans globaux de communication. Lors de la conférence de Copenhague, 60 leaders régionaux ont ainsi participé le 15 décembre au Climate Leaders Summit 2009, piloté par The Climate Group. En l’occurrence, il s’agit d’un club international – fondé sous l’égide de Tony Blair – et qui regroupe une cinquantaine de représentants des plus grandes firmes mondiales à laquelle s’ajoute une trentaine de gouvernements régionaux, dont la Californie, le Québec et la Bavière. À cet égard, on observe bien que l’action collective s’inscrit probablement plus dans une logique de responsabilité que dans une logique classique de souveraineté. Un tel affranchissement de l’hétéronomie étatique ne doit toutefois pas être compris comme abandon ou refoulement du cadre stato-national, dont les conclusions de Copenhague montrent au contraire la prégnance. Il convient plutôt de l’appréhender dans le cadre d’un processus plus vaste de dissémination de l’autorité politique.

Références

Hocking Brian, « Patrolling the “Frontier” Globalization, Localization, and the “Actorness” of Non-Central Governments », in: Francisco Aldecoa, Michael Keating (Eds), Paradiplomacy in Action. The Foreign Relations of Subnational Governments, Regional and Federal Studies, 9 (1), Spring 1999, pp. 17-39.
Ollitrault Sylvie, Militer pour la planète, Rennes, PUR/Res Publica, 2008.
PNUD (Ed.), La lutte contre le changement climatique : un impératif de solidarité humaine dans un monde divisé, Rapport mondial sur le développement humain 2007/2008. Consultable à l’adresse : http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2007-2008/chapters/french/
Strange Susan, « The Defective State », Daedalus, 124 (2), Spring 1995, pp. 55-74.