Par Weiting Chao
Passage au crible n° 141
Source: Flickr
Le 30 novembre 2015, s’est ouverte au Bourget la conférence de Paris sur le climat, dite COP21. Elle a réuni 147 chefs d’État, des négociateurs représentant 195 pays et près de 50 000 participants. Le 12 décembre, un accord universel remplaçant le protocole de Kyoto a été finalement adopté. Les États parties prévoient de contenir la hausse des températures mondiales bien en dessous de 2°C et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Le réchauffement de la planète représente aujourd’hui l’une des plus grandes menaces pour la survie de l’humanité. Afin de régler ce problème, la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) a été signée en 1992 par 153 pays. Dans le respect de l’équité, ce document a défini pour les puissances industrialisées et celles en développement, le principe de responsabilités communes et différenciées. Cinq ans plus tard, les signataires de la CCNUCC ont adopté le Protocole de Kyoto, premier instrument mondial contraignant les pays développés à réduire leurs émissions de GES (Gaz à Effet de Serre). Or, en 2001, invoquant une atteinte au développement de l’économie américaine, les États-Unis ont refusé de le ratifier. Le protocole est cependant entré en vigueur après la ratification de la Russie en 2005. Comme il devait expirer fin 2012, la période post-Kyoto a été envisagée dès ce moment. Selon la feuille de route signée en 2007 à Bali, les États auraient dû finaliser un nouveau texte à Copenhague en 2009 (COP 15). Mais si ce sommet a bien réussi à réunir un grand nombre de dirigeants, d’ONG et de sociétés civiles, aucun progrès significatif n’a été constaté. À Copenhague, le document final a été négocié à huis clos par un petit groupe comprenant les États-Unis et les pays émergents dits BASIC (le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine). Toutefois, il n’a pas été adopté. Lors de la COP 18, qui s’est tenue à Doha en 2012, le Protocole de Kyoto a donc dû être prolongé jusqu’en 2020, tandis que l’adoption d’un nouveau traité a été reportée à l’année 2015.
Deux semaines avant l’inauguration de la COP21, le 13 novembre 2015 Paris a été frappé par des attaques sans précédent qui ont fait 130 morts et 352 blessées. En raison des menaces terroristes, la sécurité a été renforcée dans le monde entier et le maintien de la COP21 a même été remis en question. Mais, malgré toutes ces difficultés, le sommet s’est déroulé sans incident.
Cadrage théorique
1. Un modèle de régulation conjointe. Au sein des négociations sur le climat, on observe des hiérarchies de puissance. À ce titre, l’ONU représente un système d’interdépendance asymétrique entre acteurs inégaux. Les règles s’y reconstruisent en permanence, au vu des résultats de l’action et de la non-action. Selon Marie-Claude Smouts, dans ce type d’organisation, il existe deux catégories de régulation, deux rationalités qui s’affrontent et se confrontent. La première émane de joueurs dominants qui détiennent le pouvoir de forger des règles et de les faire adopter pour mieux maîtriser le jeu collectif. Quant à la seconde, elle émane d’acteurs subordonnés. Ces derniers s’efforcent d’établir des stratégies de dérobade et de contournement afin de peser tout de même sur la décision finale.
2. La déterritorialisation et la reterritorialisation Nord-Sud. Dans l’après-Guerre froide, le principe de territorialité a subi de profondes mutations. Le territoire étatique a été remis en cause par des flux matériels et immatériels à caractère transnational. Ces derniers résultent de l’allègement du contrôle des frontières et de l’affaiblissement des contraintes spatiales et logistiques. Il s’ensuit une déterritorialisation des échanges internationaux qui a mené à une reconfiguration de la gouvernance dans plusieurs domaines (sécurité, écologie, immigration, santé, etc.). Or, lors des récentes négociations multilatérales sur le réchauffement climatique, cette logique est entrée en contradiction avec le classique clivage territorialisé Nord-Sud, ce qui a freiné l’adoption d’un accord global. En effet, la menace climatique suppose de gérer l’atmosphère comme un bien commun, ce qui dépasse la notion classique d’appropriation territoriale.
Analyse
La conférence de l’ONU sur le climat représente une importante opportunité pour les États. En 2015, l’UNFCCC était ratifiée par 195 pays. Dans les négociations multipartites, la diversité et l’hétérogénéité des acteurs s’ajoute à l’hégémonie des États-Unis. À cet égard, cette puissance a refusé de ratifier le Protocole de Kyoto invoquant une atteinte au développement de sa propre économie. À l’évidence, la non-action d’un pays dominant diminue considérablement l’efficacité de l’autorité publique sur la coopération internationale. De plus, de nombreux pays ont décidé de ne pas participer à la deuxième phase du Protocole (2013-2020). Par ailleurs, après 2000, l’émergence des BASIC a modifié la donne. La Chine est ainsi devenue le plus gros émetteur de CO2 au monde, dépassant en 2006 les émissions des États-Unis. À Copenhague, les deux grandes puissances et les pays émergents ont fragilisé le mécanisme de confiance instauré au sein de l’ONU, ce qui a d’autant plus érodé les négociations. En raison de ce climat tendu, l’Accord de Copenhague n’a pas été adopté par la CCUNCC, alors même qu’il n’était pourtant pas juridiquement contraignant pour les parties.
D’autre part, pendant les pourparlers, les pays subordonnés ont tenté de faire valoir leurs propres positions par la mise en œuvre d’un « jeu itératif » qui a contribué à pacifier les conflits entre les membres. Dans ce cadre, les participants ont recherché des opportunités pour parvenir à satisfaire leurs intérêts sur certains dossiers. Mais en retour, ils ont dû faire des concessions dans d’autres domaines. Une impression d’éternel recommencement s’est par conséquent dégagée de cette séquence. Cette logique a donc obligé la COP21 à parvenir à des engagements réciproques. Rappelons que l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C et le terme de « pertes et dommages » évoqués initialement par l’Alliance des petits États insulaires ont été intégrés à l’accord de Paris. Cependant, dans un premier temps, ces principes ont été fortement désapprouvés par les États-Unis.
Il convient de souligner que ce document représente le premier accord universel dans lequel tous les pays développés, ainsi que les PED acceptent des obligations destinées à gérer leurs émissions de GES. De ce point de vue, le mode traditionnel de gouvernance Nord-Sud a été réajusté en fonction des menaces liées au changement climatique. Il s’agit d’un mouvement de déterritorialisation et de reterritorialisation qui affaiblit les contraintes de localisation. Par exemple, un rapport du GIEC (Groupement Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique) indique que le changement climatique représente désormais la première cause des conflits régionaux et des migrations humaines forcées. En outre, le processus de déterritorialisation s’associe également aux politiques communes que les pays s’engagent à respecter pour la stabilité économique et pour la synchronisation de grands défis sociaux. Les parties se sont fixé un objectif à long terme réellement ambitieux (en dessous de 2°C) qui suppose un effort commun. Il soulève la question des financements. À ce titre, l’accord de Paris fixe l’obligation aux pays développés de fournir un financement aux pays pauvres afin de les aider à lutter contre le réchauffement climatique. A partir de 2020, 100 milliards de dollars leur seront donc octroyés chaque année. En outre, les pays en développement sont invités à les financer également sur la base du volontariat.
Cet accord universel entrera en vigueur une fois que les 55 pays comptant pour au moins 55% des émissions mondiales auront déposé leurs instruments de ratification. Cependant, ce texte a adopté l’INCDs (INDCs, Intended Nationally Determined Contributions) pour les réductions des émissions de GES des États. Avec la mise en vigueur de ces moyens, les pays déterminent volontairement leurs contributions en fonction de leurs capacités, du contexte économique et de leurs priorités nationales. Autrement dit, ce traité très ambitieux, n’est au demeurant guère contraignant sur le plan juridique. À l’avenir, si l’on espère un effet performatif, il faudra donc surtout compter sur les attentes respectives des acteurs qui sont parvenus à imprimer leur marque.
Références
Aykut Stefan C. et Dahan Amy, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Presses Paris, Science po, 2015.
Chao Weiting, « Le triomphe dommageable des passagers clandestins. La conférence de Doha », in: Josepha Laroche (Éd.), Passage au crible, l’actualité internationale 2012, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 111-115.
Smouts Marie-Claude (Éd.), Les nouvelles relations internationales : pratiques et théories, Paris, Presses Paris, Science po, 1998.