Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 139
Source: Pixabay
Le samedi 18 octobre 2015, le ministre algérien du Commerce, Bekhti Belaïb, a annoncé que son gouvernement avait sollicité un prêt auprès de la RPC (République Populaire de Chine) pour financer « certains grands projets d’infrastructures ». Son homologue de l’Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchareb, a ajouté le même jour que des négociations étaient en cours au sujet d’un projet algéro-chinois de montage de véhicules. Ce faisant, ce responsable politique a lancé un appel à développer les activités de sous-traitance des pièces de rechange en Algérie, en rappelant l’importance de l’expérience chinoise dans ce domaine. Lors d’une conférence de presse organisée conjointement avec Lyu Xinhua, Président du Conseil pour la promotion de la coopération Sud-Sud de la Chine, Abdessalem Bouchareb a même encouragé les firmes chinoises à participer à l’exploitation du gisement de fer de Gara Djebilet (Tindouf) qui exige une technologie de pointe et des ressources considérables sur le plan financier.
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Rappel historique
Mentionnons en premier lieu quelques éléments conjoncturels permettant de comprendre le recours de l’Algérie à l’endettement. Selon les chiffres de la Banque d’Algérie, la dette extérieure du pays est estimée à 3,7 milliards de dollars (2,27 % du PIB (Produit Intérieur Brut)) alors que les réserves de change s’élevaient en juin dernier à 159 milliards de dollars.
D’une part, la chute des prix du pétrole a affecté l’économie algérienne fondée principalement sur le secteur des hydrocarbures, ce qui a conduit le gouvernement à geler de nombreux projets de développement. Une augmentation des prix de l’électricité et du carburant a ainsi été décidée dans le cadre de la loi de finance 2016. Par ailleurs, l’article 66 de ce texte prévoit l’ouverture du capital des entreprises publiques et la cession totale à leurs partenaires au bout de cinq ans, ce qui relance la dynamique de privatisation. En guise de justification, le ministre des finances évoque une gestion « prudente » des ressources de l’État.
D’autre part, il convient de noter le ralentissement de la croissance du PIB chinois : d’après les chiffres officiels publiés en octobre 2015, celle-ci est estimée à 6,9% sur un an au troisième trimestre de l’année. Or, il s’agit de la plus faible performance de la deuxième économie mondiale depuis la crise financière de 2009. Cela signifie qu’elle se trouve en difficulté. La production industrielle qui a connu en septembre dernier une diminution très sensible le montre très clairement. Ainsi, les ventes de détail considérées comme le baromètre de la consommation des ménages chinois, n’ont connu qu’une très légère accélération, avec une augmentation limitée à 10,9% en 2015. Cette stagnation a conduit par conséquent la République Populaire à intensifier ses échanges avec certains de ses partenaires, à l’instar de l’Algérie. Elle a notamment cherché à diversifier ses activités au-delà du BTPH (Bâtiment, travaux publics et hydrauliques), en se tournant par exemple vers les industries mécanique et électronique, la sidérurgie ou bien encore les mines.
Cadrage théorique
1. La monétisation d’une économie émergente. Nous assistons aujourd’hui à une délégation de plus en plus fréquente des fonctions régaliennes à des intermédiaires, doublée d’une division des prérogatives : d’un côté, la transformation des moyens de production et de transport, et de l’autre, la monétisation et la financiarisation de l’économie. À cet égard, le détenteur du capital impose sa domination en disposant du pouvoir d’imposer ses conditions.
2. Un partenariat gagnant-gagnant. Face à l’éclatement de sa bulle financière, la Chine cherche à consolider ses partenariats afin de maintenir son dynamisme économique. Rappelons qu’une telle relation repose sur la spécialisation postcoloniale établie entre les fournisseurs de matières premières et les pourvoyeurs de produits manufacturés ou de services. Cette logique laisse entrevoir un redéploiement chinois en Afrique et en Asie caractérisé par des pratiques de chevauchement (straddling), excluant toute distinction entre public et privé, État et marché, réseaux de pouvoir et d’accumulation économique.
Analyse
Il convient de signaler que les pays émergents, dont la Chine, sont fortement frappés par la troisième phase de la crise financière mondiale, qui a débuté en 2007. Cette séquence qui coïncide avec l’effondrement des prix de matières premières, fait suite à l’éclatement de la bulle immobilière intervenue aux États Unis en 2008 et à ses impacts sur la dette européenne en 2011. Selon le cabinet Goldman Sachs, « l’incertitude accrue quant aux retombées de l’affaiblissement des économies des pays émergents, la chute des prix des matières premières et potentiellement la hausse des taux d’intérêt américains ont soulevé de nouvelles inquiétudes quant à la pérennité de la hausse des prix des actifs, marquant une nouvelle étape de la crise financière mondiale ».
Pour faire face à cette situation, la République Populaire cherche à renforcer ses liens commerciaux avec ses partenaires afin de répondre aux impératifs d’une concurrence mondialisée. C’est pourquoi, elle transnationalise ses activités afin de créer une cohérence entre politiques nationales et exigences internationales. Citons la création le 29 juin 2015 de la BAII (Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures) qui exige la mobilisation de 800 milliards de dollars d’investissements par an. Cette initiative exprime l’ambition chinoise de proposer une alternative à des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Un tel dispositif répond pour la RPC à trois nécessités : 1) renforcer son rôle diplomatique, 2) placer ses réserves de change afin de conforter le yuan et 3) offrir à ses groupes de BTPH des relais transnationaux de croissance. Cette politique s’inscrit dans la continuité du processus de la nouvelle route de la soie, un fonds chinois estimé à 40 milliards de dollars, et de la banque des BRICS (Brésil, Russie, Chine et Afrique du Sud). Mais si ces médiateurs disposent d’un pouvoir structurel qui renforce bien leur ascendant politique et leur légitimité, Philip Cerny constate toutefois que le Competition State résiste et entretient sa domination à travers les partenariats publics-privés. Dans cette perspective, le gouvernement chinois multiplie les mesures d’aide comme l’effacement des dettes ou des prêts à taux réduits susceptibles d’attirer les pays en développement. À cet égard, les relations privilégiées qu’entretiennent la RPC et l’Algérie depuis 1958 – et le fait qu’elle soit son premier fournisseur en matière de commerce extérieur de l’autre – viennent faciliter ce type de coopération.
Pour justifier son recours à la dette, le gouvernement algérien avance pour sa part la poursuite des grands projets en cours, attribués en majorité à des firmes chinoises employant sur le territoire national plus de 40 000 ouvriers. En outre, les autorités indiquent que cela devrait contribuer à renforcer la production, tout en assurant des revenus indispensables au remboursement de la dette et fournissant des excédents pour couvrir les secteurs en déficit. Soulignons cependant qu’un rapport de la BAFD (Banque africaine de développement), publié en 2012, a montré que l’Algérie avait accordé, entre 2002 et 2012, 20 milliards de dollars de contrats aux entreprises chinoises, sans pour autant que l’emploi en bénéficiât de manière significative.
Par conséquent, des compagnies chinoises telles que la CSCEC (China State Construction Engineering Corp) apparaissent clairement comme les principales bénéficiaires de cette aide financière visant à soutenir l’économie algérienne. Collaborant avec de grandes banques de leur pays d’origine, ces acteurs hors souveraineté occupent désormais une place privilégiée pour répondre aux appels d’offres grâce à des tarifs compétitifs et à leur bonne connaissance des modalités politiques et économiques locales. En revanche, l’économie algérienne ne peut guère se prévaloir de perspectives aussi positives. Bien au contraire, sa dépendance s’en trouve plutôt accentuée.
Cabestan Jean-Pierre, Le Système politique chinois. Vers un nouvel équilibre autoritaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.
Cerny Philip G., Rethinking World Politics: A Theory of Transnational Pluralism, New York, Oxford University Press, 2010.
Chiu Justin, « Une banque multilatérale entre coopération et prédation. La signature des statuts de la BAII », consulté le 12 novembre 2015 sur Chaos International
El Watan consulté le 15 novembre 2015 sur l’adresse : www.el-watan.com
Hibou Béatrice, « Retrait ou redéploiement de l’État », Critique internationale, (1), aut 1998, pp. 151-168.
Hugon Philippe, « La Chine en Afrique. Néocolonialisme ou opportunité pour le développement ? », Revue internationale et stratégique, (72), 2008, pp. 219-230.
Strange Susan, The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.