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PAC 31 – La radicalité de la diplomatie Nobel Le prix Nobel de la paix décerné au dissident chinois Liu Xiaobo

Par Josepha Laroche

Passage au crible n°31

Liu XiaoSource: Wikipedia

Le 10 décembre dernier, lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix, le lauréat –l’opposant chinois Liu Xiaobo – était absent car il purge actuellement dans son pays une peine de onze ans de prison pour « activités subversives ». Malgré les pressions exercées par Pékin, il était considéré depuis plus d’un an comme l’un des favoris. Finalement, le comité Nobel lui a décerné cette récompense le 7 octobre 2010 « pour ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine », récompense qualifiée d’« obscénité » par les autorités chinoises.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Depuis 1901, la cérémonie de remise des Nobel se déroule chaque année, le 10 décembre. Ce jour précis marque la date anniversaire de la mort d’Alfred Nobel (1833-1896), le fondateur de ce système de prix. Inventeur, industriel, financier, homme de lettres, et plus encore pacifiste, ce philanthrope suédois à la tête d’une des premières firmes transnationales, a décidé par testament le 27 novembre 1895 de consacrer son immense fortune à la création de cinq prix annuels, dont quatre seraient décernés à Stockholm : physique, chimie, physiologie-médecine, littérature. Quant au prix de la paix, il exigea expressément que l’attribution en fût confiée au Parlement norvégien, le Storting. À l’époque, la chambre d’Oslo représentait en effet l’une des rares assemblées en Europe, réellement démocratiques. Par ailleurs, l’activité qu’elle avait déjà déployée en faveur de la paix parut à Alfred Nobel plus déterminante que le conflit suédo-norvégien, alors pourtant très vif. L’entrepreneur désigna donc la Chambre norvégienne pour en assurer la gestion, estimant qu’elle était la plus qualifiée et la plus légitime. Comme Nobel ne partageait pas les vues utopistes de ses amis pacifistes, il a cherché à promouvoir une nouvelle technologie pacifiste en forgeant un dispositif aussi inédit qu’original. Pour ce faire, il a conçu un outil symbolique marqué au sceau de l’humanisme, du scientisme et de l’idéologie méritocratique. Ainsi, a pris forme depuis plus d’un siècle un système de gratifications internationales qui honore des individus et transcende les frontières étatiques, tout en récusant les nationalismes que son fondateur abhorrait.

Rappelons que le dissident chinois Liu Xiaobo a joué un rôle central dans la rédaction de la Charte 08, un manifeste publié par des intellectuels et des militants réclamant la liberté d’expression et des élections pluralistes en Chine. Cet ancien professeur de littérature a également été l’un des leaders des manifestations d’étudiants de la place Tiananmen en 1989, événements au cours desquels il avait notamment mené une grève de la faim. S’agissant de son absence lors de la cérémonie, il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’un Nobel n’est pas autorisé à recevoir sa récompense. Cette interdiction fait suite à plusieurs décisions analogues. En 1958 par exemple, l’écrivain soviétique Boris Pasternak, n’a pu se rendre à Stockholm pour recevoir son Nobel de littérature et il en fut de même en 1970, pour le romancier, Alexandre Soljenitsyne. De nouveau, en 1975, l’académicien et physicien, Andrei Sakharov, n’a pas davantage obtenu de visa des autorités soviétiques pour recevoir son Nobel de la paix. Enfin, de la même façon, l’opposante à la junte birmane, Aung San Suu Kyi, n’a pas été autorisée à se rendre à Oslo en 1991.

Cadrage théorique

Une diplomatie non étatique. L’attribution des prix Nobel – quelle que soit leur mention – a institué au fil du temps une diplomatie – la diplomatie Nobel – qui se caractérise par une forte cohérence globale et une constante détermination à faire prévaloir la doxa Nobel face aux acteurs étatiques. C’est pourquoi, le processus de nobélisation a souvent pour finalité de contredire – voire de condamner – la politique d’un ou de plusieurs d’entre eux.

Une diplomatie morale. L’institution Nobel se pose en conscience universelle et en entrepreneur de morale. En l’espèce, elle entend incarner l’irréductibilité de valeurs telles que la liberté, le savoir ou le désintéressement. Elle se considère à ce titre comme le plus solide défenseur des droits humains contre la Raison d’État. Á travers ses lauréats, elle représente une élite militante, une véritable cléricature internationale qui s’octroie un droit d’ingérence dans les affaires intérieures des États au nom de l’universalité des droits de l’Homme et de la préservation de la paix mondiale.

Analyse

Face à la radicalité de la diplomatie Nobel, les autorités chinoises ont engagé une vaste offensive diplomatique en amont pour tenter dans un premier temps de modifier la décision du Comité et de prévenir toute distinction accordée à Liu Xiaobo. Cependant, la proclamation du 7 octobre a sonné comme un premier échec et une stigmatisation de leur politique. Dès lors, elles sont intervenues en aval auprès des chancelleries étrangères afin qu’elles boycottent massivement la cérémonie. Mais malgré leurs pressions réitérées, seuls, vingt pays – parmi lesquels l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, Cuba, l’Iran, le Pakistan, la Russie, et le Sri Lanka ou encore le Venezuela – ont finalement décliné l’invitation de l’Institut Nobel. En revanche, les soixante-cinq pays disposant d’une représentation diplomatique à Oslo ont décidé pour l’essentiel d’être présents. Ainsi par exemple, les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni ou bien encore le Brésil ont-ils décidé de ne pas céder devant les mises en garde et menaces qui leur ont été signifiées par Pékin.

Le choix de Liu Xiaobo s’inscrit dans une ligne diplomatique qui montre combien la diplomatie Nobel envers la Chine reste constante au cours du temps. En effet, n’oublions pas qu’en 1989, les jurés d’Oslo ont décerné ce prix au chef spirituel du Tibet, le Dalaï-lama, quatre mois seulement après le printemps de Pékin et trente ans après le soulèvement de Lhassa. Á l’époque, cette décision offrait de manière très significative une reconnaissance internationale à la cause tibétaine alors que l’ouverture du marché chinois incitait déjà à la pusillanimité. En effet, si le Dieux vivant s’était toujours efforcé d’obtenir l’autodétermination du Tibet par des moyens pacifiques, il était pourtant resté jusque-là diplomatiquement isolé. Á plusieurs reprises, il avait proposé à Pékin des compromis très modérés ; suggérant par exemple, pour le Tibet, un statut analogue à celui de Hong-Kong, en vertu du principe un pays, deux systèmes. En le désignant, le jury d’Oslo tint à souligner dans ses attendus combien le lauréat s’était « systématiquement opposé au recours à la violence ». En d’autres termes, ce prix représentait tout à la fois une condamnation de la politique chinoise et une invitation lancée à ses dirigeants pour qu’ils négocient un règlement de la question tibétaine avec le nouveau lauréat.

Alors qu’elle ne s’est toujours pas ouverte à la démocratie, la Chine n’a cessé depuis plus de vingt ans de renforcer sa puissance sur la scène mondiale au point de devenir aujourd’hui le principal rising challenger face à l’hegemon américain. Á certains égards, ne compose-t-elle pas désormais avec ce dernier, un directoire du monde, le G2 ? Toutefois, malgré cette nouvelle donne, la ligne Nobel demeure rigoureusement la même : elle oscille entre condamnation morale et incitation au dialogue. C’est dire qu’en décidant de couronner le combat d’un citoyen chinois pour la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, le Comité Nobel a refusé radicalement – à la différence de bien des États – d’être condamné à résipiscence face aux objurgations chinoises.

Références

Laroche Josepha, Les Prix Nobel, sociologie d’une élite transnationale, Montréal, Liber, 2012, 184 p.
http://nobelprize.org/nobel_organizations/
http://fr.rsf.org/chine-liu-xiaobo-biographie-28-10-2010,38695.html
http://fr.globalvoicesonline.org/2010/10/12/46516/