Par Michaël Cousin
Passage au crible N°96
Le 25 septembre 2013, l’IRACM (Institut de Recherche Anti-Contrefaçon des Médicaments) a présenté un rapport sur le crime organisé relatif aux médicaments contrefaits. Cette étude se propose de mieux faire connaître ce phénomène, mais aussi de susciter des réflexions et fournir des outils pour mieux s’en protéger.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Pendant longtemps, les médicaments auront été épargnés par la contrefaçon malgré la mondialisation des économies nationales et l’expansion des techniques de communication. Pourtant, selon le rapport de l’IRACM, la fraude mondiale aurait débuté dans ce secteur dès la chute de l’URSS. Elle se serait ensuite accentuée lorsque la Chine est devenue membre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). La distribution des médicaments contrefaits serait devenue si importante qu’elle aurait, entre 2005 et 2010, dépassée de 20% la vente des produits légaux. Même si ce phénomène apparaît global, il concernerait davantage les pays en développement. Selon ce document, 10% des médicaments vendus y seraient contrefaits, contre seulement 1% dans les pays développés.
Ces substances frauduleuses revêtent plusieurs caractéristiques. Il s’agit généralement de copies de produits légaux, sans être pour autant des génériques. La plupart d’entre elles s’avèrent souvent mal dosées ou mal conditionnées. Certaines ne présentent aucun principe actif, tandis que d’autres peuvent aller jusqu’à contenir des substances toxiques. Par ailleurs, tous les types de médicaments sont concernés : des antiseptiques, aux antidouleurs ou aux anti-inflammatoires, mais aussi des produits vitaux comme les antirétroviraux (VIH, Hépatite C, etc.). À titre d’exemple, l’analyse révèle que dans les 90 États recevant de faux traitements pour le paludisme et la tuberculose, on déplore chaque année 700 000 morts.
Dans la plupart des cas, les clients se rendent complices des contrefacteurs. Pourtant, dans le trafic des faux médicaments, l’acheteur opère souvent pour son propre compte, mettant ainsi sa vie en jeu. C’est pourquoi l’IRACM qualifie cette contrefaçon de crime organisé. En effet, elle se structure autour de multiples acteurs – du particulier au grand banditisme – et à différentes échelles, du petit groupe aux organisations transnationales. Par ailleurs, grâce à la libéralisation des marchés et à l’accroissement des moyens de communication, les trafiquants disposent de nombre de moyens d’infiltration, dont la cybercriminalité. Mais certains contrefacteurs se servent aussi des réseaux de distributions officiels au point que les professionnels de santé – notamment les pharmaciens – sont tout aussi trompés que les patients.
1. Les déterminants sociaux de la santé. La santé des individus est conditionnée par plusieurs déterminants tels que le milieu dans lequel ils évoluent de leur naissance à leur vieillesse, leurs conditions de vie et de travail ainsi que la qualité des systèmes de santé mis à leur disposition. En l’occurrence, les politiques publiques jouent un rôle prédominant sur ce terrain car elles sont elles-mêmes conditionnées par des rapports d’argent, de pouvoir et les ressources disponibles sur le plan local, national et mondial.
2. La marchandisation de la santé au profit de la criminalité organisée. Dans un contexte économique néo-libéral, la privatisation des médicaments à l’échelle mondiale – aussi bien de leur création que de leur distribution –permet une maximisation des profits. Les organisations criminelles, comme les particuliers, profitent alors de la compétition entre les traitements médicaux que se livrent les firmes pour en proposer des contrefaits plus concurrentiels en termes de prix, mais moins performants. Ce qui a pour effet, de leur garantir une forte rentabilité.
Les entreprises illicites se présentent comme les affaires légales. Elles cherchent, elles aussi, à vendre des produits et à en tirer le plus de bénéfices possible. Pour ce faire, elles ont recours à des techniques de management aussi rodées que performantes. Enfin, elles emploient du personnel compétent en prenant soin dans le même temps de refinancer leur trésorerie et de la recycler. En l’espèce, la contrefaçon des médicaments s’avère plus rentable que la production légale car elle se dispense de tout investissement en recherche et développement. En outre, leur fabrication ne répond à aucun standard de qualité (mauvais conditionnements, emballages défaillants, aucun principe actif, etc.) et reste clandestine.
À cet égard, le thriller britannique de Carol Reed, Le troisième homme, demeure paradigmatique. L’on y voit en effet dans la Vienne de l’après-guerre des trafiquants profiter d’une pénurie de pénicilline pour la revendre diluée. À l’instar de ces derniers, les contrefacteurs d’aujourd’hui prospèrent également sur la pauvreté ou l’appauvrissement des populations attirées par des soins à moindre prix. Comme eux, ils bénéficient aussi du manque d’information des consommateurs et de la faiblesse des contrôles douaniers.
Faute de disposer de systèmes efficaces de contrôle physique ou immatériel, les États pâtissent de l’ouverture actuelle des frontières qui facilite incontestablement le travail des organisations criminelles. Celles-ci tirent profit de la dérégulation des économies nationales et virtuelles (financiarisation des marchés) pour distribuer leur production sur l’ensemble du globe. Cette démultiplication des étapes dans la confection des fausses substances thérapeutiques rend difficile la lutte contre la diffusion de ces dernières. À ceci s’ajoute le recours aux paradis fiscaux pour procéder au blanchiment des bénéfices résultant de ce commerce interdit.
La différence entre ces criminels et les entreprises pharmaceutiques repose sur les méthodes pour arriver à leur fin. Certes, la corruption est utilisée par les deux entités, mais les industries licites n’emploient pas la violence pour s’insérer dans les marchés. Cependant, ces négociations ne se construisent pas uniquement par une domination sur tous les acteurs, elles peuvent se développer grâce à la complicité de personnes recherchant des avantages. Rappelons à cet égard que des particuliers vendent parfois, par l’intermédiaire d’officines virtuelles, des produits sans toujours connaître leur qualité et leur origine. Quant aux politiciens locaux ou aux fonctionnaires, il est déjà arrivé que certains d’entre eux facilitent la circulation de faux médicaments au sein des systèmes de distribution officiels (hôpitaux, pharmacies, visiteurs médicaux, etc.) avec l’objectif avéré de recevoir en échange des services occultes ou de meilleurs revenus.
Ces transgressions ne sont pas le seul problème que les États doivent affronter. Les difficultés financières des pays, surtout ceux en développement, altèrent aussi le bon fonctionnement de leur système de santé. D’une part, la protection industrielle freine l’accession à des médications plus abordables, tels que les génériques. D’autre part, leurs gouvernements ne peuvent s’engager substantiellement dans la prévention de cette criminalité transnationale. Il est vrai que la Convention de Palerme, adoptée dans le cadre des Nations unies en décembre 2000, fournit un cadre pour renforcer la coopération policière et judiciaire sur le plan international. Cependant, aucun des protocoles annexés (la traite des personnes, le trafic illicite des migrants et celui des armes à feu) n’est exclusivement dédié à ce nouveau désastre humain.
Institut de Recherche Anti-Contrefaçon des Médicaments, « Contrefaçon de médicaments et organisations criminelles », 2013, lien : http://www.iracm.com/2013/09/liracm-presente-un-rapport-detude-inedit-contrefacon-de-medicaments-et-organisations-criminelles/
Organisation Mondiale de la Santé, « Déterminants sociaux de la santé », lien : http://www.who.int/social_determinants/fr/
Briquet Jean-Louis, Favarel-Garrigues Gilles (Éds.), Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, 2008, Coll. Recherches Internationales.
Pouvoirs, « Le crime organisé », (132), janv. 2010, pp. 5-137.