Par Josepha Laroche
Passage au crible n°2
Le procureur de la CPI (Cour Pénale Internationale, basée à La Haye) a décidé le 14 octobre 2009 de procéder à « un examen préliminaire » de la situation qui s’est brutalement détériorée en Guinée.
Au lendemain du décès du président Lansana Conté qui était au pouvoir depuis 1984, les militaires ont perpétré un coup d’État sans violence le 24 décembre 2008. Ils ont ensuite promis de faire disparaître la corruption, le népotisme et le narcotrafic régnant dans le pays. Surtout, ils se sont engagés en faveur d’une transition démocratique au terme de laquelle, ils remettraient rapidement le pouvoir aux civils. Or, le chef de la junte – le capitaine Dadis Moussa Camara – a finalement décidé de garder le pouvoir en se présentant à l’élection présidentielle prévue pour janvier 2010. Une manifestation de l’opposition s’est donc tenue à Conakry le 28 septembre dernier au cours de laquelle l’armée a commis de graves violations des droits de l’Homme. Même si le bilan de la répression n’est actuellement pas clairement établi, nombre d’observateurs – diplomates étrangers, journalistes, organisations de défense des droits de l’Homme – font état d’au moins 150 morts et plus de 1200 blessés.
L’intervention de la CPI s’inscrit dans un contexte international dont les éléments les plus saillants se déclinent ainsi : 1) le Commissaire européen en charge du développement et de l’aide humanitaire, Karel de Gucht, a réclamé au nom de l’Union européenne « des poursuites pour crime contre l’humanité » contre les responsables au pouvoir. 2) La France a suspendu sa coopération militaire puis son aide bilatérale et invité ses ressortissants à quitter le pays. 3) Le président du Burkina-Faso a été nommé « facilitateur sur la crise guinéenne » par la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). 4) Les États-Unis, ont exigé la démission de la junte, la tenue d’élections libres et la mise en œuvre d’une enquête internationale sur les événements incriminés. 5) Le Secrétaire général des Nations Unies, ban Ki-moon a annoncé la création d’une commission d’enquête internationale chargée « de déterminer la responsabilité des personnes impliquées ».
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Dès 1872, Gustave Moynier – l’un des fondateurs de la Croix-Rouge – évoque la perspective d’une juridiction universelle. Après la Première Guerre mondiale, l’idée resurgit lorsqu’il est question de juger le Kaiser. Mais elle n’aboutira pas devant le refus des Pays-Bas de livrer Guillaume II. Enfin, en 1945, l’extermination de plusieurs millions de personnes par les nazis et les crimes de guerre commis par les Japonais, donneront lieu à l’instauration du Tribunal militaire international de Nuremberg et à celle du Tribunal de Tokyo en 1946. Cependant, ces juridictions disparaîtront dès leur objet atteint. Le projet sommeillera ensuite un demi-siècle, en raison de la Guerre froide, de l’incapacité des États à codifier les crimes et à s’entendre sur une définition commune de l’agression. Certes, dans les années quatre-vingt-dix, l’ONU a bien instauré des TIP (Tribunaux Internationaux Temporaires): 1) le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993, 2) le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) en 1994 et 3) le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL), en 2002. Mais ceux-ci détenaient et détiennent encore des compétences strictement limitées (rationae loci et rationae temporis) car il s’agit de simples instances ad hoc.
Autant dire que la CPI est la première juridiction internationale permanente à voir le jour. Elle est régie par le Statut de Rome, adopté le 17 juillet 1998 par 120 États. Ce document est entré en vigueur en 2002, lorsque les 60 ratifications requises ont été acquises. Institution indépendante du Conseil de sécurité de l’ONU et des États, elle bénéficie ainsi d’une légitimité renforcée.
Si dans un proche avenir la Cour peut enquêter en Guinée, voire incriminer, juger et sanctionner ses gouvernants, c’est parce que ce pays figure parmi les 110 États actuellement parties à la CPI. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait fallu que le Conseil de sécurité – dont les résolutions ont force obligatoire à l’égard de tous ses membres – défère la situation au procureur ou bien que Conakry accepte expressément la compétence de la cour.
Depuis sa création, la CPI a déjà ouvert une procédure de ce type, notamment, en Afghanistan, en Colombie, en Côte d’Ivoire, au Kenya et en Palestine. Cependant, une telle étape ne signifie pas pour autant qu’une enquête sera diligentée ultérieurement pour vérifier si le crime contre l’humanité – dont l’article 7 du Statut donne une définition très précise – est constitué. Certes, le procureur de la CPI dispose bien du pouvoir d’auto-saisine, mais encore faut-il que la justice de l’État concerné ait témoigné d’un refus manifeste d’agir contre les auteurs des crimes imputés ou bien qu’elle ait reconnu ne pas être en mesure de le faire. Remarquons sur ce point qu’en vertu du principe de complémentarité, la CPI a simplement vocation à compléter les systèmes nationaux de justice pénale et non à s’y substituer.
Retenons deux lignes de force :
1. Une juridiction internationale aux pouvoirs supranationaux. L’autorité de la CPI tient à ses pouvoirs supranationaux. En vertu de ces derniers, ses décisions s’imposent aux États parties et restreignent leur souveraineté.
2. Judiciarisation des relations internationales. La création de la CPI traduit un lent et profond mouvement de judiciarisation. Celui-ci se manifeste par l’édiction de normes et la mise en place de mécanismes permettant de lutter contre l’impunité. En témoigne, la montée en puissance du droit international public dont la force contraignante ne cesse de croître.
Bien que la CPI émane d’un accord interétatique, son émergence doit beaucoup en amont aux ONG humanitaires, organisées en coalition internationale. Ces dernières ont joué en effet un rôle absolument capital dans sa genèse, ne cessant d’œuvrer durant de nombreuses années face aux réticences, voire aux obstructions des États. Par ailleurs, elles ont fait preuve d’une large initiative rédactionnelle qui se retrouve pour l’essentiel entérinée dans le Statut. À cet égard, soulignons combien les principes fondamentaux défendus aujourd’hui activement par la CPI confirment un effritement de la Raison d’État. Pour autant, les ONG continuent de déployer leur capacité d’alerte et d’exercer avec une grande vigilance, une incessante veille normative. Ce faisant, elles interviennent aussi bien auprès des victimes, qu’auprès des opinions publiques ; leur objectif ultime restant de prévenir toute régression, inaction ou instrumentalisation de la CPI. S’agissant de la répression qui continue de se dérouler actuellement en Guinée, la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme) a par exemple lancé sa propre enquête sur le terrain et appelé la France et les États-Unis à « réagir fermement ». En fait, la lutte contre l’impunité passe désormais par une division du travail entre la CPI, les ONG et les États qui composent ainsi une configuration inédite. Mais pour l’heure, la CPI évalue et analyse les informations recueillies, afin de déterminer si les abus commis à Conakry relèvent de sa compétence. À terme, elle pourrait donc décider une fois de plus de mettre en accusation des dirigeants, voire un chef de l’État, comme ce fut le cas avec le président du Soudan, Omar el Béchir.
Cassese Antonio, Violence et droit dans un monde divisé, Paris, PUF, 1990.
Delmas-Marty Mireille, Cassese Antonio (Éds.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002.
Delmas-Marty Mireille, Fronza Emanuela, Lambert Abdelgawad Elisabeth, Les Sources du droit international pénal : L’expérience des Tribunaux Pénaux Internationaux et le Statut de la Cour Pénale Internationale, paris, Société de Législation Comparée, 2005.
Garapon Antoine, Des Crimes qu’on ne peut ni punir, ni pardonner : pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, 2002.