Par Philippe Hugon
Passage au crible n° 140
Après avoir été un modèle de transition démocratique, le Burkina Faso a été à son tour frappé par un attentat de grande ampleur, à Ouagadougou le vendredi 16 janvier 2016. On déplore au moins 30 morts de plus de 14 nationalités différentes. Cet attentat intervient deux mois après celui de Bamako (Hôtel Radisson Blu). Il a été revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) qui l’a attribué au groupe Al Mourabitoune du chef djihadiste Mokhtar Belmokhtar. Les forces spéciales françaises sont intervenues en liaison avec les troupes burkinabés et américaines pour libérer les otages de l’hôtel Splendid et éliminer les assaillants.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Pays sahélien enclavé, le Burkina Faso dispose de frontières poreuses : au Sud, la Côte d’Ivoire ; au Nord, le Mali et le Niger. L’un des pays les plus pauvres du monde, il se trouve dans une zone connaissant de nombreuses vulnérabilités liées à l’explosion démographique, au poids croissant de jeunes sans perspectives, aux aléas climatiques et à l’impossibilité de contrôler ses frontières.
Dirigé par Blaise Compaoré durant 27 ans, cet État a ensuite connu une grave crise politique. Longtemps, son président avait pourtant su jouer un rôle d’intermédiaire entre les groupes djihadistes et leurs cibles. Il avait conclu un pacte implicite de non-agression avec les islamistes et ainsi pu servir de médiateur lors de la libération d’otages. Dans le système néo-patrimonial qu’il avait mis en place, les ressources mobilisées grâce à certaines alliances et au contrôle de trafics divers, lui permettaient de financer le jeu politique sur le plan interne. Mais Blaise Compaoré a finalement perdu le pouvoir après avoir voulu modifier la constitution qui lui aurait permis de briguer un nouveau mandat.
Fin octobre 2014, la mobilisation des jeunes a conduit en quelques jours au départ du « président à vie ». Le mouvement « balai citoyen » a alors représenté un exemple de « printemps africain ». Un gouvernement de transition qui devait conduire aux élections législatives et présidentielles du 11 octobre 2015 a alors été mis en place. Mais le clan politico-militaire et affairiste de Compaoré a voulu prendre sa revanche en fomentant le coup d’État raté du 17 septembre 2015 emmené par Gilbert Diendéré. L’armée loyaliste a finalement obtenu la reddition des putschistes. Le processus de transition démocratique s’est alors poursuivi. Après avoir été retardées, les élections présidentielles ont été gagnées au premier tour le 29 novembre 2015 – avec 53,49% des voix – par l’ancien Premier ministre de Blaise Compaoré, Roch Marc Kaboré.
L’attaque terroriste a eu lieu trois jours après la formation du ministère et le jour même où les autorités judiciaires du Burkina Faso lançaient un mandat d’arrêt contre Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, accusé d’avoir participé à la tentative de coup d’État. Surtout, elle est survenue alors que le Burkina Faso était en train de reconstruire son système de sécurité après l’affaiblissement du RSP (Régime de Sécurité Présidentielle) et des services de renseignement.
Cadrage théorique
Les attentats du Burkina Faso renvoient à deux principales lignes de force transnationales :
1. Une reconfiguration des forces islamistes. L’attentat, attribué à Al-Mourabitoune permet à ce groupe de bénéficier d’une importante visibilité médiatique. Il témoigne en outre d’une extension territoriale de ses interventions. Enfin, sur fond d’alliances et d’antagonismes en son sein même, il confirme l’allégeance que cette organisation prête désormais à Aqmi en rivalité avec l’État islamique.
2. Une stratégie de disqualification des forces occidentales. Au-delà du Burkina Faso, cette action djihadiste vise la France dans ses intérêts économiques, ses expatriés et son intervention militaire. À titre symbolique, il n’est pas anodin de souligner que cette opération a été déclenchée dans une ville où sont installés les services de renseignements et les forces spéciales françaises et américaines. Frapper Ouagadougou, revient ainsi à mettre en relief le point névralgique du renseignement (opération Sabre, DGSE, renseignement militaire) dans le dispositif Barkhane.
Analyse
Les attentats sont liés à des stratégies de groupes islamistes qui ont recruté des jeunes originaires de différents pays africains. Ils se sont accentués depuis quatre ans dans l’espace sahélo-saharien. Dans le cas présent, les assaillants étaient de très jeunes Peuls, Touaregs et arabes originaires du nord du Burkina Faso. En effet, les jeunes désœuvrés de ces régions ont le choix entre petites activités informelles, trafics et recrutement par des milices. Les enquêtes dont on dispose montrent toutefois que ce terreau conduit les milices djihadistes à pratiquer des recrutements hétérogènes, sur le plan socio-économique, scolaire, voire ethnique et religieux. C’est pourquoi les grandes organisations terroristes comme Al Qaïda et l’État islamique se retrouvent en rivalité permanente quant au recrutement et aux stratégies.
Al Mourabitoune, qui a revendiqué les attentats de Ouagadougou, est affiliée à Aqmi même si une faction a déclaré qu’elle l’était à l’Etat islamique. Après avoir été membre d’Al-Qaïada, son chef, Mokhtar Belmokhtar avait rompu avec Aqmi et fusionné avec les Signataires du sang et le groupe Mujao. Puis, il a fait de nouveau allégeance à Al-Qaïda et est désormais considéré comme le Ben Laden du Sahara. À ce titre, on lui attribue la responsabilité des attentats d’In Amenas (Algérie), de Arlit au Niger et du Radisson Blu à Bamako. D’autres groupes sahéliens apparaissent proches d’Al-Qaïda tels les shebabs de Somalie, le FLM (Front de libération du Masina) peul au Mali, Ansar Eddine du Touareg Ag Ghali au Mali.
Au-delà de la référence au salafisme et au takfirisme, il s’agit de groupes terroristes qui contrôlent des trafics. Par exemple, Al Mourabitoune a pris des otages à des fins de rançon et a participé à des trafics de cigarettes. Il a ensuite refusé l’affrontement direct avec les forces de sécurité pour mieux se reconstituer en armements et en hommes. Grâce à cette stratégie, il peut aujourd’hui disposer d’une grande capacité d’action lui permettant de rivaliser avec l’État islamique.
Ces menées terroristes ont frappé en priorité des expatriés. Mais par-delà ces victimes et la déstabilisation des pays africains, ils visent en fait à susciter une terreur telle qu’elle inciterait les Occidentaux – investisseurs et humanitaires – à quitter le Burkina Faso. En l’occurrence, il s’agit aussi de souligner l’impuissance relative des grandes puissances. En effet, l’opération Barkhane, appuyée par les forces africaines et multilatérales, a certes empêché le contrôle territorial des djihadistes dans l’arc sahélo-saharien. Mais dans le même temps, il est certain aussi qu’elle a facilité la dissémination de nombreux groupuscules au sein de ce vaste espace.
Les objectifs de ces attentats s’avèrent pluriels. Ils témoignent des rivalités entre groupes djihadistes pour contrôler des trafics et recruter de nouveaux affidés. Ils visent également à gagner des guerres médiatiques en mondialisant la peur. Ils ont pour finalité d’accroître la vulnérabilité des pays occidentaux ciblés en les dissuadant d’être présents dans la zone saharo-sahélienne.
Références
Hugon Philippe, Géopolitique de l’Afrique, 3e ed, Paris, SEDES 2013.
Jacquemot Pierre, « Les trois paradoxes du Burkina Faso, Lettre de l’IRIS, 2 nov 2014.
Serge Michailof, Africanistan, Paris Fayard 2015.