Par Catherine Wihtol de Wenden
Passage au crible n° 132
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En 2014, l’Union européenne a reçu 625 000 demandeurs d’asile, un chiffre jamais atteint. Auparavant, il se situait simplement autour de 200 000 demandes par an. L’année 2015 a connu 300 000 migrations forcées dues au chaos que connaissent les pays qui entourent l’Europe (Libye, Syrie, Irak, Corne de l’Afrique) ; 2000 morts noyés à ses frontières sont en outre à déplorer. Or, ces données ne cessent de s’aggraver. Entre 2000 et 2015, on estime à 30 000, les personnes mortes en Méditerranée et 40 000 depuis 1990. Dans le même temps, un tournant sans précédent s’est amorcé, avec la déclaration d’Angela Merkel prononcée en septembre 2015. Cette dernière a annoncé en effet que l’Allemagne était prête à accueillir 800 000 demandeurs d’asile dans les prochains mois. Pour leur part, le président français, François Hollande, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, en appellent à la création d’un dispositif permanent et obligatoire d’accueil des demandes d’asile dans tous les pays de l’Union européenne en fonction de leur population et de leurs ressources.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
La politique européenne de l’asile s’appuie sur la Convention de Genève de 1951 qui définit le réfugié comme toute personne fuyant des persécutions ou éprouvant des craintes légitimes. Cette condition étant remplie, il peut ensuite solliciter un accueil dans un pays hôte. Le droit d’asile constitue un droit universel auquel seule une cinquantaine de pays n’a pas souscrit. Mais compte tenu de la diversité des réponses formulées par les puissances européennes, l’UE ne cesse de chercher à harmoniser celui-ci.
Les premiers instruments d’harmonisation sont contemporains de la première crise de l’asile survenue en Europe, au lendemain de la chute du rideau de fer. À l’époque, 500 000 demandes d’asile avaient été adressées aux Européens de l’Union (dont 432 000 en Allemagne en 1992). Il s’agissait alors de lutter contre « l’asylum shopping » qui consistait pour les demandeurs à formuler des requêtes auprès de différents membres de l’Union en attendant la réponse du plus offrant. Désormais – et ce fut l’enjeu des accords de Dublin de 1990 – une seule demande vaut traitement et réponse de tous les États de l’Union. Il en va de même pour l’acceptation ou le refus de délivrance du statut de réfugié. Comme la plupart des demandes ont été adressées à l’Allemagne et à l’Autriche au cours de cette période, ces derniers ont demandé un partage du « fardeau ». Cela s’est finalement soldé en 2003 par les accords de Dublin II, fondés sur le principe « one stop, one shop ». En l’occurrence, cela signifie que l’on doit désormais demander l’asile dans le premier pays européen où l’on est arrivé initialement. Cependant, cette logique a conduit à un engorgement des demandes sur les territoires étatiques situés le long des frontières extérieures de l’Europe, comme l’Italie et la Grèce, peu équipés pour faire face à l’afflux des réfugiés. En outre, ces États disposent d’une moindre culture de l’asile, contrairement à l’Allemagne ou bien la Suède. Les nouveaux arrivants ont donc cherché à les quitter en évitant tout d’abord que leur passeport ne soit tamponné ; ce qui les aurait immanquablement renvoyé vers le premier pays d’arrivée. Une telle réglementation a ainsi créé les points de saturation d’Athènes ou bien de Calais et Sangatte, deux villes où campent les candidats à l’asile vers le Royaume Uni.
En 2008, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile (qui n’est pas un traité) énonçait, parmi ses cinq principes, l’harmonisation du droit d’asile européen. C’est donc dans cet esprit qu’a été créé un bureau à Malte, destiné à harmoniser les réponses en fonction des profils des demandeurs. Une liste de pays sûrs et de tiers sûrs, ainsi qu’une notification de demandes manifestement infondées a dès lors circulé entre membres de l’Union. Un état de fait qui est venu restreindre d’autant les chances d’obtention du statut de réfugié. Mais les révolutions arabes de 2011, les crises syrienne, libyenne et irakienne conjuguées à la venue de nombreux Afghans, ont finalement vidé de sens les règlements de Dublin II. Une nouvelle pratique plus tolérante a alors permis la circulation des demandeurs vers les territoires où ils souhaitaient se rendre. Elle a par ailleurs offert plus de latitude dans la détermination du pays de traitement de la demande, en fonction des choix du demandeur et de ses liens avec tel ou tel région européenne. Ce revirement évoqué récemment par Angela Merkel conduira sans doute à la disparition du règlement de Dublin II.
On voit par conséquent que les années 2014 et 2015 ont connu un afflux exceptionnel de demandes d’asile. Face à ce défi, la proposition de la Commission européenne – tout d’abord évacuée – de quotas en juin 2015, suivie d’un dispositif obligatoire a conduit à une nouvelle ligne de partage entre Européens. Notons d’une part, ceux qui acceptent l’accueil, et d’autre part, ceux qui refusent de se voir imposer de telles mesures comme les États d’Europe centrale et orientale, le Royaume Uni, l’Irlande et le Danemark.
Rappel historique
Le droit d’asile confronté à l’afflux des Syriens. La convention de Genève doit-elle être encore respectée dans l’appréciation du caractère individuel du profil du demandeur d’asile et de la persécution qu’il a vécue ou qu’il fuit ? Ne faudrait-il pas plutôt adopter une réponse collective adaptée à un peuple dont six millions des siens ont déjà quitté leur domicile depuis 2011 et dont quatre millions se trouvent aujourd’hui à l’étranger ? Certains pays ont déjà accueilli des millions de Syriens. Mentionnons principalement la Turquie : 1,8 million, le Liban : 1,2 million et la Jordanie : 600 000. Autrement dit, l’urgence de la crise ne nécessite-t-elle pas une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle, comme ce fut le cas dans le passé pour les boat people vietnamiens, cambodgiens et laotiens des années 1975-1980 ? À cette question, s’ajoute celle de la souveraineté de pays européens qui acceptent difficilement que des demandeurs d’asile leur soient imposés. Des mécanismes comme la protection temporaire, fondée sur la directive européenne de 2001, pourraient être appliqués, comme jadis pour les ressortissants de l’ex-Yougoslavie. Pourtant, ces dispositions ne font pas partie des solutions proposées.
L’harmonisation du droit d’asile dans l’Union européenne. Dans cette communauté politique, chaque pays met en place sa propre diplomatie. Chacun entretient des relations privilégiées avec tel ou tel pays de départ et il maintient ou non sa tradition de l’asile face à la faible lisibilité de la politique commune de l’Union. Or, les demandeurs d’asile ont souvent une idée précise du pays où ils veulent aller, pour des raisons de langue, de liens familiaux, d’opportunités d’emplois et de prestations. C’est pourquoi, l’idée que les États membres seraient tous perçus comme semblables à leurs yeux, reste une pure chimère. Dans ce contexte, l’opinion publique d’extrême-droite qui a longtemps tenu lieu de réponse aux pays européens pour affirmer ici ou là une politique restrictive sans nuances, instrumentalise cet enjeu au service de politiques sécuritaires des migrations.
Analyse
La crise de l’asile, à laquelle l’Europe est actuellement confrontée, montre que la dissuasion a atteint ses limites. En effet, bien qu’elle soit déployée depuis 25 ans avec des instruments de plus en plus sophistiqués, cette stratégie n’a pas réduit les entrées régulières et irrégulières, ni davantage les demandes d’asile. Elle souligne bien plutôt les clivages existant en Europe, entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest. Ainsi, cette situation révèle-t-elle l’hostilité des nouveaux membres de l’Union issus du bloc communiste. Elle met au jour également des disparités Nord/Sud. Celles-ci sont illustrées par le manque de solidarité des pays du nord européen – peu concernés par les arrivées dans les pays du sud de l’Europe – envers des États comme l’Italie ou la Grèce ; ces derniers ayant jusqu’ici assumé l’essentiel de l’accueil, comme l’a montré, en Italie, l’opération Mare Nostrum mise en place de novembre 2013 à novembre 2014. En dernière instance, le repli sur soi l’emporte le plus souvent sur les principes européens de solidarité. Mais il faut bien comprendre à cet égard que l’Europe joue sur ce dossier ses valeurs de respect des droits de l’homme et de partage des responsabilités dans la décision d’accueillir ou non les réfugiés.
Balleix Corinne, La politique migratoire de l’Union Européenne, Paris, Doc française 2013.
Höpfner Florian, L’Évolution de la notion de réfugié, Paris, Pédone, 2014.
Thiollet Hélène, Schmoll Camille, Wihtol de Wenden Catherine, Migrations en Méditerranée, Paris, CNRS Editions 2015.
Vaudano Maxime, « Comprendre la crise des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos », LeMonde.fr, [En ligne], 4 sept. 2015, disponible à l’adresse suivante : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/04/comprendre-la-crise-des-migrants-en-europe-en-cartes-graphiques-et-videos_4745981_4355770.html.
Dernière consultation : le 17 sept. 2015.
Wihtol de Wenden Catherine, Le droit d’émigrer, Paris, CNRS Editions 2013.
Wihtol de Wenden Catherine, Faut-il ouvrir les frontières?, Paris, Presses de Sciences Po 2015.
Wihtol de Wenden Catherine, La Question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.