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PAC 174 – La riposte Disney face à l’uberisation d’Hollywood Le rachat de la major 20th Century Fox par la compagnie Disney

Par Alexandre Bohas

Passage au crible n° 174

Disney qui connaît une période de succès cinématographiques et financiers sans précédent vient d’acquérir la Fox, une transaction le plus souvent saluée comme l’ultime triomphe de l’entreprise. Cependant, cette acquisition revêt un caractère défensif qui révèle la crise dans laquelle se trouvent les majors hollywoodiennes face à l’essor des opérateurs de l’internet.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Après des rumeurs de pourparlers entre les deux parties révélées au mois de novembre 2017 par le site d’information CNBC, la compagnie Walt Disney annonce, le 14 décembre, avoir conclu un accord de rachat avec le groupe 21st Century Fox. Issu de la scission avec la News Corporation en juin 2013, celui-ci rassemble l’ensemble des actifs audiovisuels détenus par le magnat Rupert Murdoch, dont la major 20th Century Fox avec ses studios et ses univers narratifs, les réseaux de diffusion mondiale et le network américain, Fox. Alors que ce dernier serait exclu de la transaction, le reste du groupe serait acquis pour un montant de 66 milliards de dollars dont 14 seraient destinés à rembourser sa dette. Dès la conférence de presse officialisant le rapprochement, de nombreuses synergies ont été annoncées. Estimées à 2,5 milliards de dollars, elles devraient concerner la production et la distribution tant cinématographiques que télévisuelles. Notons que cette prise de contrôle ne sera pas définitive avant l’accord de l’administration américaine qui devrait se produire au début de l’année 2019.
La firme ainsi rachetée a dernièrement connu des scandales en matière de harcèlement sexuel ainsi que des contre-performances audiovisuelles. En effet, ses deux figures emblématiques, Bill O’Reilly et Roger Ailes, ont été acculées à la démission après des plaintes les visant. Par ailleurs, ses productions de cinéma ne s’avèrent plus aussi rentables que par le passé, tandis que le nombre des abonnements à ses offres de services par satellite stagne. Soulignons en particulier que les chaînes spécialisées dans les événements sportifs, auparavant sources majeures de revenus, n’attirent plus autant les téléspectateurs.
Par ce tour de force, Disney acquiert tant la prestigieuse major 20th Century Fox et ses nombreux labels, comme Fox Searchlight et Fox 2000, que de puissants réseaux de télévision par satellite asiatiques et européens, notamment Sky et Star. Elle étoffe également son catalogue d’univers narratifs avec Avatar, les X-Men, l’Age de Glace et les Sympsons, qui serviront à de nouveaux épisodes cinématographiques. Ce faisant, elle poursuit une stratégie de croissance externe. Elle devient aussi majoritaire dans le capital de la plateforme de streaming vidéo, Hulu, qui compte déjà 35 millions d’abonnés, ce qui conforte son PDG, Robert Iger, dans sa volonté de développer sa propre plateforme internet de vidéo en streaming pour contrer la position hégémonique de Netflix et d’Amazon dans le domaine.

Cadrage théorique
1. Une confrontation entre économies-mondes. Fernand Braudel désignait par ce dernier concept des territoires déterminés et hiérarchisés, de manière transnationale, autour de centres qui dominent des périphéries. La reconfiguration résultant du processus de mondialisation abat les frontières entre secteurs, ce qui multiplie les rivalités entre pôles mondiaux ; en l’occurrence, dans le cas présent, Hollywood et la Silicon Valley.
2. L’essor des plateformes numériques dans les industries culturelles. Ce que d’aucuns désignent par le terme d’uberisation de l’économie renvoie au succès de sites internet qui mettent en lien, de manière instantanée, efficace et pratique, une offre à une demande (Van Alstyne, Parker, Choudary ; PAC 153). En l’espèce, dans le domaine des biens culturels, de nombreux opérateurs, tels que Netflix, proposent un modèle économique plus attractif et créateur de valeur que celui des diffuseurs traditionnels.

Analyse
Ce rachat de la Fox par Disney intervient dans un contexte de crise des majors d’Hollywood. En effet, leurs taux de rentabilité baissent à la suite d’effets ciseaux provenant de l’augmentation des coûts de production et de la baisse des ventes.
D’une part, les montants investis dans les films ont dramatiquement augmenté ces dernières années, passant de 80 millions de dollars en moyenne dans les années 2000 à plus de 150 aujourd’hui, sans compter les dépenses engagées pour leur promotion et leur diffusion. Délaissant les longs métrages à budgets modérés, les majors se sont concentrées sur les films à succès destinés aux familles, appelés blockbusters ou tentpoles. Disney s’avère emblématique de cette spécialisation, détenant de nombreux univers narratifs comme ceux de Pixar, de Marvel et de Star Wars.
D’autre part, les spectateurs se détournent des supports vidéo, de la télévision traditionnelle, et des multiplexes pour se diriger vers la vidéo en streaming, ce qui réduit d’autant les sources de revenus et de rentabilité des majors. À titre d’exemple, les divisions home entertainment des majors, en charge des supports vidéo, ont vu leurs ventes divisées par deux en dix ans, alors qu’elles constituaient une manne essentielle pour leurs résultats. Les internautes se sont habitués à visionner des contenus gratuits, ce qui constitue un défi, notamment pour les programmes spécialisés dans le sport. À cet égard, la chaîne de Disney ESPN connaît une baisse du nombre de ses abonnements. Pour ce qui concerne les offres de vidéo en streaming par internet – segment en croissance, rentable et offrant un accès direct vers les spectateurs – les majors hollywoodiennes se trouvent distancées par les opérateurs de l’internet, notamment par Netflix avec 100 millions d’abonnés et Amazon avec plus de 80. Les plateformes des majors telles que Hulu et HBO en totalisent moins de 50. Notons qu’Hollywood se trouve, une fois de plus, en retard sur les grandes évolutions du secteur de l’information et des télécommunications comme lors de l’émergence de la télévision, de la cassette vidéo et de l’internet durant les années 2000.
Dans ce contexte de transformation de la consommation audiovisuelle et d’arrivée de nouveaux rivaux, les majors hollywoodiennes risquent de se trouver à la merci de quelques startups de la Silicon Valley, qui leur échappent, les mettent en concurrence et se lancent dans des productions audiovisuelles de séries télévisées et de cinéma. Ainsi, la concentration d’Hollywood vise-t-elle à renforcer le pouvoir de négociation du nouveau conglomérat audiovisuel à l’égard de ses clients, mais aussi à contrer la prédominance des opérateurs de l’internet en matière de contenus audiovisuels.
En somme, cette prise de contrôle de Disney sur la 20th Century Fox constitue avant tout une action défensive traduisant la vulnérabilité des majors face à l’essor de la sphère numérique. Comme Uber dans les services de transport individuels et Airbnb dans l’industrie hôtelière, les plateformes de diffusion vidéo introduisent une rupture radicale dans les secteurs de l’audiovisuel.

Références

Bohas Alexandre, « Uber ou l’irrésistible ascension mondiale des firmes numériques », Passage au crible, (153).
Braudel Fernand, La Dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985.
Faughnder Ryan, NgContact David, « Disney’s Deal to Buy Fox Studio Could Bring Substantial Layoffs”, Analysts Say », Los Angeles Times, 14 December 2017.
Van Alstyne Marshall W., Parker Geoffrey G., Choudary Sangeet Paul, « Pipelines, Platforms, and the New Rules of Strategy », Harvard Business Review, April 2016.