Par Thierry Garcin
Passsage au crible n° 172
Source: Pixabay
Le 6 décembre 2017, le président américain Donald Trump déclare que « l’heure est venue pour les États-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël [...] Je pense que cela aurait dû être fait depuis longtemps ».
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Au cœur de la Grande Guerre, le Royaume-Uni et la France (en association avec la Russie tsariste) prévoient de dépecer l’empire ottoman, « homme malade de l’Europe ». Mais ces accords secrets dits « Sykes-Picot » (1916) ne seront jamais appliqués. L’année suivante, la déclaration Balfour, du nom du ministre britannique des Affaires étrangères, promet un « foyer national pour le peuple juif ». En 1918, la déclaration du président Wilson (les fameux « 14 points ») entre également en résonance avec la question du Levant. Le 12e point est explicite : « Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devront être garanties la souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque, on devra garantir une sécurité absolue d’existence et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome, sans être aucunement molestées […] ».
En 1919, la SDN (Société des nations), à laquelle n’adhéreront finalement pas les États-Unis (le congrès américain ayant refusé de ratifier le traité de Versailles), confie au Royaume-Uni et à la France des tutelles de type A (1920), qui devront préparer les peuples concernés à l’indépendance, ceux-ci n’étant pas encore considérés comme capables « de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne » (article 22 du Pacte de la SDN). À Londres, la Palestine, la Transjordanie et l’Irak ; à Paris, la Syrie et le Liban, ainsi qu’une frange territoriale de la Turquie du sud-est (cette dernière sera restituée à la Turquie en 1921). Les deux puissances agissent alors « en qualité de mandataires et au nom de la Société ».
D’emblée, il est prévu une « administration internationale » pour la ville de Jérusalem (« ville de la paix »), qui abrite les lieux saints des trois seules religions monothéistes : le Mur des Lamentations pour le judaïsme, le Golgotha pour le christianisme, le dôme du Rocher jouxtant la Grande mosquée pour l’islam. Ce statut sera rappelé par la SDN à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Après la tragédie de l’holocauste, l’Assemblée générale de l’ONU (Organisation des nations unies) vote un plan de partage entre État palestinien et État juif (résolution 181, 29 novembre 1947), instituant un « corpus separatum » pour Jérusalem, sous l’autorité administrative de l’ONU (assurée par un gouverneur, ni juif ni arabe), avec « régime international particulier » pour une période de dix ans. Il est prévu que les lieux saints soient libres d’accès et démilitarisés. « Tous les résidents deviendront ipso facto citoyens de la Ville de Jérusalem », sauf à choisir la nationalité de l’État arabe ou de l’État juif. Le plan de partage ayant été refusé par les États arabes, l’État d’Israël proclame son indépendance le 14 mai 1948. Jérusalem-Ouest sera déclarée capitale en 1950. La partie orientale de Jérusalem (dont la vieille ville accueillant les lieux saints) est alors administrée par la Jordanie, sous réserve de la résolution finale de la question palestinienne.
En 1967, à l’issue de la guerre des Six-Jours déclenchée par Israël, Jérusalem-Est est occupée, résolument colonisée dès la décennie soixante-dix et finalement annexée par le vote d’une loi fondamentale adoptée par la Knesset en 1980. Elle devient ainsi capitale « éternelle et indivisible ». La résolution 478 du Conseil de sécurité de l’ONU (1980) demande aux quelques États « qui ont établi des missions diplomatiques à Jérusalem (i.e. : à Jérusalem-Ouest) de retirer ces missions de la Ville sainte». Quant à la municipalité du Grand Jérusalem, elle déborde d’une façon significative sur la Cisjordanie (depuis 1995, la superficie de Jérusalem-Est a été multipliée par douze, après confiscation ou destruction d’habitations palestiniennes, dénoncées par les États-Unis). En 1988, l’année suivant la première Intifada (« révolte des pierres »), la Jordanie se désengage de son administration civile de la Cisjordanie. En 1993, les accords d’Oslo (Israël-OLP) prévoient un statut définitif pour la Palestine (et pour Jérusalem) au plus tard en 1999. En 2002, un mur commence à être érigé par Israël (au motif de la lutte anti-terroriste), empiétant sur la Cisjordanie (il sera considéré comme « illégal » dans un avis consultatif émis en 2004 par la CIJ (Cour internationale de justice des Nations unies). Ce mur enferme des Palestiniens dans la municipalité du Grand Jérusalem et leur interdit de rejoindre aisément la Cisjordanie, tout en privilégiant la colonisation de Jérusalem-Est. Enfin, en 2003, la « Feuille de route » (États-Unis, Russie, Union européenne, ONU- dit le « Quatuor ») annonce la création d’un État palestinien pour 2005, avec « un règlement négocié de la question du statut de Jérusalem qui tienne compte des préoccupations politiques et religieuses des deux parties ».
Cadrage théorique
1. Les territoires occupés. Une douzaine de territoires sont militairement occupés dans le monde, pour des raisons religieuses, politiques et/ou identitaires. Ces situations impliquent directement le recours à la force armée, le droit international et l’ONU, la question des frontières restant première, en particulier dans un lieu aussi symbolique que Jérusalem.
2. La Religion et la souveraineté. On assiste à une véritable intrication des arguments d’ordre religieux (la Judée-Samarie, biblique) ou politiques, qui associent les pays de la région mais qui nourrissent aussi des thématiques complexes comme la création d‘un État de Palestine bicéphale (La Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza) et des dossiers tels que l’avenir des colons, le droit au retour des réfugiés, l’eau, qui avaient eux-mêmes fait l’objet de négociations dans le cadre de la Conférence de paix sur le Moyen-Orient (1991-1994).
Analyse
La décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël (dans des frontières israéliennes et internationales non précisées) et d’y installer à terme l’ambassade, respectant en cela l’une des promesses de sa campagne électorale, ne saurait être dissociée de la question de la Palestine (Cisjordanie, Jérusalem-Est, bande de Gaza décolonisée et évacuée par Israël en 2005).
Certes, en 1995, le Jerusalem Embassy Act avait été voté par le congrès (93 sénateurs sur 100, 374 représentants sur 435), demandant la relocalisation de l’ambassade à Jérusalem. Mais les présidents américains successifs avaient pris soin de signer chaque semestre un report de la décision (dérogation), au nom « des intérêts de sécurité nationale ». La déclaration du président Trump change donc la donne, au point que ses détracteurs arabes ou européens accusent les États-Unis de ne plus être un «médiateur impartial ».
Tout d’abord, le contexte doit être précisé, à trois niveaux différents. En premier lieu, celui interne à Israël (reculade du gouvernement dans la « crise des portiques » de l’été 2017 ; accusations de corruption poursuivant le Premier ministre ; reprise de la colonisation) et propre aux États-Unis (affaires concernant directement le président, à un an des élections de mi-mandat). Ensuite, celui des Palestiniens (Autorité palestinienne affaiblie ; annonce d’une nouvelle réconciliation entre celle-ci et le Hamas, qui dirige la bande de Gaza depuis 2007). Enfin, la situation internationale (rapprochement entre les États-Unis, Israël et l’Arabie Saoudite ; crainte de la montée en puissance de l’Iran).
Si le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, s’est félicité de la décision américaine, plus unilatéraliste qu’isolationniste, arguant du fait que Jérusalem était la « propriété depuis 3 000 ans du peuple juif », le président de l’Autorité palestinienne a récusé en revanche toute future entremise diplomatique des États-Unis, tandis que le Hamas a appelé à l’Intifada. La question palestinienne reste donc dépendante de puissants facteurs exogènes et ravive la problématique « Paix contre territoires ». Le débat est rapidement devenu diplomatique : risque d’isolement des États-Unis, affaiblissement du dirigeant de l’Autorité palestinienne ; hostilité déclarée de la Turquie qui a aussitôt convoqué un sommet de l’OCI (Organisation de la coopération islamique). Vue de Washington, la réaction d’Ankara accentue encore les dissensions internes à l’Alliance atlantique (occupation de Chypre du Nord, politique migratoire, respect de l’État de droit, lutte contre l’État islamique, répression contre les Kurdes). Mais, l’embarras fut perceptible chez certains partenaires arabes, et davantage en Arabie Saoudite ou en Égypte qu’en Jordanie ou au Maroc. Une nouvelle fois, l’unité ou la solidarité du monde arabe a été mise à l’épreuve.
Les réactions n’ont pas été plus unanimes au sein de l’Union européenne : le président français Emmanuel Macron a regretté, puis désapprouvé sans condamner ; l’Allemagne a rappelé la nécessité d’une solution impliquant deux États ; le Royaume-Uni a dénoncé une décision « sapant les perspectives de paix dans la région ». Et si Federica Mogherini, haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a affirmé : « Nous pensons que la seule solution réaliste au conflit entre Israël et la Palestine est fondée sur deux États, avec Jérusalem comme capitale des deux États, suivant les frontières de 1967 », la Hongrie a fait bande à part. À nouveau, la politique étrangère et de sécurité commune s’est donc retrouvée face à des défis majeurs.
De même, de nombreux pays subsahariens n’ont pas tardé à réagir ou à critiquer, voire à condamner. Les observateurs ont remarqué que la Chine se montrait a contrario plus conciliante. En effet, sur un dossier dans lequel elle n’est active que depuis 2013, elle appelle à la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien et promet une aide économique financière. Il faut y voir la limite de la politique étrangère chinoise dans la région, Pékin restant fortement tributaire des pays arabes et de l’Iran pour son approvisionnement en matières premières. L’Assemblée générale de l’ONU a voté, le 21 décembre, à une large majorité (128 voix sur 193 pays), en faveur d’une résolution sur le statut de Jérusalem condamnant implicitement la décision américaine, s’opposant de facto au veto américain précédemment utilisé au Conseil de sécurité.
Cette nouvelle situation illustre l’hétérogénéité des prises de position des principaux acteurs de la région, les divergences propres aux organisations arabes, islamiques et européennes, la montée en puissance des pays tiers et, finalement, l’instabilité du système international.
Références
Chagnollaud Jean-Paul, Israël/Palestine. La défaite du vainqueur, Arles, Sindbad Actes Sud, 2017, pp. 95-113.
Dot-Pouillard Nicolas, La Mosaïque éclatée. Une histoire du mouvement national palestinien (1993-2016), Arles, Actes Sud, 2016, 255 p.
Lemire Vincent (Éd.), Jérusalem, histoire d’une ville monde, Paris, Champs-Flammarion, 2016, 535 p.