Source: Pixabay
Par Valérie Le Brenne
Passage au crible n° 167
Le 9 novembre 2017, à l’occasion de la visite officielle de Donald Trump à Pékin, le groupe pétrolier Sinopec, le fonds souverain CIC et la Bank of China ont conclu avec une société américaine un contrat d’un montant de 43 milliards de dollars pour développer des infrastructures de GNL (gaz naturel liquéfié) dans le nord de l’Alaska. Pékin, qui entend décarboner son économie, prévoit d’importer 75% des volumes qui y seront produits.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Rappelons tout d’abord que l’Alaska fut une possession russe jusqu’en 1867. Afin de répondre aux difficultés financières de l’Empire, le tsar Alexandre II la céda pour 7,2 millions de dollars aux États-Unis, où cette acquisition fut l’objet de vives critiques. Pour l’opinion publique, cet espace quasi inhabité était en effet dépourvu de tout intérêt. Même le commerce de fourrures, qui s’était développé au cours des années quatre-vingt-dix sous la houlette de la Compagnie russe d’Amérique, connaissait un déclin depuis 1840.
En fait, il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la région suscite de nouveau des convoitises. Après la découverte d’hydrocarbures dans les sous-sols du Cook Inlet en 1891, les filons aurifères provoquent une véritable ruée vers l’or. Par la suite, le développement de la pêche donne lieu à l’ouverture d’une trentaine de conserveries. Puis, en 1968, est mis au jour le gisement de Prudhoe Bay dont les réserves sont initialement estimées à environ 25 milliards de barils, ce qui en fait l’une des plus importantes réserves d’Amérique du Nord.
Toutefois, l’émergence des préoccupations environnementales et la multiplication des marées noires – en particulier celle, spectaculaire, du Torrey Canyon en 1967 – attisent les con-troverses autour de l’exploitation des ressources naturelles au pôle nord. Les risques induits par les activités extractives nourrissent de nombreuses craintes concernant les dommages irrémé-diables qui pourraient être causés à ces écosystèmes uniques.
En 1996, est adoptée la déclaration d’Ottawa portant création du Conseil de l’Arctique. Composée des huit pays riverains du cercle polaire (Canada, Danemark, États-Unis, Fédération de Russie, Finlande, Islande, Norvège et Suède), cette organisation internationale a pour princi-pal objectif de veiller à la protection de l’environnement et au respect des populations autochtones. Outre ses membres permanents, cette arène compte également des pays observateurs dont la Chine qui a obtenu ce statut en 2013. Régulièrement critiqué pour son manque d’efficacité, ce forum intergouvernemental constitue davantage un outil de coopération permettant d’apaiser les tensions qu’une instance de régulation.
Cadrage théorique
1. L’opportunité du changement climatique. La fonte des glaces consécutive au réchauffement climatique ouvre de nouvelles opportunités en Arctique, en particulier dans le domaine des hydrocarbures. Si cette transformation de l’échiquier énergétique accentue la concurrence pour l’accès aux ressources, elle produit également des partenariats ad hoc entre acteurs publics et privés.
2. L’affirmation du pouvoir structurel de la Chine. Depuis plusieurs années, la Chine manifeste un intérêt croissant pour la région. Faute d’accès direct, elle multiplie les investissements dans les pays frontaliers du cercle polaire. En déployant sa puissance financière, Pékin affirme ainsi son pouvoir structurel.
Analyse
Selon plusieurs estimations, l’Arctique pourrait abriter 90 milliards de barils de pétrole et 30% des réserves mondiales de gaz naturel. Signalons que les pôles sont particulièrement affectés par la hausse globale des températures. En 2016, la fonte de la banquise a atteint un niveau record et les scientifiques ont constaté une réduction inédite des glaces les plus anciennes. Outre l’ouverture de voies navigables, cette transformation a dévoilé de substantielles opportunités en rendant possibles la prospection et l’exploitation de gisements offshore.
Ce faisant, les pays frontaliers recourent à des stratégies variées pour accéder à ces res-sources. En 2013, le Groenland a modifié sa constitution afin d’autoriser l’exploration de son sous-sol. De son côté, la Russie a obtenu en 2015 un agrandissement de sa ZEE en mer d’Okhotsk en faisant valoir auprès des Nations unies l’extension du plateau continental. Deux ans plus tôt, une action des militants de Greenpeace sur la plateforme de Prirazlomnaia en mer de Petchora et leur détention par les autorités avaient très fortement médiatisé les ambitions de Moscou en Arctique.
En revanche, les États-Unis rencontrent davantage de difficultés. Après avoir obtenu un premier feu vert du gouvernement pour réaliser des forages dans le Beaufort et la mer de Tchouktches en 2012, la Royal Dutch Shell avait été contrainte d’abandonner ce projet après qu’une série d’incidents était survenue. En 2015, le président Barack Obama avait donné son accord à la reprise des activités en Alaska. Il avait alors suscité un tollé parmi les organisations écologistes et des manifestants en kayaks avaient pris l’initiative d’encercler une plateforme amarrée dans le port de Seattle.
Signalons que ces forages exigent une technologie très avancée – que ne maîtrisent pas toutes les entreprises du secteur extractif – et supposent des investissements massifs. La création de consortiums forme donc l’une des solutions privilégiées pour partager le portefeuille des risques. Or, comme la Chine détient une capacité à injecter des capitaux substantiels, elle est de facto devenue un interlocuteur incontournable. En 2012, la London Mining a par exemple fait savoir qu’elle souhaitait exploiter les minerais de fer du Groenland avec l’appui d’investisseurs chinois. En 2012, la Chine et l’Islande ont signé à Reykjavik six accords de coopération, dont un portant spécifiquement sur l’Arctique. Le texte comporte, entre autres, des dispositions concernant les sciences et technologies polaires, la géothermie, l’énergie solaire etc.
En assurant maintenant sa présence en Alaska, Pékin affirme son pouvoir structurel et démontre une capacité à se hisser au rang d’acteur majeur d’une gouvernance en voie d’élaboration.
Références
Escudé Camille, « Le Conseil de l’Arctique : la force des liens faibles », Politique étrangère, 3, aut. 2017, pp. 27-36.
Garcin Thierry, « Où en est la course à l’Arctique ? », Revue internationale et stratégique, 95 (3), 2014, pp. 139-147.
Lasserre Frédéric, « La stratégie de la Chine en Arctique : agressive ou opportuniste ? », Norois, 236 (3), 2015, pp. 7-23.