Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 165
Organisé à Dà Nang au Vietnam du 8 au 10 novembre 2017, le sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economique Cooperation) a réuni plus de deux mille directeurs exécutifs d’entreprises ainsi que les principaux dirigeants des économies de la région. Selon la présentation officielle de ce forum, les discussions portaient sur « l’avenir et la mondialisation ».
> Rappel historique
> Cadrage théorique
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Rappel historique
Lors d’un discours prononcé le 10 novembre, le président des États Unis, Donald Trump a confirmé son slogan de campagne en déclarant : « J’accorderai toujours la priorité à l’Amérique, et de la même manière, j’espère que vous tous dans cette pièce vous ferez de même dans vos pays respectifs ». Cette intervention était attendue après sa décision de quitter l’accord TPP (Trans-Pacific Partnership) à la fin de l’année 2016, soit trois jours après son investiture. S’exprimant peu après, son homologue chinois, Xi Jinping a présenté la mondialisation comme « une tendance historique irréversible », tout en revendiquant la défense du libre-échange.
Depuis sa création en 1989, l’APEC – qui siège à Singapour – réunit chaque année les hauts responsables des 21 pays membres ainsi que les représentants d’organisations internationales, des experts et autres spécialistes de l’économie et du développement. Parmi les États parties, citons les États-Unis (1989), le Japon (1989), la Chine (1991) et la Russie (1998). Cette organisation représente plus du tiers de la population mondiale (soit 2,6 milliards de personnes), environ 60% du PIB de la planète et 47% du commerce international. Il s’agit donc de la zone économique la plus dynamique au monde qui a contribué à près de 70% de la croissance mondiale entre 1994 et 2004.
Ce forum intergouvernemental vise dès lors à faciliter la croissance, la collaboration et l’investissement dans la région Asie Pacifique. En outre, cette instance tente de réduire les entraves aux échanges commerciaux augmentant les exportations, tout en s’efforçant de formuler une politique commune sur le plan économique et technique. Certaines de ces dispositions se sont concrétisées dans le domaine sanitaire comme par exemple en 2006 avec le soutien de l’APEC à des mesures de prévention face à une éventuelle pandémie de la grippe aviaire (H5N1). En 1994, lors d’une réunion tenue en Indonésie, plusieurs dirigeants politiques ont adopté « les objectifs de Bogor ».
Ces derniers posaient le principe d’une zone de libre-échange et d’investissements pour les économies industrialisées dès 2010 et pour celles en voie de développement, d’ici 2020. Pourtant, l’APEC n’est à l’origine d’aucun traité qui aurait pu engager de manière déterminante ses participants. En effet, contrairement à l’Union Européenne ou à d’autres organisations multilatérales, ses initiatives reposent sur une base non contraignante car ses décisions sont prises par consensus. Quant à ses engagements, ils restent fondés sur un simple volontariat. Mais cette logique reste cependant appréciée par la RPC (République populaire de Chine) qui voit dans ce forum un outil diplomatique, voire le pilier idéal pour développer sa politique de voisinage face à la suprématie américaine.
Entre 2002 et 2012, son entrisme soft s’est manifesté par la multiplication de visites officielles en Russie et en Asie centrale (le président Xi Jinping s’étant rendu en septembre 2013 au Turkménistan, au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Kirghizstan). Mentionnons également les déplacements du Premier ministre Li Keqiang en Inde et au Pakistan en mai 2013 et dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Thaïlande et Brunei en octobre 2013).
Cadrage théorique
1. La promotion ambivalente d’un multilatéralisme. Dans un contexte mondial marqué par l’instabilité, la Chine tente d’apparaître comme un partenaire attractif et fiable en proposant un modèle gagnant-gagnant fondé sur des coopérations interrégionales. Mais centrée en apparence sur les principes de « solidarité » et de « développement pacifique », cette vision obéit principalement à des considérations sécuritaires, politiques et économiques.
2. La quête ambiguë d’un statut de puissance. S’affirmant dans la région Asie-Pacifique, ce « renouveau de la nation » chinoise pourrait menacer à terme les rapports de Pékin avec l’hegemon américain.
Analyse
Pékin tente aujourd’hui d’appliquer une politique proactive qui s’appuie sur des rencontres bilatérales et multilatérales, les conférences de travail et les projets de coopération présentés comme une ressource positive pour tous. Cette implication croissante hors de ses frontières a été construite par le président Hu Jintao dans le cadre de sa politique du « going out », puis développée par Xi Jinping. Ce dernier insiste sur deux axes : la « route maritime de la soie » (maritime silkroad) et la « zone économique de la route de la soie » (silk road economic belt). Il s’agit en l’occurrence de relier la République populaire à l’Europe en renforçant les infrastructures et la collaboration économique avec les voisins d’Asie centrale et d’Asie du sud-est.
Ces dispositions sont guidées par un projet global. En effet, l’amélioration des réseaux de transport et de communication transrégionaux (chemins de fer, ports, routes) permettrait de faciliter les échanges et l’acheminement des produits chinois vers les marchés voisins, tout en désenclavant les provinces pauvres de l’ouest et du centre du pays, telles que le Xinjiang et le Tibet. À titre d’exemple, citons la province méridionale du Yunnan qui est progressivement devenue un pont économique vers l’Asie du sud-est, et en particulier vers la sous-région du Grand Mékong (provinces du Yunnan et du Guangxi, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et le Myanmar).
Afin de limiter sa dépendance envers le Moyen-Orient et l’Afrique, la RPC cherche en outre à diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie. C’est pourquoi, en tant que premier importateur mondial de pétrole, elle soutient la coopération énergétique avec des nations qui offrent davantage de garanties de stabilité politique. Les visites de Xi Jinping aux quatre pays d’Asie centrale en septembre 2013 correspondent clairement à cette ligne politique.
Parallèlement à cette diplomatie économique de « bon voisinage », la Chine affirme désormais avec plus de fermeté ses positions et revendications dans la région.Elle se mobilise en premier lieu sur les enjeux maritimes. En novembre 2013, Pékin a ainsi décrété une zone d’identification de défense aérienne ou ADIZ (Air Defense Identification Zone) au-dessus de la mer de Chine orientale. Plus récemment, elle a installé en mai 2014 une plate-forme pétrolière dans des eaux pourtant revendiquées par le Vietnam. A contrario, Pékin a soutenu que ces dernières faisaient partie intégrante de sa zone économique exclusive. Naturellement, cette action controversée provoque des tensions au sein de l’APEC, notamment avec Washington.
Il est clair que depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, Pékin s’efforce d’établir avec les États-Unis un nouveau rapport de force dans la région Asie-Pacifique. Les dirigeants chinois insistent à cet égard sur la notion de « nouveau type de relations entre grandes puissances », ce qui sous-entend la volonté d’être traité à présent d’égal à égal par Washington. Le gouvernement chinois met ainsi en avant la construction d’une « communauté de destin commun » en Asie, ce qui exclurait de facto les Américains. Enfin, il appelle à repenser – voire à remettre en cause – la légitimité de certaines normes et institutions établies par les puissances occidentales. De même, il conteste l’engagement de celles-ci dans la région et exprime le souhait de voir limiter leur rôle dans cette partie du monde. Pour atteindre ses objectifs, la RPC renforce donc son attractivité économique auprès de ses voisins ; l’objectif étant de convertir les interdépendances actuelles en prochains soutiens politiques sur la scène mondiale. C’est dire qu’il faut bel et bien analyser cette diplomatie régionale des sommets comme une stratégie de puissance à l’échelle mondiale.
Références
Benberrah Moustafa, « La conquête chinoise de l’Afrique par l’APD. Le secteur du BTP sous domination chinoise », Chaos international, disponible sur : http://www.chaos-international.org/pac-150-conquete-chinoise-de-lafrique-lapd/
Eckman Alice, « Asie-Pacifique : la priorité de la politique étrangère chinoise », Politique étrangère, aut 2014/3, consulté le 07/10/2017 sur : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-11.htm
Lachkar Michel, « Les tensions en mer de Chine poussent les pays de l’Asie-Pacifique au réarmement », Franceinfo, 08/05/2016, disponible sur : http://geopolis.francetvinfo.fr/les-tensions-en-mer-de-chine-poussent-les-pays-de-l-asie-pacifique-au-rearmement-105405
Le monde, « Au sommet de l’APEC, Donald Trump se montre offensif sur le dossier du commerce international », Le Monde, 10 nov 2017, disponible sur :
http://www.lemonde.fr/international/article/2017/11/10/pas-d-entretien-particulier-prevu-entre-donald-trump-et-vladimir-poutine-au-vietnam_5212971_3210.html