Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 163
Lors de son discours à Davos, le 17 janvier 2017, le président de la république populaire de Chine (RPC), Xi Jinping s’est prononcé en faveur du libre-échange et a mis l’accent sur la nécessité de créer un monde ouvert et connecté. Dans un cadre marqué par le Brexit et l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, le chef de l’État a expliqué les grandes lignes de sa vision économique. L’événement a bénéficié d’une couverture exceptionnelle des médias chinois, notamment en Afrique, illustrant les efforts menés par ce pays afin de promouvoir son modèle économique et sa nouvelle stature internationale.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
L’implantation des principaux médias chinois en Afrique remonte aux années cinquante. En effet, l’agence de presse Chine Nouvelle (Xinhua) a ouvert au Caire en 1958 son premier bureau sur le continent. Puis, elle a créé un total de seize bureaux entre 1958 et 1965, avant une période de repli pendant la révolution culturelle. Xinhua a ensuite connu une nouvelle expansion à partir de 1978 avec l’ouverture de douze nouveaux locaux. Sa stratégie a tout d’abord été liée à l’exercice de la diplomatie chinoise dans la région et répondait aux besoins en matière de veille et de renseignement. Elle a été progressivement fondée sur une politique commerciale de mise à disposition de dépêches à partir des années quatre-vingt-dix. La relocalisation du bureau régional de Xinhua de Paris à Nairobi en 2006 marqua un tournant symbolique dans la politique africaine des autorités chinoises. À la fin de 2011, Xinhua disposait de trente bureaux, soit vingt-quatre en Afrique subsaharienne et six en Afrique du Nord.
Notons aussi que la première station radio chinoise Radio Chine International (RCI), alors Radio Pékin, a diffusé des émissions sur le continent dès 1956. En 1965, la Chine s’est même trouvée en tête s’agissant du temps de diffusion en Afrique. Après la révolution culturelle, RCI a ouvert des bureaux au Caire (1986), à Harare (1988) et à Nairobi (1987). Elle utilise uniquement les ondes courtes. À la suite de sa refondation en 1993, elle a inauguré en 1998 son site en ligne pour le service anglais, puis l’année suivante, celui du service français. Cette nouvelle offre multimédia vise à fédérer ses audiences africaines par ensemble linguistique. La création en 2011 de la CIBN (China International Broadcasting Network) qui concerne l’audiovisuel numérique vient renforcer cette stratégie. Enfin, à la suite de une multiplication de partenariats avec les radios nationales et locales, elle a commencé à proposer ses programmes sur les ondes FM depuis 2002 en collaboration avec la radio publique Kenyane KBG, puis en 2006, depuis sa propre station à Nairobi, concurrençant ainsi des grands groupes occidentaux (BBC, RFI, RDP Africa). Cet essor important de la radiodiffusion est dû à sa pénétration des différentes couches de sociétés africaines. La radio est en effet le média qui bénéficie du taux d’audience le plus élevé durant les années quatre-vingt-dix à deux mille car il représente souvent le seul moyen d’information pour des zones isolées.
Mais notons que le développement le plus spectaculaire et le plus rapide demeure celui de la télévision. Avec l’adoption d’une politique de développement international dans les années quatre-vingt-dix, le groupe public CCTV (China Central Television) a tout d’abord diffusé des émissions depuis la RPC, puis fourni des programmes aux chaînes africaines à partir des années deux mille. La chaîne s’adressait dans un premier temps principalement en mandarin aux ressortissants d’outre-mer. Par la suite, la version anglophone CCTV-9 a été formellement inaugurée en 2000. Plusieurs filiales en français, espagnol (2007) et en arabe (2009) ont été intégrées à l’offre de diffusion africaine. Citons à titre d’exemple la reprise de certaines émissions de la CCTV-English reprises au Kenya sur la KBC, les échanges de programmes avec le Zimbabwe, ou encore entre CCTV-F et la télévision togolaise. Avec le lancement de la chaîne publique CCTV Africa en 2012, la CCTV produit et émet désormais depuis le continent. Tandis que les principaux médias étrangers réduisent localement le nombre de leurs journalistes, d’importants budgets ont été alloués par le gouvernement chinois dans le cadre de l’internationalisation de la chaîne (création de studios à Londres, Washington et Nairobi). CCTV Africa a recruté près de 70 Kenyans et de 30 Chinois et propose désormais plusieurs émissions telles qu’un hebdomadaire sur les événements de la semaine, Talk Africa, un journal quotidien d’une heure, Africa Live et des portraits de la société civile africaine, Faces of Africa.
Cadrage théorique
1. La centralité d’une perception positive. Robert Jervis remet en question la conception rationnelle des relations internationales en soulignant que la perception erronée (misperception) et les différences subjectives d’appréciation peuvent influencer le processus décisionnel. Dans ce contexte, les médias chinois cherchent à orienter les représentations africaines de la Chine et de l’engagement chinois sur le continent, non pas en présentant directement une image alternative, mais en proposant de nouvelles manières de regarder l’Afrique.
2. La performance d’une diplomatie culturelle. Le concept de Soft Power formulé par Joseph Nye permet de mieux comprendre l’action non-coercitive de l’État chinois. En effet, ce dernier ambitionne de développer aujourd’hui une image positive chez ses partenaires. Pour ce faire, il mobilise une large palette d’outils (académiques, culturels, médiatiques, économiques) qui contribue au renforcement de son pouvoir d’attraction et à la promotion de son modèle de développement.
Analyse
Le concept de Soft Power (软实力, ruan shili) est officiellement invoqué à partir de 2006 lorsque les premières mesures concrètes sont entrées en application. L’implantation africaine des principaux médias chinois (Xinhua, RCI, CCTV) a été considérablement renforcée pendant cette période. La collaboration médiatique entre la république populaire et l’Afrique a été formalisée au cours du troisième Focac (forum de coopération sino-africain) en 2006 après son introduction dans l’article 5 du Plan d’action de Pékin. Nous assistons par conséquent à la mise en place de stratégies globales d’internationalisation propres à la région. Ainsi, les médias proposent-ils une vision différente de l’approche occidentale sur les relations sino-africaines, destinée à construire une représentation positive de la Chine. Joshua Kurlantzick évoque une « charm offensive » chinoise.
Cette coopération demeure multiforme. La Chine a apporté un soutien matériel et technique aux médias africains dès les années soixante avec l’installation d’émetteurs radio ou la fourniture d’équipements de radiodiffusion. En outre, elle a fourni des équipements radio au Lesotho en 2006, rénové le siège du Liberia broadcasting system en 2008, ou encore construit des studios de télévision et installé un réseau de télévision numérique terrestre en Ouganda en 2010. Cette pratique, qui ne peut être séparée des relations économiques, est souvent conditionnée par l’obtention de contrats de télécommunications pour des opérateurs comme Huawei ou Zhong Xing Télécommunication Equipment (ZTE). Cette présence vise à améliorer la connaissance mutuelle par une approche équilibrée et le développement de contacts entre les journalistes chinois et africains, notamment par le biais de formations organisées sous l’égide du Focac. Ces dernières sont souvent liées aux secteurs de collaboration mis en place dans les pays africains tels que le BTP et l’exploitation de ressources naturelles.
De ce fait, la diplomatie culturelle de la Chine opère sous plusieurs formes. Citons à titre d’exemple la diffusion de la culture et de la langue chinoise, les échanges académiques, les stages d’étudiants et de professionnels africains qui jouent par la suite un rôle d’intermédiaire auprès des acteurs chinois.
Dans ce cadre, Pékin promeut un discours articulé autour du principe de la solidarité Sud-Sud, tout en présentant la Chine comme une référence pour les pays en développement. Le déploiement d’outils d’influence est justifié par des impératifs intérieurs (demande énergétique notamment) et par la nécessité de contrer la critique à l’étranger concernant la présence chinoise en Afrique. L’attention portée à la diffusion de sa culture vise à renforcer son attractivité et à développer une image positive de son action. Cette ambition, le directeur du bureau africain de Xinhua, l’exprime en ces termes : « nous devons présenter à notre audience la vraie Afrique, ainsi que les potentiels énormes de la coopération sino-africaine ».
Références
Bénazéraf David, « Soft power chinois en Afrique Renforcer les intérêts de la Chine au nom de l’amitié sino-africaine », IFRI, septembre 2014, disponible sur :
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Jervis Robert. Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.
Morin-Allory Ronan, « La Chine parle aux Africains. L’appareil médiatique de Pékin », Outre-Terre, 4 (30), 2011, pp. 43-71.
Nye Joseph, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.
Yangtze Yan, « Xinhua launches Focusing on African news coverage program », Xinhua, 19 septembre 2006, disponible sur: http://www.xinhuanet.com/english/africa/