Par Lea Sharkey
Passage au crible n° 162
Deux mois après la signature du presidential memoranda visant à relancer les oléoducs Keystone XL et Dakota Access, le président américain a délivré le 24 mars un permis de construire à TransCanada, maître d’œuvre du pipeline transfrontalier. Quelques mois après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, Donald Trump affiche ainsi son soutien à l’exploitation des énergies fossiles. Il méconnaît par là même les préoccupations environnementales, tout en affirmant vouloir conforter la sécurité énergétique du pays.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Proposé en 2008 par la société TransCanada, l’oléoduc Keystone XL devrait transporter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’au complexe de raffineries du golfe du Mexique. L’oléoduc intra américain Dakota Access, réalisé par l’opérateur Energy Transfer Partner, relierait quant à lui le Dakota du Nord à l’Illinois. Divisant fortement l’opinion, ces infrastructures ont soulevé une opposition sur le plan national. Ces travaux nécessitant une validation présidentielle du fait de leur caractère transfrontalier, le Président Barack Obama avait rejeté définitivement Keystone XL le 6 novembre 2015, consolidant de cette façon un leadership climatique qu’il tentait d’établir en partenariat avec la Chine. Les entretiens bilatéraux menés en amont de la COP21 témoignèrent de cette ligne politique.
Les deux projets suscitent la mobilisation d’acteurs aux orientations et aux moyens divers. Ils signalent les risques environnementaux liés à la possibilité d’une fuite, menaçant les ressources en eau – les tracés se déployant sous plusieurs lacs et rivières – mais aussi la biodiversité locale et la santé publique. La critique porte également sur l’extraction de sables bitumineux, dont la transformation en pétrole implique d’importantes quantités d’énergie, estimées jusqu’à 37% par le think tank canadien Pembina Institute. Les organisations environnementales déplorent enfin un investissement à long terme dans les énergies fossiles au détriment d’autres sources propres, confortant la dépendance au pétrole des États-Unis, alors même que la Chine et l’Inde, grands émetteurs de CO2, sont les premiers Etats à investir dans les énergies renouvelables.
En 2016, l’organisation d’un camp de protestation par la tribu Sioux de Standing Rock a attiré l’attention internationale sur le projet Dakota Access. Le relai de ces campagnes par des associations environnementales telles que Greenpeace ou le Sierra Club, et l’implication des communautés autochtones par-delà les frontières américaines a conféré une envergure mondiale à la contestation, bien que le tracé soit aujourd’hui construit en grande partie.
Si la résistance anti-oléoduc et anti-extraction a pu rencontrer un certain succès sur la scène internationale – citons le tracé du Northern Gateway rejeté définitivement en 2016 par le Premier ministre canadien Justin Trudeau – l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ouvre la voie à une nouvelle diplomatie climatique et énergétique pour le pays. La réduction drastique du budget américain alloué à l’EPA (Agence pour la Protection de l’Environnement), la nomination de Scott Pruitt, ancien avocat ayant entamé quatorze poursuites à l’encontre de cette même agence, les déclarations climatosceptiques du Président Trump, la nomination de Rex Tillerson, ancien patron du géant pétrolier ExxonMobil à la tête de la diplomatie américaine, le démantèlement du Clean Power Plant et enfin la critique virulente de l’Accord de Paris, redéfinissent substantiellement la position des États-Unis dans l’arène climatique.
Cadrage théorique
1. L’hétérogénéité d’une contestation transnationale. Rassemblements autochtones, associations environnementales ou de citoyens, scientifiques, personnalités engagées, gouvernements de villes et opinion publique forment un réseau d’acteurs transnationaux engagés contre le développement de ces infrastructures. Cette contestation transnationale est identifiée et unifiée sous le terme de « blockadia » par la journaliste et militante environnementale Naomi Klein. Toutefois, sa trame apparaît peu homogène, traversée par des intérêts variés et développant des outils souvent divergents. Elle se heurte par ailleurs aux interdépendances entre milieu politique et milieux d’affaires, rendues explicites dès l’entrée en fonction de Donald Trump.
2. La relance des coopérations bilatérales. Avec le rejet du traité TransPacifique, et la critique exacerbée de l’Accord de Paris, l’administration américaine renoue avec les coopérations bilatérales. Plus généralement, les engagements multilatéraux sont délaissés afin de renégocier les termes des contrats internationaux. Cette réorientation permet à la puissance américaine de mettre en œuvre un rapport de forces direct qui l’avantage en termes de sécurité énergétique et de création d’emplois.
Analyse
Les revendications autochtones s’inscrivent dans la lutte que les communautés indigènes mènent à l’échelle internationale contre l’expropriation des terres et les chantiers d’extraction minière ou hydroénergétiques. Elles sont largement relayées par les associations environnementales. Cependant, au sein des États fédérés les contestataires sont fortement divisés quant à l’utilité économique, la qualité des analyses environnementales et le niveau des compensations envisagées. Si les citoyens restent globalement favorables à une implantation industrielle dans leur région, l’association Bold Nebraska, qui pointe le risque de contamination de l’aquifère Ogallala, s’est mobilisée contre l’expropriation (eminent domain) de nombre de résidents et agriculteurs. De même, la tribu Lakota Sioux s’appuie sur une argumentation culturelle et territoriale pour défendre sa ressource en eau. Ce mouvement indigène a ainsi obtenu de la ville de Seattle, (État de Washington), le « désinvestissement » (divestment) ou retrait de plus de trois milliards de dollars de la banque Wells Fargo en 2018, impliquée dans le financement de l’oléoduc Dakota Access. Sa construction effective a donc été successivement reportée et relancée en fonction de nombreuses batailles juridiques et politiques menées localement par des résistances fragmentées.
Par ailleurs, les militants écologistes issus d’organisations non gouvernementales telles que Greenpeace, Les Amis de la Terre, 350.org ou encore le Sierra Club, s’inquiètent avant tout de l’impact sur le climat d’un investissement à long terme dans l’extraction de ressources fossiles – que représentent indirectement les infrastructures de transport d’hydrocarbures. Ils développent en effet l’argument suivant lequel une partie des réserves de pétrole devrait être gelée afin d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris entré en vigueur en 2016 et ratifié par les États-Unis. En l’occurrence, la transnationalisation de ce mouvement de résistance repose davantage sur l’aspect hautement symbolique des oléoducs que sur leurs conséquences territoriales et environnementales directes.
Cependant, cette campagne se heurte à un nouveau contexte politique avec l’accession à la présidence des États-Unis de Donald Trump ; le discours de ce dernier ravalant les préoccupations climatiques bien après la question du leadership et de l’indépendance énergétique de son pays. À cette fin, il s’appuie sur une nouvelle administration qui 1) s’autorise la critique du discours scientifique, faisant disparaître jusqu’à la mention même de changement climatique sur le site de la Maison Blanche, 2) affiche son soutien aux lobbies pétroliers en intégrant de nombreuses personnalités issues des milieux d’affaires, et 3) affirme renégocier les engagements de l’État fédéral – à l’instar du contrat signé avec TransCanada – pour maximiser les retombées économiques sur le territoire.
Donald Trump s’affiche comme un climato-sceptique, protectionniste et bilatéral, ce qui va triplement à l’encontre de « l’esprit de Paris », instauré par l’Accord sur le climat de 2016. Faisant voler en éclat le système de confiance et de pression des pairs, le chef de l’exécutif américain semble donc avoir porté un coup définitif à ce traité. Néanmoins, c’est sans compter sur la capacité d’acteurs non gouvernementaux comme certains États fédérés, tels que la Californie, qui entendent décider de leurs propres politiques environnementales en s’impliquant directement dans la gouvernance mondiale du climat.
Gravelle, Timothy B. and Lachapelle, Erick, « Politics, proximity and the pipeline: Mapping public attitudes toward Keystone XL», Energy Policy, 83, issue C, 2015, p. 99-108.
Tarrow Sidney, « La contestation transnationale », Culture et Conflits, 38-39, 2000, p.187-223.
Keck Margareth, Sikkink Kathryn, Activists beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Ithaca/London, Cornell University Press, 1998.