Par Catherine W. De Wenden
En ce début du vingt et unième siècle, le monde est entré en migration. Jamais la mondialisation des flux migratoires n’a atteint une telle ampleur. Avec 214 millions de migrants internationaux selon le rapport sur la population de 2009 des Nations Unies, les migrations ont triplé en trente ans et presque toutes les régions du monde sont concernées soit par l’entrée, par le transit, soit par le départ, certains d’entre eux devenant à la fois des pays d’entrée, de départ et de transit. Les migrants se sont beaucoup diversifiés (femmes, mineurs non accompagnés, élites qualifiées, étudiants,réfugiés, déplacés environnementaux) et les catégories de migrants sont elles-mêmes devenues de plus en plus floues, entre les travailleurs, les demandeurs d’asile et les membres du regroupement familial. Ces migrations sont aujourd’hui largement réparties à travers le monde, hier partagé entre régions d’accueil (Etats-Unis, Canada, Australie, Europe, Argentine, Brésil) et de départ (Europe du sud, Afrique, Asie du sud-est et Amérique latine). Aujourd’hui, la planète compte en 2009, 62 millions de migrations sud-nord, 61 millions de migrations sud-sud, 50 millions de migrations nord- nord et 14 millions de migrations nord-sud, le reste étant constitué de migrations est- ouest et, plus rarement ouest-est, selon l’Agence française de développement. A ces migrations internationales, il faut ajouter 740 millions de migrants internes, et les seules migrations internes en Chine (240 millions) dépassent le chiffre des migrations internationales dans le monde.
Ces migrations, tout en étant mondialisées, se sont aussi régionalisées: les régions migratoires ne correspondent pas à des continents mais à des systèmes migratoires régionaux avec une complémenttarité entre l’offre et la demande de travail mais aussi de population. Car l’Europe, la Russie, le Japon vieillissent comme l’a analysé le rapport des Nations unies sur les migrations de remplacement en 2000 et ces régions devront faire appel à une migration accrue si elles ne veulent pas perdre de leur compétitivité, de leur facuté d’attraction des élites et faire face aux besoins de main d’œuvre, qualifiée et non qualifiée. Les Etats-Unis ne devront qu’à l‘immigration la croissance de leur population { partir de 2030, tout comme l’Europe. Le continent américain constitue un système migratoire entre le Nord et le Sud : l’essentiel des migrations vers les Etats-Unis (38 millions de ressortissants nés à l’étranger et environ 11 millions de sans papiers) vient des Amériques (Mexique et Amérique centrale) et les pays d’accueil latino-américains (Brésil, Argentine, Chili, Uruguay, Venezuela) provient d’autres pays latino-américains (pays andins, Amérique centrale), alors que dans le passé les Européens ont constitué les plus forts contingents. L’Europe forme elle- même un système migratoire (30 millions d’étrangers et quelques 5 millions de sans papiers) avec la rive sud de la méditerranée et l’Afrique, jusqu’à l’équateur, l’Afrique du sud absorbant une partie des migrations au-delà. La rive sud de la méditerranée forme aussi un système migratoire sud-sud avec les pays du Golfe, qui reçoivent également des migrants de la corne de l’Afrique, du Pakistan et des Philippines. Le monde russe est un autre pôle, les facilités de circulation à l’intérieur de la CEI vers la Fédération de Russie, la maîtrise de la langue russe et la familiarité avec le passé soviétique créant des liens. On y compte environ 13 millions d’étrangers. La migration chinoise transfrontalière est aussi un phénomène récurrent en Sibérie et dans l’extrême orient russe. L’Asie du sud-est et l’Océanie font système entre de grands fournisseurs de main d’oeuvre et de population (Inde, Chine, Philippines, Indonésie, Pakistan) et de grands pôles économiques (Japon, Hong Kong, Taï Wan, Corée du sud, Singapour, Australie, Nouvelle Zélande). Des pays comme la Turquie, l’Iran, la Syrie sont devenus des zones d’accueil pour le Moyen Orient en crise (Afghanistan, Irak) tout comme les pays du Maghreb pour l’Afrique sub-saharienne et le Mexique pour l’Amérique latine. Enfin, l’implantation chinoise et indienne en Afrique vient encore complexifier la carte.
Plusieurs facteurs expliquent cette massification des migrations, même si, dans le passé, une première vague migratoire mondialisée d’Européens entre 1860 et 1930 s’est dirigée vers le nouveau monde mais aussi vers les territoires colonisés ou à explorer. Depuis les années 1990, la chute du mur de Berlin, les crises politiques, les risques environnementaux, la généralisation de la détention de passeports dans des pays où il était difficile de sortir (monde communiste, régimes autoritaires), la baisse du coût des transports, l’économie du passage clandestin, les inégalités du développement humain (espérance de vie, éducation, niveau de vie), le chômage de masse, l’envie d’ailleurs souvent suscitée par les media du monde développé et le sentiment d’absence d’espoir de réaliser son projet de vie dans les pays pauvres et mal gouvernés sont à la source de cette seconde grande vague migratoire. Ce phénomène va s’accentuer, car la plupart des facteurs de cette mobilité mondialisée persistent encore. Les experts du climat (le GIEC, Groupe d’information et d’étude du Climat) prévoient que l’environnement pourrait être à la source de 150 à 200 millions de nouveaux migrants à la fin du siècle du fait du réchauffement climatique et de catastrophes naturelles (désertification, déforestation, inondations, cyclones, tornades, tremblements de terre, éruptions volcaniques, fonte des glaciers). Ce sont surtout les pays du Tiers monde qui seront touchés.
Enfin, la mobilité est devenue un mode de vie, un critère de l’hypermodernité chez les riches comme chez les pauvres et un facteur de richesse. Le rapport du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) de 2009 montre, chiffres à l’appui, que la mobilité est devenue un facteur essentiel du développement humain : transferts de fonds (300 milliards de dollars en 2006, 337 en 2007, 328 en 2008), soit trois fois l’aide publique au développement (105 milliards de dollars en 2008), développement par l’exil quand les élites réinvestissent leurs savoirs faire ou leurs capitaux comme en Inde et en Chine, modernisation des modes de vie et parfois importation d’idées de liberté, d’égalité et de démocratie (Espagne, Portugal des années 1970). Les pays de départ commencent à s’intéresser à leurs migrants, hier considérés comme des traîtres ou des lâches, en multipliant la double nationalité, le soutien aux associations de compatriotes, la facilitation des transferts de fonds et en soutenant le vote de leurs ressortissants à l’étranger, comme stratégie d’influence. La circulation migratoire, c’est à dire une vie « ici » et « là-bas » se développe là où le statut le permet (double nationalité, visas à entrées multiples, titres de long séjour, Européens au sein de l’Union et autres zones de libre circulation).
Paradoxalement, les pays d’accueil tendent à réagir avec beaucoup de frilosité à cette mondialisation des migrations dont pourtant ils ont besoin avec des politiques dissuasives, répressives, au coût élevé face aux tendances structurelles en faveur de la poursuite des migrations, source de métissages en tous genres et de la nécessité de vivre durablement ensemble.
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