Après Bangkok (28 sept.-8 oct. 2009), s’est tenue à Barcelone, du 2 au 6 novembre 2009, la dernière phase de négociations avant Copenhague. 4 000 délégués représentants 175 pays – aussi bien les gouvernements que les organisations non gouvernementales (ONG), ou les milieux académiques, le secteur privé ou bien encore les médias – ont tenté d’y surmonter leurs différends. Pour bien comprendre l’enjeu d’une telle réunion, il est nécessaire de revenir sur quelques temps forts qui ont marqué l’agenda international sur la question du climat.
La réponse internationale aux changements climatiques a pris forme avec l’adoption en 1992 de la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle a établi le cadre institutionnel visant à stabiliser les concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre (GES). Elle est entrée en vigueur le 21 mars 1994 et compte aujourd’hui 192 Parties.
En décembre 1997, les délégués à la troisième Conférence des Parties (CdP) à Kyoto se sont accordés sur un protocole qui engageait les pays industrialisés – mentionnés dans l’Annexe I – à réduire d’ici 2012 leurs émissions globales de GES d’une moyenne de 5,2% en deçà de leurs niveaux de 1990. Le Protocole de Kyoto est entré en vigueur le 16 février 2005 et compte aujourd’hui 189 parties. La première puissance émettrice de GES, les États-Unis, n’a cependant pas ratifié le traité. En revanche, grâce à Barack Obama, ce pays est revenu à la table des négociations pour envisager désormais des objectifs chiffrés. Pour autant, il refuse toujours la logique de Kyoto – pourtant soutenue par l’Union européenne – d’un objectif global réparti ensuite entre les pays. En outre, il demeure hostile au système supranational de sanctions qui a été prévu en cas de non-respect des objectifs.
Les négociations menées dans le cadre de la conférence de Bali en décembre 2007 ont par ailleurs abouti à l’adoption du Plan d’action de Bali (PAB). Ce dernier contient une liste non exhaustive des questions à examiner et appelle à « vision commune pour une action concertée à long terme ». La conférence de Bali a également abouti à un accord sur un processus biennal – la Feuille de route de Bali – et a créé à cette fin deux organes de travail : l’AWG-LCA (Ad hoc Working Group-Long- term Cooperative Action), chargé des quatre éléments clés de la coopération à long terme : 1) l’atténuation, 2) l’adaptation, 3) le financement, 4) la technologie. Quant à l’AWG-KP (Ad hoc Working Group-Kyoto Protocol), il est dédié aux engagements des pays de l’annexe I. Enfin, cette feuille de route fixe une date butoir pour l’achèvement des négociations lors de la CdP15 qui se tiendra à Copenhague, du 7 au 18 décembre 2009.
Or, à Barcelone, tous les participants s’accordent à dire que les discussions n’ont pas assez progressé depuis leur ouverture en 2007. Afin d’empêcher une hausse des températures supérieure à 2°C, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) avait estimé – dans son 4ème rapport – que les pays industrialisés devraient réduire d’ici à 2020 leurs émissions de 25 à 40% par rapport à 1990. Pour l’heure, les pays signataires du protocole de Kyoto proposent des objectifs bien inférieurs, compris entre – 16 et – 23%. Quant aux États-Unis, ils sont uniquement prêts à une baisse de 7%. À cet égard, l’avant-projet de loi Boxer-Kerry sur le plafonnement et l’échange de droits d’émission, votée au Comité de l’environnement et des Travaux publics du Sénat, constitue une inflexion notable. Toutefois, avant une adoption éventuelle, le texte devra être examiné par un comité de conciliation chargé d’apprécier les différences entre la version de la Chambre des Représentants et celle du Sénat, ce qui devrait en tout état de cause empêcher sa promulgation avant Copenhague.
Actuellement, trois blocs – le G77/Chine, l’Europe et les États-Unis – s’affrontent. Leurs oppositions se cristallisent autour des quatre points que le Secrétaire exécutif de la CCNUCC – Yvo de Boer – estime cruciaux pour obtenir la signature d’un accord politique : 1) les réductions des émissions de gaz à effet de serre des pays riches, 2) les politiques effectives des pays émergents pour limiter leurs pollutions, 3) les nouvelles aides financières et techniques pour les plus pauvres, 4) le système de supervision du financement. Plus fondamentalement, aucune position commune n’a été arrêtée quant à la vision à long terme (« shared vision »), la méthode et les objectifs à atteindre (pourcentages, année de référence).
Le groupe des pays africains a appelé à un résultat équitable et à des négociations transparentes. À cet égard, il a désigné la CCNUCC comme la seule institution légitime et a dénoncé le risque de confiscation du pouvoir décisionnel par quelques grandes puissances. Sur ce point, il convient de mentionner leur coup d’éclat. En effet, lors de la séance plénière d’ouverture, ils ont refusé toute programmation d’autres réunions de groupes de contact avant l’achèvement des travaux sur les réductions des émissions de l’annexe I. Ils entendaient ainsi dénoncer les efforts insuffisants des pays industrialisés. Selon le délégué d’un pays en développement, « cela a donné davantage de visibilité à cette question cruciale. C’est évidemment une bonne chose. Mais à considérer le temps perdu, il n’est pas certain que cela en valait finalement la peine ».
La conclusion d’un nouvel accord, qui se substituerait au protocole de Kyoto et reverrait à la baisse ses dispositions, préoccupe un grand nombre de pays en développement et émergents. Ce risque paraît d’autant plus sensible que les États-Unis cherchent à brouiller la frontière entre les pays développés et les nouvelles puissances régionales. Au contraire, ces dernières réclament des progrès dans la détermination des objectifs individuels et globaux de limitation et de réduction des émissions (QELRO) ainsi que leur chiffrage. Pour sa part, le G-77/Chine a également souligné la nécessité de ressources financières, qui soient suffisantes et prévisibles. Par ailleurs, il a recommandé la mise au point et le transfert de technologies, ainsi qu’un renforcement des capacités des pays en développement.
Au nom de l’Union européenne (UE), la Suède a appelé à un accord contraignant, intégrant les éléments essentiels du protocole de Kyoto. En l’espèce, son délégué a mis en relief l’objectif de l’UE consistant, dans le cadre d’un accord global, à réduire d’ici 2020 ses émissions de 30% par rapport à 1990 – à condition toutefois que d’autres pays prennent des engagements comparables – et de 80 à 95% en 2050.
Lors de la clôture des débats, aucune conclusion majeure n’a été adoptée. Ceci confirme combien les résultats apparaissent, une nouvelle fois, en retrait des attentes initiales. Aucun dossier n’a fait consensus, notamment parce que les négociateurs ne disposaient pas de la légitimité nécessaire pour engager leur pays sur les points sensibles. C’est la raison pour laquelle de nombreux délégués estiment désormais qu’on s’oriente plutôt vers un accord politique qui n’induirait l’adoption rapide d’aucun instrument juridiquement contraignant.
À un mois jour pour jour du sommet de Copenhague, les tractations internationales se multiplient pourtant. Lors du Conseil européen des 29 et 30 octobre derniers, les membres de l’UE se sont ainsi mis d’accord sur le montant des aides nécessaires destinées aux pays pauvres – 100 milliards d’euros par an jusqu’en 2020 –, mais ont néanmoins refusé de chiffrer leur contribution. De même, et au-delà du problème de sa légitimité politique, le G20-Finances du 7 novembre n’a-t-il abouti à aucun résultat probant. Quoiqu’il arrive, les premiers engagements du Protocole de Kyoto expireront le 31 décembre 2012. Pour accélérer le processus, certains acteurs évoquent donc la construction d’une coalition composée de l’Union européenne et des pays en développement, afin d’isoler les États-Unis. Dans cette logique, les ONG ont lancé la campagne Tck tck tck* (Time for Climate Justice).
* Alliance mondiale d’organisations issues des sociétés civiles (organisations syndicales, groupes religieux), qui appellent à la signature d’un accord sur le changement climatique, qui soit substantiel, juste et contraignant.
Site de la CCNUCC http://unfccc.int/portal_francophone/items/3072.php
« Négociations climatiques : Copenhague ou l’heure de vérité », par Jean Tirole http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/02/negociations-climatiques-copenhague-ou-l-heure-de-verite-parjean- tirole_1261630_3232.html#ens_id=1234881