Par Armand Suicmez
Passage au crible n°67
Le 4 avril 2012, Giovanni Conti, juge du tribunal d’État du Rio Grande do Sul a condamné Monsanto à suspendre la collecte des redevances sur les OGM de soja (Organismes Génétiquement Modifiés). Cette décision implique également le remboursement des frais de licence, honorés depuis la campagne culturale de 2003-2004, au motif d’une « violation de la loi brésilienne sur les variétés ». Une amende journalière de 400 000 euros sanctionnera la compagnie en cas de non respect de ce jugement.
Ceci est loin d’être un cas isolé. La multinationale avait déjà connu une déconvenue lorsqu’elle a été déboutée par la CEJ (Cour Européenne de Justice) le 6 juillet dernier. Monsanto avait alors tenté d’empêcher les exportations de soja transgénique, de l’Argentine vers les Pays-Bas, pour non-paiement. Cette situation montre combien la suprématie de l’entreprise s’est désormais effritée.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Fondée aux États-Unis en 1901 par John Francis Queeny, la firme Monsato était initialement spécialisée dans la commercialisation de produits chimiques. Dès le début des années quatre-vingt, elle a obtenu les premières plantes modifiées en serre à l’issue de nombreuses recherches génétiques. En 2002, le conglomérat est devenu le leader de l’agriculture transgénique dans le monde après avoir développé ses ventes à l’international.
L’autorisation de commercialisation de la pomme de terre NewLeaf, du maïs YieldGard, du colza et du soja Roundup Ready entre 1995 et 1996 diversifie les gammes et offre de nouvelles potentialités à la société. En 2001, profitant de la faiblesse des récoltes de soja en Afrique du Sud et de la production du coton en Inde, Monsanto s’implante durablement dans ces pays. Depuis, sa progression dans d’importants États producteurs, reste régulière et durable. Cette expansion est liée à la vente des grains, mais surtout aux royalties perçues sur la propriété industrielle qui empêchent ; « d’une part de pouvoir ressemer les années suivantes et, d’autre part, de donner ou échanger leurs semences. En clair, ces organisations d’agriculteurs brésiliens refusent de payer quelle que redevance que ce soit sur des semences récoltées, triées et ressemées ».
Au Brésil – République fédérale composée de 26 États – la propriété intellectuelle est régie par les articles 10 et 18 de la loi 9279. Le premier d’entre eux stipule que, sont exclus de cette définition « tout ou partie d’êtres vivants naturels et des matériels biologiques trouvés dans la nature, ou encore qui en sont isolés, y compris le génome ou germoplasme de tout être vivant naturel et les processus biologiques naturels ». Le second, contourné par Monsanto qui signe des accords directement avec les négociants, notifie que « ces micro-organismes, à l’exception de tout ou partie de plantes ou d’animaux, expriment, par l’intervention humaine directe dans leur composition génétique, une caractéristique qui, normalement, n’est pas réalisable par l’espèce dans des conditions naturelles ».
En 2009, la mise sur le marché de nouvelles générations de plants entraîne l’augmentation de la taxe de 48 euros/hectare à 145 euros, sous couvert de rentabilité. Dans ce cadre, les travailleurs agricoles du Rio Grande do Sul et les associations des agriculteurs de Giruá et Arvorezinha rejointes par celles de Passo Fundo, Santiago et Sertão portent plainte pour abus. Monsanto riposte immédiatement en contestant la recevabilité de cette sentence « puisqu’elle n’a de relations commerciales qu’avec des individus ». La firme fait donc appel près la Cour fédérale du Brésil qui, si elle statue en faveur des plaignants, confèrera une valeur nationale à sa décision.
À terme, le remboursement total des versements depuis 2003-2004 s’élèverait à environ 6,2 milliards d’euros redistribués à cinq millions d’agriculteurs.
1. Le brevet au cœur du profit system. Bien que symbolisant principalement la protection de la recherche, le principe de la propriété industrielle – qui permet d’interdire à tout tiers, le droit d’exploiter une invention – sert aussi aux firmes de levier dans les négociations. Les compagnies profitent de l’hétérogénéité des normes qui subsiste entre les pays – comme dans le cas des OGM – pour accroître leurs profits, quand elles ne sont pas parfois même plus ou moins directement en collusion avec les pouvoirs publics.
2. La contestation symbolique des firmes monopolistiques. Les stratégies prédatrices des entreprises en position de monopole, montrent souvent l’inaptitude des États à arbitrer les litiges que celles-ci entretiennent avec leurs clients. Les poursuites judiciaires ne représentent généralement que l’aboutissement des campagnes de shaming, menées par des acteurs transnationaux tels que les ONG par exemple.
Dans un pays où 95% de l’agriculture est transgénique, le monopole pratique de Monsanto induit une dépendance des producteurs brésiliens, pérennisée par le prélèvement de royalties. C’est pourquoi, déjà largement décriée par le public et les médias pour l’absence de toute concurrence sur le marché des OGM, la multinationale pâtit d’une image symbolique largement détériorée.
La croissance organique du groupe industriel présente la particularité de se fonder sur la propriété industrielle qui lui sert à imposer le paiement d’une redevance aux producteurs. Dès lors, le brevet devient une arme légale assurant la rentabilité. Contrairement à une idée reçue, les lacunes du droit commercial en matière d’innovation ne semblent pas constituer une faiblesse, elles permettent au contraire une plus grande marge de manœuvre à Monsanto dans la mise en œuvre de sa stratégie entrepreneuriale. Profitant de cette asymétrie, elle peut ainsi engranger des bénéfices réguliers face à des paysans de plus en plus isolés. En contournant les législations pour négocier directement avec les agriculteurs, Monsanto profite de sa majesté dans le domaine des OGM pour imposer ses conditions d’exploitation.
Dans ce contexte, la plainte déposée par des associations d’agriculteurs vient contester un rapport de force qui paraissait il y a deux ans encore, comme naturalisé. En effet, les connivences que la firme entretenait avec des gouvernements incapables de répondre à l’imprécision des cadres normatifs, lui offraient jusque-là un champ d’action très large en toute impunité. Or, le concours d’acteurs hors souveraineté, tels que la nouvelle communauté de négociants-cultivateurs et la collectivité territoriale du Rio Grande do Sul, met un terme à cette situation.
En matière de prospective, les récentes oppositions aux pratiques de Monsanto ont ouvert une brèche quant au renforcement des normes internationales traitant de la propriété industrielle. Jusqu’à présent, des initiatives peu contraignantes et non-homogènes, ont déjà été proposées par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), mais elles demeurent encore embryonnaires. Par ailleurs, l’implication de tribunaux nationaux indique une tentative de réétatisation de certains échanges transnationaux.
Info’OGM ; Brésil – La justice refuse à Monsanto le droit de prélever des royalties sur le soja OGM: http://www.infogm.org/spip.php?article5124 ; dernière consultation : 31/05/2012.
Sägesser Caroline, «Le dossier des OGM dans les instances internationales», Courrier hebdomadaire du CRISP, (19), 2001, pp. 5-34.
Fok et al Michel, « Un état de coexistence du soja transgénique et conventionnel au Paraná (Brésil) », Économie rurale, (320), juin 2010, pp. 53-68.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.