Après avoir présenté les participants à la table ronde, le politiste Jean-Vincent Holleindre leur a immédiatement demandé d’analyser les raisons pour lesquelles l’international tenait une place si faible dans la campagne présidentielle de la France. Lui-même indiquant qu’après tout les candidats évoquaient sans doute peu ce domaine car il y avait désormais consensus sur les principaux grands dossiers, là où auparavant s’imposaient de profondes lignes de fracture (Guerre Froide, OTAN, construction européenne, etc.).
Le général Morillon déplore la faible présence de l’international dans les débats opposant les candidats avant d’exposer les raisons pour lesquelles il convient d’engager la France en faveur d’une Europe-puissance, seul recours qui lui permettrait de continuer de préserver son indépendance et d’exercer une réelle souveraineté face aux grands ensembles (États-Unis, Chine, puissances émergentes). Pour étayer sa thèse, il revient sur plusieurs conflits qui se sont déroulés au cours de ces vingt ou trente dernières années, conflits où les pays européens n’ont pas toujours témoigné d’une grande cohésion ni d’une totale solidarité. Il aborde notamment dans le détail, ceux ayant eu lieu au cœur de l’Europe lorsqu’il était aux responsabilités. Enfin, il analyse et commente la position des États européens dans la crise financière mondiale et propose quelques pistes de réflexion à caractère fédéraliste.
Pour sa part, le professeur Josepha Laroche souligne que l’absence de l’international dans la campagne représente en quelque sorte un marronnier journalistique car il en est plus ou moins de même à chaque élection. Cette situation ne revêt rien d’original comme le montre la campagne présidentielle se déroulant actuellement aux États-Unis. Selon elle, il existe 1) des raisons conjoncturelles (chômage massif, absence de perspectives pour les jeunes, précarité, coût du logement, retraites, baisse du pouvoir d’achat, paupérisation des classes moyennes et risque patent de récession, etc.) qui inciteraient les candidats à produire prioritairement un discours sur tous ces points : les candidats s’efforçant de dire ce que les électeurs ont envie et besoin d’entendre. Mais 2) peut-être y aurait-il aussi des raisons structurelles, chaque élection présidentielle représentant un temps fort sur le plan symbolique au cours duquel les citoyens français communient entre eux et réaffirment leurs valeurs communes. Ils se ferment alors sur leur entre-soi national. Au cours de ce processus de réaffirmation identitaire, ils transforment la nation en un véritable enclos émotionnel et passionnel où la nostalgie d’un passé aussi glorieux que phantasmé fait systématiquement retour. Ce faisant, l’international n’apparaît que sur le mode caritatif et/ou le mode défensif (peur de la mondialisation, de l’immigration, du terrorisme, de l’Islam, etc.).
Hubert Védrine considère, quant lui, qu’il n’y a pas matière à s’étonner et encore moins à s’offusquer que l’international soit si substantiellement absent de la campagne. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité française car il en va ainsi dans bon nombre de pays. Les citoyens – et par conséquent les candidats – abordent ce qu’il leur semble bon de traiter, il n’y a pas à leur faire injonction. Pour autant, si l’international fait largement défaut au cours de cette séquence électorale, cela ne permet en rien de préjuger de la suite, la France restant une grande puissance, la cinquième – et à ce titre, elle détient un rôle majeur sur la scène mondiale qu’elle doit préserver. Hubert Védrine revient ensuite, lui aussi, sur les questions européennes pour évoquer le rôle de l’Allemagne par rapport à la France et la construction européenne. Sur ce point, il met en garde l’assistance quant à la nécessité de bien distinguer les souverainistes, des eurosceptiques et des europhobes, ces derniers étant ultra minoritaires selon lui. Enfin, il esquisse des voies possibles pour la construction européenne. Celle-ci devrait être obligatoirement fondée, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, sur le principe de réalité, à savoir que les peuples entendent préserver leur identité et leur souveraineté et ne veulent pas se fondre dans un ensemble indifférencié et moyen.
Après ces trois interventions, Jean-Vincent Holleindre donne rapidement la parole à la salle où les questions s’avèrent nombreuses. Un intervenant s’adresse aux contributeurs en s’étonnant par exemple que l’on traite de l’Europe, lorsque l’on évoque l’international : la construction européenne ne serait-elle pas plutôt devenue une affaire intérieure ? Le professeur Josepha Laroche souscrit tout à fait à cette approche et rappelle qu’elle s’est délibérément refusée à mentionner l’Europe précisément pour cette raison. Hubert Védrine et Josepha Laroche reviennent ensuite tous deux sur la notion de communauté internationale si souvent mobilisée par les responsables politiques. Ils en soulignent le caractère flou et creux, Josepha Laroche y voyant pour sa part toutefois la possibilité sémantique et symbolique de pacifier les interactions entre les parties à une négociation, voire à un conflit. En effet, chaque acteur met dans cette coquille vide ce qui lui convient le mieux. Le recours à ce mot-joker remplit ainsi une fonction pacificatrice qui ne doit pas être sous-estimée.
À l’occasion de différentes remarques, les trois intervenants sont conduits à préciser leur analyse du rôle et de la structure des États dans leurs rapports avec les acteurs non-étatiques, notamment les ONG et les firmes transnationales.
Enfin, la table ronde s’achève sur une dernière question prospective de Philippe de Lara qui porte sur la dialectique guerre/paix et sur la montée éventuelle des violences sur la scène mondiale. Josepha Laroche estime que les violences communautaristes et infraétatiques (interconfessionnelles et interethniques) ne peuvent que se développer davantage devant la faiblesse actuelle des États. Hubert Védrine rappelle alors que les guerres interétatiques sont numériquement en voie de régression, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il y ait moins de violences sur le plan mondial. Les trois intervenants s’entendent sur ce point et sur la vulnérabilité des organisations sociales qu’elle induira dans l’avenir.