Par Simon Uzenat
Passage au crible n° 151
Source: Chaos International
La 22e CdP (Conférence des Parties) à la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) s’est réunie à Marrakech du 7 au 19 novembre 2016. Elle a rassemblé plus de 22000 participants – en retrait de 40% par rapport à la Conférence de Paris –, dont près de 16000 responsables gouvernementaux, plus de 5000 représentants des organisations onusiennes, des OIG (Organisations Intergouvernementales) et ONG (-50%) et 1200 des médias (-66%). Il s’agissait d’une conférence essentiellement technique chargée de détailler la mise en œuvre de l’élan diplomatique entériné par la 21e CdP et formalisé dans l’Accord de Paris. Ce dernier est entré en vigueur le 4 novembre 2016, trente jours après sa ratification par 55 pays représentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La 22e CdP a donc logiquement coïncidé avec la réunion de la première partie de la première session de la CMA (Conference of the Parties serving as the Meeting of the Parties to the Paris Agreement).
Cette conférence internationale a par ailleurs été largement marquée par l’élection à la présidence des États-Unis, le 8 novembre 2016, du candidat républicain climato-sceptique Donald Trump. Ce dernier avait clairement annoncé son intention de ne plus engager son pays dans la voie dessinée à Paris un an plus tôt. Cet événement politique a participé à renforcer le climat d’incertitude qui entoure la réalisation, dans un délai raisonnable, des objectifs concrets (atténuation, financements, transferts de technologie) indispensables à la résilience climatique.
> Rappel historique
> Cadrage théorique
> Analyse
> Références
Rappel historique
Depuis leur origine, les négociations climatiques sont scandées par une alternance de temps forts diplomatiques (Kyoto, Copenhague, Paris) connaissent des résultats inégaux et de conférences de nature plus opérationnelle en vue de préparer la finalisation d’un accord majeur ou d’en détailler la mise en œuvre. À cet égard, la 22e CdP s’inscrit dans une séquence multilatérale relativement proche de celle qui prévalait déjà quinze ans plus tôt, lorsque le Maroc accueillit pour la première fois les négociateurs du climat. Du 29 octobre au 9 novembre 2001, les délégués de la 7e CdP se réunirent en effet à Marrakech pour préciser les modalités d’application du protocole de Kyoto signé en 1997, en arrêtant la traduction juridique du plan d’action de Buenos Aires, adopté en 1998, dans le cadre des Accords de Marrakech. L’élection du président Georges W. Bush, fondamentalement opposé à toute démarche contraignante qui épargnerait la Chine et les pays en développement, suscita de fortes inquiétudes. En particulier lorsqu’il officialisa son choix, en mars 2001, de ne pas transmettre au sénat américain le protocole pour ratification. Conjugué à d’autres tensions liées à l’ampleur et au calendrier de réduction des émissions pour les pays développés visés à l’Annexe I du protocole, cet unilatéralisme de la puissance américaine contribua à retarder l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto qui n’intervint finalement que le 16 février 2005.
Préalablement à la 22e CdP, plusieurs décisions de portée internationale ont cependant entretenu la dynamique de l’Accord de Paris. Tout d’abord, la résolution votée le 6 octobre 2016 par l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) qui instaure un mécanisme mondial de compensation des émissions de l’aviation internationale. Ensuite, l’amendement de Kigali, adopté le 15 octobre 2016 après sept années de négociations dans le cadre du protocole de Montréal, et qui entérine l’élimination progressive des hydrofluorocarbures (HFC) à l’effet de serre 14000 fois plus puissant que le CO2.
Cadrage théorique
Le déroulement de la 22e CdP et ses résultats contrastés s’inscrivent dans un double mouvement qui enregistre autant qu’il accompagne les reconfigurations en cours de la scène mondiale.
1. Un multilatéralisme fragmenté. L’arène climatique fait l’objet d’une décomposition stratégique des espaces-temps de la négociation internationale (conférences, groupes de travail, partenariats, plans, programmes, fonds). Leur multiplication répond certes à la complexité grandissante des enjeux (scientifiques, technologiques, financiers) et à la diversification des échelles d’intervention (du local au global). Mais elle permet surtout de circonscrire les tensions potentielles en réduisant au maximum le dénominateur commun d’acteurs profondément hétérogènes et concurrentiels. Avec la fin de l’approche contraignante actée à Copenhague, cette atomisation porte en elle le risque de réduire la portée opérationnelle des promesses climatiques.
2. Une redéfinition du calendrier climatique. Obéissant à une logique incitative, fondée sur le consentement et la bonne volonté, l’Accord de Paris a arrêté un objectif de (très) long terme en renonçant à tout calendrier impératif, alors même que l’urgence est unanimement reconnue. En ajoutant de nombreuses échéances intermédiaires (2018, 2020, 2050) dépourvues d’objectifs, non assorties de sanctions et variant en fonction des sujets (atténuation, financement de l’adaptation), la négociation climatique diminue considérablement la probabilité de limiter le réchauffement à 2°C d’ici 2100. Jusqu’à présent, les contributions volontaires des États conduiraient plutôt à une hausse supérieure à 3°C.
Analyse
À l’initiative de sa présidence marocaine et après des modifications demandées par différents groupes de pays, la Conférence de Marrakech a adopté la Proclamation d’action pour notre climat et le développement durable (Marrakech Action Proclamation ou MAP). Il s’agit en réalité d’une déclaration d’intention qui se contente de rappeler les promesses de Paris : le « devoir impérieux de répondre à l’urgence climatique », la nature inclusive de l’Accord dans le respect des responsabilités partagées et différenciées des États. En exprimant une volonté qui s’apparente à une prophétie autoréalisatrice, un « changement urgent, irréversible et imparable » pour reprendre les termes de la nouvelle secrétaire exécutive de la CCNUCC, Patricia Espinosa, cette proclamation prend acte des nombreux obstacles sur le chemin de la résilience climatique : « Nous appelons à une forte solidarité avec les pays les plus vulnérables, […] nous appelons tous les acteurs non-étatiques à se joindre à nous pour une mobilisation et une action immédiates et ambitieuses ». Même si la date anticipe d’une année le choix arrêté à Paris, les gouvernements ont toutefois fixé l’échéance de 2018 – une année trop tard pour les PMA (Pays les Moins Avancés) – pour finaliser la réalisation opérationnelle de l’Accord de Paris, année de la réunion de la 24e CdP et de la troisième partie de la première session de la CMA.
Les ambiguïtés de l’Accord de Paris ont, quant à elles, clairement affecté le rythme et la qualité du travail des négociateurs, de surcroît en l’absence de vision globale sur les engagements des États et leur contrôle. Les difficultés inhérentes à la mise en place des instances de discussion dans le cadre de cet accord ont également participé d’une forme de procrastination : malgré l’incompréhension de nombreux délégués, l’APA (Ad Hoc Working Group on Paris Agreement) ne s’est pas réuni la deuxième semaine de la conférence, alors que les différences d’approches et de calendrier en vue des prochaines sessions auraient pourtant réclamé des échanges complémentaires. L’élection de Trump s’est également invitée dans les salles de réunions et dans les propos des leaders politiques. Si le futur président américain dispose des moyens juridiques pour soustraire son pays de l’Accord de Paris avant la fin de son mandat, l’entrée en vigueur rapide de ce traité, l’élan international qu’il a suscité, la forte implication chinoise – premier émetteur mondial de gaz à effet de serre – et les appels d’acteurs non-étatiques américains, tels de grandes firmes comme Nike et Starbucks ou des autorités locales, rendent désormais un désengagement total peu probable. Rendu possible par la grande souplesse formelle du texte, le principal danger américain demeure celui de l’inertie et des manœuvres dilatoires.
Plusieurs initiatives parallèles ont tenté de contrebalancer cet état de fait en dynamisant l’arène climatique. La feuille de route de Marrakech du sommet des élus locaux et régionaux pour le climat, qui s’est tenu le 14 novembre, appelle ainsi à la « création de modalités renforcées et simplifiées d’accès direct aux fonds climat internationaux dédiés » et annonce le lancement en 2017 d’une campagne mondiale pour la localisation de la finance climat. Il s’agit d’une réponse au constat que « les moyens continuent de manquer pour répondre à l’ambition affichée par la communauté internationale ». De nombreux élus ont à cet égard été marqués par les propos des championnes française et marocaine du climat, Mmes Laurence Tubiana et Hakima El Haité, lors de la cérémonie de clôture du sommet, leur demandant de réfléchir à la vision de leur territoire en 2050, sans jamais évoquer les moyens disponibles pour les collectivités à court et moyen termes.
Le 15 novembre, 42 pays ont signé le partenariat NDC (Nationally Determined Contribution), co-présidé par le Maroc et l’Allemagne. Il a pour ambition d’être une plateforme de collaboration entre pays en développement, pays développés et institutions internationales afin d’accompagner et d’accélérer la mise en oeuvre des NDC dans tous les secteurs et à tous les niveaux de prise de décision des pays en développement. Il propose notamment une base de données en ligne – réalisée avec la CCNUCC, le gouvernement du Maroc et l’agence de coopération internationale allemande – qui recense plus de 300 fonds bilatéraux et multilatéraux.
Le lancement du Marrakech Partnership for Global Climate Action par les championnes du climat, en présence du président de la 22e CdP, M. Salaheddine Mezouar, et du Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, a pour ambition d’encourager l’action des acteurs non-étatiques pour la période 2017-2020. Dans la continuité du plan d’action Lima-Paris transformé en Global Climate Action Agenda, ce partenariat est avant tout destiné à conforter et valoriser les engagements concrets au-delà des promesses plus ou moins tenues par les États. Il s’agit en l’espèce d’accentuer les efforts avant 2020 pour pouvoir se maintenir en-deçà du seuil des 2 degrés. La question financière demeure également centrale : les investissements dans les infrastructures en vue de les rendre compatibles avec une économie bas carbone représenteront 4000 milliards de dollars pour les 15 prochaines années. Ainsi, l’on voit bien que les 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 qui devraient être financés par les pays développés et qui sont débattus depuis Copenhague ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’urgence climatique. La détermination à agir s’avère par ailleurs si faible que l’identité du pays candidat à l’accueil de la 23e CdP n’a été connue qu’au cours de la conférence de Marrakech. Il a été décidé que la présidence serait en l’occurrence assurée par le gouvernement des îles Fidji et la conférence se déroulera au siège de la CCNUCC à Bonn.
Malgré les nombreuses alertes scientifiques, les cris d’alarme des populations les plus vulnérables et les multiples mobilisations transnationales, les engagements actuels des États demeurent encore loin de garantir la justice climatique. La reconfiguration partielle de l’arène climatique, impliquant davantage les acteurs non-étatiques, pourrait amender cette inertie à la condition de déployer de substantiels moyens humains et financiers.
Références
Aykut Stefan C., Dahan Amy, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014.
Barrett Scott, Environment and Statecraft: the Strategy of Environmental Treaty-Making, Oxford, Oxford University Press, 2003.
Keohane Robert O., Victor David G., « The Regime Complex for Climate Change », Perspectives on Politics, 9 (1), 2011, p. 7-23.
Uzenat Simon, « Une reconfiguration partielle de l’arène climatique. Le 1er Sommet Climate Chance des acteurs non-étatiques, 26-28 septembre 2016 à Nantes », Passage au crible (147), 2 nov. 2016 : cliquez ici : http://urlz.fr/4thT